Articles de Dohann - 2 - Dansant sur le fil des lames
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J'apprends de chaque combat. Même du combat le plus facile, le combat gagné d'avance, je peux tirer au moins une leçon. Je me rappelle de cette nuit où je n'ai pas tué sans être vu. On a raconté plus tard qu'un elfe insaisissable même par un regard s'est attaqué seul à une cité à l'étendard bleu orné d'une tête de lion, un elfe dansant sur le fil des lames. Voici donc le récit de cette nuit-là.

Cinq ans plus tôt.

Assis en tailleur sur un toit au cœur d'une cité humaine, mes yeux s'agitent à toute vitesse derrière mes paupières closes. Ma mission est terminée et je revis mon dernier combat, dissèque chaque geste, optimise chaque mouvement...

"Il me porte un coup d'estoc. J'esquive de justesse d'une rotation du buste. Je dois me servir du poids de mon ennemi... Je saisis sa lance avec ma main gauche et la tire vers moi d'un coup sec, ce qui l'amène tout près de moi. Maintenant je dois le déséquilibrer complètement. J'enchaîne tout de suite en frappant son cou du tranchant de ma main droite. Déséquilibré vers l'avant, il pose un genou à terre. Je..."

Ma concentration est soudain troublée par le vrombissement cristallin d'un objet tranchant s'abattant sur moi à grande vitesse. J'ai dû être repéré, qu'importe. Comme à chaque fois je garde les yeux clos et interroge les ombres sur le combat à venir. C'est un guerrier de très grande taille, un humain. Il m'a chargé en position de garde haute, il est en train de m'asséner un coup puissant, vertical, de haut en bas. Il est lent, bien moins rapide que moi en tout cas. Ce sera sa force contre mon agilité. L'énorme épée qu'il brandit de ses deux mains pataudes est trop lourde, il est déjà mort. Je le sais, jamais les ombres ne m'ont menti. Je garde donc les yeux fermés, il ne vaut pas la peine que je les ouvre. Le fil de l'imposante épée n'est plus qu'à quelques centimètres du sommet de mon crâne lorsque la paume de ma main droite vient frapper sèchement le plat de sa lame. L'arme est légèrement déviée de sa trajectoire, juste assez pour aller se ficher dans la poutre sur laquelle je suis toujours assis en tailleur, après avoir frôlé mon genou gauche. Il est vraiment puissant, je dois finir cette joute rapidement et ne pas commettre la moindre erreur. Le guerrier est presque deux fois plus grand que moi et porte une armure qui fera aisément ricocher mes dagues. Seul son heaume semble un peu moins épais que le reste... Je bondis sur mes pieds et me jette en avant, survolant dans toute sa longueur le métal tranchant dont l'extrémité est toujours prise dans le bois. J'atterris sur la garde volumineuse de la claymore et y cale solidement mon pied gauche. Afin de l'immobiliser je plaque fermement mes deux mains de part-et-d'autre de la tête du guerrier. Je sens son regard paniqué se poser tour à tour sur mon œil droit toujours fermé, puis sur mon œil gauche dissimulé derrière un cache-œil. Un sourire s'empare de mes lèvres tandis que j'envoie de toutes mes forces mon genou droit vers le visage de mon adversaire. L'impact est violent. Je sens la façade de son casque se fendiller puis céder, se froisser et enfin broyer son visage. Emporté par la puissance du coup l'humain s'arrache à mes mains, décolle légèrement et se voit projeté quelques mètres plus loin. Il ricoche et glisse pour finalement tomber du toit et s'écraser au pied du bâtiment dans un fracas peu discret. Le combat a duré environ trois secondes, entre le sifflement au-dessus de ma tête et le choc du colosse sur le sol.

Un milicien posté à environ trente mètres en contrebas évite de justesse le corps sans vie. Il lève la tête et aperçoit un elfe debout sur la garde d'une énorme claymore plantée dans la toiture d'un bâtiment. La légèreté surprenante de l'elfe et son aspect profondément sombre le rendent presque immatériel. Le garde entreprend alors de crier afin de sonner l'alerte, mais aucun son ne sort de sa bouche béante. Il observe la claymore, incrédule. L'elfe n'est plus dessus. Il entend un rire moqueur juste au creux de son oreille tandis que son regard se voile au fur et à mesure que son sang s'écoule le long de son plastron depuis sa carotide ouverte.

Il est temps de disparaitre, avant d'être identifié. Je marche à travers les ombres, ricochant de garde en garde sans qu'ils ne ressentent davantage qu'un léger souffle dans leur dos. Je suis hors de l'enceinte de la cité lorsque les corps mutilés sont découverts et que l'alerte et donnée. Ma monture m'attend silencieusement, je lui murmure quelques mots.

Un galop feutré dérange à peine la torpeur nocturne, une ombre s'éloigne dans un nuage de poussière.

Soudain un doute m'assaille. Un poids, une aigreur, une gêne, un regard. Un regard était posé sur moi durant ce combat et je ne l'ai pas senti... Quelqu'un capable de se dissimuler même face à un maître des illusions. Va-t-il parler de moi et de ce soir ? Peut-être. Peut-être pour me défier.

 

Dohann

Publié le 17/11/2009 - Modifié le 27/11/2009
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