Rien.

Elle avait fait tout ce voyage pour rien.

Plusieurs personnes lui avaient confirmé : il n'y avait aucun village troll dans la région, et s'il y en avait eu un jour, ça remontait plus loin que la mémoire du plus vieil habitant de Long-Guet - et un gobelin, ça vit vieux.

- Umut, si tu veux manger, il faut vraiment que tu attaques cet ours.

Le raptor la regarda avec un brin d'hésitation. Depuis une semaine qu'ils étaient arrivés dans ce pays froid, il avait senti le moral de sa maîtresse chuter de plus en plus bas... même si l'idée d'attaquer un ours ne le faisait pas sauter de joie, il ne voulait pas lui faire encore plus de peine.

Il s'élança donc sur la bête, et le combat commença. L'ours s'avéra moins redoutable qu'il n'y paraissait, et le raptor en vint rapidement à bout - seul, car Rüya n'avait pas levé son arc... Umut attendit un instant puis se mit à dévorer le poitrail de l'ours, tendit que la trolle, qui s'était finalement rapprochée, lui grattait machinalement la tête.

- Tu sais Umut, il va falloir que je parte vers le Norfendre. D'après le vieux de Grom'Gol, c'est là que j'ai le plus de chance de retrouver mon clan (...ou ses ruines, continua-t-elle mentalement). Et, ne le prends pas mal, mais je pense qu'il serait plus sage que ce soit Akrep qui m'accompagne là-bas...

L'animal leva le regard sur elle ; bien sûr, il savait qu'il n'était là qu'en "substitution", en attendant que sa maîtresse puisse retrouver son vieux compagnon... mais quand même, l'idée de se retrouver dans une écurie l'inquiétait quelque peu.

- Ne t'inquiète pas, tu ne seras pas tout seul là-bas. Et Oruhe s'occupe très bien de ses pensionnaires.

Le raptor poussa un grognement résigné, et emboîta le pas à la trolle qui repartait vers le village gobelin.

Rüya poussa la porte de l'auberge et se dirigea vers le tenancier. Celui-ci comprit d'un regard et lui présenta aussitôt sa note, qu'elle régla avant d'aller faire son paquetage. Quand elle fut sûre de n'avoir rien laissé derrière elle, elle prit en main sa pierre de foyer, et activa le sort qui devait l'envoyer à Shattrath. Le chemin qui s'ouvrait devant elle lui paraissait bien sombre.

Shattrath - rare havre de paix de l'Outreterre, étape obligatoire de tous les aventuriers d'Azeroth. Là où elle avait laissé ses compagnons il y avait déjà trop longtemps.

En arrivant devant l'écurie, Rüya eut un instant d'hésitation. Allaient-ils lui en vouloir de cette si longue absence ? Elle entra.

sssssssssssshhhhh...

Schtonk !

Rüya venait de tomber à la renverse sous la charge d'un vieux sanglier

- Akrep ! oh pardonne-moi de t'avoir laissé ici si longtemps...

Le sanglier semblait déjà l'avoir pardonnée, puisqu'il tournait maintenant autour d'elle, la queue frétillante, tandis que Shaka et Sayla, deux félins, s'approchaient en ronronnant.

Rüya laissait couler ses larmes, toute au bonheur de retrouver ses familiers - et surtout  Akrep, son compagnon de la première heure, celui qui lui avait si souvent sauvé la vie.

- On va repartir tu sais. Ce sera dangereux, mais tu as l'habitude, n'est-ce pas. Je ne te laisserai plus jamais derrière moi, à moins que tu n'aies besoin de repos.

Petit à petit, la trolle reprenait contrôle sur ses émotions, et réfléchissait à son prochain voyage. De Shattrath, un portail magique lui permettrait de regagner Orgrimmar en un clin d'oeil ; ensuite, il lui faudrait emprunter un zeppelin en direction du Norfendre... Elle ne savait rien de ce continent, sinon que peu de gens s'y étaient aventurés depuis qu'Arthas y avait établi son trône il y a plusieurs années. Mais depuis quelques mois, les éclaireurs de la Horde et de l'Alliance avaient rapporté une recrudescence de l'activité des morts-vivants, ce qui avait conduit Thrall et Jaina à lever une armée pour aller affronter le traître. L'ambiance entre Horde et Alliance n'était certes pas au beau fixe, et les aventuriers débarqué là-bas passaient autant de temps à s'entre-tuer qu'à combattre leur ennemi commun - les idiots - mais accompagnée d'Akrep, Rüya se sentait de taille à affronter n'importe quoi.

Après avoir remercié Oruhe, quiavait pris soin de ses familiers depuis son départ, Rüya se dirigea vers la place centrale de Shattrath, où elle emprunta le portail pour Orgrimmar.

- Bon, voyons... Sayla, Shaka Umut, je vous laisse le choix : l'écurie d'Orgimmar, ou bien une écurie quelque part en Norfendre. Je ne suis pas sûre qu'il y ait beaucoup de confort là-bas, alors si vous préférez rester ici, je comprendrai.

Les trois familiers échangèrent un regard, puis vinrent se serrer autour d'elle.

- Vous êtes adorables... j'espère que vous ne le regretterez pas. Allons prendre ce zeppelin !

La petite "famille" se mit en marche vers la sortie de la ville. La trolle se sentait apaisée à marcher ainsi dans cette ville si familière... toujours autant de monde devant l'hôtel des ventes, et toujours autant d'étrangers parlant un langage bizarre - un mélange d'orc et de ...? - donnant à la ville cet aspect cosmopolite qui faisait sa renommée.

Alors que Rüya atteignait le haut de la tour d'envol, un zeppelin se mettait justement à quai. Elle embarqua prestement avec ses compagnons, un léger frisson lui parcourant le dos. Elle se concentra un instant pour localiser ses enfants, en tâchant de ne pas les laisser détecter son esprit ; très vite, elle trouva Inka aux Pitons du Tonnerre, et Hayat quelque part au Nord - sa fille aînée était donc déjà en Norfendre - il lui fut plus délicat de trouver Hediye, et une vague d'inquiétude monta en elle, jusqu'à ce qu'elle repère sa présence à Sen'Jin. Rassurée sur le sort de ses traullens, Rüya regarda la mer défiler sous le zeppelin et se laissa bercer par les souvenirs de précédents voyages.

Elle sursauta quand le zeppelin ralentit à l'approche de sa destination ; perdue dans ses pensées, elle n'avait même pas remarqué qu'elle n'était plus au-dessus de l'océan. Le vaisseau s'arrêta dans une forteresse orque, et les voyageurs descendirent. Rüya suivit la foule, jusqu'à repérer un service d'hébergement (le mot "auberge" suggère un minimum de confort que n'offrait pas la caserne). Elle demanda une paillasse et s'y allongea de suite ; l'exploration du Norfendre pouvait bien attendre, elle avait besoin de dormir.