Articles de Nora - Chapitre 1
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Chapitre 1 : Rencontre et chocolat viennois
 
            Assise seule à une table d’un petit et sympathique café du centre ville, Cécile, une jeune étudiante en sciences politiques étrangères tout juste âgée de vingt ans, sirotait tranquillement un chocolat viennois –un véritable délice !- tout en lisant un magasine.
            Les gens, en général, se retournaient sur son passage, étonnés de voir une occidentale aussi à l’aise dans les rues de Kyoto et sachant parler un japonais correct avec –certes- un très léger accent français. Cette attitude l’avait bien entendue déroutée durant les premiers jours, puis elle s’y était habituée peu à peu jusqu’à ne plus s’en soucier du tout.
            C’est pourquoi elle ne prêta pas la moindre attention aux quelques chuchotements et à l’agitation qui s’élevèrent bientôt, pour s’atténuer –mais pas s’éteindre- rapidement. Aussi fut-elle très surprise d’entendre une chaise racler le sol à côté d’elle. Etonnée, elle leva les yeux et jeta un regard désintéressé à la personne qui troublait ainsi sa lecture.
            Il s’agissait d’un jeune homme fort bien fait de sa personne, mesurant un peu plus d’un mètre quatre-vingts –à vue de nez- et arborant, outre un air blasé et fatigué, une tignasse de cheveux bleus qui lui obscurcissait le visage.
-         Vous désirez ? demanda une serveuse, une lueur avide dans le regard alors qu’elle le dévorait des yeux.
-         Un chocolat viennois, marmonna-t-il, apparemment fort peu concerné par l’intérêt pourtant apparent de la jeune femme.
-         Tout de suite…
Puis, il sortit une revue du sac à dos –eatspack, bien évidemment- noir qu’il avait glissé en dessous de son siège.
Cécile se secoua et retourna à sa propre lecture –et plus précisément à un article écrit par un journaliste indéniablement de gauche traitant de la mondialisation américaine et de la propagation du capitalisme.
Mais à peine avait-elle parcouru quelques lignes qu’un grand bruit se fit entendre. En effet, un groupe de quatre personnes d’environ son âge venait d’entrer en fracas dans le pub. Probablement un coup de trop dans le nez, jugea-t-elle, en plissant le sien avec mépris.
Elle entendit un soupir sonore et crut pendant un instant qu’elle n’avait pas su se maîtriser, mais réalisa avec un léger temps de retard que celui qu’il l’avait poussé était en vérité son voisin qui ne semblait pas plus ravi qu’elle de cette arrivée inopinée.
 Leurs regards se croisèrent un court instant et ils partagèrent durant cette poignée de seconde le désarroi et l’exaspération que provoquent toujours ce genre d’énergumènes. Le jeune homme aux cheveux bleus sembla hésiter un moment, avant de se lever, de prendre ses affaires et de s’installer à la table de l’Occidentale.
-         Vous permettez ? demanda-t-il en désignant la chaise libre en face d’elle.
-         Face à la bêtise, il faut faire front commun…
-         Ça veut dire « oui », ça ?
-         Evidemment.
Du coin de l’œil, la Française vit la serveuse qui avait tant reluqué le type qui venait de s’asseoir en face d’elle la foudroyait du regard.
-         Je m’appelle Leviath.
Sans doute jugeait-il –à raison- que s’être invité ainsi à la table de quelqu’un méritait au moins qu’il fasse les présentations.
-         Cécile.
-         Drôle de nom…
-         Je vous retourne la remarque.
-         Vous êtes une habituée ?
Il désignait la tasse encore à moitié pleine du délicieux nectar chocolaté.
-         Si on peut dire… De toutes façons, quel que soit le café où je suis, je prends un chocolat viennois. Du moins, quand il y a cela sur la carte…
-         Je fais la même chose. J’y ai goûté une fois et depuis, je suis accro. C’est comme la pêche.
-         La pêche ? Je n’aime pas trop. Par contre, je n’ai rien contre une sieste au bord de l’eau –avec un bon livre ou un bon magasine, bien entendu.
-         Bien entendu.
-         Vous n’aimez pas lire ?
-         Si, mais cela demande un peu plus de concentration que pour la pêche, alors…
-         Je vois… Fainéant ?
-         Non, j’économise mes forces, tout simplement.
-         A ce niveau-là, ça relève presque de la folie…
-         Presque.
-         Quelle conversation étrange…
-         Oui, vous aussi vous trouvez.
-         Pour ma défense, je n’ai pas l’habitude de me faire aborder de cette manière dans un bar…
-         Pour ma défense, je n’ai pas l’habitude d’aborder les gens de cette manière dans un bar.
-         Oh ? Et, d’habitude vous les abordez comment ?
-         Dois-je vraiment répondre ?
-         Non, c’était une boutade.
-         Qu’est-ce que vous lisez ?
-         Oh, rien de spécial, un magasine politique français…
-         Vous êtes française ?
-         Quelle perspicacité !
-         J’y suis déjà allée, une fois… Beau pays, mais vous avez des coutumes étranges.
-         Comme ?
-         Eh bien, commençons par vos repas, ils durent parfois plusieurs heures !
-         Oui, durant les fêtes ça arrive qu’on passe à table pour le déjeuner –après un copieux apéro de préférence- et qu’on la quitte le soir après le dîner. Enfin, ça c’est quand on arrive encore à se lever.
-         C’est vrai ?
-         Ça m’est déjà arrivé une fois ou deux…
-         Ça doit être ennuyeux.
-         Non, pas du tout. On s’amuse énormément.
-         Ouais… Coutumes bizarres et habitants bizarres…
Avant que Cécile ne put répliquer quoi que ce soit et défendre ainsi l’honneur de ses compatriotes, une main s’abattit violemment sur la table, les faisant sursauter tous les deux et renversant un peu du chocolat de Leviath dont la tasse était encore pleine. C’était l’un des hommes qui étaient entrés, quelques minutes auparavant.
-         ça me gonfle…, soupira le jeune homme aux cheveux bleus.
-         Oui ? fit l’Occidentale, glaciale.
-         On se disait, moi et mes potes, que tu voudrais peut-être venir à notre table…
-         Je ne vois pas vraiment pourquoi je voudrais venir à votre table. La mienne est très bien…
Le nouveau venu crut sans doute qu’elle n’avait pas compris le sous-entendu –qui n’était pas si sous-entendu que ça- et insista :
-         Allez, poupée, on pourra te montrer des endroits sympas ! Et puis, tu as sûrement envie de goûter à de vrais mâles du pays.
La jeune femme leva les yeux au ciel, excédée. Franchement, ça frisait le ridicule.
-         Non, merci, ça ira, je ne suis vraiment pas intéressée… D’ailleurs, j’ai un peu de mal à voir qui le serait…
-         Ecoute…
-         Barre-toi, lâcha Leviath, d’un ton menaçant.
-         Exactement, dégage, tu pollues mon air.
Peut-être était-ce le ton polaire de la Française, ou alors l’air inquiétant de son vis-à-vis, toujours est-il que l’indésirable lâcha l’affaire et retourna piteusement avec ses amis hilares. Le jeune homme aux cheveux bleus le suivit des yeux, lèvres pincés, soucieux sans aucun doute.
Publié le 24/06/2008 - Pas de modifications
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