Articles de Asteroth - La Marche de l'Assassin
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[Dernier écrit au rythme soutenu, sur une musique puissante et cultissime.
J'ai nommé

Carmina Burana]





Il se tient, là, le regard absent, le visage impassible, sans sourire ni grimace. Il se tient droit, encore fier, avant de se lancer.

Il est en train de faire le vide. Il sait qu’une fois le premier pas effectué, il ne pourra plus reculer, et qu’il risque d’y laisser la vie.

Il sent le poignard froid au contact de l’avant-bras, dissimulé par ses manches amples. Il jette un dernier regard solennel à l’interminable ruelle qui s’allonge devant lui et qui le mènera jusqu’à la foule et au Suprême. Hésitation. Mais le pas a déjà été franchi…


La marche est entamée. Il tente de maintenir la vacuité de son esprit, d’oublier le plus possible l’acte qu’il s’imagine réaliser à chaque instant. Il sait qu’il s’agit d’une vaine entreprise, mais il sait qu’elle peut être salutaire. Il marche voûté, la tête baissée, il fixe le sol qui défile quelques mètres devant ses pieds. Il est concentré et ignore le monde entier qui l’entoure. Il tente d’annihiler ses pensées, de chasser nervosité et hargne, de masquer haine et précipitation dans ses gestes. Ses pas sont lourds, lourds comme le fardeau qu’il s’est décidé à porter, et bientôt, à supporter. Il percute passants et anonymes sans état d’âme. S’ils savaient. En avait-il une au moins, d’âme ? En aurait-il encore une ?
Il a l’impression d’être un pantin. Il est un pantin. Pantin de lui-même. Lui-même tire les ficelles de son propre pantin. Le pantin n’a pas d’âme, son âme à lui est loin, mais le manipule. Il doit être un pantin. C’est ainsi qu’il aura plus de chances de parvenir à ses fins. Mais quelle fin l’attend ? Que lui réserve le destin ? L’épargnera-t-il malgré son crime ? Il y a tellement peu de chances. Ne pas penser. Un pantin.
Je dois être un pantin. Qu’importe ce qui m’attend, je dois le faire. Ne pas regarder le bout de cette ruelle, ne pas fixer ce destin en face. Le fuir du regard pour ne pas le fuir de mes pas.
Il a du mal à garder une cadence constante. Il commence à trembler. Ses mains se font moites. Il les frotte fébrilement sur sa tenue pour se débarrasser de cette humidité. Il se rend compte qu’il est en train de se trahir. Il est en train de perdre progressivement le contrôle. Il sait qu’ils se doutent de quelque chose. Le Suprême, le Maître-Mage, a dû sentir quelque mauvaise intention future, quelque destin funeste. Mais pour qui ?
Lui sait que certains hommes observent. Il sait que ces observateurs tentent de le dénicher, sans même le connaître. Il doit être un passant, mieux, un pantin. Il doit être impersonnel. Il ne doit pas trahir ses intentions. Il doit se fondre dans la masse. Il doit cacher cette dague à tout prix, pour la loger là où il faut.
La foule s’est densifiée, il approche. C’est fini, il a perdu le contrôle. Sa cadence a accéléré sans qu’il ne s’en rendre compte. Son avant-bras le démange. Ses traits se déforment. Il pense. Il pense au meurtre. A la haine. Il transpire. Il doit tuer, mais il se sent observé.

Il sait ! Il sait qu’ils ont compris ! « Il est là ! » Son cœur s’est emballé, ses pas plus encore ! Il se penche à demi et se met à courir à tout rompre ! Des silhouettes fendent la foule dans tous les sens pour ne pas le perdre. Il a aperçu les chevaux, il ne lui manque que quelques dizaines de mètres ! Il bifurque dans un chemin dégagé à l’ombre des encorbellements. Il halète sous l’effet du stress. La foule s’agite sous les mouvements furieux des poursuivants. « Où est-il ?!! » Il replonge dans la multitude en empruntant une autre rue bondée.
Poussez-vous !! Ecartez-vous !! Je percute les inconnus sans ménagement, je joue des coudes à leur en briser les os ! Je dois passer ! Laissez-moi passer !! Je heurte, je frappe ! Laissez-moi ce tyran !!
Une main l’agrippe ! Il assomme d’instinct et cavale ! Il débouche derrière le cortège. Il n’hésite plus ! Les poings écartent les badauds !
La pagaille est totale ! Les mages ne savent pas d’où vient la menace. Les observateurs crient dans tous les sens !
Plus personne ! Il aperçoit le vieux Suprême sur sa monture ! Il doit en finir ! Eliminer la magie ! La vie de tous en dépend !! Il sait que les deux mages de l’arrière-garde se sont retournés !
Je me jette sur le cheval du premier ! Plante ma dague dans son flanc ! L’autre est bien trop vif ! Il réagit, je le vois murmurer en esquissant un geste et un poing invisible me projette en arrière !

Tout est perdu… tout est perdu… je sombre ! Je sombre ! Je sombre… et il fait noir.

Publié le 12/09/2008 - Pas de modifications
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