Articles de Asteroth - Regarde ta Montre, et Dis-Moi Quelle Heure Il Est
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[Musique du Temps : Mine Host - Oceansize

Avec du recul, je me rends compte qu'il est extrêmement compliqué vu l'accès qu'en a le lecteur, il ne faudra donc pas être gêné du caractère très flou et nébuleux du texte, et l'accepter comme tel.
Ce texte vient du duel contre Teclis (qui a gagné) avec pour contrainte une absence quasi-totale de narration.
Le côté nébuleux vient de là : impossible de procéder à une explication complète à travers un dialogue sans dénaturer ce dernier ni être affreusement lourd, lourdeur qui est peut-être déjà présente dans ce texte.
Il fut difficile à écrire mais... il me plaît ^^
Bonne lecture !]




Regarde ta montre, et dis-moi quelle heure il est.

L’autre affiche une mine étonnée.

Je ne comprends pas ce que tu me demandes, tu as ta propre montre.

Oui, mais ce n’est pas mon temps qui m’intéresse, c’est le tien.

Le mien ? Ta propre montre ne te suffit pas ?

Bien sûr que non, oserais-tu sous-entendre que nous posséderions la même heure ?

Tu as raison, ce serait absurde. Mais je ne comprends toujours pas l’intérêt de ta demande.

Je suis curieux, tout simplement.

Curieux de mon temps ? A quoi pourrait-il bien te servir ?

Pose-toi plutôt la question de savoir à quoi me servirait le temps si j’étais le seul à pouvoir le mesurer.

A acquérir l’éternité ?


Le quémandeur d’heure hausse un sourcil.

Comment ça ? C’est une réponse à laquelle je ne m’attendais pas. Je pensais plutôt que cela supprimerait le temps, et donc nous, par la même occasion.

Tu veux dire toi, puisque si seul ton temps existe dès le départ, alors moi je n’existe pas. Mais quand je parlais d’éternité, je voyais les choses ainsi : est-ce que mon temps n’est pas là pour limiter le tien, et inversement ?


Il se tait, attisant l’impatience du premier.

Mais explique-toi ! Tu me parles comme si je comprenais déjà ton idée.

Lorsque tu t’adresses à moi, que ressens-tu ?

De l’énervement, tant que tu resteras aussi obscur !

Alors calme-toi et réponds correctement.


Le quémandeur se laisse happer par ses réflexions.

Ce que je ressens lorsque je te parle… je dirais que je ressens le poids des années qui nous séparent. Tu vois ce que je disais ? Par ta présence, je ressens le temps.

A vrai dire, tu ressens mon âge. Peut-être me vois-tu vieillir. Et dans ce cas tu vieillis avec moi. Autrement dit, sans moi, tu ne vieillis peut-être pas.

Arrête de dire des bêtises, je ne suis pas au-dessus du temps.

Si, tu l’es. Tu n’es pas un homme, à ce que je sache. Tu n’es pas une enveloppe, tu n’es pas un corps, tu n’es pas une mécanique, tu es une empreinte. Une empreinte dans le temps. D’autant plus ancrée dans le temps que tu es une empreinte intemporelle.

Non ! Je suis moi ! Un homme ! Le Présent ! Périssable, vivant ! Je ne suis pas qu’une empreinte ! Je suis une âme et un corps !

Vivacité de ta condition. Regarde autour de toi.


Le « sage » lève ses bras à demi pour inviter le quémandeur à observer ce qui l’entoure.

Pourquoi le monde est-il noir ? Suis-je mort ?

Pas du tout, sinon je ne serais pas là. Mais tu n’es pas un homme, tu n’es plus un homme donc la question de la mort ne te concerne plus. Tu t’es décrit comme « Le Présent ». Si un homme avait utilisé cette dénomination, il aurait naturellement dit « Mon Présent ». Laisse-moi te dire que je suis malgré tout un peu perdu au sujet de ta nature. Car je n’ai pas contredit tout ce que tu me disais auparavant pour la simple et bonne raison que tu pouvais aussi être dans le vrai, bien que je ne puisse prétendre détenir aucune vérité.

Alors, où me donnes-tu raison ?

Tout dépend. Tout dépend si, en te proclamant le Présent, tu étais proche de la réalité que tu décrivais ou si, en te trompant sur ta nature, tu t’approchais de ma description. Toute la question est basée sur le fait que oui ou non, tu sois une empreinte ancrée dans le fleuve du temps. Es-tu une ancre amarrée dans le lit du fleuve ou une empreinte qui, contrairement à ma vision des choses, suit son cours ?

Je ne saurais pas te répondre…

Paradoxalement, seul le temps nous le dira.

Mais oui, c’est exact !

Qu’y a-t-il ?

Seul le temps nous le dira, n’est-ce pas ? Ne t’ai-je pas interrogé sur ton temps ? Nous aurons la réponse !


Le « sage » fut pris au dépourvu.

Quand m’as-tu interrogé sur mon temps ?

Lorsqu’on s’est rencontrés, bien sûr ! Je t’avais demandé de regarder ta montre.

Exact. Mais étrange.

En quoi est-ce étrange que de se renseigner sur ton temps ?

Ce qui est étrange, c’est que je ne saurais pas dire si nous nous sommes rencontrés avant que tu me demandes l’heure, ou après.

Bien sûr que si, c’est dans l’ordre des choses ! Il faut bien que je te connaisse avant de te demander l’heure.

Non.

Bon, ne joue pas sur les mots, je voulais dire par « connaître », te connaître de vue, enfin… te voir, savoir que tu existes, comment pourrais-je le dire autrement ?

De quoi avons-nous parlés avant que tu ne fasses ta demande ?


Un brusque silence s’intercale entre les deux interlocuteurs.

Tu vois que ma question a du sens, et que l’ordre des choses est plus sournois que ce qu’il veut bien nous faire croire. Méfie-toi des évidences, lorsqu’elles sont trop évidentes.

Je ne comprends plus rien. Comment ai-je pu te poser cette question si tu n’existais pas à ce moment-là ?


Le « sage » se mit à rire.

Tu avais le choix entre trois types de questions, et tu as choisi la plus insignifiante ! Je trouve infiniment plus d’intérêt en celles-ci. Quand m’as-tu demandé l’heure ? Et pourquoi ?

Eh bien… euh… quand… il y a quelques minutes je pense. Quoique je n’ai plus la notion du temps.

Effectivement, puisque tu réponds de travers.

Tu m’as demandé quand !

Et tu me réponds comme si nous savions que le temps existait ici. Alors que c’est ce que nous cherchons à savoir.

Mais… vraiment ? Quand cela est-il devenu notre objectif ?

Depuis que nous cherchons à savoir si tu suis le cours du temps ou non.

Mais le temps existe, puisque nous parlons, puisque nous évoluons !

Nous parlons, mais nous ne savons pas si nous évoluons. Tu fais une confusion entre deux temps, presque trois. Nous ne savons pas si nous sommes changeants. Autrement dit, nous savons que les heures de nos montres existent et avancent, mais nous ne savons pas si elles sont inscrites dans le mouvement des aiguilles d’une troisième, ou si elles sont piégées dans leur immuabilité. Nous possédons l’individualité, mais sommes aveugles au sujet de la globalité.


Le consultant des temps se pince l’arête du nez en fermant les yeux, comme pour tenter de remédier au tournis qui menace de s’emparer de lui.

Garde la tête froide, je n’ai fait que reformuler ce que je te disais depuis le début.

Si tu veux que je garde la tête froide, il va falloir arrêter de m’embrouiller. Nous parlons, nous progressons donc dans le temps, nous ne sommes pas figés, donc nous sommes changeants !

C’est juste… si nous ne considérons qu’un seul temps. Mais j’ai l’impression que tu ne sais même pas ce que tu es.

Je t’avais dit que j’étais un homme, mais tu m’as répondu que non.

Tu es issu de l’homme que tu crois être. Tu es… sa tranche de vie, l’ensemble de ce qu’il est. Ses pensées, ses sentiments, tout ce qui exclue son enveloppe extérieure. Tu comprends maintenant ?

Je comprends qui je… enfin ce que je suis, mais ça… hum… s’arrête là.

Je fais du mieux que je peux, tu sais. Cependant, tu n’as pas été désarçonné lorsque je t’ai annoncé acquérir l’éternité.

Eh bien oui, ce n’est pas quelque chose de bien compliqué.

Parce que tu as cru que je parlais de l’éternité dans ton temps à toi. Or tu n’es pas un homme, la question de mort ne te concerne pas, donc il est évident que tu es déjà éternel en ce sens. Reste à savoir si tu es éternel dans le temps qui nous entoure.


Le « sage » pesa ses mots.

Autrement dit, si ton éternité a une fin.

Tu te mets à dire des inepties.

Non, pas du tout. Encore une fois, cela revient à ce que j’ai dit plus tôt, et ça ne t’avait pas fait réagir. Tu te proclames Présent, n’est-ce pas ? Déjà, l’ineptie est là. Tu ne pourras jamais être le Présent, puisque penser le présent, c’est l’inscrire dans le passé. Mais es-tu un Présent de plus en plus passé, ou un Passé jamais bien loin du présent ? Une tranche de vie immuable, ou une tranche de vie qui évolue avec l’homme qui la détient ? C’est ce que j’essaie de te faire comprendre, c’est cette question qui est importante.

Bon… l… laissons ces questions là de côté, si tu le veux bien. Pourquoi t’évertues-tu tant à savoir tout cela ?

Parce que si je comprends ce que tu es exactement, j’ai une chance de comprendre pourquoi je suis ici.

Mais donc toi au moins tu sais qui tu es.

Ce que je suis, nuance. Et je n’arrive pas à croire que tu puisses me sortir une telle chose ! Tu ne me reconnais donc pas ?

Je devrais ?

Evidemment ! C’est toi qui m’as appelé !

« Appelé » ?? Q…


Le chercheur d’heure balbutie, tant le mot qu’il s’apprête à prononcer le trouble et l’horrifie.

Qu… quand ?

Lorsque tu m’as demandé l’heure. Tu ne me reconnais toujours pas ?

Pourquoi demander l’heure ferait appel à toi ?

Parce que je suis le Futur ! Et tu es tourné vers lui, enfin je veux dire, vers moi.

Eh bien ? Au moins je comprends pourquoi tu es ici, si tu es mon futur !

Eh bien moi je ne comprends pas comment c’est possible. Ce doit être une anomalie. Je ne comprends pas comment tu peux avoir accès à moi. Tu n’es pas censé pouvoir communiquer avec moi. Je suis censé être inaccessible pour toi, sauf…

Sauf ?

Sauf si je suis un projet d’avenir, une invention, un idéal.

Donc tu as compris pourquoi tu es ici !

Non. Je suis comme toi, une tranche de vie. Pas une invention. J’incarne toutes les pensées et les sentiments de cet homme, un temps plus loin. Ma présence est étrange.

Un temps plus loin ? Combien de temps plus loin ?

Qu’en sais-je ? Lirais-tu l’heure sur ta montre ?

Evidemment ! C’est bien ce pourquoi elle est faite !

Ne t’ai-je pas déjà mis en garde contre les évidences ? Si tu es si sûr de toi, regarde donc l’heure qu’il est…


L’Errant du Temps s’exécute mais s’affole aussitôt.

J’ai… j’ai perdu ma montre !

Tu vois.

Mais… mais je n’ai donc plus de temps ! Je vais m’éteindre, je vais…

Calme-toi.

… je vais disparaître !

Calme-toi ! C’est complètement faux. Sais-tu ce qu’est le temps ? Il a tellement de définitions et d’interprétations. Voici l’interprétation que je lui donne : le temps, ce sont des chansons. Des discussions. Des échanges. Des pensées. Des états. Le temps, ce sont des sentiments. Autrement dit…


Le Futur appuya à nouveau ses mots.

D’une certaine manière, tu incarnes ton propre temps. Et ce que tu appelles Seconde, Minute ou Heure peut maintenant se traduire en Confusion, Mépris ou Amour. En Errance, Humiliation ou Félicité. En Chagrin, Joie ou Plénitude. N’est-ce pas merveilleux que de constater qu’ainsi, tu disposes d’un florilège d’unités pour caractériser ton temps ? De le voir absorber la couleur de tes émotions ? Il en devient encore plus universel. Il n’a plus ni une ni deux dimensions comme nous venons d’en débattre, mais mille ou un million, en toi. Presque universel dans l’universalité. Pas d’ineptie là-dedans, loin de là.
Ta montre, c’est toi.


Je crois… je crois que je commence à comprendre…
Il est plus facile d’imaginer pourquoi je t’aurais demandé l’heure, ainsi…


C’est exact, tu dois commencer à entrevoir ce que moi je vois. C’est d’ailleurs ce qui, pour moi, n’a aucun sens…

Et je dirais que finalement, savoir si je suis Présent passé ou Passé presque présent n’en a pas plus.

Peut-être. Pour nous. Pour l’homme que nous représentons, ce ne doit pas être le cas.

Bon, je n’ai plus qu’une seule chose à demander…

Ah ? Quoi donc ?

Tu es là pour ça, après tout. Alors, une bonne fois pour toutes, je te prie de me répondre. Consulte ta montre, et dis-moi quelle heure il est !


Le Futur soupira.

N’as-tu donc pas compris que, de ce fait, je ne pouvais pas répondre à cette question ? Bon, on recommence…
Publié le 12/09/2008 - Pas de modifications
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