Renzik se stoppa brutalement au milieu de la rue. Littéralement abattue, Asélryn ne le remarqua pas immédiatement et manqua de le heurter. Il resta quelques secondes immobiles après avoir jeté un œil aux deux roublards à ses cotés. Puis soudain, il bondit. A voir sa carrure rabougrie et trapue, Asélryn n’aurait jamais soupçonné une telle agilité de sa part. Il s’appuya au mur pour continuer sa montée puis se rattrapa sur le rebord d’une toiture avant de se hisser. Elle n’était pas encore remise de sa surprise lorsqu’elle réalisa que l’homme qui les accompagnait était déjà monté lui aussi. Honteuse, elle les rejoignit rapidement.
Une fois sur les toits, le gobelin sortit d’un endroit que la jeune fille ne parvint pas à deviner un large éventail de couteaux et poignards d’un geste alerte et habitué. Elle resta quelques secondes silencieuse en fixant les armes, à se demander s’il attendait quelque chose d’elle. Il lui confirma cette idée en poussant un grognement pressé. Asélryn s’empressa de venir devant le Kriss qui lâcha d’un air agacé :
« - Choisis-en deux. »
Elle hésita d’abord entre de plus petits, à l’aspect plus légers, ou d’autres, plus lourds ou à lame plus large ou dentelée. Elle se rendit vite compte que la patience de son examinateur était très limitée et qu’elle en abusait. Elle en saisit alors deux sans vraiment réfléchir.
Le premier était plus une dague d’un poignard, la lame approchant les vingt centimètres et légèrement effilée. Une petite gravure se trouvait sur le manche : Une paire de crocs assimilables à ceux d’un tigre ou d’une panthère.
La seconde lame était parfaitement aiguisée mais le poids nettement supérieur du manche lui fit regretter son choix hâtif. Un couteau de lancer… Elle était d’un niveau minable au lancer et son oncle n’avait jamais manqué de le lui faire remarquer avec un étonnant (et sans doute volontaire) manque de subtilité.
Après tout, il ne l’avait que très peu entraînée au combat. Une crainte lui noua soudain le ventre et ne fit que s’accroître lorsqu’elle eut la confirmation de ce qu’elle redoutait. L’agent qui les accompagnait choisit à son tour deux poignards, l’un effilé et pointu, l’autre moins bien aiguisé mais parsemé de petites dents d’acier, le genre de lame qui faisait mal quand elle rentrait et faisait hurler quand elle sortait…
Le voleur vint se placer alors face à elle. Son cœur s’emballa une nouvelle fois. Elle n’avait presque aucune expérience du combat et sa victoire face aux gardes était un pur coup de chance. Elle avait affaire à un agent du SI:7, un assassin de sang-froid, un guerrier tenace et insaisissable. L’évidence s’imposait : Elle n’avait pas la moindre chance.
Il plaça la lame pointue devant lui, menaçante et légèrement inclinée tandis qu’il tenait le couteau dentelé en retrait, vers le bas. Asélryn ne savait pas quel intérêt avait cette posture mais elle ne doutait pas qu’elle était terriblement efficace. Elle calma les tremblements de ses poignets en resserrant sa poigne sur sa dague et son couteau de lancer. La peur débordait de son regard et son adversaire le voyait sans doute.
Le Kriss la fit presque sursauter en prenant la parole.
« - Ne le laisse pas te désarmer et évite de te faire tuer. »
Evite de te faire tuer ?! Parce qu’en plus il allait se battre pour tuer ?! Et quelle était la différence ? Armée ou pas, face à un homme pareil, elle ne pouvait rien faire !
« - Allez-y… »
Le sang d’Asélryn gela dans ses veines à ces mots. La tension monta d’un coup alors que l’homme commençait à se déplacer, non pas aussi vite qu’elle l’attendait, mais latéralement, avec une lenteur et une maîtrise qui lui donnaient des sueurs froides. Il ne quittait pas sa posture et la fixait intensément.
Elle se courba légèrement en avant, une lame devant elle, l’autre proche de son flanc. La seule position de combat qu’elle connaisse. Elle imita comme un relfet les déplacements de son adversaire, avec nettement moins d’assurance, simplement pour rester face à lui. Elle se le répétait inlassablement malgré elle. « Tu ne fais pas le poids, c’est impossible. »
Ils continuèrent ainsi pendant deux minutes… trois minutes… cinq… puis le mouvement lent de l’agent changea légèrement de trajectoire. Asélryn cacha son horreur mais elle voyait bien qu’il s’approchait d’elle, toujours aussi inquiétant, et même plus. Il gagnait de plus en plus de terrain, elle devait attaquer la première, prendre une initiative que jamais une débutante ne prendrait, le surprendre pour avoir une chance peut-être de l’effleurer au moins, et ne pas perdre pitoyablement. Au moins prouver sa bravoure et ne pas abandonner sans avoir fait montre de sa valeur au combat… Pourquoi diable les enseignements de paladinat de ses parents lui revenaient-ils en tête maintenant ? La Lumière n’allait pas lui venir en aide maintenant. Non…
Là où la Lumière échoue… les Ombres… des obstacles de jouent…
Le manche du couteau quitta la main d’Asélryn et sa lame fut soudain bloquée entre ses doigts, parée au lancer. Ce geste n’échappa pas au roublard en face qui recula immédiatement en levant ses lames pour se protéger du jet. Exactement comme prévu dans le plan insensé qui avait germé dans l’esprit d’Asélryn en l’espace d’une seconde. Dents serrées, elle se rua sur son adversaire, brandissant sa dague devant elle. Elle tenta une frappe horizontale dès qu’elle fut à sa hauteur mais la lame dentelée coinça son arme entre deux de ses crocs avant de l’emmener vers le haut.
Ne pas se laisser désarmer…
Elle ne lâcha pas sa dague mais réalisa son erreur immédiatement après l’avoir commise. Son aisselle droite était exposée au possible et le poignard aiguisé ne semblait pas se diriger ailleurs que vers cette ouverture. La panique l’envahit instantanément et elle lâcha elle-même son arme pour reculer prestement. Les mouvements de l’un et de l’autre furent rapides, mais pas de même vitesse.
Le souffle saccadé, les yeux écarquillés, Asélryn tenait son couteau de jet devant elle pour toute défense tandis que le sang s’écoulait lentement de l’estafilade sur son épaule droite. Le cuir avait été tranché aussi net que la peau et la brûlure insidieuse lui donnait envie de hurler. Elle n’avait pas la moindre chance… Pas la moindre !
Cette fois-ci, ce fut à l’homme d’attaquer. La pointe sournoise fusa vers son abdomen mais elle parvint à le dévier tout en se décalant avec son pauvre couteau à lame légère. L’acier lui effleura le flanc, ayant tout juste quitté sa trajectoire suffisamment pour lui épargner une nouvelle blessure. Mais le couteau de son adversaire heurta le sien violemment et la différence de poids mêlée à son inexpérience lui fit lâcher sa seconde et dernière arme. Asélryn pensait qu’il s’arrêterait une fois qu’il l’aurait neutralisée… Pauvre naïve.
Réalisant brutalement que son adversaire ne comptait pas en rester là, elle se jeta sur le coté dans un acte désespéré, guidée par la peur, dans le seul but de survivre. Elle se rattrapa en touchant le sol de tuiles d’une roulade puis chercha immédiatement l’agent du regard. A sa grande stupeur, plus rien ne subsistait là où il s’était trouvé un instant auparavant.
Elle sentit une force soudaine lui tirer les poignets en arrière pour les joindre dans son dos. Puis un tibia qui fauche ses jambes derrières les articulations des genoux pour la faire chuter. Et les tuiles percutant violemment son visage, suivies par l’apparition de la lame dentelée sous sa gorge.
C’est à ce moment que les larmes qui ne demandaient qu’à jaillir sous l’effet de la peur et du désespoir vinrent ternir ses yeux gris. Totalement effarée, elle se mit à hurler.
« - Ça suffit !!! J’abandonne !!! Je peux pas me battre !!! »
Elle serra les dents en plaquant son front contre le sol alors que le couteau se retirait de sa gorge. On lui avait trop demandé. Shenak l’avait sur-estimée, elle était incapable de rejoindre les rangs du SI:7, surtout à son âge. Personne n’en était capable à un si jeune âge, personne. Et certainement pas elle. Elle ne parvint pas à retenir quelques sanglots et n’osa pas relever la tête en entendant la voix du Kriss.
« - Ton examen s’achève ici. Tu n’as pas les compétences requises pour être des nôtres… »
Elle savait déjà tout cela mais l’entendre lui donnait l’impression qu’on broyait sa volonté, ses espoirs, ses ambitions. Elle était vouée à l’échec… Indigne de la Lumière deux ans auparavant, indigne des Ombres aujourd’hui.
« - Cependant, tu as appris mon identité ainsi que plusieurs informations que le SI:7 souhaite garder secrètes. Nous ne faisons confiance qu’à nos agents, et comme tu n’en as pas les qualités, nous allons devoir nous assurer que tu ne divulgues rien. »
Pour la énième fois de la soirée, son sang se figea. Ils allaient donc la tuer… ? Elle voulut relever la tête mais un violent choc ramena sa tête sur une tuile, la brisant du même coup.
L’obscurité envahit l’esprit d’Asélryn suite aux chocs, inhibant toutes ses percpetions. Elle sentit à peine qu’on la soulevait et qu’on la déplaçait, puis sombra dans un sommeil sans rêves.