Articles de As?lryn - La Gamine (1)
Retour au site de As?lryn
Pas d'article précédent - Article 1 sur 5 - Article suivant

Une nouvelle larme vient se disloquer sur les dalles humides.

 

La tête entre les mains, sa longue chevelure noire cachant son visage, elle pleure, comme jamais elle n’avait pleuré.

 

L’après-midi va s’achever, on entend les sons étouffés venus des quartiers commerçants, les flots en contrebas remuent paresseusement sous le souffle chaud d’une journée d’été. Rien ne bouge, seulement quelques sanglots fréquents, seule, elle pleure.

 

Jusqu’ici, papa et maman étaient toujours là pour calmer ses peines mais aujourd’hui, le malheur est incomparable. Elle ne veut pas les voir, les choses ne feraient qu’empirer.

Et ces questions qui lui martèlent le crâne, comme pour lui confirmer qu’elle ne rêve pas, comme pour laisser le champ libre au désespoir.

 

Pourquoi…

Mais pourquoi…

Pourquoi n’en suis-je pas capable ?

Pourquoi la Lumière ne veut-elle pas me répondre ?!

 

Le visage émacié du vieux frère Ornel lui revient en mémoire. Lui aussi fondait beaucoup d’espoirs en elle.

Elle lui avait causé une déception immense, mais certainement incomparable à celle de ses parents. Ils devaient être au courant à présent, frère Ornel devait les avoir prévenus. Elle ne voulait pas les voir.

 

Jamais elle ne connaîtrait l’harmonie dont ils lui avaient tant parlé, jamais elle ne marcherait sur leurs pas, jamais elle ne ferait leur fierté. Elle n’était plus qu’une pauvre ratée.

 

Elle reste assise au milieu de l’amas de caisses abandonnées au bord des canaux. Elle veut rester seule, elle pleure en silence. Que va être sa vie maintenant ?

Ses parents, tous deux paladins de l’Aube d’Argent, comment pourraient-ils vouloir d’une fille isolée par la Lumière, repoussée par celle-ci ?

Que doit-elle faire désormais ?

 

Les questions se bousculent toujours et la malmènent. Elles se pressent, la torturent, elle reste seule et pleure. Seule ? Non, pas vraiment en fait. Elle le croit juste.

 

Il l’observe depuis un moment, invisible grâce à cette technique mystérieuse qui fait toujours débat ouvert chez les sorciers. L’absence de magie semble les perturber, ils craignent ce qu’ils ne comprennent pas.

 

Il ne se montre pas. Il n’en a pas envie. Il ne sait pas ce qu’il pourrait lui dire en apparaissant soudain devant elle. Non, il attend. Lui aussi compte sur elle.

 

Les yeux embués, elle relève la tête après un long moment. Un nouveau sanglot lui secoue les épaules. La tristesse est la seule chose que l’on peut lire dans ses yeux gris.

Le soleil décline, la nuit va bientôt tomber. Si les rues de Hurlevent sont sûres de jour, la nuit les transforme en coupe-gorge. Elle se sent incapable de rentrer chez elle, incapable d’affronter ce qui l’y attend…

 

Elle plisse les yeux. Il y a quelque chose…

Elle ressent, plus qu’elle ne voit, la chose devant elle. Devient-elle folle maintenant ?

Elle préfère tendre la main en avant pour se rassurer.

 

 

Il sourit. Lui, elle ne l’a pas déçu. Lentement, il laisse les Ombres glisser sur lui et se révèle entièrement.

 

« - Salut Asélryn. »

 

Elle crie et recule contre le mur derrière elle. Elle essaie d’appeler à l’aide mais l’homme pose un doigt contre ses lèvres avec douceur.

Les cheveux bruns ébouriffés, le visage rieur mais marqué de légers cernes, la barbe bien coupée lui encadrant le visage. Il porte une armure de cuir sombre et elle devine les lames cachées en dessous. Il a tout d’un assassin mais ses yeux verts tentent malgré tout de la rassurer.

Il connaît son nom, elle ne sait comment, mais elle est certaine qu’elle l’a déjà vu. Oui, c’était il y a moins d’un an… Elle ne sait que deux choses sur lui : Papa le déteste et il s’appelle…

 

« - Sh…

- Shenak, oui c’est ça ! »

 

Il croise les bras et affiche un large sourire.

Elle se souvient. Il était venu à la maison un soir. Papa avait refusé de le laisser rentrer et lui avait crié dessus jusqu’à qu’il parte. Elle lui avait demandé qui il était et son père avait juste répondu « un indésirable » avant de changer de sujet.

 

« - Bon sang, treize ans ? Le jour de ta naissance me paraît si proche, et pourtant, on te donnerait plus en te voyant. Tu es très belle, tu sais. »

 

Elle ne sait que répondre, quelle attitude adopter face à cet homme. Il soupire en la voyant craintive.

 

« - Essuie tes larmes, ce n’est pas aussi grave que tu le pense. »

 

Elle ne le quitte pas des yeux.

 

« - Oui, bon. J’avoue que je t’ai observée presque toute la journée. Aujourd’hui était un grand jour non ? »

 

Elle ne répond pas. Lui non plus ne sait pas vraiment que dire pour la rassurer.

 

« - Hem... Tu… tu redoutes la réaction de tes parents après ton échec au test d’aptitude à l’appel de la Lumière ? Tu t’en fais trop, crois-moi. En t’observant, je ne pensais pas que tu échouerais… En fait, je l’espérais. »

 

Il accompagna ces mots d’un sourire énigmatique. Il lui faisait peur, mais sa présence avait tout de même quelque chose d’apaisant. C’était sans doute l’homme le plus contradictoire qu’elle ait jamais rencontré.

 

« - Si tu as pu me voir, alors c’est que j’ai vu juste. Je pense que tu as juste mal choisi ton chemin. »

 

Silence…

 

« - Tu pourrais au moins dire quelque chose. J’ai l’impression de parler seul. J’ai quelque chose à te proposer, j’y pense depuis un certain temps tu sais. Un grand homme a dit un jour : Là ou la Lumière échoue, les Ombres, des obstacles se jouent… »

 

Regard incompréhensif, le silence se prolonge.

 

« - Pas ces ombres-là ! Je ne te parle pas de devenir une sorcière ou une dompteuse de démons, non ! »

 

Il lui adressa une expression dégoûtée, vaguement comique pour tenter de la détendre mais ses yeux gris étaient toujours braqués sur lui, en silence. Il reprit alors un ton sérieux mais toujours en douceur.

 

« - Je ne parle pas des Ombres magiques, mais de celles qui attendent en silence, qui te rassurent, qui t’offrent un refuge et des possibilités, celles qui règnent sur la nuit, qui jouent avec les illusions, qui te font voir ce que personne ne voit, qui font même que personne ne te voit… Celles qui accompagnent ceux que l’on qualifie de voleurs. »

 

Asélryn écarquilla les yeux.

 

« - Les… voleurs… ?

- Ah ! Enfin tu ouvres la bouche ! Et oui, tu as tout compris. Depuis le temps que je t’observe, je suis sûr que tu serais parfaitement à l’aise parmi les Ombres. Oublie juste tous les clichés négatifs qui leur sont liés, c’est toujours moins nocif que de pratiquer de la magie !

- Mais qu… Hey ! »

 

Shenak l’interrompit en la prenant par le bras pour l’entraîner avec lui, un large sourire aux lèvres.

 

« - T’inquiète pas pour la suite, je suis persuadé que tu as du talent dans ce domaine ! J’ai du flair, fais-moi confiance. »

 

Asélryn fut emportée sans la force, ni le désir de s’enfuir, totalement désorientée, jusqu’à que Shenak n’ajoute la phrase qui eut le don de lui remettre les idées en place.

 

« - Et puis bon… j’peux pas laisser ma nièce seule dans un état pareil ! »

 

Sa nièce ?!

Publié le 24/09/2009 - Pas de modifications
Retour au site de As?lryn