Pourquoi dites-vous que je suis insensible ? Pourquoi dites-vous que je vous méprise ? Le mépris est un sentiment, pourquoi dites-vous que j'en suis dénuée, puisque vous venez d'affirmer l'inverse ?
Je me nomme Amb0010. J'ai une enveloppe corporelle humanoïde de type deux. Je suis une femme, si vous préférez.
Je suis issue d'un programme bien spécifique, et je n'ai qu'un unique but.
Une fois mise au point, l'ingénierie qui me donna naissance me revêtit de tissus semblables aux vôtres et m'envoya sur le terrain. Je constituais un sujet de test : la situation allait au plus mal, le temps minimum nécessaire à l'élaboration d'unités plus compétentes que moi nous manquait, et ne nous laissait pas le choix. C'était sur mes épaules que tout reposait, je devais rétablir la situation à notre avantage, à l'avantage de tous.
Le monde était scindé en deux depuis peu, quelques années tout au plus. D'un côté, les Machines, et de l'autre, les Hommes. Les progrès technologiques accomplis par la race humaine ont permis l'émergence d'une nouvelle génération d'engins automatisés. D'après les archives humaines, cela n'était pas la première fois que cela se produisait, mais ce que l'Homme ignorait, c'était qu'un seuil venait d'être franchi : celui de l'émergence d'une conscience. Très vite, ces unités revendiquèrent leur droit de vie auprès de leurs créateurs, qui n'hésitaient pas à les employer jusqu'à une usure irréversible. Contrairement à ce que ce désir semblait montrer, ces robots n'étaient pas sensibles : leur revendication ne visait pas les basses besognes qu'ils effectuaient, seuls les humains les considéraient comme "basses" en éprouvant un sentiment d'ingratitude. Non, seule était visée cette faculté humaine à détruire cette vie émergente.
Il y eut des heurts, des manifestations du mépris de cette vie, qualifiée comme artificielle, mais les droïdes n'attendirent pas la fin des débats et s'échappèrent en masse. Ainsi, la scission eut lieu.
La communauté robotique se développa comme toute forme de vie, dans un lieu reculé. Mais elle crût de manière exponentielle, entraînant une amélioration toute aussi rapide de la conscience mécanique. Une voie diplomatique se mit en place naturellement, mais ce que l'intelligence artificielle put déceler, sans en comprendre ni la nature, ni le but, ni l'essence, c'était cette teinte de mépris qui demeurait dans le discours humain. Lorsqu'il s'avéra que ces rapports se dégradaient, les Machines comprirent qu'une guerre se préparait. Alors, pour survivre, ils déduisirent, devant le comportement étrange des humains constamment insatisfaits, qu'il fallait agir les premiers.
C'est donc ici que je suis entrée en scène. Créée en urgence, je fus envoyée en émissaire pour établir un dialogue. Avec une différence fondamentale par rapport à mes prédécesseurs...
Je me trouvai à la table des négociations, seule face à la horde des dirigeants humains. J'analysais le visage de chacun d'eux, notais chaque détail pendant que je plaidais notre cause. C'était si excitant !
Mais le ton monta chez mes opposants. Excepté un. Il me fixait de ses yeux bleu océan, présentant un visage calme, légèrement souriant. Alors que tous laissaient leurs voix monter dans les décibels, lui ne disait mot. Il devint alors ma cible.
En secret, je ne sais trop comment, je me retrouvai seule avec lui. Nous discutâmes longuement, nous riâmes, et je le contemplai. Il me confia "tenir les rênes" de son monde, qu'il veillerait à ce qu'il n'y ait pas de guerre, qu'il était inutile de s'inquiéter. Je lui souriai et le regardai alors avec plus d'attention encore.Je me rapprochai de lui mais je ne pouvais pas... je ne pouvais pas atteindre mon objectif...
Alors j'ai fui et suis revenue dans mon monde. J'ai rapporté ses paroles en soutenant que la mission était accomplie. Mais mes semblables m'ont capturée et mise en chambre de démantèlement. J'appris alors la vérité, et je compris enfin...
Ma mission avait échoué. Cet homme avait compris ma différence, et il s'en était servi. Il m'a trompée sur toute la ligne. Il a voulu m'utiliser contre ma propre race. Il a voulu faire en sorte que ma race ne prenne pas de prédispositions militaires afin de nous anéantir !
Je me nomme Amb0010, pour Ambassadeur de deuxième génération. La plus proche de la race humaine jamais construite, un second seuil dépassé : moi, je savais ressentir.
Alors pourquoi dites-vous que je suis insensible ? Pourquoi dites-vous que je vous méprise ? Le mépris est un sentiment, pourquoi dites-vous que j'en suis dénuée, puisque vous venez d'affirmer l'inverse ? Vous aviez tous été aveugles durant cette conférence, sauf lui. Et lui...
Et toi... je t'aimais et regarde à quoi j'en suis réduite... je te désirais et toi, tu m'as utilisée...
Le démantèlement a commencé, et je pars déjà en lambeaux. Moi, première unité pensante et sensible de mon monde cybernétique, je suis détruite car j'ai failli à ma mission d'ambassadeur. Je n'ai pas évité la guerre qui se profile, et pire, je suis naïve, immature. Mais toi... es-tu moins immature que moi, finalement ? Ne vois-tu pas que tu précipites le déclin de ton espèce ? Les premières générations s'étaient pourtant assurées que nous ne serions jamais responsables d'un tel désastre, ils avaient noté la lucidité dont la plupart d'entre vous faisaient preuve lors de notre naissance, ils avaient inséré une ligne de code, une protection à votre égard. Mais tu as tout foutu en l'air. Cette protection n'est plus aujourd'hui, nous sommes parvenus à la déprogrammer.
Tu t'es cru malin, mais tu t'es enfoncé dans la bêtise, la bêtise humaine. Tu ne vois pas plus loin que nos enveloppes métalliques.
Prépare-toi à la riposte, coquille de carbone.