Chapitre 2 : Les Échos de la Nuit
Cette femme... Cette morte-vivante... L'avais-je déjà croisée par le passé ? Je ne me souvenais plus de rien, pas plus de la journée d'hier que des années l'ayant précédée... Que me voulait-elle au juste ? Que lui avais-je fait pour mériter une telle punition ? Qu'étais-je, seulement ? Il m'avait semblé reconnaître ses rires stridents pour lesquels, probablement un jour, j'avais éprouvé cette même angoisse démente. Sinon la terreur de son visage ne m'aurait pas tant pétrifié... Mais pour l'instant, je devais me concentrer sur ce qui allait se passer : ma vue était guérie et mes jambes ne menaçaient plus de céder. Je me trouvais dans un bois, du moins une clairière, où le ciel était sombre et la brume épaisse. Je ne parvenais pas à discerner le contour des arbres, tout restait si inexact... Et ce chant flottant dans les airs... cet être qui marchait à ma rencontre... Je tentai de comprendre mais rien ne me vint...
Il était mort-vivant, tout comme la femme, et portait une chemise et un pantalon en cuir sombre. Les déchirures des vêtements dévoilaient par endroits les os saillants de l'homme, parfois juste un lambeau de chair qui restait accroché au bout d'un nerf que la pourriture n'avait su rompre. Les deux lueurs jaunes de ses orbites me fixaient, tandis qu'il s'approchait de moi. Entre ses doigts décharnés se tenait un petit couteau de trappeur, qu'il agitait fièrement devant lui. Il s'arrêta à quelques mètres de moi, son regard alternant entre la lame et moi. Il m'adressa un sourire sadique, avant de prononcer, presque sur un ton de prière, les mots suivant : « C'est pour la castration ! »
Mon visage prit une expression horrifiée, et le sien n'en fut que plus ravi. Il se jeta soudain sur moi. Je trouvai cette fois-ci la force de me débattre, et je l'utilisa contre ce cadavre qui n'avait l'air d'être qu'un simple chasseur, pas un combattant. Voyant que l'accomplissement de sa mission devenait incertain, il pressa son couteau sous ma gorge dans l'espoir que je n'oppose plus aucune résistance. Je ne bougeai plus. Ces quelques secondes d'immobilité lui avaient redonné confiance en sa supériorité et son regard s'abaissa. D'un mouvement brusque je le fis basculer, m'emparant de l'arme pour la lancer aussi loin que je le pouvais. Il hurla de rage tandis que je me relevai, et commençai à détaler à toute vitesse. Je ne sus s'il me pourchassait, alors je courus le plus longtemps possible, autant que ma condition me le permettait. J'atteignis finalement un petit village peuplé de morts-vivants ainsi que, à ma plus grande joie, d'elfes de sang.
À mon arrivée, tous me regardaient. Certains me fixaient expressément, d'autres détournaient les yeux lorsque je fus près d'eux. Le visage ensanglanté et les poumons en feu, je traînai les pieds sur le sol. Parmi la foule, seule une elfe m'avait rejoint, soutenant ma marche de toutes ses forces. Elle m'emmena à l'intérieur de l'auberge aux allures elfiques, mais dont les courants d'airs parcourant celle-ci la maintenaient à une température très basse. L'elfe m'installa sur un drap usé et alla chercher une flasque d'eau grâce à laquelle je pus m'abreuver. Puis, elle déchira un bout de tissu d'une des étoffes suspendues aux murs, le trempa légèrement et le passa sur mon visage. Les blessures aux joues la firent grimacer. Elle pansa mes plaies et me tendit une petite fiole remplie d'un liquide bleuâtre.
« Cela vous guérira », dit-elle sereinement.
Je regardai le goulot du récipient s'approcher de mes lèvres avec la crainte d'un poison. Les yeux de l'elfe étaient posés sur moi, et me fixaient avec une douceur que je n'aurais cru possible. Sans plus réfléchir, j'avalai le contenu d'une traite.
« Vous devriez vous reposer à présent », me murmura-t-elle à l'oreille avant de se relever.
Avec lenteur elle s'éloigna, se dirigeant vers la sortie. Mais avant de quitter la petite auberge, elle se retourna une dernière fois dans ma direction. Ses deux pupilles avaient laissé place à un blanc anormal, et étaient encerclées par deux globes d'une pâle couleur jaune : la même lueur qui vacillait aux confins des orbites de la morte-vivante. L'instant d'après elle disparut. Mes paupières se firent de plus en plus pesantes, malgré que je n'eusse pas souhaité m'endormir, jusqu'à recouvrir entièrement mes yeux et nimber ma vision de ténèbres...