Articles de Airain - Chapitre 3
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Lorsque Airain se réveilla, midi était passé depuis longtemps.
            Couché sur le ventre, les yeux fermés, la tête enfoncée dans l’oreiller, la couverture remontée jusqu’en haut de la nuque, il écoutait les voix et les sons qui lui parvenaient de la rue. Les cris aigues d’une lavandière se mêlaient aux injonctions et aux jurons d’un charretier, alors qu’un chien aboyait après quelque gamin du voisinage.
            Le jeune homme poussa un soupir, avant de rouler sur le dos –manquant par la même de tomber de son couchage-, et passa une main endormie sur son visage.
            Gueule de bois, comme il fallait s’y attendre. Avec toutes les bières qu’on lui avait offertes la veille, ça n’était pas vraiment étonnant. Il se redressa en grognant de douleur. Il remarqua alors qu’il s’était couché –ou qu’on l’avait mis au lit, ce qui était sans doute plus probable- tout habillé. Ces bottes gisaient un peu plus loin, sa cape et son sac étaient posés dans un coin.
            Le brun détailla la pièce, d’un œil injecté de sang.
            C’était une chambre exiguë, dont le mobilier était uniquement composé d’une paillasse inconfortable, d’une chaise de bois vermoulu et d’une table de chevet sur laquelle était posée une bougie au trois quarts fondue.
-         Trois pièces d’argent pour ça ? Marmonna-t-il, dédaigneux.
Il ne savait pas comment s’était achevé la soirée –ou, plus vraisemblablement, la matinée-, mais il espérait qu’aucune bagarre n’avait éclaté, lui assurant ainsi la conservation du peu d’argent qu’il possédait. Mais, il n’avait aucun moyen d’en avoir la certitude en restant prostré ainsi dans la douce chaleur de sa couverture rapiécée.
Baillant à s’en décrocher la mâchoire, il bondit sur ses pieds, chose qu’il ne faut jamais –jamais- faire lorsque l’on est soumis à des migraines lancinantes. Sa vue se troubla momentanément, et il tituba quelques instants, avant de reprendre ses esprits, et une démarche plus assurée.
Il n’avait peut-être pas bu que de la bière, en fait…
 
Quelques minutes plus tard, le Ménestrel était avachi sur une table de la Grande Salle, attendant avec un air douloureux et misérable que le Tavernier daigne s’intéresser à lui.
-         Alors, mon gars ! Lança ce dernier, de son comptoir. Bien dormi ?
-         J’ai l’air d’avoir bien dormi ?
-         Tu as la tête de quelqu’un qui s’est saoulé la veille, et qui a du mal à s’en relever.
Puis, Reth attrapa un quignon de pain qui traînait devant lui, et s’assit à la table d’Airain, qu’il fixa d’un air amusé.
-         Je suis si drôle que ça ? lâcha celui-ci, irrité.
-         Excuse-moi, mais c’est la première fois que je rencontre un mort-vivant, laisse-moi profiter.
Le jeune homme poussa un gémissement pitoyable, tout en jetant à son vis-à-vis un regard plein de larmes.
-         Pitié, dis-moi que personne ne s’est battu.
-         Tu tiens à ton argent ?
-         Franchement ? Oui.
Sa réponse provoqua l’hilarité du colosse, qui, décidemment, commençait à s’attacher à ce voyageur.
-         Tu as faim ? demanda-t-il, en lui tendant le morceau de pain.
-         Un peu… Mais, vous n’avez pas répondu à ma question…
-         Il n’y a pas eu de bagarre… Et bien, te voilà logé et nourri gratuitement !
-         Le pain est offert aussi ? demanda Airain, méfiant.
Le rire tonitruant de l’Aubergiste retentit dans la pièce –et effraya un quelconque passant qui se trouvait à proximité de l’établissement à ce moment-là.
-         Je prends ça pour un oui, soupira le Ménestrel, vexé qu’on se moque de lui ainsi.
-         Tu reste avec nous encore longtemps ? reprit son hôte, plus sérieusement.
-         Je ne comptais pas m’arrêter ici… Au départ, je voulais dormir à la belle étoile, dans la forêt. Mais, je n’avais pas pensé qu’il pouvait pleuvoir. Comme je n’étais pas très loin de Kesh, je me suis dit que ça valait peut-être le coup de passer une nuit avec un toit au dessus de la tête… Je pensais repartir ce matin, mais je me suis levé un peu tard pour ça. Je m’en irais ce soir, après avoir dîner.
-         Tu vas voyager de nuit ?
-         Oui, pourquoi ? Ce n’est pas interdit, si ?
-         Si. Le Gouverneur arkadien a envoyé des émissaires en avertir toutes les villes.
-         Ah bon ? Pourquoi ?
Reth lança un regard circulaire autour de lui, comme pour se rassurer sur l’absence de client dans sa Taverne. Puis, il se pencha en avant, rapprochant sa tête de celle de son interlocuteur, toujours posée sur ses bras croisés.
-         Tu sais que la famille royale est détenue dans leur Palais, à Yaesh…, murmura-t-il, d’un air conspirateur. Eh bien, il paraît que le Prince héritier, Fidélité, s’est enfui, et le Gouverneur met tout en œuvre pour le retrouver.
-         Le Prince héritier s’est enfui ? répéta le brun, en fronçant les sourcils. Quand ça ?
-         Je ne sais pas, il y a quelques jours maintenant. Pas plus d’une semaine –d’ailleurs, ça m’étonnerait beaucoup qu’il tienne encore longtemps avant de se faire capturer.
-         Vous prenez des paris ?
-         Tu veux parier ?
-         Non, c’est pour savoir si j’aurais le monopole.
-         A part l’argent, qu’est-ce que tu aimes dans la vie ?
Le brun haussa les épaules, évasif. Il s’apprêtait à ajouter quelque chose, lorsque quelqu’un dévala les escaliers qui menaient aux chambres, et entra dans la Grande Salle.
Il était grand, élancé et blond. Ses vêtements, bien qu’assez simples, témoignaient d’une grande richesse de part leur entretien et leur qualité. Une épée –sans aucun doute fort coûteuse, si l’on en jugeait la garde ouvragée- pendait à son côté droit. Etonné de voir des gens attablés à cette heure de l’après-midi, il s’arrêta en bas des marches et leur jeta un regard étrange. Un regard entre la méfiance, le dégoût et la surprise. N’aurait été son teint hâlé et ses pommettes saillantes, Airain l’aurait pris pour un Arkadien –noble, qui plus est.
Cette nouvelle présence éveilla la curiosité –pourtant anesthésié par ce réveil difficile- du Ménestrel. Que venait faire un Seigneur –car c’en était un, c’était indéniable-, dans pareil Auberge ? Il devait être en disgrâce auprès des envahisseurs, et tentait de leur échapper en se terrant des lieux malsains, sales, peuplés de malfaiteurs, brigands et autres culs-terreux –des lieux où jamais on ne s’attendrait à rencontrer un Noble.
Ledit Noble sembla hésiter un moment, se balançant d’un pied sur l’autre, les lèvres pincées, une moue soucieuse plaquée sur le visage. Finalement, il s’approcha de leur table d’une démarche princière, tête haute et dos raide.
Il y avait une expression pour décrire ça… Quelque chose en rapport avec un balai… Le brun ne se rappelait plus vraiment de laquelle il s’agissait.
« Il faut toujours balayer devant sa porte. » Hm… Non, ça n’avait absolument aucun rapport avec la façon de marcher… « Prends garde aux coups de balais. » Euh… ça existait, ça ?
Airain se secoua –mentalement-, et laissa tomber ses considérations linguistiques. Il reporta son attention sur l’inconnu, qui s’apprêtait à parler.
-         Je vous souhaite le bonjour, messieurs…, commença-t-il.
Argh ! Même sa manière de s’exprimer transpirait l’arrogance et une éducation distinguée ! Manifestement, il ne comprenait pas que l’on pouvait parler correctement et poliment, sans user de tournure de phrase alambiquée et pompeuse au possible.
- Je souhaiterais faire route jusqu’à Tern, une ville portuaire, tout au Sud de notre pays      …
Le Ménestrel se retint de lever les yeux au ciel –pardon, au plafond-, exaspéré par la hauteur dont faisait preuve l’individu qui le surplombait. Par tous les Esprits, il savait tout de même où se trouvait Tern ! C’était la ville marchande la plus puissante d’Eldra. D’ailleurs, seule sa position vulnérable face aux Pirates –la ville se trouvait au bord de l’eau, ce qui en faisait, évidemment, une proie de choix pour ces Brigands des Mers- expliquait qu’elle ne soit pas la capitale de leur Nation.
-         …et j’aimerais me trouver un compagnon de voyage, qui soit habituer à ce genre de périple. Il est évident que je rémunérerais cet homme.
-         Par périple, tu veux dire qu’il y aura du danger, demanda Reth, en échangeant un regard avec le brun.
-         Oui… Je… Comment expliquer cela ? J’ai eu… un léger différend avec les Arkadiens –que les Esprits les dévorent !-, et ils semblent qu’ils veuillent s’expliquer avec moi.
-         Bienvenue parmi nous…, marmonna Airain, en grimaçant un sourire aimable.
Le blond lui lança un coup d’œil surpris. Le Tavernier éclata de rire et se mit en devoir de conter ses exploits :
-         Notre jeune ami ici présent a publié un écrit assez… insultant vis-à-vis des envahisseurs. Même s’ils ne le cherchent pas sous chaque caillou, je pense qu’ils seraient assez contents d’avoir une petite conversation avec lui. Quant à moi… J’héberge chaque nuit des dizaines et des dizaines de hors-la-loi qui passent leur temps à piller et voler les Arkadiens…
-         Pourtant, tu es toujours en liberté, remarqua le Noble, d’une voix sèche.
-         C’est parce que je n’ai moi-même rien –ou presque- à me reprocher ! Néanmoins, les descentes quotidiennes dans mon établissement commencent à me coûter du client… En plus, j’ai dû me débarrasser d’un stock d’alcool non déclaré. Le marchand qui me l’a racheté m’en a donné un prix ridiculement bas. Il savait que je devais m’en délester rapidement.
Le Seigneur lui adressa un demi-sourire qui se voulait sans doute compatissant.
-         Les Arkadiens sont un fléau pour notre Patrie ! déclara-t-il d’une voix emphatique. Mais, dites-moi, vous ne m’avez pas répondu précédemment. Connaîtriez-vous quelqu’un qui sache maniez l’épée et qui n’a pas peur de ses maudits envahisseurs ?
Et dont le voyage rémunéré jusqu’à Tern –à l’autre bout du Pays-, en évitant patrouilles, soldats et routes fréquentées tenterait, ajouta mentalement Airain. Mais qui serait assez stupide pour risquer de se faire arrêter de pareil individu. Après tout, sa couleur de cheveux était assez rare chez les Eldraks pour être remarquée, et son comportement dicté par une instruction bornée et tenace était suffisamment suspect pour intriguer n’importe quel individu un tant soit peu curieux.
-         Je ne sais pas, avoua l’Aubergiste –sans doute avait-il eu le même cheminement de pensée que le Ménestrel. Il faudrait que j’en parle avec les gars, ce soir… Je trouverais sans doute quelqu’un d’ici demain matin.
Le Noble inclina la tête.
-         Je te remercie pour ce service.
Puis, il se tourna vers le brun, qui commençait à s’endormir, avachi sur la table.
-         Ainsi, tu as publié un écrit que n’ont pas apprécié les envahisseurs. J’en apprécierais sûrement la lecture. Me diras-tu le titre de ton ouvrage ?
-         De l’origine et l’histoire d’Arkadia, répondit Airain, en surveillant la réaction de son interlocuteur. Tu l’as peut-être déjà lu ?
-         Non, avoua le blond, un air d’excuse plaqué sur le visage. Mais j’en ai entendu parlé.
-         En bien ?
-         En mal, ceux qui m’en ont fait le blâme étaient des Nobles, eux aussi.
« Eux aussi » ? Ne voulait-il pas plutôt dire « Comme moi » ?
-         Vraiment ? Qu’est-ce qu’ils ont dit ?
-         Que tu n’étais qu’un petit paysan stupide et arrogant, qui ne pouvait comprendre l’Intelligence suprême de leur Race à part. En substance.
-         Et toi, qu’est-ce que tu en penses ?
-         J’attendrais de l’avoir lu avant d’en faire une critique, si ça ne te dérange pas.
-         Cet échange est passionnant, vraiment, les coupa le Tavernier. Mais je vais devoir vous laisser, les clients commencent à arriver, et je dois tenir le comptoir. Vous prendrez quelque chose ?
-         Oui, amenez-nous deux verres de votre meilleur vin, acquiesça le Seigneur, en se laissant tomber sur une chaise, en face du brun. C’est moi qui paye, ajouta-t-il, devant l’air contrit et réprobateur du Ménestrel.
Publié le 28/06/2008 - Pas de modifications
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