Calme, froid, un des lac gelée de Dun Morogh s’étendait à perte de vue. La région n’avait pas vraiment souffert de la troisième guerre, le paysage restait beau et pur, même si cela n’empêchait pas la présence de loups sauvage, de yéti des neiges et d’autres créatures.

Un gnome, habillé de façon rudimentaire, une petite cape accroché dans le dos, avançait prudemment sur la glace, une canne à pêche dans une main, un sac dans l’autre. La glace craquait légèrement sous ses pieds, mais ne cédait pas. Elle se tenait là depuis longtemps, sans doute y avait-elle toujours était. Non loin se tenait un trou d’eau, creusé par les nains dans la glace, l’un d’entre eux s’y tenait déjà et pêchait tranquillement. Les poissons semblaient se plaire dans cette eau glaciale, arrosée de temps à autre par la neige comme pour maintenir sa température. Sur la rive du lac, un lapin dressa les oreilles, huma l’air et s’enfouit sous la neige.

Le petit être avançait fermement, le regard perdu dans la profondeur du lac. Il se plaça à côté du nain sans broncher, accrocha un asticot au bout de son hameçon et le jeta dans l’eau. Il soupira. Le nain lui jeta un regard et renifla bruyamment. Il arborait une barbe rousse et un teint pâle, c’était un nain de la région à n’en pas douter. Il était fort robuste et portait une cotte de maille légère. Il semblait malgré tout assez jeune pour un nain, la cinquantaine d’année environ. Il toussa poliment mais le gnome ne réagit pas. Ses yeux vert pâle fixaient l’eau stagnante dans l’attente d’un remous quelconque. Une mélancolie persistante arborait son regard et tout son être respirait la tristesse, il était las et peu enclin à bavarder. Le nain haussa les épaules et se tourna vers son bouchon, à cet instant, il le vit s’enfoncer dans les profondeurs d’une traite. Il se cramponna à sa canne, le poisson n’avait pas l’air décidé à se laisser prendre, le fil de la canne virevoltait dans tous les sens, le gnome fut légèrement distrait et regardait son acolyte d’un air interrogateur. Le nain se mit à grogner, il tirait fortement sur sa canne mais avait peur de briser le fil. Ses pieds se mirent à glisser légèrement sur la glace, le poisson s’étendant en profondeur, et les bras en avant, le barbu retint son souffle et s’appuya sur ses jambes de toutes ses forces pour extraire l’amphibien de l’eau. Malheureusement, ses pieds glissèrent de plus bel sous l’effort et le nain se retrouva sur les fesses ne voulant manifestement pas lâcher sa canne à pêche, comme s’il s’agissait d’un trésor précieux à ne pas laisser tomber dans les oubliettes. Ses fesses avancèrent elles aussi sur la glace et l’entraînèrent au bord de l’eau. Il disparut dans un « bloup » colossale et quelques gouttelettes froides atteignirent le gnome toujours spectateur assidu de la scène. Un instant plus tard, deux bras lourd s’agrippèrent au rebord gelée et glissant et manifestement aucune canne à pêche dans les parages, une tête rousse s’en suivit, jurant de toutes ces forces. Ses mains glissaient et ne trouvaient pas d’appui solide pour remonter. La mine du gnome changea du tout au tout, il arborait un sourire démesuré et se leva pour aider son compagnon.                 

Sans grands efforts, il le sortit de l’eau. Une fois l’action accomplit, il regarda fixement le nain qui faisait une demi-taille de plus que lui et explosa de rire. D’un ton accusateur, le nain lui lança quelques mots :

« Ce qu’il faut pas faire pour te donner le sourire hein !

- Pardon Cham, mais là... haha, j’ai pas pu me retenir, répondit le plus petit d’une voix légèrement déraillé.

- C’est pas une raison crénom ! Brrrr ! »

Le nain tremblait un peu et retira sa cotte de maille pour se mettre torse nu. Il regardait le gnome en bougonnant. Ce dernier souriait bel et bien, la tristesse semblait mise à l’écart un instant pour profiter du moment présent, l’attitude bourrue de son compère le faisait encore rire. Il gratifia d’une tape dans le dos de son ami et lui dit :

« Ne t’en fait pas, j’t’en refr’ais une de canne à pêche ! J’t’avais pourtant dit que le fil était costaud !

- Ton fil ! J’vais t’en donner moi... regarde de quoi j’ai l’air maintenant ! M’enfin bon... au moins tu rigoles ! répondit-il du même ton accusateur

- Oui c’est vrai, fit le petit être en baissant les yeux.

- Ah non ! Recommence pas à être triste hein ! fit maladroitement le nain.

- Chamrock... c’n’est rien t’en fais pas. J’ai juste... »

Il soupira et la tristesse revint d’un coup.

« Je suis pas très doué moi en tout cas, ni pour la pêche, ni pour remonter le moral. Viens, une chope de bière à l’auberge te fera le plus grand bien !

- Tu penses ?

- Mais oui ! Et les autres y seront aussi, tu pourras te moquer à souhait de leur condition de... Chamrock renifla, leur condition de nain ! »

Il donna une tape dans le dos du gnome.

« Allez Alfred ! Secoue-toi ! »

Résigné, le gnome suivit, il esquissa un petit sourire. Il ne se savait pas seul pourtant quelques choses lui manquait. Il devait agir, mais n’avait aucune idée de comment procéder. Le regard perdu vers le froid environnant, il serrait machinalement sa canne à pêche comme une arme. Une pensée vive pour ses parents le terrassait peu à peu et effaçait lentement mais sûrement son sourire, celle là même qui l’anéantissait chaque jour. Son ami nain le distançait peu à peu, mais il ne le voyait plus de toute façon. Le bruit lointain des machines de Gnomeregan était maintenant comme tout autour de lui, un bruit simplement mécanique, mais qui lui broyait vivement le coeur. Le cri des gnomes, tout verdâtre, les pupilles blanches et vides, ils déambulaient bêtement, répétant les mêmes actes continuellement, réparant cent fois la même machine, ouvrant mille fois le même sas, répétant constamment les mêmes gestes. Alfred ferma les yeux, il ne supportait plus la vue. Sa canne à pêche était devenue arme, il s’élançait vers ses anciens confrères en hurlant et en pleurant... et il voyait ses parents. Puis il glissa, et le craquement de la glace sous le poids de sa chute le ramena à la réalité. Chamrock venait déjà à son encontre le relever.

« Hé ! Fais attention, ça glisse par ici ! fit le nain en riant.

- O... Oui...

- Oh... Encore cette histoire, tu rêves éveillé maintenant ? »

Alfred se sécha les larmes machinalement avec le bras. Ignorant la question, il regarda son ami les yeux scintillants.

« C’est vrai hein ? Les gnomes aussi peuvent se battrent et devenir de vrais guerriers hein ? C’est vrai hein ? D’moi Cham, dis moi ! »

Il agrippait fermement le nain, comme pour l’implorer de répondre oui, mais de toute évidence, se sentant presque soulevé par la seule force des poignets du jeune gnome, le barbu ne pu que constater l’évidence. Ce petit gars là avait l’étoffe d’un guerrier, et ce n’était pas nouveau songea-t-il.

« Bien, on va remettre à plus tard la bière au coin du feu... Hunf... J’ai quelqu’un à te présenter je crois... »

            Déterminé, le gnome suivit, il n’avait aucun sourire, juste un visage impassible et dur. Un visage de ceux qui n’ont plus le droit de rire tant que leur devoir n’est pas accompli. Il était seul mais fermement motivé, il les libèrerait.