Les yeux fixés vers le large, Rüya se tenait, droite, figée, sur la grève des Sombrelances. C’est ici que sa vie en tant que Frozenfang avait commencé, quand Djhanak l’avait recueillie après que les courants l’eussent déposée ici. C’est ici que sa vie allait s’achever. La Tribu était morte, détruite par des querelles stupides. Deux fois orpheline, elle n’avait plus l’envie ni la force de vivre.

Lentement, elle se débarrassa de son armure et de tout son équipement, les laissant en tas sur le sable. Elle s’avança lentement dans l’eau, s’allongea à la surface, et confia son âme à la mer.

Rüya se laissait porter par les flots. Depuis combien de temps ? Elle n’en avait aucune idée. Elle commençait à ressentir la faim, cela faisait donc plusieurs heures qu’elle avait confié sa vie à l’océan. La présence d’Akrep lui manquait, mais elle savait qu’Oruhe prenait bien soin de Shaka, Sayla et lui.

Elle sentit l’esprit de Hayat qui la cherchait, et perçut son inquiétude. Comment sa fille avait-elle pu si vite se rendre compte de son départ ? Dans le désordre de ces derniers jours, elle aurait juré que son absence passerait inaperçue.

- Maman ! Où es-tu ? Quel est ce froid autour de toi ?

- Ce n’est rien Hayat. Je pars à la recherche de notre clan. J’aurais dû faire cela il y a longtemps ; je me suis endormie dans le confort de la Tribu, et en faisant cela j’ai trahi nos ancêtres. Aujourd’hui je tente de me racheter. Ne confie jamais ton cœur à des étrangers Hayat. Ne sois fidèle qu’à toi-même.

- Mais Maman, tu m’as toujours dit…

- Je me suis trompée. Veille sur ton frère et ta sœur, ils ont besoin de toi. Je ne serai jamais loin de toi.

Rüya ferma les yeux. Elle aurait voulu pleurer, mais les larmes ne vinrent pas. Elle n’avait plus pleuré depuis le jour où Djhanak l’avait recueillie près de Sen’Jin. Même lorsqu’il avait quitté la Tribu en compagnie d’autres Anciens, son cœur avait saigné mais ses yeux étaient restés secs. Aujourd’hui elle était complètement seule, même ses enfants ne pouvaient pas apaiser sa douleur.

Elle espéra la mort, mais celle-ci ne vint pas, malgré le froid de l’eau et l’absence de nourriture. Au lieu de cela, l’eau devint plus chaude au fil des jours, et finalement Rüya aperçut une plage, vers laquelle le courant l’amenait. Ce n’était pas le décor qu’elle avait quitté de longues années plus tôt. Par contre cet endroit lui semblait vaguement familier. Elle se concentra sur tous ses sens, et fut bientôt certaine que des trolls se trouvaient sur le rivage. Cette odeur de mort… des Bloodscalps ! Elle était à Strangleronce.

- Ma petite, t’aurais aussi bien fait de prendre le zeppelin depuis Orgrimmar, si c’était pour arriver ici…

Rüya poussa un soupir. Puisque la mort ne semblait pas vouloir d’elle pour l’instant, elle allait entamer des recherches sérieuses pour retrouver son clan.

Elle continua de faire la morte jusqu’à ce que la mer la dépose sur le rivage. Elle était affaiblie par sa traversée, et mieux valait qu’elle ne soit pas repérée par les Bloodscalps, pas franchement hospitaliers (d’autant plus que quelques années plutôt, elle en avait massacré quelques dizaines sur ordre d’un habitant de Grom’Gol, et que l’un ou l’autre des survivants pouvait s’en souvenir). Grom’Gol… pourquoi pas entamer ses recherches là-bas ?

Rüya prit pied sur la plage proche du village Bloodscalp. Elle s’assit un moment, cherchant comment trouver de quoi se nourrir. Pas question de chasser, tout son équipement était resté sur la Grève des Sombrelances. Elle eut une pensée pour Ray’Jin, qui l’avait sûrement trouvé et mis en sûreté au village. Elle se releva et avança prudemment vers la jungle, où elle trouverait certainement des fruits… à condition de ne pas se faire repérer.

Titubante, Rüya avançait prudemment. Sa tenue était loin d’être idéale pour se camoufler, et la fatigue (et peut-être aussi le rhum de Rumsey trouvé sur la plage, sûrement perdu par un navire échoué plus loin) lui troublait la vue. Enfin, elle atteint un arbre porteur de fruits ; pas franchement mûrs, mais ce serait toujours mieux qu’avoir l’estomac vide. Après avoir avalé quelques fruits, elle s’allongea au pied d’un arbre pour se reposer quelques instants.

Lorsqu’elle s’éveilla, le soleil était couché. Elle se concentra sur les bruits environnants, mais ne perçut rien qui lui indiquât la présence d’un réel danger. Quelques raptors et autres tigres, qu’elle aurait du mal à battre à la course vu son état, mais il lui suffisait de faire attention au vent pour ne pas être repérée. Elle se leva doucement, chercha à s’orienter et commença à marcher. Heureusement qu’elle avait longuement arpenté la région des années plus tôt, car elle n’avait pas de carte sur elle, et n’avait jamais su s’orienter grâce aux étoiles (ce qui faisait d’ailleurs le désespoir de son maître). Elle continua sa lente progression à travers la jungle, jusqu’au lever du jour. Elle chercha alors un nouvel abri, et grignota quelques fruits. Elle s’endormit dissimulée dans un buisson.

Elle s’éveilla après quelques heures. Elle but une gorgée de rhum pour étancher sa soif, résistant à l’envie de vider la bouteille ; il lui faudrait probablement deux ou trois jours pour atteindre Grom’Gol, il lui fallait donc économiser sa maigre réserve. Elle cherchait de quoi fabriquer une hache de fortune, lorsqu’elle aperçut un troll à quelques dizaines de mètres devant elle. C’était l’occasion de s’entraîner au combat rapproché… elle avança lentement, jusqu’à se trouver derrière le troll, et lui assena un violent coup sur le crâne ; le troll s’effondra, inanimé.

- une vraie technique de voleur, se dit-elle. Elle avait mis toutes ses forces dans cette attaque, mais au moins le résultat était là. Elle fouilla dans les affaires du troll, qu’elle identifia comme un Bloodscalp au collier qu’il portait, et y trouva une petite hache. Pas de très grande qualité, mais manifestement récemment affûtée, elle lui permettrait de se défendre si jamais un ennemi ou un animal la repérait. Satisfaite, elle continua sa route.

A la fin du troisième jour de marche, elle aperçut enfin le campement de la Horde. L’idée de dormir le soir dans une auberge confortable lui redonna un peu d’énergie, et elle franchit rapidement les derniers mètres la séparant des palissades.

Après une longue nuit de repos dans ce qui tenait lieu d’auberge à Grom’Gol, Rüya se leva péniblement. Tous ses muscles étaient endoloris, et elle avait plusieurs jours de diète à rattraper. Elle demanda à l’aubergiste de quoi se nourrir, lui promettant de lui rendre quelques services en échange – elle n’avait pas d’argent sur elle. Devant son aspect, l’orc lui offrit de bon cœur un repas, sans lui demander quoi que ce soit en échange.

Un peu requinquée, Rüya sortit du camp et cueillit quelques plantes aux alentours, dans l’espoir de les échanger contre de quoi écrire. Une vendeuse accepta de lui fournir en échange parchemin, plume et encre. Rüya s’assit dans un coin et commença à rédiger sa missive.

Ray’Jin,

Je suppose que tu as trouvé mon armure et quelques bricoles sur la plage peu après mon départ. Tu as dû te faire du souci et aujourd’hui je m’en veux de t’avoir causé cette inquiétude, mais ce jour-là, je ne souhaitais qu’une chose : que la mort vienne m’arracher la douleur qui broyait mon cœur.
Je ne sais pas trop comment, mais je suis arrivée au village de Grom’Gol, en Strangleronce. Pourrais-tu m’y adresser mes affaires ? Je vais partir à la recherche de mes ancêtres. Je n’oublie pas pour autant Sen’Jin, et tout ce que toi et ta famille avez fait pour moi. Mais j’étais une Frozenfang avant tout et aujourd’hui, je ne sais plus qui je suis. J’espère trouver des réponses, en commençant mes recherches ici, dans la vallée de Strangleronce, et qui sait où elles me mèneront.
Je repasserai te voir d’ici quelques semaines.

Rüya,.

Son écriture était assez malhabile, mais elle ne doutait pas que son ami parviendrait à la déchiffrer. Elle roula le parchemin, l’entoura d’un bout de liane, et le glissa dans une boîte-aux-lettres.

En attendant de pouvoir récupérer Akrep, il faudrait qu’elle adopte un autre animal pour voyager plus sûrement ; enfin, cela n’était pas si urgent. Pour l’heure, il fallait qu’elle interroge les gens de Grom’Gol, dans l’espoir que l’un d’eux ait déjà entendu parler du clan Kan’Jin…

A la fin de la journée, elle avait déjà interrogé tous les commerçants, et aucun n’avait pu l’aider ; mais le dernier lui avait conseillé de parlé à Mok’Thardin, un érudit. Un peu découragée, elle remit cette visite au lendemain et retourna à l’auberge, où elle aida le cuisinier à préparer le repas.

Le lendemain, elle s’éveilla à l’aube. Elle s’aventura dans la jungle, sans trop s’éloigner, pour cueillir des plantes, puis revint vers le village et se présenta devant la hutte de Mok’Thardin.

L’orc la vit arriver avec un sourire ; depuis deux jours, les rumeurs allaient bon train sur cette trolle étrangère qui semblait arriver de nulle part, et il s’attendait à sa visite.

- Bonjour
- Salutations, étrangère. Que puis-je pour toi ?
- Et bien… je recherche des informations sur un clan troll… mon clan
- Un clan de la vallée de Strangleronce ?
- A vrai dire… je n’en sais rien. Tout ce que je sais sur eux, c’est qu’ils ont… ou du moins avaient un village proche de la mer. Et puis, j’ai ceci :

Elle montra à l’orc un collier d’os, sur lequel étaient gravés des symboles. Il déchiffra :

- Rüya Kan’Jin… hmm… comme ça, ça ne me dit rien. Attends un peu…

Il feuilleta rapidement quelques grimoires, puis annonça :

- Je n’ai rien là-dedans sur un clan troll qui s’appellerait Kan’Jin. Par contre, sur ce recueil sur les trolls des glaces, il est dit que « kan » serait une déformation de « kaen », et signifie « sang ».

Il la regarda attentivement.

- Vu la couleur de ta peau, il est bien possible que tes ancêtres viennent des glaces… mais lesquelles, je ne saurais le dire. Enfin, on peut éliminer Dun Morogh, c’est trop loin de la mer. Pas de village en bord de mer au Berceau-de-l’Hiver à ma connaissance, mais ça demanderait vérification… Quant au Norfendre, je n’ai aucune connaissance sur ses habitants. Désolé, je ne peux pas t’aider plus.
- C’est déjà beaucoup. Merci, merci infiniment.

Elle s’éloigna lentement, repensant à ce que lui avait dit l’orc. Elle s’était déjà aventurée à Berceau-de-l’Hiver, mais ne connaissait pas la région en détail… elle attendrait quelques jours que Ray’Jin lui ait envoyé ses affaires, et elle se mettrait en route pour Kalimdor.

- Tsss, mais qu’est-ce qu’il est difficile ce bestiau…

Rüya contemplait Umut, le raptor qu’elle avait adopté, et qui boudait les morceaux de poissons qu’elle lui tendait.

- Je t’assure, c’est très bon pour la santé… je l’ai pêché ici-même, y’a pas de pollution…

L’animal reniflait toujours le poisson avec un air de mépris.

- Bon ben si tu veux absolument de la viande, va falloir aller la chercher toi-même. Noooon pas sur les orcs du village ! On va chasser les tigres du coin… Suis-moi.

En renâclant un peu, le raptor la suivit. Lorsque la trolle lui désigna un tigre qu’elle venait de repérer, il fondit dessus et le déchiqueta, malgré les coups que le fauve lui rendait.

- Bon au moins, t’es doué pour le combat…

Se penchant sur le cadavre du tigre, elle préleva de la viande dont elle donna une partie au raptor ; elle ferait fumer le reste plus tard pour pouvoir le conserver.

En revenant au camp, Rüya eut la bonne surprise de voir qu’un colis l’attendait à l’auberge. Armure, arc, bric-à-brac réparti dans quelques sacs : tout ce qu’elle avait abandonné de longues semaines plus tôt se trouvait là, accompagné d’un message de son ami :

Je savais que les loas avaient encore des projets pour toi. Mène ta quête ma sœur, je suis toujours là si tu as besoin de moi.

Ray’jin

Murmurant un « merci » qui, sûrement, serait perçu par l’esprit vif du troll, elle entama un inventaire de ses richesses, mit de côté ce dont elle pouvait se débarrasser, puis informa l’aubergiste qu’elle quittait la région. Après l’avoir remercié de son accueil, elle grimpa sur le toit de l’édifice et attendit le zeppelin à destination d’Orgrimmar.