Chapitre 11 ~~ L'unité d'élite était en fait constituée d'environ deux cents hommes, une vraie petite armée. Mais les différents secteurs ne se réunissaient que pour les opérations ; le reste du temps, les différents corps de disciplines s'entraînaient et dormaient chacun de son côté. ~~ Les deux cents hommes du corps d'élite se réunirent à l'extérieur de Shattrath, en début d'après-midi. Toutes les disciplines y étaient représentées. Stropovitch retrouva avec plaisir Thiwwina, qui l'accueillit en criant de joie. "Tu m'as manquéééééééééééé !!!" ~~ Le choc fut terrible. Les orcs tranchèrent dans le tas, mordirent, hurlèrent. En retour, des masses écrasèrent les crânes, des sorts carbonisèrent, gelèrent, empoisonnèrent, foudroyèrent, corrompirent. ~~
Darotân ne fréquentait vraiment que trois de ses camarades, qui étaient, bien entendu, loin d'être aussi excellents que lui, mais qui se démarquaient nettement du lot. Il y avait d'abord Runuur, un solide gaillard à l'air sombre, orphelin comme moi. Il ne parlait que rarement, et peu. Il avait toujours l'air de méditer sur des sujets graves. Il suivait toujours Darotân comme distraitement, en l'écoutant sans répondre. Darotân semblait l'estimer un peu. Ensuite, il y avait Nuraam, un type vif, nerveux, qui faisait preuve à l'égard de Darotân d'une admiration et d'un dévouement sans bornes. Il buvait ses paroles et ne savait qu'acquiescer. D'ailleurs il se tenait toujours étrangement penché quand il marchait à côté de lui, comme pour se diminuer, comme s'il était tenu en laisse.
Et puis il y avait Hama.
Quand elle avait fait son entrée dans la classe la première année, tous, élèves comme enseignants, s'étaient émerveillés de sa petite figure d'ange, de l'éclat immaculé de ses yeux, de la perfection de ses traits. Sauf Darotân, qui ne commence à regarder une personne que lorsqu'elle s'est illustrée. Or Hama était un petit bijou de finesse et d'intelligence. Donc l'orgueilleux finit par poser les yeux sur elle. Et décidé quelque temps plus tard, alors qu'il n'était qu'un enfant, qu'elle serait sa femme.
Il n'en cacha rien bien sûr. Les enseignants et les parents s'étonnèrent de la précocité de la résolution, mais s'en attendrirent aussi. La jeune Hama, elle, n'était pas encore éveillée aux sentiments amoureux. Tout ce qu'elle vit, ce fut ses parents et l'ensemble des adultes s'émerveiller de ce qu'ils feraient le plus beau couple du vaisseau. Car évidemment, Darotân était déjà connu de tous, et était communément reconnu comme un héros en éclosion, une future légende, un champion promis de la Lumière. Comme elle voyait que cela enchantait tout le monde, la petite Hama joua la fiancée avec plaisir. De toute façon, la compagnie de Darotân n'était pas désagréable. Sa conversation était d'un niveau remarquablement élevé pour son âge. Ils débattaient souvent ensemble de ce qu'ils lisaient dans les livres.
Mais Hama grandit. Je la vis - tous la virent - s'épanouir comme une fleur tropicale. Ses jambes s'allongèrent, très légèrement arquées, les cuisses finement dessinées par les exercices matinaux. Sa peau se teinta d'un bleu marine de velours - donnant une irrésistible envie de la toucher, de la caresser. Son dos se cambra délicieusement, mettant insolemment en valeur ses seins, qui se gorgèrent généreusement au fil des mois. Ses traits demeurèrent divins, d'un ovale parfait, et ses yeux conservèrent leur éclat d'une pureté remarquable - ses grands yeux, qui lui donnaient un air ingénu absolument craquant.
Elle ne se rendit pas compte du changement d'atmosphère qu'une telle explosion de beauté engendra. Avant, tous les autres garçons étaient déjà jaloux, certes, mais comme sont jaloux des enfants. Ils pouffaient même souvent en voyant Darotân se pavaner avec sa promise. Mais en ce début de cinquième année, c'était différent. Le futur époux sentait l'air vrombir d'hormones et de frustrations autour de leur couple. Il devint nerveux, anxieux. Il surveilla les moindres faits et gestes de chacun - ainsi que ceux d'Hama. De son côté, elle ne perçut pas cette lutte silencieuse de mâles en rut.
C'est donc tout à fait innocemment qu'elle vint m'adresser la parole ce matin-là, à l'issue de l'exercice.
Et avant qu'elle ne prononce le premier mot, je vis, derrière elle, l'air de Darotân.
Il était comme en état de choc. Il ne pouvait pas croire que c'était moi qu'il voyait en présence d'Hama. Il pouvait craindre n'importe qui, sauf moi, le muet, le Sans-Lumière. Jusqu'à ce moment précis dans l'horizon de ses rivaux je n'existais pas, il ne m'avait même pas accordé le statut de futur mâle reproducteur. J'étais une "chose" informe et dégoûtante, c'est tout.
Sauf qu'Hama m'avait vu, elle. Et qu'il était peut-être temps qu'elle se rende compte de certaines choses.
"Comme d'habitude, pas une seule goutte de sueur, hein", fit-elle en me détaillant. L'entraînement matinal ne me fatiguait guère en effet, il m'échauffait tout juste. Mes vêtements étaient tout juste moites. Ses yeux s'attardèrent un peu sur ma chemise puis elle dit : "Kalten est en repos en ce moment, en convalescence suite à une maladie vite guérie mais qui l'a vidé de ses forces". Je levai un sourcil. "Je me demandais si je pouvais en profiter pour assister à ton cours cet après-midi... par curiosité". Je levai le second et lui fis un signe de tête vers Arcân, pour lui conseiller d'aller demander la permission directement au maître. "Mais il me fait peur..." avoua-t-elle avec un air craintif et une petite voix - craquante. Je sus me contenir, alors que je ne l'avais jamais eue aussi près de moi. Je lui fis un sourire rassurant et fis un geste du bras pour l'encourager à me suivre. Elle hésita et m'emboîta le pas.
Arcân rangeait quelques affaires. Il observa avec étonnement Hama bredouiller laborieusement sa demande, les yeux rivés au sol. Quand elle eut enfin réussi il baissa brusquement la tête vers elle - ce qui la fit sursauter et bondir en arrière. Il se tourna vers moi et me demanda avec un air faussement étonné : "Tiens c'est drôle, apparemment je fais peur". Puis il se redressa et fit retentir un rire éclatant dans le Hall. "Ah la la, dit-il, hilare, évidemment que tu peux venir voir". Il ajouta sérieusement : "Moi je ne fais pas dans les petits papiers et les petits mystères de bibliothèque. Mon enseignement, il est fait pour être vu. Regarde ce gaillard là, s'exclama-t-il en me gratifiant d'une bourrade qui manqua de me faire tomber, regarde ces muscles là, c'est moi qui les ai forgés, c'est la moitié de mon enseignement, ça se voit bien non ?" Hama acquiesca timidement, détournant son regard de moi en rougissant quelque peu. Je ne savais plus où me mettre. "Quant à la seconde moitié, rien de plus simple !" Il ouvrit une malle non débarrassée de la veille et vida son contenu sur le sol : un mannequin pulvérisé. "Voilà ! En un coup ! C'est ça mes secrets, secrets de polichinelle hein ? Quand les gens voudront voir mon enseignement, ils auront qu'à regarder la carrure de mon élève et les cadavres déchiquetés qu'il sèmera sur son chemin ! Une belle bête, mon Stropo, hein ?" Il criait. "Je suis pas un maître, moi, je suis un éleveur de bêtes, c'est pas du fin, c'est pas du pinailleur du dimanche, c'est pas du philosophe ou du moraliste, ah ça non ma p'tite dame, c'est de la bonne grosse brutasse élevée au grain, rapide, efficace, silencieuse..." Il aperçut Darotân qui fumait de rage à l'entrée du Hall. Il conclut sa phrase d'un air goguenard en fixant le paladin : "...en bref un vrai mec quoi". Et il reprit le rangement de ses affaires en sifflotant.
Hama en profita pour déguerpir et revenir, hilare, vers Darotân. Lequel l'accueillit froidement et lui dit d'un ton sec - si claquant que je l'entendis : "Tu n'iras pas.
- Pourquoi ?
- Parce que tu n'iras pas !" cria-t-il.
Arcân fronça les sourcils et se redressa de toute sa stature en lançant un regard sans équivoque à Darotân : s'il haussait le ton une seconde fois sur Hama, il lui apprendrait la galanterie.
Le paladin frémit de rage. "Viens", lâcha-t-il. Il empoigna le bras d'Hama et l'emmena avec lui.
L'après-midi, elle ne vint pas.
A partir du lendemain, ce fut la guerre.
Stropovitch fit en effet le lendemain la connaissance de son chef de régiment, le Lieutenant-capitaine Mourghold Strongleg lui-même. C'était un nain à longue barbe grise tressée, au maintien aristocratique, à l'oeil sévère. Il se contenta d'abord de saluer le draeneï et de lui souhaiter la bienvenue de sa voix rauque. Puis il fronça le sourcil et s'approcha de lui. Il inspecta son armure. "Du cuir revêtu de maille, hein. Ecoute le bleu, j'comprends qu'tu sois à l'aise là-d'dans mais t'as intérêt à me chercher illico presto une tenue réglementaire - une vraie armure ! Tu veux qu'j'te dise pourquoi ?" Il le fixa d'un air grave. "Au premier coup qu'tu t'prendras d'un gangr'orc, tu comprendras. Sois déjà content que j'te laisse garder tes épées. Allez file".
Trouver une armure à sa taille ne prit que quelques minutes. Même pour un draeneï son gabarit était plutôt hors normes. Mais ils avaient en réserve de quoi le vêtir. Chemise et pantalon de coton pour le confort, armure de cuir à enfiler par-dessus, laquelle accueillait sur elle une cotte de mailles d'adamantite. Et encore par-dessus, à attacher par une batterie de sangles, c'était de la plaque simple, très épaisse, d'un blanc crème à reflets verdâtres - un de ces métaux étranges de la Draénor corrompue d'aujourd'hui. Il ramena le tout dans le dortoir. Il eut un peu de mal à tout enfiler, n'ayant plus l'habitude de ce genre d'équipement - l'époque d'Arcân était loin.
Le matin, il s'agissait juste d'exercices visant à maintenir les hommes en condition. Joannes accueillit Stropovitch et lui montra en quoi consistait chacun. Il était bien sympathique. Le guerrier en profita pour retrouver les sensations de son entraînement avec Arcân. Il ne serait jamais aussi rapide que sans plaque, mais il avait une force physique suffisante pour ne pas en être handicapé. Joannes l'observa de temps en temps, avec un air approbateur - Stropovitch en déduisit qu'il ne déméritait pas.
A la fin de la matinée Strongleg apparut, armé de pied en cap, avec masse une main et bouclier plus grand que lui. Il fit signe au régiment de libérer le centre de la salle. Il cherchait quelqu'un du regard. "Soldat Stropovitch, maintenant qu't'es bien échauffé, viens m'montrer c'que tu sais faire". Le draeneï s'avança. "Montre-moi comment tu t'y prendrais pour me tuer, là. Et fais pas semblant, c't'un vrai combat". Le guerrier n'avait pas l'intention de faire le dégonflé. Taper sur son maître ou sur son chef, ça revenait au même. Arcân lui avait appris à se battre contre lui sans se retenir.
Il dégaina ses épées et avança d'un bon pas au centre de la salle. Tout en marchant il analysa l'adversaire. Le nain devait lui arriver à la taille. Il était en armure complète, casque inclus. Avec un bouclier énorme et épais. Une boule de métal. Une carapace impénétrable.
Rien de plus facile.
Le draeneï ne s'arrêta pas et rengaina sa lame droite. Le nain en fut presque surpris ; il tenta de lui balancer un grand coup de masse dans les jambes - comme prévu. Stropovitch para de la lame qui lui restait dans la main gauche, et de l'autre asséna un terrible coup de poing sur l'avant-bras du nain - qui en lâcha son arme - et enchaîna avec un coup d'épaule direct, qui rencontra le bouclier - parfait. Mais le draeneï y avait mis tout son poids et sa force : le nain recula de deux mètres et en tomba sur les fesses. Le guerrier aussitôt passa sa lame en main droite et saisit de la gauche le bouclier par le bord supérieur, et le tira sauvagement de côté - le nain ne le lâcha pas, mais en tirant ainsi Stropovitch eut accès à la cuirasse, qu'il gratifia d'un coup de sabot droit magistral - le nain recula encore de deux mètres, et cette fois le bouclier resta dans la main du draeneï, qui le balança. Il est temps de conclure. Avant que le lieutenant puisse se relever, il se rua sur lui, lui choppa le bras droit, le tira à lui et appliqua la pointe de sa lame sur un endroit du corps qu'il est impossible de recouvrir de plaque si l'on veut encore bouger le bras - l'aisselle. Son épée était bien dans l'axe du coeur. Il suffisait d'un coup sec pour trancher net la maille et plonger dans la poitrine du nain.
L'assemblée était admirative.
Stropovitch rengaina et alla tranquillement ramasser la masse et le bouclier, qu'il rapporta au chef. Ce dernier se releva, encore un peu sous le choc, le souffle court. Il reprit ses esprits, et commenta : "Bien bien, t'hésites pas, tu sais quoi faire, t'es pas un rigolo, t'es rapide, y a de l'idée et un souci d'efficacité dans ta façon d'te battre, mais ton meilleur atout reste cette force physique infernale, y a pas à chier, rarement vu ça. Tu es digne de faire partie de mon régiment". Il ajouta avec un sourire : "Mais c'était un test hein, va pas croire que tu m'exploserais aussi facilement si je te montrais ce qu'un paladin sait faire". Stropovitch hocha la tête avec respect - je m'en doute bien. "C'est juste que ça s'rait pas très utile pour cet après-midi puisque nous allons raser un camp de gangr'orcs et que ces bestioles-là, la Lumière ça connaît pas. Y en a qui s'prennent pour des démonistes, et à part ça y a qu'des brutes ; mais bon parfois, des brutes en plaque. Allez rompez. Soyez prêts à 13 heures." Il sortit.
Aussitôt la porte refermée des applaudissements et des "Bravo !" fusèrent. Les doutes étaient levés. Ils avaient tous compris que Stropovitch n'était pas là par hasard. Beaucoup vinrent lui serrer la main. On lui bourra amicalement l'épaule. On lui offrit à boire. On commenta le combat, l'originalité, la rapidité et la force du Barge. On manifesta de l'impatience de combattre à ses côtés.
Stropovitch s'était intégré.
Ils mangèrent en se préparant mentalement au massacre de l'après-midi.
Les camarades du draeneï la considérèrent avec surprise. "Alors c'est elle ?", entendait-on chuchoter. La rumeur disait que la championne d'arène en titre s'était enrolée.
Thiwwina fit signe au guerrier de se baisser. Il s'exécuta. Elle lui dit tout bas : "De ce que z'ai entendu c'est zuste des ruines qu'on va vider avec que des gangr'orcs de bas étaze dedans, on pourrait tous se les faire rien que nous deux". Stropovitch la regarda en levant un sourcil d'un demi-millimètre. "En fait mon plan c'est zustement qu'on se les fasse à deux".
Il s'éberlua. "Ben vi on s'éclipse discrètement, on rase tout et on accueille les troupes à leur arrivée. T'en es ?" Elle le regardait en jubilant de son plan, des étincelles dans les yeux.
Le draeneï prit un air amusé et griffonna une page de cahier, qu'il lui tendit. "Au fond tu penses même pouvoir tout raser toute seule, mais tu te cherches un complice, c'est ça ?" Elle releva le nez du papier et lui sourit de toutes ses dents. "Z'avoue. Tu m'en veux ?" Il lui fit signe que non, hilare.
Les deux cents autres soldats les observaient avec grande perplexité.
Strongleg arriva en s'annonçant de lui-même par sa voix détonante. "Bon la bande de ramollis, aujourd'hui on commence toute une campagne cont'les gangr'orcs et vous en êtes le fer de lance". Certains soldats ouvrirent de grands yeux. "En effet ! Vous savez tous qu'un orc devient un gangr'orc sous l'influence de sang d'démon. Et pas d'n'importe quel démon. Il s'agissait de Mannoroth. L'aut' là, Grom Hellmachin, l'a buté, fin de l'histoire. Mais en fait non. On a mis un moment à s'en rendre compte, parce qu'on sait pas combien il en restait sur Draénor, des gangr'orcs, mais maintenant c'est sûr, leur nombre grandit. C'était déjà pas terrible que, libérés de la domination du démon Magtheridon, ils s'retrouvent sous la coupe d'son vainqueur - Illidan - mais si en plus ce dernier a trouvé un aut'démon à saigner, là on va pas rester les bras croisés. Aujourd'hui l'objectif est d'raser des ruines pleines d'orcs du clan Bonechewer - enfin si ça a encore un sens de rappeler leur clan. Ils y récupèrent des débris d'machines de guerre. On va pas faire dans le furtif, hein, c'est pas loin. On y va, on encercle, on tue tout et on repart. Pour ceux qui connaissent pas encore ces bestioles, ça vous permettra d'faire connaissance. Allez zou".
Ils marchèrent deux petites heures. Strongleg fit signe à un moment de s'arrêter. Il divisa la troupe en quatre groupes où les représentants des différentes disciplines étaient bien répartis. Il rappela le mot d'ordre : ne laisser aucun orc s'enfuir. Puis il demanda à des éclaireurs de faire contourner les ruines par trois des groupes pour les placer à l'est, à l'ouest et au sud du camp. Le groupe de Stropovitch patienta, le temps que les éclaireurs confirment que tout le monde était en position.
Le draeneï, en retrait, en profita pour regarder les membres de son groupe. L'un d'eux surtout. Un elfe de la nuit qui avait l'équipement et l'allure d'un assassin, un de ces êtres spécialisés dans les opérations furtives - il n'était pas dans son élément et ça se voyait à son expression. Mais ce qui intéressait surtout Stropovitch, c'était son pansement au flanc, sanglé de bandages. Exactement là où il avait blessé son fameux voleur, à Rempart-du-Néant.
L'elfe sentit le regard du guerrier et tourna la tête. Leurs regards se croisèrent une demi-seconde, puis l'assassin détourna les yeux.
Stropovitch sourit. C'est lui.
Des fusées s'élevèrent dans le ciel pour confirmer les positions. Strongleg en alluma une autre pour donner le signal de l'attaque.
Stropovitch courut. Ce n'était pas pour le "plan" de Thiwwina, ce fut un élan soudain, une exaltation. Il dépassa tous ses camarades et pénétra en trombe dans la clairière.
Des orcs à la peau et aux yeux rouge vif. De longues pointes le long de la colonne vertébrale et sur le dos de la main. Juste devant, là, une dizaine d'entre eux démontait un engin de siège. Ils étaient torse nu. Juste bons à se faire hacher.
Le guerrier fondit sur eux, et fit entrer une épée en oblique dans le crâne du premier.
Elle n'alla pas bien loin. Le cuir était si épais que la lame avait perdu toute sa force à le trancher et était restée encastrée dans la boîte cranienne.
Stropovitch fit un bond en arrière, abandonnant son arme, pour éviter le coup de poing qu'allait lui décocher l'orc en retour. Les dix bêtes grognèrent. Leurs yeux s'allumèrent. Une sentinelle arrivait à la rescousse en criant l'alerte.
En effet, c'est plus coriace que prévu.
Mais au moment où les orcs allaient se ruer sur lui, leurs pieds furent gelés au sol. Thiwwina venait de se téléporter à côté de Stropovitch. "Faut se réveiller mon grand, dit-elle de sa voix fluette en transformant en tortue la sentinelle. T'as quand même pas l'intention de me laisser la place de star de la zournée ?" Elle lui décocha un grand sourire étincelant, tandis que, sans avoir l'air d'y regarder, elle enveloppait les dix orcs d'une chape de froid. Frigorifiés, ils n'arrivaient même plus à mettre un pied devant l'autre. "Zoupla c'est parti !!! Et de dix brossettes d'orc, dix !" A un rythme dément, elle se mit à faire apparaître dans ses mains des javelots de glace qu'elle balançait avant même qu'ils soient complètement formés. Transpercés de part en part, un moment hébétés, les orcs s'abattirent tous d'un bloc avec de faibles gémissements.
"Trop facile", conclut-elle en infligeant le même sort à la sentinelle.
Stropovitch, blessé dans son orgueil, alla retirer son arme du crâne gelé de l'orc. Des clameurs retentissaient dans les ruines. Les orcs s'armaient, préparaient une défense. Dans son dos, le guerrier entendit le reste du groupe pénétrer dans la clairière.
Soudain, des centaines de gangr'orcs sortirent des ruines et se ruèrent dans leur direction en hurlant. Toute la forêt en retentit.
Stropovitch entendit Strongleg crier : "Bon, ça c'était pas prévu, le nombre, et qu'ils nous fassent le coup de la charge. Tenez bon jusqu'à ce que les autres groupes rejoignent la mêlée."
Le cuir est épais, mes coups doivent être appropriés. Stropovitch ne frappa plus du tranchant ; il pointait sa lame et la faisait entrer d'un coup sec dans la chair. C'est ainsi qu'il entama sa danse macabre. Avec une rapidité en théorie impossible à atteindre vêtu de plaque.
Celui-là me porte un coup oblique, épée courte, main droite - basique. Je pare, pointe, ma lame plonge dans le coeur, les os du thorax craquent. C'est de la viande solide comme du roc. Mon poignet fatiguera vite. Un grand coup horizontal de hache à deux mains - je me jette à genoux, me renverse en arrière - le tranchant me frôle le nez - aussitôt qu'il passe, je me redresse - dans la fin du mouvement, il a le bras droit le long de la poitrine - pas grave, gorge offerte - gorge ouverte. J'entends le reste de mon groupe moissonner derrière. Je roule de côté pour éviter un autre coup. Je me retrouve dans leurs jambes. Je tranche quelques tendons. Cris de souffrance aigüe. Me redresse. Un orc lève les bras pour abattre sur moi une grande épée. J'arrête son geste en bloquant ses poignets au-dessus de sa tête du tranchant de ma lame gauche ; de la pointe de la droite lui crève les deux yeux ; il ouvre la bouche pour crier ; lui enfonce la lame dans la bouche, traverse le palais, un moulinet dans le cerveau, mort. Deux derrière lui, qui frappent en même temps. Me jette au sol la tête en avant, roulade entre les deux. Leurs lames se sont abattues. Une demi-seconde de répit avant qu'ils ne les relèvent. Je pointe et enfonce ma lame droite dans le dos de l'un, à l'endroit du coeur - l'autre se tourne et frappe à nouveau - j'abandonne mon arme - la retirer d'une viande pareille prend bien deux secondes, pas le temps - pare de la lame gauche, lui balance mon poing dans la figure, ça lui pète le nez. Le temps qu'il s'en remette, je retire ma lame, un bond en arrière pour éviter le coup d'un nouveau participant, lui tranche l'intérieur du coude au passage - la chair y est plus tendre - il râle, baissé, le sang coule en quantité - je lui balance un bon coup de sabot dans la tête - je reviens sur le précédent, me jette à genoux pour esquiver son coup horizontal, lui enfonce en les croisant mes deux lames en plein dans le bide - les écarte - m'entends crier sous l'effort - l'éventre complètement. Du sang épais et bouillonnant gicle sur moi et se répand en flots à terre. Derrière moi, les soldats de Strongleg décime les lignes ennemies. Je conserve mon avance. Je traverse. En égorge, en étripe, tranche, transperce, empale. Mes poignets fatiguent. Là je pare une grande lame de mes épées croisées, en accueillant le tranchant au croisement de mes armes ; l'orc appuie de toute sa force pour me mettre à genoux ; il me sous-estime ; je tiens bon, peux même lever une jambe et lui balancer un coup de sabot sur le genou gauche. Bien administré, ça pète l'articulation. Il s'effondre en beuglant, une jambe pliée à l'envers. Enfin je suis passé. Je vois le chef derrière, qui gueule, qui hurle des sons inarticulés. Il me voit. Il empoigne une gigantesque hache, l'abat sur moi de toute sa rage. Je ne pourrai jamais parer ça à une main ; je croise encore mes lames pour parer avec les deux ; mais je n'ai vraiment plus de poignets ; il réussit, lui, à me faire mettre genou à terre ; mes bras tremblent ; le tranchant de la hache se rapproche de mon visage.
Mais soudain l'orc crie et s'effondre mollement. L'elfe... comment a-t-il réussi à traverser les lignes, lui ? Et à se glisser dans le dos du chef ?
Il vient m'aider à me relever. Il a un air grave. Il me dit : "Je m'appelle Farôn. C'est un honneur pour moi de faire ta connaissance".
Ce genre d'énergumène ne prend jamais la parole qu'en des circonstances importantes. Stropovitch hocha la tête avec respect et s'inclina du mieux qu'il put, malgré qu'il soit fourbu. Derrière lui le silence se fit quelques secondes, suivi de clameurs. Ils avaient gagné - et devant le draeneï les trois autres groupes arrivaient à peine.