Fortement inspiré d'un jeu vidéo méconnu.]
Sous un ciel encombré de nuages gris noir d’où, par endroits, filtrent quelques rayons blancs, véritables fils tissés par la vie du dessus, un corbeau noir prend son envol. Lorsque ses ailes bruissent, il se sait suivi d’innombrables paires d’yeux noirs malveillants. Il entend alors le mouvement des créatures qui s’agitent : des pas lents et désordonnés pour certaines ; pour d’autres, l’écho de leurs masses grouillantes ; pour d’autres encore, le fracas de leurs pattes sur le sol. Un sol noir, parfois cendreux, parfois rocheux, mais impropre à la vie. Enfin… à la vie-vie. Car la mort-vie, elle, se tient partout. Elle est noire, elle aussi, et par conséquent reste naturellement camouflée. Elle reste discrète, paisible, sans but, mais est bel et bien tapie en ces lieux. Léthargique, mais dont le réveil serait à craindre pour les vivants.
Le corbeau décharné poursuit son vol. Un vol surnaturel, tant son plumage est miteux et recouvert de crasse. Il se dirige vers le sommet de la Tour, et ce faisant, domine la plaine. S’offre alors une vision sinistre… celle de la désolation. D’innombrables ruines semblent semées au travers de l’étendue, dont l’obscurité est accrue par la présence des êtres infâmes. A croire qu’une civilisation les a précédés. Peut-être fut-ce le cas ? Nul ne le sait, et eux ne répondront pas.
Ils semblent d’ailleurs dans l’attente de quelque chose, car jamais ils n’ont formé de rassemblement aussi conséquent. Qu’ils soient zombies lénifiés, animaux faméliques, spectres nacrés ou wyverns ténébreux, leur nature commune les pousse à rester solitaires, ou les rixes primitives commencent à apparaître. Ils sont avides, et lèvent les yeux vers le ciel dès qu’un rai de lumière blanche s’échappe de la chape nuageuse et vient effleurer leur noirceur. Ils jalousent ceux d’en haut. Nul besoin de raison pour cela, leur instinct leur suffit : les revenants humains ne valent pas mieux que leurs acolytes. Leur démarche boiteuse et leur souffle guttural en témoignent.
Le corbeau s’engouffre dans l’une des percées de l’étrange Tour fuselée, seul bâtiment qui semble échapper à la morsure du temps ou aux caprices destructeurs des entités maléfiques. Il s’installe sur une poutre qui surplombe une pièce largement ajourée. La pénombre est telle que des flammes dansantes sont disposées afin d’illuminer la salle. Des flammes pures, exemptes de tout support. Certains morts-vivants auraient-ils besoin de lumière ? Celui-là, oui. Car assis sur son trône dérisoire, le Roi Squelette les contemple, et cherche en elles les nouvelles étincelles de la vie qu’il convoite. Il sonde ces feux de ses yeux diamanteux depuis des milliers d’années. Qu’importe, pour une race intemporelle. Quoi qu’il en soit, le parachèvement de son œuvre est imminent. Il se lève.
Au dehors, tous savent qu’il a quitté son trône. Une sorte de frénésie s’empare des sans-vie et les incite à s'attaquer mutuellement. Hommes et bêtes se déchirent. Les souffles acides des dragons des ténèbres libèrent leur teinte, et amènent la même nuance de vert émeraude que celle des yeux du Roi à un monde bichromatique. Le chaos se répand comme le signe annonciateur d’un nouveau massacre. Masqués derrière des affrontements incessants, des mouvements de masse se forment. Les morts-vivants se concentrent aux abords de la Tour.
Le corbeau coasse et s’agite sur son perchoir, frappé comme les autres de cette folie. Le Roi l’observe un instant, puis réunit ses flammes en une seule, avant de s’en emparer.
Aussitôt, un milliard de filaments jades percent les nuages, et enveloppent la Tour et les sujets du Roi. Ils se contractent, s’enchevêtrent jusqu’à les isoler du reste du monde. L’instant suivant, il ne subsiste plus rien. Le Roi et ses servants ont gagné un nouveau lieu de vie, et le pilleront, ivres de vengeance, affamés de lumière, jusqu’à le convertir à leur image, à l’instar du précédent.
Et dans ce monde en ruines, désormais dénué de tout habitant, l’un des rayons blancs se met déjà à vaciller. Combien de temps restera-t-il au ciel lui-même avant qu’il ne s’éteigne ?
Car il est une loi universelle…
Quelle qu’elle soit, la soif ne s’étanche qu’un temps…