Chapitre 18
Le monde qui ne dort jamais. Le centre de destruction des mondes. Le fourmillement infini de vies consacrées au chaos et au déchirement de toute vie.
Hama, ombre dans l'ombre, nuée éthérée, observait, fascinée, depuis le bord de ce toit, les rues droites parcourues de démons de dizaines de races, agglomérés en une masse sombre grouillante. Elle n'avait vu tous ces êtres que dessinés dans des livres ou diffusés en hologrammes, et les voilà qui se montraient tous à elle dans toute leur horreur, leur force et leur malveillance. Il y avait là des régiments de gangregardes tentant de marcher en ligne, conduits par des gardes funestes ; des Mo'args et des Gan'args soûls entrant et sortant de ce qui semblait être des tavernes, s'étripant parfois avec des Tothrezims ; des succubes aguicheuses, régulièrement prises en chasse par des patrouilles de Shivarras ; des diablotins aux airs de contrebandiers qui bondissaient entre les jambes des passants, alourdis toujours de quelque marchandise douteuse ; quelques secousses et une grande queue de dragon épaisse avaient même signalé un seigneur des abîmes à un coin de rue ; un Nathrezim avait fendu l'air devant elle, manifestement pressé, mais qui ne put s'empêcher de jeter dans sa direction un coup d'œil interloqué.
« C'est qu'elle serait presque indétectable », susurra une voix derrière elle.
L'ombre eut un sursaut. Derrière elle, sur le seuil d'une grande véranda installée à même le toit de ce qui semblait être une sorte de palais, se tenaient, l'observant d'un air amusé, deux grandes femelles Eredars identiques, appuyées l'une sur la porte vitrée, l'autre à même le linteau. L'une avait la peau mauve et était vêtue d'une magnifique robe rouge échancrée et laissant dos et épaules nus ; l'autre, à l'inverse, avait la peau rouge vif et portait la même robe, mais mauve. Leur beauté était surnaturelle. Elles ressemblaient à deux draeneïs, mais il émanait d'elles une aura démoniaque fabuleuse.
Des Man'ari...
« Ouh, sœurette, fit la rouge avec un rire enfantin, elle a tout de suite compris ce que nous étions, moi qui nous pensais bien peu effrayantes... »
Elles lisent dans mon esprit...
« Allons donc, fit la mauve, elle vient de pénétrer dans notre monde, penses-tu qu'elle y cherche des amis ? »
Elles gloussèrent. La similitude de leurs attitudes avait quelque chose d'effrayant.
« Je n'aime pas son aspect, fit la rouge avec une moue boudeuse, ce n'est pas bien correct de se présenter ainsi floue... »
Elle incanta un puissant sort dans une langue hachée que Hama trouva sur le moment terrifiante. Elle se raidit... littéralement. L'Eredar l'avait matérialisée. Elle resta immobile, pétrifiée de peur... et complètement nue.
« C'est mieux en effet sœurette », fit la mauve avec un grand sourire. Elles s'approchèrent d'elle de concert, la dévorant des yeux. Elles étaient vraiment grandes, au moins trois mètres - et démentiellement puissantes, leur aura était écrasante.
« Nous pouvons donc nous présenter, ma jolie... dit la rouge en contournant Hama, les yeux suivant les courbes de sa chute de reins.
- C'est la moindre des choses ! répondit la mauve en fixant les seins généreux de sa proie.
- Ma sœur et moi sommes très attachées aux convenances... murmura la rouge à l'oreille d'Hama, posant une main sur sa croupe.
- Ma magnifique sœur derrière toi a pour nom Alythess..., dit la mauve en caressant du bout des doigts la gorge frémissante.
- Et ma non moins magnifique sœur devant toi s'appelle Sacrolash ! ajouta la seconde en l'enlaçant tendrement, les mains parcourant la peau de son ventre.
- C'est par politesse que nous parlons ton langage ! Alors que nous le trouvons si laid ! Pourquoi avoir perverti l'ancien eredûn, si beau, si expressif... soupira ladite Sacrolash en caressant désormais le galbe des seins.
- Oh sœurette, crois-tu qu'il soit vraiment le moment de parler de cela ? Après tout, leur langue s'est affaiblie en même temps que leurs corps et leur intelligence se sont amoindris, rien que de très logique... bien que cette petite soit un petit bijou ne trouves-tu pas ? demanda Alythess, ses mains descendant lentement vers le bas-ventre de la draeneï affolée.
- Un des derniers échos de la beauté des premiers Eredars, assurément », conclut sa sœur en pinçant perversement un téton.
Elles vivaient sur Argus... Corrompues avec Archimonde et Kil'Jaeden...
Brièvement, la taille des deux soeurs évoqua dans son esprit l'image d'Arcân révélant sa véritable - imposante - apparence dans l'Exodar.
« Arcân ! » s'exclamèrent en chœur les deux géantes, cessant momentanément leurs activités érotiques. Hama sursauta.
Les jumelles échangèrent un regard langoureux.
« Ah, quel mâle c'était... lâcha Alythess avec une vibration sensuelle dans la voix, ses mains soudain fébriles reprenant le chemin du pubis.
- Combien de nuits... soupira lascivement Sacrolash en collant son corps frissonnant et déjà moite contre celui d'Hama, plongeant le visage de la draeneï entre ses seins.
- Que ne donnerais-je pas... exhala la première avant de mordiller farouchement un lobe d'oreille.
- Et moi donc...» souffla la seconde, qui se pencha et embrassa Hama à pleine bouche, ses lèvres chaudes comme une fournaise.
Elles se séparèrent soudain de concert de la draeneï déjà à demi inconsciente, et l'entraînèrent vivement avec elles dans leur havre de volupté.
« Hmm, murmura Alythess, remémorer ces anciennes amours m'a dangereusement excitée.
- Le corps de cette petite merveille sera un parfait exutoire, ma sœur, lâcha l'autre avec un air malicieux.
- Oh que oui, profitons-en avant que Mephistroth ou un de ses sbires ne sente sa présence », répondit avec ardeur la première.
La porte vitrée se referma en claquant.
~
Alythess et un incube s'ébattaient bruyamment et violemment depuis plusieurs heures.
Le sol de la chambre n'était qu'un immense et épais matelas tendu de soie, recouvert de myriades de coussins et de tissus luxueux et colorés. Aux angles, disposés sur des guéridons, des carafes et des gobelets d'or serti de gemmes emplis de diverses liqueurs aphrodisiaques et énergisantes, régulièrement renouvelées par de discrets serviteurs fantomatiques. Contre un mur, un grand coffre de cuir carminé à l'armature métallique ciselée, contenant des dizaines de jouets érotiques aux formes et usages divers.
De même que leurs femelles - les succubes -, les incubes sont pourvus de cornes, ailes, queue et sabots, mais tous ces attributs sont menus et jolis, sans grandiloquence ; leur peau, d'un rouge vif et ardent, est lisse et leur chair tendre comme celles d'un nourrisson. Certes, ils sont naturellement petits et frêles, mais ce qui fait tout leur intérêt en tant qu'esclaves sexuels, c'est qu'ils ont le pouvoir inné des sayaadi d'adopter spontanément la taille et l'aspect qui correspondent aux désirs de leur partenaire.
En l'occurrence, l'incube s'était fait le sosie d'Arcân le Premier-Né. Chaque nouvel esclave des jumelles adoptait cette forme en lisant leurs désirs. Mais malgré tout l'art qu'ils déployaient et leurs performances inégalables, ils n'en avaient désespérément que l'apparence. La façon d'être d'Arcân, sa présence était inimitable. Après des siècles et des siècles de luxure éperdue, les deux sœurs s'étaient gorgées inlassablement de tous les plaisirs, mais conservaient en leur for intérieur une amertume, un manque, une désespérance - qui sait, des échos d'amour dans des cœurs de démones.
Dans un ultime sommet d'extase, Alythess mordit soudain à pleines dents la carotide de l'incube et l'égorgea sauvagement. Les dernières convulsions de l'amant, dont le sang chaud jaillit en épais gargouillis sur les coussins de velours et la poitrine opulente de l'Eredar, prolongèrent un peu le délice de cette dernière. Les deux corps s'immobilisèrent enfin. Elle soupira et repoussa le cadavre. Elle se releva avec peine, chancelante, ivre de liqueurs et de plaisir. Un démon spectral la vêtit d'une robe de chambre de satin. Les yeux embués de volupté et le regard mélancolique, elle sortit de la chambre d'un pas peu assuré. Elle aboutit ainsi sur le palier du premier étage, réduit à une balconnade en U autour de l'immense hall de leur palais. Le son feutré de ses sabots sur les épais tapis de laine écarlate résonna doucement dans l'espace. Elle marcha ainsi nonchalamment, contournant le hall, jusqu'à la porte opposée, au même étage. Pour s'annoncer, elle gratta félinement le bois de ses ongles avant d'entrer.
Dans une grande pièce où étaient réunis, par dizaines, tous les pires instruments de torture jamais conçus dans l'univers, Hama, nue, avait les chevilles et les poignets attachés par des chaînes elles-mêmes entraînées par des poulies sur un palan aux membres amovibles, permettant en quelques manipulations de roues et de leviers de mettre n'importe quel corps dans n'importe quelle position. En l'occurrence, la draeneï était suspendue par les bras, joints, et les jambes, écartées. Sacrolash s'ingéniait au moyen d'une formidable panoplie d'instruments d'éreinter Hama tout à la fois de plaisir, de fatigue et de tortures légères. Couverte de sueur, cette dernière n'émettait plus depuis deux heures que de faibles gémissements.
Alythess s'approcha en souriant et caressa d'un air songeur l'intérieur d'une cuisse. Sacrolash, sans interrompre ses mouvements, jeta un coup d'œil amusé à sa sœur, dont la bouche et la poitrine étaient recouvertes de sang déjà frais.
« Eh bien ma sœur, dit-elle, ses yeux revenant à son ouvrage, il semble que tu te sois déjà lassée de ce jeune sayaad. Je lui trouvais pourtant une aura assez saisissante. J'ai bien failli croire à son illusion.
- J'ai eu faim ! », s'exclama joyeusement l'autre - elles rirent.
Un serviteur se matérialisa à la porte.
« Maîtresses, le Prince Mephistroth, Seigneur des Nathrezim, sollicite une audience.
- Oh non encore ce vieil aigri ! » fit Alythess. Boudeuse, elle se traîna paresseusement vers le hall.
Sacrolash passa un long coup de langue satisfait sur le dernier instrument, regarda avec amour sa petite poupée de plaisir et suivit sa sœur.
~~
Ils étaient dans un couloir étroit percé de part et d'autre de larges meurtrières. Une porte blindée en bloquait l'issue, à une cinquantaine de mètres. Tous les dix mètres et de chaque côté, une ouverture dans les murs permettait d'accéder aux deux grandes terrasses qui encadraient le couloir. De fait, ces terrasses étaient tout simplement le toit de l'étage inférieur - la forteresse allait ainsi s'élargir à mesure qu'ils descendraient dans ses entrailles.
« Il y a quatre couloirs ainsi séparés par des portes, avec une cage d'escalier entre le second et le troisième, murmura Farôn. On peut passer d'un tronçon à l'autre par les terrasses, mais je préfère crocheter les serrures. Dehors, il y a les sentinelles des créneaux, mais aussi un dragon.
- Un dragon ? s'étonna Gunny. Jamais entendu parler.
- Je l'ai aperçu à cent mètres au moment de passer par la trappe. Un drake du Néant, monté par un gangr'orc. Il venait de Terokkar et se dirigeait vers la Citadelle.
- Bon, chuchota le nain, on ne va de toute façon pas pouvoir passer inaperçus longtemps, donc on pète les portes ; on tue tout ; on laisse les cadavres tels quels - et on fonce !»
L'ordre était clair.
Ils coururent, Farôn et Gunny en première ligne. Ils atteignirent la porte. L'elfe sortit d'on ne sait où trois légers et fins instruments aux allures de matériel chirurgical.
« Il y a dix âmes derrière », dit simplement Hama.
Farôn s'immobilisa, puis hocha la tête en direction de Stropovitch. Ce dernier s'avança. Plaqué dans l'angle du mur pour laisser l'ouverture libre, l'elfe crocheta rapidement et sans discrétion la serrure. Le guerrier dans le même mouvement leva un sabot et l'abattit sur la porte - dont les gonds s'arrachèrent, et qui alla percuter en grand fracas le groupe d'ennemis, accompagnée d'une grenade étourdissante. Les guerriers gangr'orcs, qui étaient en train de jouer aux osselets assis en cercle, eurent un cri de surprise. Thiwwina bondit en avant et gela la troupe d'un geste.
En exactement cinq secondes, Stropovitch et Farôn en éliminèrent deux chacun de leurs lames impitoyables ; Hama absorba deux âmes ; Thiwwina en transperça deux de javelots de glace ; Akmar en réduisit un en tas de chair gangrenée ; et Gunny... en transforma un en poulet.
L'assassin et le guerrier se tournèrent vers lui, ce dernier levant un sourcil d'un demi-millimètre. Le nain, un étrange appareil cylindrique aux diodes clignotantes à la main, peinait à dissimuler sa satisfaction.
« Euh bah je voulais juste vérifier si ça marchait, hum... ça nous fera un casse-croûte, au pire... »
Poulet qui en fait était un coq et se mit à chanter à tue-tête. Le sabot du guerrier en fit instantanément de la bouillie.
« Arf, fit le nain en considérant tristement la viande malaxée mêlée de plumes sales, pas de casse-croûte alors... »
Des cris d'orcs se firent entendre de l'autre côté de la porte menant à l'escalier. Inévitablement, le massacre - et le poulet - avaient donné l'alerte.
« Une fois que nous serons en bas, je saurai comment nous cacher », dit rapidement Farôn.
Ils comprirent. S'ils se frayaient un chemin à l'étage inférieur, ils pourraient poursuivre la mission dans de bonnes conditions. Inutile d'attendre les ennemis, il fallait aller à eux, et avancer, avec ou sans leur accord.
Ils coururent donc vers la seconde porte. Les cris de l'autre côté s'intensifiaient. Le grondement de dizaines de pas montant les marches. Des aboiements de chiens-loups.
« Ils sont une cinquantaine. Beaucoup de mouvements, dit Hama, avec cette fois une légère pointe d'appréhension dans la voix.
- J'ai des potions d'invisibilité mais elles ne tromperont pas les chiens, dit Akmar d'un ton las.
- Bordel, lâcha le nain qui chargeait sa pétoire tout en courant, si tous les orcs de la forteresse déboulent les uns après les autres, on n'est pas dans la merde. »
Soudain, stupéfaits, ils s'immobilisèrent à quelques pas de la porte. Tous sentirent une puissance douce et impétueuse à la fois les envahir, libérer leurs corps de la moindre fatigue, du moindre engourdissement, et les renforcer, les exprimer. Ils se regardèrent les uns les autres. Une chape de lumière parcourut fugacement leur peau, illumina leurs yeux et disparut en eux.
Ils se retournèrent. Joannes, dix mètres derrière eux, rouvrait les yeux, sa prière exaucée.
« Qu'ils viennent, murmura le paladin, d'un air divinement calme. Je suis prêt ».
Gunny resta perplexe quelques secondes. Au fil des jours, Joannes devenait presque effrayant.
La porte s'ouvrit brutalement, libérant un flot d'orcs vociférants.
« C'est partiiiiiiii !!! » cria Thiwwina avec un rire enthousiaste.
Elle libéra instantanément devant elle un tourbillon de givre depuis sa main droite dressée, enveloppant l'armée beuglante d'un voile de froid dont la morsure ralentit leurs mouvements - et les fit taire.
Gunny avait entretemps dégoupillé deux grenades en même temps avec les dents et les avait balancées au-dessus des premiers orcs, pour qu'elles explosent dans l'escalier. Ce qu'elles firent, tandis qu'il déchargeait sa pétoire à bout portant sur l'orc frigorifié le plus proche de lui - les plombs réduisirent son torse en charpie et tuèrent deux autres guerriers derrière. Il se replia aussitôt d'un bond, autant pour recharger que pour éviter un coup de coude malheureux de la part de Stropovitch.
Ce dernier, accompagné de Farôn, avait en effet entamé une chorégraphie funeste. Faucheurs infatigables, ils passaient d'un orc à l'autre, parant, désarmant et contre-attaquant avec force et précision, tranchant toute chair offerte, gorges, bras, aisselles, bouches ouvertes. Les mouvements ralentis de ses ennemis permettaient au draeneï d'économiser son ardeur. Il ne devait pas oublier qu'il avait désormais le démon à fleur de peau.
Un chuintement écœurant. Joannes frissonna en voyant Hama s'imprégner d'Ombre. Le tissu même de sa robe se fanait, même si elle avait été traitée magiquement pour y résister. Tout son corps se fit noir et éthéré, et émit une épaisse nuée sombre, qui se délitait en volutes alanguies. Ses orbites semblaient vides, ouvertes sur le Néant. Ses traits se déformèrent tandis qu'elle ouvrait la bouche pour absorber les âmes de ses victimes. Le visage de sa proie d'abord se déformait comme aspiré par une ventouse, avec des expressions de souffrance. Le pauvre être ne pouvait plus émettre aucun son, et, s'il était faible, tombait en général immédiatement à genoux, lâchait ses armes et se tenait la tête à deux mains, parcouru de convulsions. Ensuite, quelle qu'ait été sa réaction, une espèce de rayon sortait de lui qui le reliait à Hama, tel un éclair noir, par lequel elle canalisait son âme. Débutait alors une lutte, qui dépendait uniquement du supplicié. La plupart du temps, il ne manifestait aucune résistance, et en un instant son corps s'affalait mollement, enveloppe vide, le visage encore empreint d'une agonie particulièrement atroce.
Ainsi les deux draeneïs et l'elfe semaient méthodiquement la mort.
Mais Thiwwina et Akmar n'osaient pas incanter de sorts, de peur de les atteindre malencontreusement. Et la pression exercée par les orcs qui arrivaient de l'escalier était telle, que les Alliés perdaient du terrain.
« Vous avez vingt secondes pour vous replier ! » cria soudain le gnome à ses camarades. Et il se mit immédiatement à incanter une série de graines infernales, qui allèrent l'une après l'autre se loger dans les corps des orcs.
Les membres du commando écarquillèrent les yeux, terrorisés. Dès qu'elles exploseraient, elles disperseraient également les âmes de tous les mortels proches.
Le nain réagit instantanément.
« Grenade aveuglante ! » hurla-t-il pour prévenir les deux bretteurs. Stropovitch - dont un sabot achevait de briser la colonne d'un molosse ivre de douleur tandis qu'une épée fouillait une cervelle d'orc à travers une oreille - et Farôn bondirent brutalement en arrière en se protégeant les yeux - la grenade illumina puissamment le couloir l'espace d'une seconde, stupéfiant les ennemis.
Seconde qu'exploita Thiwwina pour se pencher et répandre depuis les paumes de ses deux mains une chape de froid glacial, qui gela solidement - sèchement - les jambes des premières lignes. L'immobilisation ne durerait que quelques secondes, au vu de la poussée effectuée par l'arrière-garde. Elle se retourna aussitôt et courut vers le couloir précédent, où Stropovitch, Farôn et Hama s'étaient déjà réfugiés, bientôt rejoints par Akmar qui incanta une dernière graine quelques secondes avant l'explosion de la première.
Cinq.
Les prisons des jambes cassèrent. Les orcs gelés furent renversés et piétinés par une armée que la résistance des intrus et l'étroitesse du couloir avaient passablement enragée - une armée gangrenée à son insu par une nuée de petites bombes à retardement.
Quatre.
Gunny activa sa ceinture spéciale. Un écran protecteur opaque apparut devant lui, le protégeant entièrement de face, tandis qu'il se jetait au-devant de l'armée pour bloquer leur avancée et sauver ses compagnons.
Trois.
Mais le couloir était trop large et l'assaut trop impétueux pour qu'il suffise à les arrêter. Il se faisait déjà déborder sur la gauche. Il porta la main à ses ceintures de grenades pour se sacrifier en faisant tout sauter sur place.
Deux.
Joannes rua sur la gauche de Gunny et s'abattit de toute sa masse sur les orcs, réfugié derrière son grand écu blasonné. Sous le choc, les ennemis durent se tasser, à demi renversés sur trois lignes. Le nain s'arrêta dans son geste fatidique, et commença de marmonner un "Barre-toi !" paniqué. Ils s'arc-boutèrent derrière leurs boucliers. Les cinq autres avaient gagné une seconde supplémentaire de fuite.
Un.
Le paladin posa une main sur le crâne de Gunny et ferma les yeux. Une enveloppe de Lumière les recouvrit tous les deux.
Quand les dizaines d'âmes implosèrent de l'autre côté de son bouclier, Joannes les sentit se disperser mélancoliquement dans l'air, et s'effacer par sursauts comme les derniers scintillements tristes d'une myriade d'étoiles.
Une larme coula sur sa joue tandis qu'un cadavre amorphe s'affaissait sur son écu, et que le couloir, doucement, résonnait du cliquetis des armures s'entrechoquant dans l'affalement général de corps soudainement privés tout à la fois de vie, de mort, de retour au cycle universel de la circulation des âmes - d'espoir de rédemption.
Il se redressa et réattacha son bouclier dans le dos, les yeux baissés, incapable de jeter un regard au charnier.
Ses compagnons, immobiles, l'observaient, muets, fascinés. Gunny, les doigts encore crispés sur une goupille de grenade, demeurait stupéfait, les yeux rivés sur le spectacle macabre, ne comprenant pas comment il avait pu rester en vie.
Joannes se retourna, et son regard croisa celui d'Akmar. Le gnome y lut la plus grande tristesse du monde. Celle du serviteur de la Lumière abattu par la cruauté absurde, infinie et toujours renouvelée de son prochain.
Le démoniste eut une moue agacée et haussa les épaules - pour la première fois depuis d'innombrables années, il avait senti son cœur se serrer.
~~
Keli'dan et Néanathème discutaient dans une grande salle devant des braseros emplis de braises gangrenées ardentes, à côté du grand siège en pierre du second - où il aimait à trôner entre deux expériences -, quand un officier gangr'orc essoufflé interrompit les deux démonistes.
« Maître, dit-il, un groupe de sept combattants a pénétré dans la citadelle. Nous avons déclenché une alerte générale pour les écraser. Le général Bladefist m'a demandé de vous mettre en garde.
- Fort bien », répondit Keli'dan en esquissant un sourire. L'orc s'inclina et repartit en courant.
« Pourquoi n'as-tu pas parlé à Bladefist de notre affaire ? ricana Néanathème. Tu aurais pu lui dire qu'un démon t'intéressait pour grossir les rangs de sa fameuse « seule vraie Horde ».
- Mais non allons, fit Keli'dan en souriant de plus belle, il vaut mieux que cet imbécile ne sache rien. Qui sait, il y aurait peut-être senti une entourloupe quelque part. Il ne doit jamais ne serait-ce qu'esquisser l'idée que nous travaillons pour autre chose que sa propre gloire.
- Hmmm, répondit son interlocuteur d'un air finaud, dis plutôt que ça t'intéresse de faire combattre l'hôte. Mais tu prends le risque terrible qu'il meure contre les forces de Kargath.
- En effet, acquiesça le premier, il faut absolument le maintenir à sa limite. Et je ne me fais aucun souci pour sa survie. D'autant qu'il est apparemment accompagné d'un contingent d'élite.
- Et que fais-tu du risque qu'il « le » libère prématurément ?
- Eh bien, dit après une petite pause Keli'dan, une inquiétude voilant ses yeux, ce serait dommage, mais Kil'Jaeden s'en contenterait certainement. La Légion attend « son » retour depuis trop longtemps déjà.
- Il s'en contenterait, oui, mais tu aurais failli à ta mission, et il t'a donné un aperçu du sort qu'il te réservait en cas d'échec », ricana Néanathème.
Keli'dan haussa les épaules - pour dissimuler le tremblement qui le saisit.
« C'est tellement bête, tout de même, lâcha-t-il, ce doit être le seul enfant draeneï à ne pas avoir développé ses facultés magiques innées.
- Eh oui, pas de chance, renchérit Néanathème, hilare.
- Si seulement ç'avait été ce Darotân que j'avais rencontré près de Telredor...
- Tu aurais déjà depuis longtemps accompli les deux objectifs de ta mission, c'est certain. « Il » se serait imprégné de Lumière très rapidement, et aurait exterminé l'ensemble des exilés en plein milieu de l'Univers. A la place de cela, les draeneïs ont trouvé une nouvelle terre, et la guerre a repris avec Azeroth sans qu' « il » ait encore rejoint la Légion. Alors qu'avec « lui » les deux mondes seraient déjà sous notre domination, nous sommes en passe de perdre ce monde-ci également.
- Nous ne le perdrons pas, affirma Keli'dan d'un air sombre, car la fin est proche. Mon ingrédient est arrivé ».
Un gangr'orc revêtu intégralement de noir, le visage dissimulé, apparut derrière le grand siège de Néanathème, provenant d'un quelconque passage secret ou portail de téléportation. Il s'inclina, remit entre les mains de Keli'dan une petite giberne, s'inclina de nouveau et disparut derrière le trône.
« Ah, s'étonna Néanathème, tu as enfin trouvé un moyen d'éveiller chez ce Stropovitch ses affinités avec la Lumière ?
- Oui, je n'ai pas eu à beaucoup réfléchir, dit lentement Keli'dan, les yeux fixés sur la giberne. Ce sont les Naarus qui ont fait le don de la Lumière aux Eredars. C'est l'essence d'un Naaru qui rappellera à ce satané guerrier pourquoi ses yeux brillent.
- Mais comment... » commença son interlocuteur, avant de s'interrompre. Keli'dan sortit du cuir une fiole de cristal, dont le contenu étincelait de Lumière à l'état pur. Les deux démonistes furent agressés dans leur chair par cet éclat. Ce fut en se tordant de douleur que son possesseur remit la fiole dans son étui.
« Parfait, conclut-il, suant à grosses gouttes.
- Bon sang Keli'dan, dis-moi tout de suite d'où tu sors ça, fit l'autre, l'air furieux, la vision encore brouillée.
- J'ai demandé hier soir par télépathie au Conseil de drainer K'ure, le Naaru égaré et malade dans les entrailles des ruines d'Oshu'gun ».
Néanathème ouvrit de grands yeux.
« Le Conseil a réussi à extraire cette essence ?
- Oui, au cours de la nuit, par l'intermédiaire de disciples non corrompus, fit fièrement Keli'dan en achevant de se redresser. Darotân a fait usage de la Lumière contre ce Stropovitch pendant leur affrontement, mais « il » ne l'a pas absorbée, au contraire, elle l'a repoussé. Le sort que j'ai lancé à Telredor « le » liait corporellement et spirituellement au draeneï. Il faut que ce soit ce dernier qui développe des pouvoirs.
- Je pensais que tu avais recueilli et renforcé Darotân pour cela justement. A quelle fin vas-tu l'utiliser alors ?
- Ce guerrier n'a survécu qu'en faisant preuve d'une extrême maîtrise de lui-même. Broggok l'a vu brièvement à Zeth'Gor. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, il est capable de ne « le » délivrer que partiellement, d'être toujours lui-même malgré un stade avancé de libération. Je commence à me demander si avec le temps, il n'aurait pas fini par réussir à ne faire définitivement qu'un avec « lui ».
- Incroyable, s'ébahit Néanathème. Tu as vraiment choisi le pire draeneï qui soit pour accomplir ta mission.
- Sans aucun doute, soupira Keli'dan. Mais heureusement, Stropovitch ne pourra jamais se contenir bien longtemps devant Darotân. C'est pour cela que j'ai recueilli ce paladin. Leur haine l'un pour l'autre dépasse l'entendement. J'ai lu dans son esprit. Je n'ai jamais ressenti cela auparavant. Ce qui lie ces deux draeneïs, c'est une distillation de tous les pires sentiments qui peuvent naître dans un cœur mortel. De plus, la puissance de Darotân croît de jour en jour, il devient... - le démoniste frémit - un monstre. Stropovitch devra « le » libérer pour avoir une chance de le vaincre. Et il le fera.
- Avoir « une chance » ? Tu parles de « lui » et tu dis « une chance » ? s'ébahit encore l'autre, qui allait d'étonnement en étonnement.
- Oui, soupira Keli'dan. J'ai... - il déglutit, l'aveu étant difficile à faire - commis une grave erreur, Néanathème. Je ne m'attendais pas à une telle... transformation. J'ai superposé une dizaine de mes plus puissants sortilèges sur les murs de sa cellule pour que personne ne puisse le détecter. Broggok a décidé de rester en permanence avec lui pour le maintenir sous contrôle mental. S'il nous échappe un jour... »
Il devint songeur, ses yeux perdus dans le vague. Néanathème frémit.
« ... d'un coup de masse il détruira ce qu'il reste de ce monde. »
~~
Les graines d'Akmar n'avaient fait que rendre le couloir aux Alliés et leur donner un répit de quelques secondes. Des grognements et des exclamations rauques se faisaient entendre depuis la cage d'escalier.
« Tu nous refais une saloperie pareille, j'te plombe ta p'tite tête t'as pigé ? » fit Gunny à Akmar en rechargeant sa pétoire.
Ils coururent vers la porte. C'était le moment ou jamais de forcer le passage jusqu'au niveau inférieur.
Mais Thiwwina leur gela soudain les jambes sur place.
« Qu'est-ce que... ? s'ébahit Joannes.
- Elle est contrôlée ! » cria Hama, qui se concentra aussitôt pour détecter le coupable.
Une panique muette déforma les visages. Ils étaient en train de perdre leur ultime chance de salut. C'était l'alerte générale en bas. Ils seraient bientôt submergés par un flot irrésistible d'ennemis.
La gnomette, le visage soudain dénué d'expression, agita ses petites mains. Des javelots de glace commencèrent de s'y former.
« Dehors ! s'exclama Hama. Ils sont deux, un de chaque côté, sur les terrasses ! »
Joannes libéra d'un mot les jambes de Stropovitch. Celui-ci n'eut que le temps de se jeter sur Hama au moment où une pluie de lances de givre s'abattait sur elle.
Le guerrier, momentanément déséquilibré, tint bon sous l'assaut et se redressa. Joannes étourdit d'un mot la gnomette, la stupéfiant momentanément. Le draeneï se tourna vers le nain, saisi d'un pressentiment. Ce dernier, le visage soudain inexpressif également, lui vida sa pétoire dans le casque. Stropovitch ne put que se pencher un peu en arrière pour éviter de prendre des plombs dans les yeux.
Il tomba à la renverse. Deux billes de métal avaient tout de même trouvé la visière, mais grâce à l'angle, ne laissèrent que deux sillons obliques sur la plaque frontale.
Hama aperçut le gangr'orc de la terrasse nord à travers une meurtrière. Il était à découvert à l'extérieur, et éloigné autant qu'il le pouvait. La draeneï ouvrit sa bouche d'ombre et entreprit d'extraire son âme.
Thiwwina, remise de sa stupéfaction, lui scella les lèvres, l'empêchant d'opérer. Puis elle transforma Akmar en tortue au moment où ce dernier repérait l'orc de la terrasse sud.
Joannes achevait de libérer tous ses compagnons de la glace, par des sorts d'annulation.
Gunny porta la main à sa ceinture de grenades, cherchant une goupille à ôter. Farôn apparut dans son dos, lui tordit les deux bras, lui abattit le crâne sur le sol et le maintins solidement.
Stropovitch voulut emprunter une brèche proche dans le mur pour bondir sur la terrasse nord, mais Thiwwina l'immobilisa d'un cône de froid.
Elbereth abattit la valise de fioles sur le crâne de la gnomette. Celle-ci, protégée par une aura de glace qui dévia la trajectoire de l'objet, bondit en arrière en préparant une lance de givre. Une masse et un bouclier la frappèrent de part et d'autre, la cueillant en plein vol, marteau l'abattant sur une enclume. Elle s'effondra, sonnée.
Joannes eut un air coupable. Il s'assura que Thiwwina n'était pas blessée, puis, quelque peu livide, voulut libérer Stropovitch et Akmar des sorts qui les bloquaient.
La porte menant à l'escalier s'ouvrit brutalement, livrant le passage à un gangr'orc massif recouvert d'une armure lourde complète jaunâtre, et ayant troqué ses mains contre de longs et larges cimeterres. Derrière lui, en contrebas, les ordres et les exclamations fusaient. Soldat d'élite ou officier, probablement les deux, il était venu occuper les Alliés le temps que la garnison de la Citadelle achève de se regrouper.
Il se précipita sur Akmar au moment où le gnome, sur un mot expiatoire de Joannes, retrouvait son apparence normale. Mais la lame glissa sur une barrière sphérique luminescente, ce qui manqua de déséquilibrer l'agresseur. Le paladin avait in extremis enveloppé Akmar - qui achevait de reprendre ses esprits - d'un sort protecteur.
L'orc comprit immédiatement qu'il lui fallait commencer par l'humain. Il fondit donc sur Joannes, qui n'eut que le temps de lever son bouclier.
Les lèvres d'Hama se descellèrent enfin. « Akmar ! Hama ! Tuez la brute ! » cria Farôn au milieu du vacarme assourdissant.
La brute en question criblait en effet le bouclier du paladin de coups de cimeterre violents, et surtout latéraux. Ballotté de droite et de gauche par les chocs, Joannes déséquilibré découvrait tantôt un flanc, tantôt l'autre, et les lames par trois fois déjà s'étaient glissées entre deux plaques pour le blesser grièvement. De ses bras et des côtes, du sang coulait et gouttait sur le sol. Mais il s'arc-boutait autant qu'il le pouvait derrière son grand écu, dont les cimeterres entaillaient profondément les bords. Le paladin avait une expression désespérée.
Le gnome et la draeneï perçurent l'âme de l'orc, et en cherchèrent l'accès, pour l'amener à une fin foudroyante.
Stropovitch fut pris d'un grand frisson. La glace pénétrait sa chair, l'immobilisait - et le faisait terriblement souffrir. Et l'orc qui avait pris le contrôle de Thiwwina, maintenant qu'elle était hors de combat, cherchait à prendre possession de son esprit. Une volonté étrangère s'écoulait en lui, impérieusement.
L'elfe sentit le nain se décrisper sous lui. Il desserra lui-même son emprise, comprenant que le contrôle avait pris fin. Gunny, à demi inconscient, grimaçait en lâchant des « 'tain » et des « 'chier ». Et Farôn sentit lui aussi qu'on cherchait à saisir son âme - le second orc, au sud.
Il sourit. Et disparut. Il fit un pas.
Il réapparut derrière le gangr'orc abasourdi, lui passa le bras autour du cou, le fit basculer en arrière et l'égorgea de l'autre main comme un porc.
« J'ai déjà donné mon âme, murmura-t-il tandis que des yeux agrandis par l'étonnement et la terreur le fixaient, perdant de leur éclat à mesure qu'une mare de sang s'agrandissait à ses pieds. Il n'y aura jamais qu'Elle qui me fera plier à ses désirs. »
Un grondement.
Une bourrasque de chaleur.
Stropovitch s'était délivré tout d'un coup du froid et de la tentative de contrôle en libérant à peine le démon. Il luttait comme un insensé pour le contenir. A travers la visière du casque, on pouvait deviner la peau devenant rouge et se marbrant de noir.
Pourquoi...
Hama et Akmar siphonnaient avidement la vie de l'orc. Lequel semblait animé d'une volonté de fer et d'une riche vitalité : il se retourna vers les deux Maîtres de l'Ombre, une rage ardente dans les yeux, et fondit sur eux.
Stropovitch se tordait, genoux à terre, les mains pressées sur le casque.
Pourquoi toujours lutter... Tous ne voient en moi que le démon... ma propre personne, qui intéresse-t-elle... même plus Hama... pourquoi insister...
La brute s'avérait insensible à toute peur, toute gangrène immédiate de l'esprit. Les cimeterres s'abattirent, croisés, l'un sur Hama, l'autre sur Akmar.
Ils rencontrèrent chacun une épée pour les parer et les dévier. L'orc manqua d'en tomber en avant - il se pencha tout de même. Des lames se rengainèrent en un éclair. Un poing se serra et s'abattit sur le casque de la brute, qui faillit en décoller du sol - le heaume, déformé, s'envola, révélant un nez brisé. Une série de coups directs dans le plastron, qui se cribla de profondes empreintes de phalanges. Un pas martelé en avant, un coup droit surpuissant qui enfonça le métal dans la poitrine, coupant le souffle du champion orc. Enchaîné, un uppercut magistral, qui envoya le malheureux adversaire du draeneï au pays des songes. Alors qu'il tombait à genoux, des lames furent dégainées - un simple ondulement dans l'espace - et une tête massive roula au sol.
La succube se mordit la lèvre inférieure en observant le guerrier entouré de cette - délicieuse et dantesque - aura démoniaque.
Gunny et Thiwwina retrouvèrent leurs esprits, et entreprirent de se redresser.
Stropovitch bondit à l'extérieur, sur la terrasse nord. L'orc ne chercha pas à comprendre l'origine du sentiment qu'il avait. De voir un démon avancer vers lui à la vitesse d'un cauchemar. Il se laissa débiter en gros blocs de chair sanguinolente, une expression d'impuissance sur le visage.
Un bruit de battements d'ailes dans l'air. Une exclamation rauque.
Le draeneï leva les yeux. Le héraut qu'avait aperçu Farôn était parvenu à destination. Le gangr'orc, juché sur un immense drake du néant armuré bleu, le pointait du doigt en vociférant, une dizaine de mètres au-dessus de lui.
Stropovitch se retourna. Sur les créneaux, les sentinelles qu'ils avaient évitées armaient arcs et fusils en le regardant. En-dessous, dans le couloir ajouré, la garnison, enfin prête à se déverser sur les Alliés toute entière, déboulait de l'escalier pour les exterminer.
Pourquoi lutter, pourquoi, pourquoi...
Les sentinelles des créneaux qui avaient vu Farôn égorger l'acolyte n'avaient eu que le temps de le mettre en joue. L'elfe avait immédiatement disparu.
Au moment où le flot d'orcs passait la porte, il était adossé au mur extérieur, entre deux meurtrières, chargeant son arbalète. La seconde suivante, il escaladait la paroi souplement, ombre fugace.
C'est la fin.
En voyant les dizaines de gangr'orcs affluer depuis l'escalier, Joannes avait blêmi. Ils n'atteindraient jamais l'étage inférieur. Il comprit qu'il allait une nouvelle fois être incapable de protéger ses compagnons. Il serait le spectateur éternel de l'échec de la Lumière. Encore et toujours, il verrait ses frères d'armes mourir à ses pieds, agrippés à ses jambes de leurs mains sanglantes, l'implorant de les sauver. Tandis que de terribles souvenirs lui revenaient en mémoire, il serrait de plus en plus fortement le manche de sa masse - les lanières de cuir entourant la poignée grincèrent. Sa résolution était prise. Cette fois, il ne leur survivrait pas.
Sur un mot de son maître, le drake prit une profonde inspiration pour souffler sur Stropovitch.
"Repoussez-les !" hurla Gunny. Nul besoin - pas le temps - d'un long discours. La priorité n'était pas de tuer, mais de survivre.
Akmar bondit au-devant des orcs. Aussitôt pétrifié, les yeux clos, le visage fermé, il irradia la peur. Une aura terrifiante émana en ouragan de sa personne. Un vent de démence souffla en direction de l'escalier. Les yeux des orcs s'exorbitèrent. Ils crurent entendre les hurlements de quelque aberration des abysses. Saisis d'une panique incontrôlable, ils se ruèrent vers les marches, se heurtant violemment à ceux qui poussaient derrière.
"L'effet ne durera pas longtemps !" cria le gnome, au milieu du fracas assourdissant des armures qui s'entrechoquaient et des cris rauques d'orcs effrayés ou exaspérés.
Un archer avait eu l'idée de se pencher. Les mains déjà sur le rebord après une escalade arachnéenne, Farôn s'était hissé en balançant souplement les jambes, son pied droit allant s'écraser sur la face de l'orc - et lui enfonçant l'arête du nez directement dans l'encéphale ; la sentinelle s'était renversée en arrière, raide morte ; son camarade le plus proche avait reçu un carreau d'arbalète entre les deux yeux ; deux sentinelles armées d'arcs avaient vu les cordes de leurs armes tranchées par des couteaux de lancer.
L'elfe dégaina ses dagues. Il ne comptait laisser aucun garde en vie.
Stropovitch, au cri de Gunny, avait couru vers le couloir, se protégeant la visière d'un bras levé tandis qu'une volée de flèches le criblait - et essuyant de justesse le souffle du dragon, qui lui brûla la cape.
Il avait croisé Thiwwina qui, un grand sourire aux lèvres, lui avait fait un clin d'oeil. Elle avait fait tournoyer ses petites mains, tiré un petit bout de langue - le héraut vit deux paires de lances de givre fendre l'air vers lui.
Le dragon eut un sursaut. L'orc n'eut que le temps de se pencher. Un javelot de glace siffla à son oreille ; un autre effleura le flanc droit du dragon, déchirant la peau et tranchant net les sangles de la selle, désarçonnant le gangr'orc ; les deux derniers brisèrent l'os principal de l'aile gauche, à l'articulation avec l'épaule.
Lorsqu'Akmar eut diffusé l'effroi, Stropovitch se jeta dans la mêlée, les épées pointées en avant. Les gangr'orcs victimes du sortilège du gnome bousculaient les lignes arrière, jouaient des pieds et des mains pour rompre les rangs et retourner dans la Citadelle. Le fracas était dément, produit par les crissements et frottements de centaines d'armures et les hurlements et protestations ennemis. Car l'agglomérat dans les marches était fantastique. Les orcs étaient serrés à étouffer, littéralement entassés dans la cage, subissant la pression des fuyards d'un côté, de l'arrière-garde de l'autre. Cette dernière avait l'avantage du nombre. Il ne s'était encore déroulé que quelques secondes depuis que le premier orc avait passé le seuil, mais les ennemis étaient déjà une douzaine dans le couloir - malgré les efforts forcenés des fuyards, chaque poussée de l'arrière en projetait trois ou quatre autres au-devant des Alliés.
Au vent de panique suscité par le démoniste succéda alors le grondement terrible qui émana des entrailles de Stropovitch, et couvrit le vacarme de la cohue, résonnant dans les murs mêmes, faisant frémir les coeurs. Le draeneï, en quelques mouvements d'une force et d'une rapidité démoniaques, rompit les os des fuyards ; le grondement ne cessait de s'amplifier ; il enfonça une lame dans le dos découvert du dernier hystérique ; le fer bloqua sur la colonne ; le draeneï poussa ; la pointe se fraya un chemin entre deux vertèbres ; le guerrier fit levier - l'orc poussa des hurlements horribles à la face de ses camarades tandis que son visage se déformait de douleur et qu'il ployait, s'affaissait, brisé, dans d'affreux craquements.
Le héraut désarçonné ordonna à son drake de réduire Thiwwina en charpie. Enragé par la souffrance, traînant son aile ensanglantée, ce dernier fondit sur la gnomette, qui d'un mot s'entoura d'une barrière de glace protectrice.
Gunny réfléchissait, tout en rechargeant sa pétoire, vidée à bout portant dans le ventre d'un ennemi. Akmar et Stropovitch jouaient la carte de la terreur pour faire reculer les orcs de l'autre côté de la porte, mais la place manquait, leurs ennemis ne pouvant concrètement pas céder un seul pouce de terrain. Ses explosifs balancés dans les marches feraient à coup sûr le ménage ; mais le risque était extrême de faire s'effondrer l'escalier et de condamner du même coup l'accès au niveau inférieur.
"Préserve-les", entendit Joannes.
Il sursauta. La voix s'était découpée, nette et froide, sur le fracas ambiant. Accompagnée d'un ignoble chuintement.
Hama s'avança, livrée à l'infâme succion de l'Ombre.
Enveloppée d'une fumée ténébreuse aux volutes chatoyantes.
Les orbites creuses ouvertes sur les plaines inexplorées de l'horreur.
Joannes trembla, ferma les yeux et pria.
Dans un rayon de cent mètres, le temps se figea. Le sang des Alliés et des orcs se glaça. Les couleurs semblèrent s'affadir à leurs yeux - tout ne fut qu'un dégradé de gris. Les sons se raréfièrent, et eurent des résonances graves et sourdes. La matière s'alourdit. L'air s'épaissit. Les pensées se cristallisèrent. Les esprits s'ensablèrent, comme fossilisés dans une soudaine éternité.
Alors naquit le cri.
Hama, banshee impie, ténèbre flottante, vampire incorporelle, eut un frémissement. Son visage se déforma tandis que sa bouche s'ouvrait démesurément sur l'abîme offert de la démence. Le son strident eut une vibration profonde dans les êtres, devenus les instruments de leur propre requiem. A mesure que le hurlement s'amplifiait, s'aiguisait, griffe sur l'ardoise de la conscience, fêlure dans les fondements de la raison, c'étaient les âmes qu'il allait torturer, comme une bise acérée sur des statues de sel.
Joannes rouvrit les yeux. Sa prière l'avait protégé du maléfice.
Il devint livide.
Hama s'était faite l'essence même du cauchemar. Elle était une brume vivante, s'effilochant continûment en filaments cendrés. Nuée vénéneuse, lent tourbillon de haine, elle pulsait comme un grand coeur, dans un silence d'outre-tombe - paralysie des choses.
Le paladin éperdu sentit autour de lui les âmes trembler. Le cri leur imprimait une vibration déliquescente, qui rendait les volontés friables - pire, cassantes commes des pellicules de verre qui se lézarderaient encore, encore, encore... dans une succession de petites notes cristallines.
"Préserve-les", avait-elle dit.
Pâle, le front moite, serrant les dents, il se concentra.
Il se coupa du monde. Il anéantit toute sensation, tout sentiment, toute pensée.
Alors, il appela la Lumière.
Don de soi.
Et une nouvelle fois, elle lui fit la grâce de s'écouler en abondance en lui - douce, fluide, bienveillante.
Quand il rouvrit les yeux, il était prêt.
A ce moment-là, le cri s'arrêta sur une onde spirituelle qui brisa les volontés en menus éclats, et tous les mortels sous l'emprise du sortilège entendirent dans leurs esprits ces mots, prononcés par une voix grave, puissante, irrésistible, celle de quelque léviathan de fin des âges, de quelque dieu de terreur et de mort :
"OTEZ-VOUS DE MON CHEMIN, MISERABLES, FUYEZ LOIN DE MON REGARD ET PRIEZ VOS DIEUX ! QUE JE NE VOUS REVOIE JAMAIS."
Les quelques orcs épargnés à l'étage inférieur virent, incrédules, l'ensemble de leurs camarades se retourner et se lancer dans une fuite éperdue et sauvage, les yeux exorbités, dépossédés d'eux-mêmes, privés de toute raison, de toute retenue, se renversant et se piétinant les uns les autres, cherchant leur salut dans les moindres recoins, s'entretuant pour la moindre cachette.
Gunny, Akmar et Stropovitch virent les orcs du couloir être saisis d'une telle folie et se ruer en grand fracas dans la cage d'escalier - mais, hébétés, ils ne comprirent pas tout de suite ce qui se passait.
Joannes les avait délivrés à temps de la spirale d'horreur générée par la draeneï.
Il ne s'était en réalité déroulé que quelques secondes depuis le début du cri.
Et ce qui arriva immédiatement après leur libération par le paladin ne leur laissa pas le temps d'analyser la situation.
Thiwwina, sous l'emprise de la peur, déboula depuis la terrasse, et le temps d'un clin d'œil s'apprêtait à bondir dans la cage d'escalier.
D'un mot, Joannes la délivra. Par le pouvoir du Sacré qui l'investit, la conscience de la gnomette se rétablit soudain totalement, la laissant immobile, stupéfaite, le souffle coupé.
La seconde suivante, le drake qui avait été lancé à sa poursuite au moment du cri - et qui y avait été manifestement insensible - fracassa le mur de son front. Une pierre vint heurter violemment la tête de Joannes ; le choc et la douleur l'aveuglèrent, tandis que du sang jaillissait de sa tempe sur son visage ; le drake enragé se jeta gueule ouverte sur Stropovitch ; ce dernier, le regard encore voilé par les brumes de son cauchemar, eut le réflexe fulgurant de bloquer la terrible attaque, en balançant en même temps ses deux lames, la gauche contre la mâchoire inférieure, la droite contre la supérieure ; le mouvement du dragon l'entraîna - ses sabots crissèrent sur les dalles -, lui fit heurter brutalement la lourde porte blindée - qui se referma ainsi derrière les fuyards - et le plaqua violemment contre elle. Les bras du guerrier tremblèrent sous la pression infernale exercée par la gueule au souffle ardent.
Un ordre rauque retentit. Le dragon inspira.
Sous les yeux écarquillés des Alliés, Stropovitch fut noyé dans un torrent de flammes
La nuée qu'était devenue Hama frémit. Sa forme physique se redessina vivement - en commençant par un visage paniqué.
Akmar entendit un soupir et un battement d'ailes.
Lorsque le feu du drake s'éteignit, chacun retint son souffle.
Stropovitch était intact. Sa peau était d'un rouge vif, parcourue de veines d'un noir de jais brillant. Il avait libéré encore davantage le démon pour devenir insensible aux flammes. Son armure et ses armes d'adamantite luisaient, mais n'avaient pas fondu. Derrière lui, en revanche, la porte, faite d'un métal moins résistant - le fer -, s'était amollie.
"C'est le maître qui commande les souffles ! cria Gunny.
- Je m'en occupe ! répondit Akmar. Elbereth !"
La succube avait déjà lancé un sort d'envoûtement sur le héraut. Elle l'observait avec un plaisir sadique rester bouche bée et immobile devant elle, combattant intérieurement la domination, de la bave coulant sur le menton.
Puisqu'on ne voit plus que lui en moi...
Les bras de Stropovitch tremblaient toujours. Et il avait une expression terrible. Les muscles de son visage étaient contractés à l'extrême. La lutte contre le démon, encore et toujours ; elle requérait une volonté indéfectible, une détermination implacable - qu'il n'avait plus.
Puisqu'ils l'attendent tous...
Le dragon grogna hargneusement, attendant l'ordre pour un second souffle, qu'il se préparait à rendre bien plus puissant que le premier. Les entrailles du draeneï grondèrent en réponse.
Thiwwina fronça les sourcils. Si le héraut était sorti de la prison d'horreur d'Hama, c'était que le sort s'était affaibli. Elle eut une idée en observant la porte. Le chambranle coulait sur le battant en épaisses traînées, les unissant en une même plaque molle.
"Ze dois la zeler, viiiiiiiite ! s'exclama-t-elle. Ecarte-toi, Stropo !"
Puisque même Hama le désire...
Stropovitch cria dans l'effort. Il prit appui sur ses jambes et, lentement, puissamment, les bras tremblant de plus belle, força le dragon à reculer la tête. Le long cou se tordit. En colère, le drake tenta de dégager sa gueule des épées. Mais ce faisant, les lames ne firent que glisser un peu plus entre les crocs serrés, s'y bloquant près de la gencive. L'énorme tête se balançait brutalement de droite et de gauche, avec des grondements terribles. Le draeneï devait à la fois maintenir la mâchoire à bout de bras, et suivre ces mouvements violents pour éviter que les épées ne lui soient arrachées des mains ou ne se cassent entre les dents.
Malgré ce manège infernal, il fit encore un pas en avant ; le dragon dut reculer d'autant.
Thiwwina bondit et incanta à bout portant sur la porte un cône de givre qui la gela intégralement, figeant le métal fondu, chambranle et battant unis, dans un bref crépitement. L'accès était condamné.
Le héraut s'était délivré en quelques secondes de l'envoûtement d'Elbereth. C'était manifestement un combattant d'élite, entraîné à résister à toutes sortes de sorts. Mais au moment où ses deux haches allaient s'abattre sauvagement sur la succube surprise, Farôn était apparu entre eux deux et avait paré de ses dagues. Sans se démonter, le gangr'orc balança un pied dans les genoux du voleur, lequel se ploya pour l'esquiver - ce à quoi le héraut répondit immédiatement par un moulinet de poignets qui dégagea les haches des dagues et les envoya en direction de la figure de l'elfe. Farôn se pencha en arrière mais, déséquilibré par la double attaque, tomba à la renverse. Se recevant sur le dos, il joignit les jambes en chandelle et balança ses pieds dans la face de l'orc qui, sonné, recula d'un pas - avant de soudain sentir une lanière de fouet entourer son cou et l'étrangler, et d'entendre la voix d'Akmar incanter un chapelet de malédictions.
Hama achevait de redessiner sa forme physique. Elle semblait à bout de forces. Quand elle s'abandonnait à l'Ombre, elle risquait toujours de perdre définitivement raison et identité, de ne jamais retrouver le chemin du retour.
Gunny, ses esprits recouvrés, avait analysé la situation. Et il avait eu une idée. Désespérée. L'unique solution pour poursuivre la mission.
Il vida sa pétoire dans le flanc du drake et cria - au milieu des vagissements horribles de la bête - « On dégage ! »
Il détacha de son sac la corde munie d'un grappin et courut sur la terrasse où le démoniste achevait de réduire le héraut en un tas de chair gangrenée et fumante.
Joannes - qui s'était remis et avait guéri sa tempe d'une brève prière -, Stropovitch - après avoir dégagé ses lames de la gueule du drake -, Hama et Thiwwina emboîtèrent le pas au nain, laissant le dragon se tordre de douleur derrière eux.
Des chocs métalliques. Les gangr'orcs de la Citadelle, délivrés du maléfice, tentaient d'enfoncer les portes.
« La porte est ! s'exclama Thiwwina.
- Je l'ai bloquée depuis un moment déjà, répondit Farôn. Et il ne reste plus la moindre sentinelle sur les créneaux.
- On n'a plus qu'à se tirer de ce merdier incognito ! », cria Gunny en sautant dans le vide.
La corde se tendit. Le grappin se fixa au rebord de la terrasse. En contrebas, une fenêtre étroite, telle une large meurtrière. Farôn en se penchant vit le nain disparaître dans la fente.
« La voie semble libre, allez-y » dit-il aux autres.
Sans perdre de temps, au milieu du fracas des orcs qui se jetaient sur les portes, Thiwwina - tirant un bout de langue -, Joannes - livide -, Hama - tremblante d'épuisement - et Akmar descendirent le long de la corde. Elbereth d'une moue enroula le fouet autour de sa culotte, et glissa la main dans la poignée de la mallette, pour qu'elle repose sur son coude - avant de suivre son maître.
Alors Stropovitch entendit le drake rugir - et se retourna. Ivre de souffrance, complètement enragée, la bête éventrée fondit sur Farôn et lui, traînant derrière elle ses entrailles sanguinolentes.
Le draeneï, qui n'avait toujours pas refoulé le démon, flamboya littéralement de colère. Il sentit le feu gronder en lui - et il en fut content.
Moi aussi je sais souffler, connard.
Farôn n'eut que le temps de s'écarter. Au moment où le drake s'apprêtait à broyer le guerrier de ses immenses mâchoires, Stropovitch ouvrit la bouche et exhala une vague ardente à la face du monstre. Sous les yeux effarés de l'elfe, le dragon n'émit qu'un faible couinement avant de se désagréger littéralement en cendres volatiles. Il ne restait que la suie noire de la graisse brûlée maculant le sol - et une odeur atroce, âcre.
Le draeneï, sans un mot, se retourna, se pencha, saisit le début de la corde en tordant les poignets, sauta en se retournant, abattit ses sabots sur le mur et descendit.
« Fais-leur signe de s'écarter », dit simplement Farôn. Le guerrier fronça les sourcils mais hocha la tête.
L'elfe ne perdit pas de temps. Dès que Stropovitch eut disparu par l'ouverture, il retira la corde et sauta dans le vide - au moment où la porte ouest était enfin enfoncée et où une horde de gangr'orcs furieux faisait irruption dans le couloir.
Il se retourna en l'air, balançant le grappin vers la fenêtre. Ses camarades incrédules virent les pointes de fer fuser dans la pièce et se raccrocher tout aussi rapidement à la pierre. Farôn ne tarda pas à apparaître. Devant les Alliés médusés par l'exploit, il enroula tranquillement la corde et la tendit au nain.
« Je n'ai pas voulu laisser de trace de notre fuite » dit-il simplement.
Gunny la prit et considéra l'elfe. Puis son regard brillant alla de l'un à l'autre. Ils étaient tous là. Ils avaient échappé aux griffes de la mort.
« Bon sang, s'exclama-t-il, des larmes d'émotion aux yeux, y a pas à chier, z'êtes des dieux les gars ».
Et il se laissa tomber sur une chaise. La pièce était une chambre vide, de quelque officier certainement. Ils avaient mérité un peu de repos.