39 messages - Cliquez sur un titre pour afficher la page dans une autre fenêtre
Chapitre 11 : Mainnoire
- Tiens mon chéri. Goûte-ça.
- Euh... Tu es sûre ? Ca sent bizarre...
- Espèce de sale...
Ses lèvres sur les miennes, son étreinte. Il m'aime, et moi aussi. Cette vie n'est plus une vie d'aventures, mais elle nous convient. Je sais que, à ses côtés, ce bonheur durera toujours, car il est l'homme que j'aime. Il est... Il est...
Son nom... Je... J'ai oublié... Son visage...
Je ne veux pas oublier.
La Réprouvée s'agita dans son sommeil.
- ... Non... Ce n'est pas... NON !!! *pleurs*
- Et si. Tu es passée de l'autre côté. Tu découvriras vite ta nouvelle nature. Elle te plaira.
- *pleurs*
- Pleurnicheries... Je déteste ça.
- J'aime...
- Personne. Et personne ne t'aime. Telle est la règle, désormais. Et tu serviras "ses" plans. De gré... ou de force. Je préfère la force, pour ma part. A toi de choisir.
- *pleurs*
- Excellent. Excellent ! Il me reste à terminer une dernière chose. L'oubli. Définitif.
- Je ne veux pas... *sanglots*
- Oui, je sais. Et je dois te faire une confidence : c'est ce que je préfère dans mon travail ! Tant de souffrances. *rire*
- Pitié... Je ne veux pas oubl... AAAHHH !!! NON !!! AAAHHH !!!
- *rire*
- NON !
La Réprouvée se réveilla en hurlant. Ces cauchemars... Toujours, toutes les nuits.
Je ne veux pas oublier.
Elle se releva en grimaçant, et fusilla du regard son compagnon qui la regardait avec un sourire narquois sur les lèvres.
- Je te l'ai dit, Mainnoire. Non seulement le sommeil n'est plus nécessaire, mais il n'apporte rien de bon.
- J'ai eu une vie avant.
- Logique. Nous avons tous été vivants avant d'être morts. Telle est la malédiction des Réprouvés. Le souvenir de son autre vie est un autre aspect de cette malédiction. Sois heureuse d'avoir oublié.
Mainnoire se releva et fit craquer ses articulations, tout en essayant d'ignorer le regard de celui qui partageait actuellement sa couche.
Elle ne se souvenait de rien. Son premier véritable souvenir, c'était le visage de l'apothicaire, tordu, moisi, effrayant. Et son damné sourire, quand il lui avait appris ce qu'elle était désormais : une Réprouvée, une morte-vivante relevée par le Fléau, libérée par la Dame Noire, Sylvanas, Maîtresse de ce peuple déchu mais non soumis.
Et dorénavant une fidèle servante de celle-ci.
Mainnoire regarda ses mains. La mort et le tombeau, ainsi que probablement des combats dont elle avait tout oublié, avaient transformé son corps de femme en parodie. Elle était voutée, sa peau était desséchée, à certains endroits on pouvait même voir les os, mis à nu.
Son coeur ne battait plus. Aucun de ses organes ne fonctionnait. Elle ressentait encore la faim et la soif, mais on lui avait expliqué que ce n'étaient que des souvenirs. Elle n'en avait plus besoin. Plus besoin de chaleur. Plus besoin... de vie.
Juste la volonté de rester debout, de servir la Dame Noire, et surtout, SURTOUT... de se venger. Se venger du Fléau, se venger d'Arthas le parricide et assassin de son peuple, tout juste revenu frapper - en vain - Azeroth.
De se venger de la vie elle-même : "Morts aux vivants !" ainsi que le disait si bien Karl.
Karl était depuis son "retour" son mentor et son compagnon. C'était un Guerrier expérimenté, à qui on avait confié la Voleuse pour l'aider à faire ses premiers pas.
Un homme - non, plus un homme, seulement un être détestable. Nulle chaleur en eux, mais il partageait sa couche, lui imposait sa présence, son odeur, son maudit sourire pervers.
Mainnoire rajusta sa tenue de cuir noir qui moulait ses formes désormais peu attirantes - sauf pour Karl et ses goûts "particuliers". Elle vérifia du bout des doigts le tranchant de ses dagues, satisfaite de les savoir à ses côtés. Karl était puissant, son épée dangereuse, mais elle se savait capable de lui trancher la gorge si nécessaire, malgré sa mémoire absente et sa jeunesse dans cette non-vie.
Oui, qui qu'elle ait été, Mainnoire savait se servir de ses dagues, savait se fondre dans l'obscurité, savait se faire discrète. Elle était une Voleuse expérimentée... autrefois. Et heureusement pour elle, son corps n'avait pas oublié.
- Ramasse nos affaires et amène-toi. Nous nous sommes assez reposés, et on ne fait pas attendre la Dame Noire.
Mainnoire se soumit en silence aux ordres de Karl, maitrisant sa colère. Si seulement elle pouvait... Mais non, ce Guerrier était connu et respecté à Fossoyeuse. Un rapide coup de dague réglerait ce problème-là, mais en créerait d'autres qu'elle n'avait pas envie d'affronter.
- Et elle veut quoi, la Banshee ?
Mainnoire eut à peine le temps de se retourner que la gifle violente de Karl la jeta au sol. Elle posa la main sur sa dague, mais réussit à se maîtriser.
- Ne parle plus de la Dame Noire ainsi, chienne ! Si tu es ici, c'est par son seul caprice. Tu lui appartiens corps et âme ! Veille à ne plus l'oublier...
- Oui... je n'oublierais plus.
Karl sourit et lui tendit la main pour l'aider à se relever, soudain doux et prévenant. A un moment aimable, l'instant d'après violent... un bon résumé de ce personnage qui lui avait déjà cassé une dent dans un de ses accès de rage, juste après avoir usé d'elle.
- Allons, ma jolie... La Dame Noire a sûrement une tâche importante à te confier. Ne crains rien, je reste à tes côtés.
Mainnoire lança un regard haineux au dos de Karl alors qu'ils se mettaient en route.
Un jour, je te trancherai la gorge, enfant de putain.
***
Chapitre 12 : Une mission dangereuse
Karl et Mainnoire s'agenouillèrent devant la Dame Noire qui leur tournait le dos, occupée à discuter avec le terrifiant démon qui, au mépris de toute logique, la servait - Varimathras, traître aux siens.
- Nous sommes venus à vos ordres, ô ma Dame.
Karl avait pris sa voix obséquieuse, comme à son habitude devant les puissants. Mainnoire ne disait rien, les yeux rivés au sol.
La Dame Noire termina sa conversation avec le démon, puis le congédia d'un geste de la main et se tourna enfin vers ses serviteurs.
- Ah oui, Mainnoire. Et le fameux Karl... Relevez-vous.
Les deux combattants se relevèrent. Karl affichait un sourire suffisant, ravi d'avoir été reconnu par la Maîtresse des Réprouvés. Mais Mainnoire avait perçu le fiel dans sa voix. La Dame Noire ne devait sûrement pas ignorer la personnalité de son Guerrier, la façon dont il traitait les femmes.
Celui-ci s'inclina à nouveau, la voix emplie de sirop.
- Nous sommes venus dès réception de votre convocation, ô ma Dame. C'est un honneur...
- J'ai convoqué Mainnoire, Guerrier. Tu peux nous laisser.
Karl hésita, mais eut la faiblesse de croiser le regard de sa Dame. Il était aussi froid et dur que sa voix, sans nulle trace de respect ni même de pitié. Il déglutit par réflexe et blêmit.
- Je... J'obéis, ô ma Dame.
Il recula tout en s'inclinant à plusieurs reprises, et eut le temps de lancer à la Voleuse un regard empli de haine avant de s'éclipser. Plus tard, Mainnoire payerait pour ça - elle le savait, il n'y avait rien à faire contre cela... pour le moment.
- Voilà donc celle que l'on nomme Mainnoire.
Mainnoire hésita, et choisit de planter son regard dans celui de la Dame Noire.
Sylvanas Coursevent n'était pas comme elle. C'était une Elfe, transformée en banshee par la volonté de ce maudit Arthas pour le servir dans la mort. Son corps avait gardé la perfection de sa race, mais il émanait d'elle une froideur qu'aucune flamme ne pouvait réchauffer. Et ses yeux brûlaient d'une flamme toute aussi glaciale.
La Voleuse resta quelques instants à l'affronter avant de baisser les yeux - ni soumission, ni défi.
- A votre service, ma Dame.
Sylvanas eut l'air satisfaite.
- Tu es encore jeune parmi nous, Mainnoire. Je sais combien cela doit te coûter, d'avoir quitté le monde des vivants.
- Je n'ai hélas aucun souvenir de ma vie, ma Dame.
- En effet. Cela arrive. Mais ne le regrette pas. Ce que tu étais n'est plus. Tu es dorénavant une Réprouvée. Nos anciennes vies ne sont que des fardeaux. Soit satisfaite de pouvoir t'en passer.
Mainnoire lança un bref regard à la Dame Noire. Elle sentit que, étrangement, elle était satisfaite de sa réponse. La Voleuse en prit mentalement note.
- J'aurais aimé me souvenir, ma Dame. Peut-être ai-je encore de la famille... ?
- Tu es une Réprouvée. Cela seul compte.
Mainnoire baissa la tête en signe de soumission. Sylvanas eut alors un bref sourire sans chaleur.
- J'ai en fait une mission à te confier.
- Je m'en acquitterai au mieux, ma Dame.
- Je n'en doute pas. Mais je dois te prévenir : cette mission est délicate, et difficile.
- Le Fléau, ma Dame ?
Sylvanas fronça les sourcils.
- Ne te préoccupe pas d'Arthas. Les meilleurs de mes combattants seront bientôt au Norfendre pour lui faire payer notre destin. Non, il s'agit d'autre chose.
Mainnoire releva la tête.
- Puis-je poser une question, ma Dame ?
- Toutes celles que tu voudras.
- Je n'ai pas beaucoup d'expérience. D'autres sont plus expérimentés et plus compétents que moi.
- En effet, mais...
Sylvanas hésita un bref instant, puis sembla avoir pris une décision.
- Cette mission pourrait peut-être te permettre de retrouver la trace de ton passé. C'est la raison pour laquelle je t'ai choisie toi, et pas un autre.
- Vraiment ?
Mainnoire sentit un brusque espoir en elle. Sylvanas était sérieuse, et étrangement, ses paroles semblait faire écho en quelque chose en elle. Un souvenir, peut-être ?
- Je ne suis sûr de rien. Varimathras pense que cette histoire peut avoir un lien indirect avec ta vie. Que cela t'aidera. Je n'y crois guère, mais je n'ai rien à perdre à essayer.
- Je... J'obéirai à vos ordres, ma Dame. Car cela seul compte.
La Dame Noire resta silencieuse un moment, jaugeant la Voleuse qui lui faisait face.
- Oui, j'y compte bien. Pour commencer, tu iras trouver le Chef de Guerre à Orgrimmar. Connais-tu les Orcs ?
- Non, je... Si. Je les connais. Je crois.
- Thrall est prévenu et il t'attend.
- Seule ?
- Karl t'accompagnera. Tu pourras avoir besoin de son bras.
Mainnoire hésita.
- S'il y a du danger...
- Seul compte la réussite de ta mission. Le reste... Cela ne m'importe aucunement. Mais ne le sous-estime pas. Il est dangereux - c'est pour cela qu'il t'accompagne.
- ... Très bien. Que devrais-je faire là-bas ?
- Thrall a un soucis. Un massacre, tout un village Orc anéanti d'une façon horrible. Il ne laissera pas ce crime impuni. mais il s'interroge, car ce massacre n'a rien d'ordinaire, et comme il est intelligent, il s'est renseigné.
- Vous voulez que j'enquête chez les Orcs, ma Dame ?
- Non. Thrall va trouver quelqu'un pour ça. Je lui fais confiance. Mais il ne sais probablement pas à quoi il a affaire.
- Mais vous, vous le savez, ma Dame...
- Oui. C'est pour cela que je veux que tu gardes un oeil sur ceux que Thrall enverra pour se charger de cette mission. Aide-les autant que possible, mais essaie de rester discrète. Les Réprouvés ne sont toujours pas les bienvenus dans la Horde.
- Et quand j'aurais trouvé le responsable de ce crime ?
Sylvanas se rapprocha de Mainnoire. La flamme dans ses yeux brûlait encore plus fort.
- Quand tu l'auras trouvé, tu le détruiras. Sans aucune pitié ni faiblesse.
- Ma Dame... ?
- Oui ?
- Et si je ne suis pas de taille ?
Sylvanas eut encore un bref sourire sans chaleur.
- Tu sais ce que tu as besoin de savoir pour t'acquitter de ta mission. Mais sache que je sais à qui tu auras affaire, et que je ne prends aucun risque. Surtout dans une telle histoire. De plus, nous ne serons pas seuls à le traquer. Maintenant va. Le Chef de Guerre t'attend.
Mainnoire s'inclina et se retira.
Seul compte la réussite de ta mission. Le reste... Cela ne m'importe aucunement. Mainnoire sourit en repensant aux paroles de la banshee. Karl sera bientôt de l'histoire ancienne. Et son passé...
Je ne veux pas oublier.
Poster un commentaire -
Commentaires (0)
Créé le 16/10/2012 à 18:24:30 - Pas de modification
Chapitre 13 : Le poids des ans
Le garde à la porte d'Orgrimmar leva la tête d'un air peu inspiré en voyant du coin de l'oeil la silhouette approcher. Puis il se redressa et prit une pose plus martiale après avoir jeté un oeil sur le visage de l'Orc qui s'arrêta devant lui.
Il se tenait légèrement voûté et boitillait en s'appuyant sur une canne. Une barbe blanche mangeait un visage couvert de rides, dont l'ancienneté était accrue par une calvitie et par les taches de vieillesse qui couvrait son crâne. Il avait aussi de nombreuses cicatrices sur le corps. Mais malgré son âge manifestement avancé, l'Orc portait une cotte de maille et une lourde hache à deux mains sur le dos.
Le garde était impressionné, et pourtant il avait tout vu dans sa déjà longue carrière passée aux portes d'Orgrimmar. Mais un Orc aussi vieux, c'était bien la première fois. Elevé dans le respect des anciens, d'autant plus rares que les Orcs avaient une vie des plus agitée et guerrière, il inclina la tête devant le vieillard.
- Mes respects, l'ancien.
- Salut petiot. Dis-donc, on m'a envoyé ça. Tu peux me dire où je dois aller ?
Le garde prit des mains du vieil Orc la lettre au sceau de la Horde qu'il lui tendait et la parcourut rapidement.
- C'est une convocation du Chef de Guerre. Je vais t'accompagner auprès de lui, l'ancien. Juste le temps de me faire remplacer...
- Tu me prends pour un gâteux, petiot ? Indique-moi le chemin, je me débrouillerai.
- C'est-à-dire, c'est une ville compliquée...
Le vieillard balaya l'argument d'un geste énergique.
- J'ai travaillé sur le chantier de cette ville alors que tu tétais encore ta mère, petiot.
Le garde ouvrit la bouche puis la referma devant l'air buté du vieillard et haussa les épaules.
- C'est toi qui voit, l'ancien. Bon, tu suis ce chemin...
Le vieillard suivi les indications du garde en boitillant. Il dû faire une pause à mi-chemin pour reprendre son souffle en grimaçant, avant de parvenir à la grande salle servant de quartier général au plus grand Orc existant, le puissant Thrall, chef de la Horde.
- Salut les petiots. Ce gamin de Thrall m'a envoyé ça.
L'un des soldats d'élite qui gardaient la salle et empêchaient les importuns de déranger leur chef à grand coup de massue baissa les yeux sur le vieillard.
- Il est occupé. Dégage pépé.
Le vieil Orc prit un air outragé et se redressa dans des craquements d'os fatigués.
- Ta maman ne t'a pas appris le respect, garnement !
Le soldat se permit un sourire en coin - le genre de sourire qu'on devine devoir regretter très rapidement. Son compère fit d'ailleurs un discret pas de côté, histoire de ne pas se retrouver impliqué dans cette histoire.
- Ma mère a tué plus d'Elfes que tu n'as de rides, papy. Elle...
- Ta mère avait la langue trop pendue pour une Orque, même si elle savait sacrément bien se servir de sa hache et qu'elle avait une sacrée descente de reins. Et son truc, c'étaient plutôt les Nains, pas les Elfes. Même si elle a manqué une fois de casser la tête de ton imbécile de père - toujours à chaparder des pommes en douce, celui-là. Au moins, ton grand-père savait se tenir. Eh ! Salut gamin ! Tu peux dire à ce garnement de me laisser passer ?
Le soldat n'était pas une lumière. Il y a toujours des postes, dans toutes les armées du monde, où des muscles saillants et la capacité de rester immobile des heures sans aller aux toilettes sont plus utiles qu'un cerveau en état de marche.
Mais il jeta un oeil sur l'autre garde qui venait de se mettre au garde-à-vous, sur le petit attroupement qui s'était formé autour d'eux et dont les participants s'étaient tous redressés, et sentit le besoin de déglutir avant de se retourner pour voir à qui le vieillard venait de faire un signe de la main.
Thrall se tenait debout derrière le soldat les bras croisés. Ses sourcils étaient froncés, mais on devinait dans ses yeux une lueur amusée - qui malheureusement échappa totalement au soldat qui ne vit que les sourcils.
- Euh... Pour la Horde ! Je... Le vieux, là... aïe !
Le soldat grimaça quand le vieil Orc lui fila un coup de canne sur le crâne.
Toujours aussi sérieux, Thrall fit signe au soldat de disparaître, ce qu'il fit d'un air soulagé, et sans dire un mot fit demi-tour et regagna son trône, suivi par le vieillard.
Assis confortablement, il fit un geste pour qu'on apporte une chaise au vieillard - qui chassa l'importun d'un geste impatient.
- Ca faisait longtemps, gamin... Dis-donc, toi, tu crois aller où avec cette chaise ? Tu me prends pour un vieux ?!
L'Orc s'enfuit rapidement avec la chaise qu'il avait apporté sur l'ordre de son chef.
- Je te salue, le Cagneux. Tu as l'air en forme.
- Ben tiens. L'exercice, ça maintient.
- Ca te fait quel âge maintenant ?
- Houla ! J'ai jamais su. De mon temps, on s'embêtait pas avec ces histoires d'âge et d'années. Sauf les chamans, bien sûr. Moi, je n'étais qu'un simple péon. On avait le temps des plantations, celui des moissons, et puis l'hiver avec les loups. Heureusement qu'il y avait la guerre de temps en temps. Alors mon âge...
Thrall hocha la tête. Les Orcs avaient eu une existence des plus difficiles depuis leur arrivée en Azeroth et le Fléau. L'espérance de vie était faible, même pour les plus valeureux ou les plus sages.
Le vieillard était né en Draenor et était un vétéran de toutes les guerres livrées depuis l'ouverture de la Porte Noire. C'est durant la Première Guerre que ses soldats lui avaient donné son surnom : le Cagneux. Il était de ces rares - trop rares - vétérans ayant survécu à tout, y compris une grande partie de leur propre famille. Il aurait pu être un de ces sages écoutés avec respect, mais c'était un péon aux goûts simples qui vivait tranquillement dans son village, entouré des siens.
Thrall l'avait connu autrefois, après son évasion. Grande gueule, et un excellent meneur d'Orcs - trop rares à l'époque donc précieux. Et surtout, il avait réussi à échapper au sang de Mannoroth.
- Bon, pourquoi tu m'as fait venir ici, gamin ?
- J'ai besoin de ta mémoire, l'ancien. J'ai... un soucis.
La lueur amusée avait disparu des yeux du chef Orc. Le Cagneux se contenta de hocher la tête.
- Un de nos villages a été attaqué.
- Salopard d'Allianceux. Je croyais qu'on avait fait la paix avec eux ?
- Ce n'est pas l'Alliance. On a d'ailleurs retrouvé un Humain parmi les corps. Il devait essayer de faire un peu de commerce.
- Qu'est-ce que tu ne me dis pas, gamin ?
Thrall sourit, un bref instant, avant de retrouver sa gravité.
- Il y avait des enfants parmi les corps. Et tous, sans exception, avaient été vidés leur sang.
Thrall observa attentivement le vieillard. Il remarqua que sa mâchoire venait de se crisper.
- Des survivants ?
- Un seul. Un gamin, abandonné aux loups. "On" lui avait seulement arraché les yeux... C'est une patrouille qui l'a trouvé avant qu'il ne soit dévoré. Il n'est pas en état de nous dire quoi que ce soit. A part un mot, qu'il répète sans arrêt...
- Quel mot ?
- "Sang"...
Le Cagneux poussa un profond soupir, et secoua lentement la tête. Thrall se leva de son trône et commença à faire les cent pas.
- D'après les anciens, un cas de ce genre s'est déjà produit il y a longtemps. Tu serais au courant...
- Elle ne leur crevait pas les yeux. Ca, c'est venu plus tard.
Thrall et le Cagneux restèrent silencieux un long moment. Puis le chef Orc se décida à rompre le silence pesant.
- Quelqu'un tue nos enfants, l'ancien. Avec cruauté. Je veux sa tête. Si tu sais quelque chose, tu dois me le dire.
- C'est une très, très vieille histoire, gamin.
- Et je veux la connaître.
Les deux Orcs s'affrontèrent du regard un moment. Thrall décida de céder le premier.
- Je veux sa tête.
- Tu l'as déjà, dit, gamin. Tu radotes, et c'est moi qu'on traite de vieux !
- Ceci...
- Laisse-moi m'en charger, gamin. Ce serait trop long de tout te raconter, et tu as beaucoup à faire, avec ce Fléau et tous ces morts-vivants.
- J'ai à protéger mon peuple.
- Un jour, il y a longtemps de ça, c'est devenu une histoire personnelle. D'honneur et de dette. Alors laisse-moi faire, gamin.
- Tu es vieux.
- Il me faudra de l'aide, c'est vrai. Mais pas n'importe laquelle. Je sais où m'adresser.
- Dis-moi au moins le nom de cette... chose, l'ancien.
- Il ne te dira rien.
Le Cagneux regardait Thrall avec sévérité. Puis son visage se détendit et il sourit à son chef.
- Ne t'inquiète pas, gamin. C'est une proie que j'ai déjà traquée. Je l'aurai.
- Et quand tu l'auras trouvé ? Ce tueur doit être puissant.
- En fait, non, pas tant que ça. C'est... particulier.
Thrall resta silencieux un moment, pesant le pour et le contre. Puis il soupira.
- Je te donne un mois, l'ancien. Tu auras des soldats, autant que tu veux...
- Ca ne se passe pas comme ça, gamin. Laisse-moi faire.
- Bon. Je te fais confiance. Ne me fais pas le regretter.
Le Cagneux salua Thrall d'un petit geste de la main et repartit, laissant au chef de la Horde un soucis supplémentaire.
Mais une fois le vieillard parti, il fit un geste à une silhouette voutée tapie dans l'ombre. La silhouette sortit de l'obscurité, dévoilant une Réprouvée en tenue de cuir noir et portant deux dagues peu engageantes au côté - Mainnoire - qui s'inclina devant le Chef de Guerre.
- Tu as tout écouté, Réprouvée ?
- Oui, Chef de Guerre.
- Bien. Suis-le discrètement. Et aide-le si nécessaire. Il te mènera à ta proie - à notre proie.
- Je crains qu'il ne soit pas de taille, Chef de Guerre. Il est vieux et fatigué.
- Réfléchis à ceci. Il a le bon sens des péons, et la force des grunts. Il a survécu à tout, et pas en se cachant au fond d'un trou. C'est un survivant expérimenté, veille à ne pas l'oublier.
- J'obéis, Chef de Guerre.
- Une dernière chose, Réprouvée. Je ne sais pas ce que mijote la Dame Noire. Mais je ne tolérerais aucune fourberie.
- Il n'en est pas question, Chef de Guerre. Mes ordres sont de tuer cette chose.
Thrall fronça les sourcils en dévisageant la Réprouvée.
- Tu parais bien jeune pour cette tâche. Et je crois savoir que tu n'es... "revenue" que depuis peu. Pourquoi Sylvanas t'a-t-elle choisie toi, et pas un de ses vétérans ?
- Je l'ignore, Chef de Guerre. Mais je ne faillirai pas.
- Bien. Car je veux la tête de ce meurtrier.
Thrall hocha la tête, et resta plongé dans ses pensées bien après le départ de la Réprouvée.
Le Cagneux avait raison. L'histoire était compliquée, plus qu'elle ne le semblait au premier abord. Des signes étaient apparus. Beaucoup les croyaient liés au retour d'Arthas en Norfendre et à son assaut raté contre les vivants, mais Thrall savait qu'autre chose était en train de réapparaitre en même temps. De vieilles rumeurs. D'anciennes histoires. Il en avait entendu certaines chez les Humains, du temps de sa captivité. D'autres chez les Trolls et les Taurens, sous forme de récits contés au coin du feu.
Des détails réapparaissaient de façon erratiques, mais Thrall connaissait la valeur de l'information et veillait à être au courant de tout. Une fois convenablement rassemblées et traitées, des informations sans liens entre elles pouvaient dresser un tableau plus vaste, et donner les clés manquantes.
Oui. Le Cagneux était vieux. Suffisamment vieux pour connaitre ces histoires, pour s'en souvenir. Et pour y avoir survécu. Thrall espérait juste que cela suffirait pour éviter le pire.
***
Chapitre 14 : Moi dire destin
Le Cagneux avait regagné en boitillant et grimaçant le village de pêcheurs de Sen'jin, où il l'attendait un très vieil ami à qui il avait donné rendez-vous. Il s'agissait d'un Chaman Troll du nom de Diredestin - pas franchement doué, mais un véritable ami et d'une fiabilité surprenante.
Assis autour de la mare formant le centre du petit village, les deux vieillards discutaient une chope à la main.
- Toi te détendre. Tout bien se passer. Moi promettre.
- Tu avais déjà dis ça la dernière fois. Avec le sanglier.
- Nous bien sorti. Entier et tout.
- J'ai toujours la cicatrice. Et j'ai encore mal à la cuisse rien que d'y penser.
Le Troll sembla sourire encore plus. Difficile à dire, en fait, étant donné les défenses déformant sa bouche et ses peintures traditionnelles lui couvrant le visage.
- Cartes jamais tromper. Toi faire confiance pouvoir vaudou.
- J'ai jamais compris pourquoi tu utilisais encore ces saloperies.
- Elles avoir pouvoir.
- Tu les a trouvées dans une poubelle. Tu étais ivre mort, et tu les a prises parce que tu as cru que c'était un livre porno.
- Ca pas empêcher pouvoir.
- En plus, c'est même pas un vrai jeu de cartes.
- Elles pouvoir servir jeu.
- Dir'... C'est un jeu des 7 familles... En plus, il manque des cartes.
- Oui-ja. Mais cartes avoir pouvoir quand même.
Le Cagneux soupira. A chaque fois c'était pareil. Ils se retrouvaient pour régler un problème, et là Diredestin sortait de son sac de Chaman son jeu de cartes pour "dire destin", et ils finissaient par s'engueuler à son sujet.
En même temps, si on ne peut pas s'engueuler avec les amis !
- Bon, alors mon problème...
- Moi tirer carte. Elle dire destin.
- D'accord, d'accord... Utilise-les, si ça te fait plaisir...
Rayonnant de plaisir, le Troll sortit de son sac mité le fameux jeu de cartes du "dire destin". Il le battit soigneusement, puis le posa sur la sol entre eux deux. Puis, avec un luxe de précautions ostentatoire, il prit lentement la carte au sommet du paquet et la posa à côté, face visible.
- Ca carte "vieil Orc têtu". Ca toi.
- Sans blague ?
- Ca dire toi grande quête.
- Ben tiens, j'ai passé une heure à te raconter l'histoire !
- Moi tirer autre carte.
Le Troll prit une seconde carte qu'il posa à côté de la première.
- Ca carte "pétasse sanglante". Mauvaise carte. Beaucoup malheur.
- "Pétasse" ?
- Oui-ja. Toi aimer ?
- Tu sais, un jour, tu auras des ennuis à traiter les Elfes de "pétasses". Ce sont quand même nos alliés.
- Elfettes toujours toutes nues. Moches. Pas assez défenses.
- Question de goût. Mais pour en revenir à ta carte... C'est celle que tu as dessiné tout à l'heure, non ?
- Cartes dire destin.
- Dir'... Je t'ai vu.
- Carte dans jeu. Elle dire destin.
- Elle n'a même pas la bonne taille ! Et regarde, l'encre a bavé !
- Mais carte dire destin quand même.
- Ben tiens... Bon, au moins, c'est une Elfe de Sang. C'est déjà une piste.
- Pouvoir être mâle aussi.
- Non, impossible.
- Carte pas évidente. Difficile reconnaître.
- C'est vrai, mais ça a toujours été une femelle.
- Oui-ja. Moi souvenir. Moi tirer autre carte.
La troisième carte suivit le chemin des précédentes.
- Ca carte "moisie cachée". Toi faire rencontre.
- "Moisie cachée" ? Laisse-moi deviner... Une Réprouvée ? Voleuse ?
- Oui-ja. Toi rencontrer combattante qui aider toi dans quête. Elle pas rigoler, mais aider toi beaucoup.
- Mouais... Et je la rencontre quand ?
- Carte dire bientôt.
- Attends voir... Tu étais à Fossoyeuse hier, n'est-ce pas ? Pour tes histoires de dettes ? A tous les coups, tu as laissé trainer tes oreilles et tu as appris des trucs !
- Cartes avoir pouvoir. Elles dire destin.
- Mais ça va mieux si on sait des trucs avant, hein ?
Diredestin éclata de son rire grave en se frappant la cuisse.
- Toi pas bête ! Cartes avoir pouvoir, car Chaman avoir pouvoir aussi !
- T'es vraiment un escroc, tu sais.
- Mais moi avoir beaucoup pouvoir avec cartes.
- Tu sais, ça irait plus vite si tu me disait directement ce que tu as déjà appris.
- Moi pas savoir. Cartes dire destin.
Une quatrième carte rejoignit les trois autres. Cagneux et Diredestin se penchèrent ensemble en fronçant les sourcils.
- C'est quoi comme carte, ça ?
- Moi pas savoir. Pas dans jeu.
- Tu veux dire que la carte est apparue comme ça ?
- Cartes dire destin. Choses bizarres arriver parfois.
- Et tu dirais que c'est quoi comme carte, ça ?
Le Troll passa un doigt sur la carte.
- Ca carte... "Souvenir revenu".
- ... Ca veut rien dire, ton truc.
- Cartes dire trucs bizarres parfois.
- Quel genre de souvenir ?
Le Troll haussa les épaules, puis grimaça en se tenant les reins.
- Toujours ta sciatique ?
- Oui-ja. Beaucoup gêne. Moi retourner voir Chaman pour potion.
- C'est un Gobelin, et il se fait livrer sa came de Cabestan.
- Potion beaucoup calmer douleur.
- Vu la puissance du machin, ça ne m'étonne pas... Bon, pour en revenir à ta carte : t'en penses quoi ?
- Pas savoir. Bizarre. Humain ? Moi pas sûr.
- Il a une armure sur ta carte. Un de ces trucs lumineux, là... un Padalin, non ?
- Peaux-roses dirent "Paladin". Moi pas sûr. Bizarre.
- Donc on a un Paladin dans l'histoire ?
- Normalement non. Mes indics m'ont jamais parlé d'un palouf.
- Fais gaffe, tu perds ton accent.
- Oups ! Merci vieux... Moi pas savoir. Carte dire peau-rose revenir. Mais... pas Paladin. Autre chose. Ca bizarre.
Le Cagneux observa son vieil ami réfléchir devant la carte.
Diredestin était un ami fidèle et peu compliqué, si on mettait de côté sa manie de se faire passer pour un Troll de la jungle.
En réalité, il n'avait jamais mis les pieds dans la verdure et avait servi d'homme de main - pardon, de Troll de main pour une petite frappe locale pendant sa jeunesse. Puis un jour il avait eu une sorte de "crise" de mysticisme. Il avait décidé de retrouver ses racines Trolls - nonobstant le fait que sa famille avait quitté la jungle plusieurs générations auparavant pour se faire marchands de fruits et légumes.
Il avait trouvé un vieil ivrogne qui se faisait passer pour un Chaman pour lui apprendre deux-trois trucs, et avait décidé de se retirer de la civilisation pour retrouver son "moi intérieur". Il avait tenu 10 minutes. C'était 9 de plus que ce à quoi tout le monde s'attendait. Et il était revenu de cette "expérience" transfiguré.
Depuis, il parlait comme un sauvage, prétendait lire le destin dans un jeu de cartes et affirmait connaitre les herbes, même si ses connaissances provenaient quasi-exclusivement d'un vieux livre moisi trouvé au fond d'une poubelle et des quelques plantes maladives poussant autour de son village.
Par contre, il avait des indics dans toutes les villes et grâce à eux arrivait à recueillir des informations que personne d'autre n'aurait eu. Et en bon comédien, les faisait passer grâce à son fameux jeu de cartes.
Le Cagneux et lui s'étaient rencontré bien des années auparavant. Le Troll avait essayé d'escroquer l'Orc, qui s'était fait avoir et l'avait compris suffisamment vite pour l'attraper et lui casser la figure. Depuis, ils étaient devenu copains comme cochon, jusqu'à passer leur vieillesse dans le même village à Durotar où ils passaient le temps en se chamaillant.
C'est donc tout naturellement que le Cagneux était allé le trouver pour avoir un coup de main. D'où leur séance de carte.
Finalement, après avoir longuement réfléchi, Diredestin haussa les épaules.
- Nouvelle carte dire plus. Moi tirer.
- Tiens, je la connais celle-là. "Grand chauve air con", c'est ça ?
- Oui-ja. Lui beaucoup râlerie.
- Ca, je confirme.
- Toi connaître ?
- Comme tout le monde. C'est quoi déjà son nom... ?
- Lui Llégion. Vouloir conquérir monde. Beaucoup problèmes démons.
- Ah oui, Llégion. Tu as quoi comme info avec lui ?
- Moi pas savoir. Carte pas devoir être là.
- Tu es sérieux, là, où ça fait partie du jeu ?
Le Troll sourit à nouveau.
- Cartes dire destin. Choses bizarres arriver. Mais là faire beaucoup.
- Tu aurais une idée du lieu où le rencontrer ?
- Lui disparu. Moi entendu dire lui fâché. Partir vacances. Loin.
- Alors qu'est-ce qu'il fout là ?
- Moi pas savoir. Bizarre.
- Tu n'as pas une carte sur ça ?
Le Troll haussa les épaules.
- Moi savoir non. Mais choses bizarres, alors moi essayer.
Il tira une nouvelle carte.
- Ca carte "grand mystère". Ca normal. Carte dire pas pouvoir trouver Llégion.
- Bon, comme ça c'est fait.
- Moi tirer nouvelle carte.
La carte tirée était pour une fois très colorée.
- Ca carte "crapule minable".
- Un Voleur, donc. Et pas un Orc, car je ne connais aucun Voleur Orc qui corresponde à ce genre de description.
- Lui peau-rose. Pas sympa.
- Et il fait quoi dans l'histoire ?
- Mmm... Lui chercher aussi. Pas vouloir, mais obligé.
- Il peut aider ?
- Moi dire... un peu. Minable.
- En plus, c'est un Humain.
- Oui-ja. Lui pas aider.
- Alors pourquoi tu l'as tirée ?
- Cartes dire destin. Toi pas chercher comprendre.
- Tu sais quoi ? Ca devient bizarre ton truc. Tu es sur que tu maîtrises vraiment ton... "pouvoir" ?
- Oui-ja. Toi pas être inquiet. Moi tirer nouvelle carte.
Cagneux sourit devant le résultat du nouveau tirage.
- Ca, c'est pas moi...
- Non. Ca carte "gâteux". Mais nabot. Pas toi. Toi plus grand.
- Crétin.
- Celui qui dire être.
- Utile ?
- Ca pas utile nous. Utile autre. Carte seulement pour faire joli. Et ouvrir portes sur utile.
- Envoie la suivante.
Diredestin leva un sourcil intéressé à la vue de la carte.
- Ca bien. Ca carte "Paladin pas bête". Très utile. Savoir beaucoup. Aider beaucoup.
- Pour une fois... Et il s'appelle ?
- Moi pas savoir. Utiliser cartes pour savoir nom.
- Il y a des noms sur tes cartes ?
Le Troll haussa encore les épaules.
- Cartes bizarres aujourd'hui. Moi tenter coup.
Le Troll tira plusieurs cartes à la suite, et les mit les unes à côté des autres, chacune ayant une lettre dans un coin.
- E-D-U-A-L-K.
- Sur ta carte, il a une tête d'Humain.
- Oui-ja. Toi trouver lui pour avoir aide.
- Ca va être facile, tiens.
- Toi pas inquiétude. Moi aider toi. Avec cartes.
- Ouais, mais... Attends voir !
Le Cagneux réfléchit.
- Edualk... Edualk... Pourquoi ça me dit quelque chose... ?
- Toi connaître peaux-roses ?
- On ne fait pas que se taper dessus, à la guerre. La guerre...
- Moi tirer carte pour aider.
- Si ça peut te faire plaisir...
Diredestin prit délicatement et avec un luxe de précautions grandiloquent la carte suivante, puis la retourna.
- Grande cité peaux-roses. Brûle.
- Oui ! Je me souviens ! Le gamin !
- Lui ami toi ?
- Je ne dirais pas ça. Je l'ai rencontré juste après la destruction de Hurlevent, lors de la Première Guerre. Son oncle qui s'occupait de lui était un ami de Gloïn.
- Moi souvenir. Lui nabot.
- Un Nain, oui. Il ne doit plus être tout jeune.
- Comme carte "gâteux" ?
Le Cagneux sourit.
- Tiens, c'est vrai. Je lui avais parlé de cette histoire, à l'époque, quand cette saloperie était réapparue. Il l'a traquée - moi j'étais coincé avec mes grunts.
- Moi comprendre. Nabot et Paladin aider toi.
- Le connaissant, Gloïn doit toujours être dans sa ferme en Dun Morgoh. Maintenant, je sais par où commencer.
Le Cagneux soupira.
- Ca promet, comme histoire...
- Ca foireux.
- Ouais.
- Ca danger.
- Oh que oui.
- Beaucoup blessures.
- Y'a des chances.
Les deux compères se regardèrent et sourirent.
- Une nouvelle aventure, abruti de Troll ?
- Moi partant, Orc stupide. Moi préparer baume calmer douleurs dos.
Cagneux grimaça.
- Bien vu.
- Quoi nous attendre ?
- Que t'ai ramassé ton fourbi. parce que je te signale qu'on attend que toi !
Cagneux et Diredestin se levèrent en riant. La journée semblait morose, le danger extrême, les chances de réussite infimes... Une dernière aventure ? Pourquoi pas. Il fallait bien mourir un jour...
Poster un commentaire -
Commentaires (0)
Créé le 16/10/2012 à 18:36:49 - Pas de modification
Chapitre 15 : La soirée commençait pourtant bien
Auberge de Hurlevent, le soir.
- Aller ma mignonne ! La petite soeur !
La serveuse jeta un regard méprisant assorti d'une moue dégoûtée sur le Voleur qui squattait sa table depuis le début de l'après-midi.
- Paye déjà ton ardoise, mon gars.
- Mon ardoise ? Allons ! Pourquoi gâcher une si belle journée avec de vulgaires questions d'argent ?
Le Voleur essaya de glisser une main sous le jupon de la serveuse mais celle-ci s'y attendait et esquiva le geste.
- Pas de ça avec moi ! Paye ou dégage !
Le Voleur lui lança un sourire éclatant et, d'un air innocent, posa sa dague sur la table.
- Je crois que je vais choisir la troisième option, ma jolie. Celle où je reste et où toi et moi on devient les meilleurs amis du monde.
La serveuse hoqueta de surprise, puis se fendit d'un grand sourire après quelques secondes d'hésitation.
- Moi, je pense que tu vas prendre les deux premières, en fait.
- Tu crois, ma jolie ? L'espoir fait vivre...
Une main lourde et gantée de cuir s'abattit sur l'épaule du Voleur. Son sourire ne vacilla même pas et il ne fit pas l'effort de se retourner.
- Fous l'camp, ducon.
- Vous êtes Arsène ?
- J'ai dis : dégage !
Arsène se retourna, sa dague bien en évidence, et se figea.
L'homme qui lui avait posé la main sur l'épaule était un garde de Hurlevent lourdement armé, accompagné de cinq autres gardes. Tous avaient l'air peu amènes, et avaient la main sur la poignée de leurs épées.
Arsène hésita, puis sourit encore plus, faisant disparaitre sa dague sous sa chemise.
- Bien le bonjour, valeureux gardes de notre belle cité ! Comment allez-vous en cette magnifique journée ?
La serveuse rit ouvertement quand les gardes attrapèrent le Voleur et le jetèrent au sol puis lui lièrent les mains. Puis elle fit un signe au chef.
- Dis donc, Roger, ce type me doit quelques pièces d'or.
Le garde enleva la bourse du Voleur et la lança à la serveuse qui l'attrapa d'un geste vif et l'ouvrit pour regarder à l'intérieur.
- Garde la monnaie.
- Rassure-toi, il n'y en a pas lourd, vu son ardoise...
- Désolé pour le dérangement, Sally. Et bonne journée.
Arsène voulut parler tandis que les gardes le trainaient et le poussaient sous les applaudissements des quelques clients de la taverne, mais fut réduit au silence d'un coup de poing.
***
Chapitre 16 : Une erreur, sûrement
Arsène grimaça quand les deux gardes le jetèrent sur la chaise. Puis ils saluèrent et se placèrent juste derrière lui. Leur jetant un regard désabusé, le Voleur s'intéressa à l'homme derrière le bureau qui lui faisait face.
- Bien le bonjour, noble seigneur. Je pense qu'il doit y avoir une légère erreur que je ne doute pas pouvoir dissiper...
- Tu t'appelles Arsène, c'est ça ?
Arsène se fendit d'un sourire innocent. Quand un chef des gardes d'une des capitales de l'Alliance, Paladin qui plus est, attaquait une conversation directement par le tutoiement, sans même ordonner qu'on lui enlève ses liens, cela augurait d'une situation délicate. Mais il avait l'habitude.
- Arsène ? Connais pas. Je m'appelle...
- Arsène, anciennement membre de la Confrérie des Défias. Foutu à la porte des Mortemines par Van Cleef.
L'homme leva la tête de l'épais dossier posé devant lui et lança un regard dur au Voleur.
- Foutu à la porte... Un minable, donc. Aussi crapuleux qu'un peau-verte. Et aussi futé qu'un Ogre.
- Eh ! Dites !
- Tu as un joli pedigree, mon gars. Vol, violence, escroquerie... et même quelques actes de trahison, histoire de marquer le coup. Un bon client pour le bourreau du Roi.
Arsène se redressa.
- Je proteste, messire ! Je ne suis qu'un modeste voyageur et aventurier qui va de ci, de là, essayant de gagner modestement ma vie...
- La ferme.
- Je pense qu'il doit y avoir...
L'un des gardes derrière lui lui colla une violente claque derrière le crâne.
- Eh ! Ca fait mal !
- Le Capitaine a dit de la fermer, crapule.
- Merci caporal. Oui, le bourreau sera ravi de te rencontrer. Le seul problème, c'est de savoir comment procéder. La corde ? La hache ? Le garrot ? On pourrait aussi envisager de te livrer aux peaux-vertes. J'ai reçu des avis de recherche à ton nom. Tu leur a fait une sacrée impression, dis-moi.
Arsène sourit.
- Il faudrait que j'en parle au Roi, alors. Il n'a pas l'air d'aimer beaucoup les Orcs à ce qu'on dit. Je me demande si je ne devrais pas demander une médaille...
Le Capitaine rit doucement.
- Ah, Arsène... Tu m'amuses. Tu savais qu'on a capturé un Défias qui nous a donné une belle liste de noms ? Tu vas rire, mais le tien est le premier qu'il a donné. Comme quoi tu aurais participé à une certaine émeute, autrefois... Tu sais, les cailloux qui pleuvaient...
Pour la première fois de l'entretien, Arsène sembla mal à l'aise.
- Vous n'allez pas me coller ça, Capitaine ? Je ne suis pas du genre à lapider les femmes, moi !
- Exact, toi, tu te contentes de les coller dans ton lit et de les dépouiller. Quand tu ne les mets pas sur le trottoir. Un vrai humaniste, en somme.
- Des ragots, Capitaine...
- Et oui, c'est ça le drame, tu sais : on prête plus aux ragots qu'aux faits réels. Le truc drôle, avec toi, c'est qu'on ne sait quoi choisir : tu en as tellement fait qu'en fouillant bien, on pourrait sûrement te coller l'histoire d'Hyjal sur le dos.
- Non mais...
- D'ailleurs, t'étais où à l'époque ?
Arsène souffla.
- Ecoutez, Capitaine. Je veux bien reconnaître avoir fait quelques erreurs dans ma jeunesse...
- J'ai un rapport datant de ce matin - quand tu as dépouillé les gosses de la Comté de l'Or. Inutile de nier, il y a des témoins.
- Vous n'allez pas écouter des morveux...
- Mon fils n'est pas un morveux.
- Ah.
- Et oui.
- Euh... J'ai un garant. Sérieux. Un héros.
- J'imagine bien le genre de héros.
- Non, sérieux. Un Paladin. Mon fils, Edualk...
Le Capitaine ne broncha pas.
- Edualk ? Connais pas.
- Mais si ! Forcément ! C'est un vrai héros, mon gamin, parti combattre en Outreterre... Même qu'il doit être en train d'assiéger le repaire d'Arthas à lui tout seul !
- Jamais entendu parler.
Arsène hésita.
- Pourtant, ça fait des années qu'il sert de larbin...
- Je vois bien le genre de minable. Il en arrive tous les jours, des gars de ce genre. Ils se croient futés, voire doués, et en fait, ce ne sont que des parasites.
- Mais...
- Un gars dans ton genre, sûrement. Un lâche qui se planque derrière son armure...
- Et ! Dites ! Mon fils n'est pas un lâche !
- Peu importe. Mais si tu veux le faire venir, pas de problème. On trouvera bien un truc à lui coller sur le dos - vu sa généalogie.
Arsène se leva brusquement, immédiatement intercepté par les gardes qui le rejetèrent sur la chaise.
- Laissez-le ! C'est un type bien, pas comme...
- Pas comme toi, c'est ça ?
- Oui ! Non ! Je... Et puis merde, vous voulez quoi à la fin ?
- Te présenter notre bourreau, qu'en dis-tu ? C'est un gars bien, notre nouveau bourreau. Un peu maladroit, par contre. Tiens, l'autre jour, on lui a donné un violeur à décapiter. Joe le pointeur - un ami à toi, non ? Décapitation à la hache, bien sûr. Tu aurais vu ça... Il s'y est repris 14 fois ! Le sang giclait, le gars hurlait - remarque, il a arrêté au 12e coup. Par contre, le public était content, il a même applaudi. Trop content d'être débarrassé de cette raclure...
Arsène se tortilla sur son siège.
- Je suis sûr qu'on pourrait s'arranger, vous et moi...
- La corruption de fonctionnaire, c'est la bastonnade. Moi, je serais plutôt pour te coller ça en plus, mais vu ton dossier, faudra étaler les festivités sur plusieurs jours. Le peuple risque de se lasser.
Arsène sourit faiblement.
- Mais, Capitaine, si je suis ici, c'est que vous attendez quelque chose de moi, non ? Genre un accord, je vous file des tuyaux et on efface mon ardoise ?
- Ou peut-être que j'avais juste envie de rencontrer le plus beau salopard qui ai mis les pieds à Hurlevent depuis qu'Onyxia a été chassée d'ici ?
Arsène jeta un coup d'oeil inquiet sur les deux gardes derrière lui et déglutit.
- Aucun moyen, alors ? Je sais des trucs sur Van Cleef...
- ... qui n'ont plus la moindre valeur depuis que tu as été chassé des Mortemines. Non, par contre...
Le visage du Voleur s'illumina comme celui d'un noyé voyant apparaitre à sa portée un débris flottant.
- Par contre ?
- Tu peux faire un truc pour nous. Un truc utile à la collectivité.
- Et en échange on efface tout ?
Le Capitaine éclata de rire, accompagné par les deux gardes.
- Franchement ? Même si tu me ramenais la tête de ce salopard d'Arthas, j'aurais encore de quoi t'envoyer au gibet. Non, on peut envisager une remise de peine...
- Concrètement ?
- Concrètement, tu restes en vie. Et ta vie appartient désormais à un autre.
- Vous, Capitaine ?
- J'aurais aimé, crois-le bien, histoire de te faire connaître deux-trois trucs appris auprès des Trolls de Strangleronce, notamment celui avec les bananes...
Arsène blêmit.
- Tiens, tu connais ? Mais non. Tu pars directement au SI-7.
Le Capitaine fit un signe aux gardes qui empoignèrent brutalement Arsène.
- Au fait, Arsène, fais-moi plaisir : foire ce coup-là, histoire qu'on puisse se revoir.
Arsène n'eut pas le temps de répondre, mais il respirait mieux. Le SI-7 ? Un plan foireux, et dangereux, sûrement. Mais au moins, il restait en vie et libre pour le moment. Libre de prendre la tangente.
Trainé autant que poussé vers le siège du SI-7, le Voleur se retint de sourire. Toujours avoir une porte de sortie. Là était le secret, et celui qui coincerait Arsène n'était pas encore né !
***
Chapitre 17 : Le marché
Matthias Shaw jeta un regard amusé sur Arsène que les gardes venaient de jeter à ses pieds avant de se retirer - l'un des deux prit quand même le temps de lui balancer un coup de botte dans les côtes.
Arsène se releva en grimaçant, les mains toujours liées. Le chef du SI-7 fit un signe à un de ses hommes de couper les liens et resta silencieux à le regarder se masser les poignets. Arsène en profita pour jeter un oeil autour de lui discrètement, histoire de repérer les lieux et les sorties. En jouant bien le coup...
- Tu seras à terre avant d'avoir fait un pas, Arsène. Alors oublie, et discutons, veux-tu ?
Le Voleur grimaça.
- J'ai une bonne pointe de vitesse. Mais je vais quand même écouter votre histoire, par curiosité.
- Et aussi parce que tu n'as pas le choix.
- Si vous le dites...
Shaw s'assit tranquillement dans un siège confortable. Arsène en chercha un autre des yeux, mais se rendit compte qu'il n'y en avait pas. Tant pis, en restant debout, on pouvait s'enfuir plus vite.
- J'ai une copie de ton dossier sur mon bureau, Arsène. Tous tes exploits depuis tes 12 ans.
- Elle m'avait fait du rentre-dedans.
Arsène avait répondu machinalement.
- Peu importe. Ce n'est pas ton passé qui m'intéresse, mais ton futur.
- Moi aussi : j'aime l'idée d'en avoir un.
- Ca, Arsène, c'est loin d'être gagné. Ca dépend grandement de toi.
- Alors pas de soucis !
- J'aurais dit le contraire pour ma part...
Shaw resta silencieux, à observer le Voleur qui en profita pour repérer les objets de valeur de la pièce. Il dut reconnaître qu'il y en avait quelques uns. Mais quelque chose lui soufflait que s'en emparer ne serait pas aussi facile que ça.
Shaw reprit la parole.
- J'ai un travail pour toi. Est-il utile de préciser que tu n'as pas le choix ?
- On a toujours le choix.
- Non.
Arsène grimaça.
- Et c'est payé combien ?
- Tu restes temporairement en vie. Autant dire que la paye est royale.
- Je suppose que j'aurais des frais...
- Probablement.
- Ca tombe mal, je ne suis pas très en fonds en ce moment...
- Ne t'inquiète pas. Tu recevras de quoi subsister.
Le regard d'Arsène se mit à briller.
- Le soucis, c'est que j'ai eu beaucoup de frais dernièrement...
- Ne t'inquiète pas à ce sujet.
- Si vous prenez ça en charge...
Shaw sourit.
- J'aime ton culot, Arsène. Sincèrement. Non, en fait, je pense être quelqu'un d'assez intelligent pour ne pas te faire confiance.
- Vous me vexez.
- Tu survivras. Tu vas travailler pour moi. Et je te donne un chaperon, histoire d'être sûr que mes instructions seront bien comprises.
Arsène prit un air qui se voulait détaché. Un chaperon ? Ca peut se semer...
- Et en quoi consiste ce travail ?
- En fait, c'est une vieille histoire. Très vieille.
- Pas trop mon truc, les vieilleries.
- Ce n'est pas ce que m'ont dit tes fourgues. Il parait même que tu as un goût très sûr. Mais là n'est pas la question. Dis-moi, Arsène, connais-tu un Nain du nom de Gloïn Marteau-d'Acier ?
Arsène prit le temps de réfléchir à sa réponse. Shaw était renseigné, et très bien renseigné selon la rumeur.
- Disons que c'est un ami de la famille. Pas trop ma tasse de thé, les nabots.
- Je veux que tu ailles le voir. Il a des réponses à des questions que je me pose. Des questions importantes.
- Alors pour commencer...
- Arsène, Arsène... Ne t'ai-je pas dit que tu n'avais pas le choix ?
Arsène ouvrit la bouche pour répondre, puis la referma lentement, en prenant soin de ne pas bouger. Il venait de sentir la pointe d'une lame dans ses reins - une lame tenue par un homme suffisamment discret pour se glisser derrière lui. Il déglutit.
- Trois remarques ?
- Tu es gourmand. Mais soit, je te les accorde.
- En un, pourquoi ne pas aller le voir vous-même ?
- Gloïn est un Nain discret, et il n'aime pas, disons... les individus dans mon genre. Toi, il te connait.
- En deux, je ne l'ai pas vu depuis tout gosse. Et lui et moi, ce n'est pas... je veux dire...
- Il est Paladin, tu es un salopard. Mais comme tu l'as dis toi-même, c'est un ami de ta famille depuis longtemps.
- En trois, je n'ai aucune idée de là où il peut être.
- Mais tu connais ceux qui pourront te le dire, et ceux-là ne me le diront pas à moi.
- Et en quatre...
La pointe s'enfonça légèrement dans les reins du Voleur.
- Attendez !
Shaw fit un léger geste de la main, arrêtant l'avancée de la pointe.
- Mon gamin ! Edualk ! Un Paladin, marteau, noblesse, tout le toutim. Et il connait plein de trucs ! Copain comme cochon avec le vieux Nain ! Lui, c'est votre homme !
Shaw sourit.
- Je n'ai que deux réponses à te faire, par contre. En un, je connais Edualk. Il a déjà travaillé pour moi. Il a d'autres soucis. Et bien qu'il ne soit guère efficace, je ne tiens pas à mettre en danger quelqu'un d'expérimenté comme lui.
- "Guère efficace" ? Mais il est Paladin...
- Et en deux, dois-je comprendre que tu préfères laisser passer cette chance, et te confier au Capitaine de la Garde ? Je crois qu'il t'aime bien, tu sais...
Arsène digéra les propos de Shaw.
- Non...
- Il me semblait bien. Nous sommes donc d'accord ?
- J'aimerais en savoir plus avant...
Arsène grimaça en sentant la pointe de la lame s'enfoncer de quelques millimètres.
- Toujours à essayer de négocier, Arsène ? J'avoue que tu m'impressionnes.
- Il faut au moins que je sache de quoi il s'agit !
- En effet.
Shaw s'enfonça dans son fauteuil et ouvrit un mince cahier qu'il se mit à feuilleter.
- Le secret, Arsène, n'est pas de recueillir les informations, mais de les trier et de les exploiter. De trouver les liens. De trouver l'angle pour avoir la vision d'ensemble la plus juste possible.
- De loin, c'est mieux, je l'ai toujours dit.
- Oui, mais toi tu es un lâche. Bien, que savons-nous ? Arthas s'est réveillé et à tenté de nous frapper. Il a échoué, et nous sommes maintenant au Norfendre pour mener la guerre sur son sol.
- Merci du tuyau. J'éviterai la région alors.
- Je n'en doute pas venant de toi. Mais avant cela, il y a eu des choses étranges. Une nuit, la même nuit, les Mages de Hurlevent ont eu un moment de panique. Un mauvais cauchemar. Les Démonistes se sont cachés dans leurs sous-sols aussi. Et un certain nombre de témoins affirment avoir vu la lune devenir couleur de sang. Qu'en penses-tu, Arsène ?
- Les trucs magiques, ce n'est pas ma spécialité...
- J'ai aussi reçu d'autres informations. Mon homologue de Lune d'Argent m'a envoyé un signalement il y a quelques temps. Une Chevalière de Sang devenue folle, dont il me demande de m'occuper si jamais elle venait dans nos régions. Et le Chef de Guerre de la Horde a ordonné une enquête au sujet du massacre d'un de ses villages. Qu'est-ce que j'oublie... Ah oui, la Dame Noire a elle aussi des soucis suffisamment importants pour ordonner à deux de ses serviteurs d'aider le Chef de Guerre.
- Vous êtes bien renseigné.
- Oui, il paraît. Il y a des déductions à tirer de tout ceci. Des liens. Cette Chevalière est dangereuse. Elle a été discrète avant de passer en Kalimdor, mais pas assez pour ne pas laisser de traces. Ces traces laissent à penser qu'elle n'est pas qu'une folle. Qu'elle n'est "plus seulement" une folle.
- En résumé : foireux, dangereux et sans possibilités d'enrichissement.
- Et c'est toi qui va t'occuper de tout ça. Je veux que tu la retrouves et que tu te fasses une idée d'elle.
- Pourquoi Gloïn alors ?
- Il a déjà traqué quelque chose d'approchant, autrefois. Deux fois, à ce que je sais. Une meurtrière dont la principale caractéristique était de... boire le sang de ses victimes.
- Putain...
Arsène avait blêmi, tandis que Shaw restait stoïque.
- Oui, tu connais toi aussi cette histoire. Tu avais participé à la première traque de cette...
- La Sanglante. C'est comme ça que le Gnome, Grangarçon, l'avait appelée. Une foutue saloperie de tarée. Mais on l'a eu ! Gloïn l'a décapitée ! On a même touché la prime pour sa tête ! On avait fait part à trois, entre moi, le Nain et le Gnome, mais Gloïn a refusé parce qu'il voulait seulement venger son gamin ! Je... Ma première paye honnête...
- Et des années plus tard, le même Gloïn reprenait la route pour l'affronter à nouveau.
- Impossible ! J'ai vu sa tête !
- Il y a de la magie derrière tout ça, Arsène. Une magie passant de porteur en porteur - et, selon moi, maintenant en cette Elfe qui m'a été signalée.
Arsène était silencieux, pensif. Puis il soupira en secouant la tête.
- Donc, je n'ai pas le choix.
- En effet. Tu pars dès ce soir pour Menethil par le premier griffon. Tu y retrouveras ton chaperon qui doit arriver d'Auberdine par bateau, ainsi qu'un homme à moi qui lui remettra ses instructions. Ensuite, vous commencerez votre recherche.
- Je suis à sec...
- Le maître des griffons a des instructions. Et mon agent te fournira de quoi subsister - ou plutôt le fournira à ton chaperon.
Arsène prit une mine déçue tout en se retenant de sourire. Partir seul, sans surveillance, pour un port lointain... Il lui suffirait de trouver l'agent, de le dépouiller - rien de très compliqué - et de prendre le premier bateau. Ou mieux, de se perdre dans les Paluns... Avec un peu de chance, il pourrait même organiser sa mort "officielle" - ce ne serait pas la première fois !
- Au fait, Arsène...
- Oui ?
- Tu vas essayer de me doubler. Essaie seulement de ne pas perdre trop de temps.
- Votre manque de confiance...
- Et tu échoueras, bien sûr, car j'ai pris mes précautions.
Arsène haussa les épaules. Des précautions ? Un peu de patience, de l'astuce et de l'habileté, et d'ici un mois il serait ailleurs, en sécurité.
Alors que les gardes emmenaient sans ménagement Arsène jusqu'à l'aire d'envol, Shaw ferma les yeux et reprit sa réflexion. Avec de la chance, Arsène serait à la hauteur - suffisamment pour attirer l'attention le temps que d'autres s'occupent de cette histoire sérieusement...
***
Chapitre 18 : Souvenirs, souvenirs...
Le trajet d'Arsène vers Menethil se déroula sans incident. Certes, l'idéal aurait été de pouvoir obliger le griffon qui le transportait à se détourner vers une destination plus agréable, mais cette satanée bestiole ne suivait que le trajet que les hommes du SI-7 lui avait indiqué. Arsène en profita pour réfléchir à la suite des opérations.
Menethil était un port actif donnant sur les marais des Paluns et communiquant avec le continent de Kalimdor et depuis peu le Norfendre. Prendre un navire était hors de question - Theramore était surveillé, et le Norfendre était désormais zone de guerre, donc le pire endroit où se réfugier.
Le port offrait en lui-même des opportunités intéressantes, mais cela faisait longtemps qu'Arsène n'y avait pas mis les pieds. Il se souvenait d'ailleurs d'une embrouille l'ayant obligé à quitter la ville précipitamment... Mais rien d'impossible à négocier.
Non, les Paluns étaient la meilleure opportunité. Bien sûr, la région était puante et inintéressante au possible, sans parler de la faune particulièrement agressive. Mais c'était l'endroit idéal pour se perdre et se faire oublier.
Arsène sourit alors que le griffon survolait les Steppes Ardentes. Bien, maintenant, il lui fallait songer au plan B. Toujours avoir un plan de secours, là était le secret. Et face à un type comme Shaw, c'était même obligatoire. Il était parfaitement possible qu'Arsène soit obligé de filer doux et de subir la présence de son "chaperon". Sûrement un Elfe, vu l'endroit du rendez-vous. Un bouseux aux moeurs bizarres, un amoureux de la nature. Donc totalement inadapté à la ville...
Puisqu'ils devaient retrouver ce vieux gâteux de Gloïn, autant commencer par Forgefer, non ? Arsène connaissait la ville comme la poche de son voisin, et avait des contacts dans certains quartiers louches. Oui, ce serait facile de convaincre l'Elfe de l'accompagner, de lui offrir un verre, puis deux, puis vingt, et de l'abandonner ivre mort - non sans l'avoir délesté de sa bourse !
Encore une opération rondement menée ! Voilà le secret : toujours être en mouvement, ne jamais se laisser prendre, jamais plus de quelques jours au même endroit.
Le griffon passa du gris des Steppes au blanc de Durn Morogh. Cela rappela à Arsène de vieux souvenirs. Gloïn... Ce vieil imbécile... Avec sa morale, ses regards sévères, sa rigidité infernale ! Même Grangarçon, pourtant un Gnome des plus calme, finissait par s'énerver. C'était il y a quoi... 30 ans ? 30 ans... déjà... Arsène grimaça en songeant à certaines douleurs qui revenaient de plus en plus régulièrement. Oui, les temps héroïques n'étaient plus, mais il pouvait encore faire illusion, surtout devant des caves.
N'empêche, cette fichue histoire avait été suffisamment glauque pour que tous en ai été soulagés quand ils l'avaient coincée et tuée.
L'esprit d'Arsène s'envola dans le passé, plus de trente années plus loin.
La Porte Noire ne s'était pas encore ouverte. Mais des signes avant-coureurs laissaient présager un avenir sombre.
Arsène et sa famille vivaient en Elwyn tranquillement - sauf Arsène qui était déjà en train de filer voyou au désespoir de son père et de ses frères. Puis il y eu cette nuit de cauchemars, où la lune se teinta de rouge... Deux semaines plus tard, des Nains au visage fermé étaient arrivés, portant un corps mutilé, celui du fils de Gloïn, un Nain vivant chez les Humains et vieil ami de la famille. Cela l'avait rendu fou de douleur, inconsolable - et assoiffé de vengeance.
Arsène n'avait jamais apprécié le fils de Gloïn. Aucune fantaisie, et aussi droit et buté que son père. Mais il fallait que quelqu'un accompagne le Nain, et ce ne pouvait être personne d'autre qu'Arsène. Comme s'il avait eu le choix... C'était ça ou la prison, tout ça à cause de broutilles diverses et d'objets sans propriétaire retrouvés dans les poches du jeune homme.
Ils étaient donc parti sur les routes, tous les deux. En chemin, ils avaient récupéré un Gnome du nom de Timéas Grangarçon, un aristocrate désargenté mais habile avec ses mains et sa lame. Trois aventuriers, pour une vengeance qui se transforma en acte de justice.
Le meurtrier était une femme, une obscure fille de ferme devenue démente sans raison et qui s'était mise à massacrer des innocents, à mutiler leurs corps, à boire leur sang et manger leur chair. Ils l'avaient traquée sans se reposer pendant des semaines, Gloïn pour la vengeance, Grangarçon pour la justice, et Arsène pour la coquette récompense pour sa capture, morte ou vive.
Il le savait, Arsène avait vécu là ses plus beaux moments. Gloïn lui avait appris à se battre, Grangarçon lui avait appris des trucs qu'il utilisait encore aujourd'hui pour escroquer les pigeons et paraitre celui qu'il n'était pas. Les meilleurs moments de sa vie... jusqu'à ce qu'ils la trouvent.
Comment avaient-ils survécu à cette monstruosité ? Cela n'était pas une femme, mais une pure abomination, une parodie d'être humain, une bête difforme sans raison ni pitié, suintant la faim et la haine à tel point qu'ils avaient failli devenir fous. Mais Gloïn avait tenu bon. Grangarçon et Arsène avaient suivi. Et ils avaient réussi à tuer ce monstre, Arsène lui portant le coup de grâce dans le dos - pas élégant, mais qui parle d'élégance quand il s'agit de survie ?
Ils avaient porté sa tête à Lordaeron, où le Roi lui-même avait demandé à les rencontrer pour les féliciter.
Les meilleurs moments de sa vie...
Arsène se secoua alors que le griffon entamait sa descente vers les Paluns. Foutue histoire... Cela avait été réglé ! Définitivement ! Mais Gloïn l'aurait encore affronté des années plus tard ? Et vaincu ? Impossible !
Non... A moins que le danger ne soit plus grand encore...
Arsène soupira et se reprit. Allons ! Pas de faiblesse ! Prendre la tangente, rester en vie, laisser les autres faire le sale boulot. Ca, c'était la vraie vie !
***
Poster un commentaire -
Commentaires (0)
Créé le 16/10/2012 à 18:43:29 - Pas de modification
Chapitre 19 : Le chaperon
Le griffon se posa avec souplesse près de l'auberge de Menethil, laissant descendre Arsène qui prit quelques instants pour détendre ses muscles endoloris - et aussi pour passer en revue les environs.
Personne. Pas de comité d'accueil, pas d'agent du SI-7, pas de chaperon.
Arsène se mit à trainer ostensiblement autour des griffons, prenant l'air ennuyé du péquin de base attendant quelqu'un, histoire d'être sûr, mais le fait s'imposa : il était seul. Certes, sans un sou en poche, mais seul quand même - et libre.
Le Voleur se dirigea nonchalamment vers le port, les mains dans les poches, regardant autour de lui. Ne pas se précipiter, jamais ! Toujours réfléchir, peser le pour et le contre. Pourquoi n'y avait-il personne ? Un contretemps ? Possible. Avec un agent secret, tout était envisageable. Peut-être un test ? Hypothèse à prendre en considération - Shaw ne l'avait-il pas mis en garde ? Ou alors... Ou alors le SI-7 comptait sur sa réputation. Après tout, avec la guerre au Norfendre, tout le monde devait y être, non ?
Arsène atteignit les quais et s'arrêta au bord de l'eau. Il lui fallait prendre une décision, là, tout de suite. Trouver un cheval et s'enfuir, se perdre dans les Paluns. Un bon plan - sauf que les marais, ça craint. Ou prendre le temps de renouer quelques contacts... Oui, et au pire, s'il s'agit bien d'un test, il montrerait ainsi son sérieux et marquerait des points.
Arsène réfléchit. Comment s'appelait ce crétin, déjà ? Le Borgne, c'est ça ! Le soi-disant "caïd" de Menethil - en réalité un minable, qui avait cru pouvoir utiliser Arsène autrefois avant de réaliser qu'il n'était pas de taille. La dernière fois qu'il était passé par le port, il trainait à l'auberge, accompagné de quelques autres inutiles.
Oui, Arsène n'aurait aucun mal à récupérer quelques argent pour ses futurs frais. Puis voler un cheval - par exemple l'un des deux attachés devant l'auberge - et foncer ventre à terre dans les Paluns. On retrouvera le cheval, bien sûr, errant le long de la côte, là où pullulent ces saletés de Murlocs. Mais point d'Arsène... Facile de conclure à sa mort, non ?
Souriant et confiant, Arsène se dirigea en sifflotant vers l'auberge.
...
Arsène s'écroula en gémissant, le souffle coupé par le coup de poing reçu en plein ventre. L'homme debout devant lui jubilait, son oeil unique brillant de plaisir.
- Arsène ! Ce cher vieil Arsène ! Je n'osais plus espérer te revoir ! Ce cher vieil Arsène !
Le Borgne souleva Arsène par le devant de son habit et lui colla un autre coup de poing en plein visage, le faisant valser plusieurs mètres en arrière et se fracasser contre le comptoir de l'auberge.
- Ce cher vieil Arsène ! Tu m'as manqué, tu peux pas savoir !
Le Voleur se releva péniblement, reprenant son souffle sous le regard goguenard des hommes de main et, à son grand déplaisir, de celui des clients. Manifestement, il n'avait pas été oublié...
- Le Borgne... Moi qui pensais retrouver un ami...
- Ce cher vieil Arsène ! Toujours aussi amusant ! Bien sûr que nous sommes amis ! Qu'est-ce que tu crois ! Ah, tu m'as manqué, vraiment !
Arsène évalua la situation. Le Borgne continuait de sourire, ainsi que ses hommes - beaucoup plus costauds que dans son souvenir. Les clients suivaient aussi la scène avec intérêt, certains lui lançant des regards peu amicaux. Il n'y avait qu'une de ces créatures bizarres, une Draeneie, qui ne s'intéressait pas à lui, attablée à l'écart.
- Le Borgne, il doit y avoir une confusion. Pourquoi cette violence ? Nous étions amis !
- Mais tu as raison, mon cher vieil Arsène ! De vieux amis ! Surtout quand tu as mis ma femme dans ton lit.
Dans la mémoire sélective d'Arsène, une lueur menaçante se fit.
- Euh... Ta femme ?
- Oui, mais rassure-toi, c'était avant qu'elle ne tente de se pendre. La pauvresse n'a pas supporté ton départ, ainsi que la dérouillée que je lui avais mise. Elle s'en est sortie, mais obligé de la renvoyer chez sa mère, tu comprends.
- Euh... Ouais ?
- Sinon, tu as des nouvelles de ma soeur ? Tu sais, la gamine qui t'a accompagné pendant ta fuite. Ca fait un moment que je la cherche, je commence à m'inquiéter. Avec un gars comme toi, le trottoir n'est jamais loin. Je n'aimerais pas voir ma soeur, le propre sang de ma pauvre mère, être souillée. Tu me comprends, mon cher vieil Arsène ?
Arsène déglutit. Sa mémoire était étonnamment précise sur le sort de la soeur en question, et cela sentait mauvais. Très mauvais.
- Ecoute, je suis ici pour un job officiel. Tu ferais mieux de me laisser filer si tu ne veux pas d'ennuis.
Le Borgne éclata de rire, accompagné par ses sbires.
- Mais qu'est-ce que j'en ai à cirer, mon cher vieil Arsène ? Je vais te crever, lentement et avec beaucoup de plaisir. De plaisir pour moi, j'entends. Et ton baratin n'y changera rien.
- Non.
Le mot, prononcé à voix haute et avec un accent étrange, avait résonné dans l'auberge. Tous se tournèrent vers la table de la Draeneie. Le Borgne fronça les sourcils.
- Toi, la chèvre, reste en dehors de ça. Pigé ?
La Draeneie posa ses mains sur le bord de la table et se leva lentement, dépliant son long corps bleuté. Puis elle se retourna vers le groupe d'hommes.
Elle était grande, dépassant de presque deux têtes la plupart des hommes, si grande que ses cornes frôlaient le plafond. L'une d'elles était d'ailleurs cassée. Sous son armure de plaques, on voyait distinctement jouer des muscles secs et puissants. Elle avait des cheveux blancs touffus tombant sur ses épaules, retenus par un bandeau au front. Son visage était dur et fermé, menaçant même, sensation accentuée par l'épée et la hache affutées pendant à ses côtés. Surtout, on voyait sur sa gorge une profonde cicatrice, partant de sa mâchoire et plongeant sous sa cuirasse.
La Draeneie posa ses mains sur la poignée de ses armes et fit un geste du menton vers Arsène.
- L'homme rrreste avec moi. Vous êtes d'accorrrd, ou je tue vous. Comprrris ?
Le Borgne fit un geste rapide à ses hommes qui se placèrent autour de la combattante.
- Ce salaud reste ici. Ne te crée pas d'ennuis.
- Non.
- Pourquoi ? C'est une crapule.
- Pas d'imporrrtance. J'ai mission de venirrr avec lui. Imporrrtant. Vous êtes d'accorrrd, ou je tue vous.
Le Borgne hésita. La Draeneie était manifestement expérimentée et de taille à mettre sa menace à exécution.
Alors que la tension montait, Arsène plissa les yeux et sourit.
- Adieu les caves !
Surprenant tout le monde, il bondit vers la porte qu'il ouvrit d'un coup d'épaule, se propulsant dehors. Dérapant, il courut vers l'un des chevaux qui se trouvaient toujours devant l'auberge, le détacha d'un coup sec, sauta sur la selle et enfonça ses talons dans ses flancs, le faisant bondir au galop. Il eut juste le temps d'apercevoir le Borgne sortir, rouge de colère et en profita pour lui faire un bras d'honneur en riant.
Une Draeneie ? Ca aurait plu à son fils. Dommage, il avait repris sa liberté et n'avait pas l'intention de s'arrêter avant d'avoir épuisé sa monture.
***
Chapitre 20 : Coincé
Le cheval remua sa queue pour chasser une mouche tenace, et se remit à brouter, dédaignant tout ce qui ne ressemblait pas à de l'herbe. A vingt mètres de lui, la main sur ses reins endoloris et couvert de poussière, Arsène lui lança une nouvelle bordée d'injures que l'animal ignora avec superbe. Le Voleur cracha par terre et tenta à nouveau de s'approcher, faisant s'éloigner immédiatement le cheval.
- Saloperie de carne ! Tu vas voir ! Tu vas finir sur un étal de boucherie !
Soupirant d'exaspération, Arsène passa en revue les alentours. Le cheval l'avait jeté par terre sur la route quittant Menethil, après avoir dévoré plusieurs lieux au galop. Heureusement, personne ne le suivait. Malgré tout, il était maintenant à pied, au milieu de nulle part, et toujours sans arme et sans argent...
Arsène se figea soudain. Il venait d'entendre un bruit venant de Menethil : manifestement un animal au trot. Il se jeta plus qu'il courut derrière un rocher, ramassant une pierre aiguisée pour faire office d'arme rudimentaire, et attendit, surveillant la route de derrière son abri.
Au bout d'une minute ou deux, la source du bruit apparut : un cheval, monté par une Draeneie - celle de l'auberge. Elle s'arrêta en voyant la monture d'Arsène et se dirigea vers elle. Elle descendit, et tendit la main vers l'animal qui la rejoignit calmement. Elle lui parlait dans sa langue, une langue étrange où roulaient les "r". Derrière son rocher, Arsène était figé et silencieux, sa pierre prête à jaillir.
La Draeneie se retourna alors.
- Je sais vous êtes ici. Caché. Vous venez avec moi. Nous avons le trrravail à fairrre.
Arsène ne bougea pas.
- J'ai tué les bandits. Plus de prrroblème. Nous revenons au porrrt. Nous devons voirrr l'homme pourrr les instrrructions.
Arsène était toujours silencieux. Un véritable don, chez lui, qui lui avait souvent sauvé la mise. Cette satanée... "chèvre" ne l'aurait pas comme ça.
- Nous perrrdons du temps. Il faut trrrouver votrrre ami Nain. Et arrrrrrêter le monstrrre. Ah. Vous êtes ici.
Arsène blêmit, toujours figé et silencieux. La Draeneie se dirigeait droit vers lui, le visage toujours aussi fermé - mais sans avoir les mains sur ses armes. Comment avait-elle... ? Soudain, il entendit un miaulement juste derrière lui. Jetant un oeil sans bouger, Arsène vit un chat blanc assis sur le rocher derrière lequel il était caché, qui le regardait fixement. Bon, autant pour la planque...
Le Voleur se leva et jeta ostensiblement sa pierre, et sortit son plus beau sourire à la Guerrière.
- Pourquoi on ne s'arrangerait pas, toi et moi ?
- Vous venez avec moi. Nous avons un trrravail à fairrre. Urrrgent.
- Et si je refuse ?
- J'assomme vous et je cherrrche chez les Nains.
La Draeneie ne souriait pas. Manifestement, ce n'était pas son genre.
- Sérieusement, vous y gagnez quoi ? Moi, je peux payer...
Arsène prit un air mystérieux, celui qui l'avait si bien servi à de nombreuses reprises. La Draeneie répondit en dégainant son épée et en la pointant sur sa poitrine. Son regard brûlait d'une flamme terrible.
- Pas d'arrrgent. Je veux tuer le monstrrre. Vous trrrouvez le monstrrre. Je le tue. C'est tout. Vous comprrrenez ?
- Je vois. C'est une vengeance, c'est ça ?
- C'est les affairrres de moi. Vous trrrouvez l'ami Nain. Il dit où est le monstrrre. Je le tue.
Arsène décida de jeter l'éponge. Le plan A avait échoué, il fallait passer au plan B. Et en trouver un autre, au passage. Toujours être en mouvement. Toujours.
- D'accord, vous avez gagné. C'est qui, l'homme de Shaw ?
- On dit à moi c'est marrrin surrr le porrrt. Il connaît nous.
- Et il vous a déjà contacté ?
- Non. Vous n'arrrrrrivez pas encorrre.
- Ouais, alors pourquoi il ne m'a pas abordé quand je suis arrivé ?
- Je ne sais pas. Vous avez l'idée ?
Arsène réfléchit. Quand on prend une voie, il faut aller jusqu'au bout - en tout cas jusqu'à rencontrer une occasion sérieuse de se faire la belle. Le fait que l'homme de Shaw ne se soit pas encore fait connaître était louche.
- Bon, on va commencer par retourner à Menethil. On cherchera sur le port, on posera des questions. Par contre, je n'ai ni arme ni argent. Ca risque de poser un problème.
- Je prrrotége vous. Mais je donne ça, ça aiderrra. Pourrr l'arrrgent, j'ai un peu, pas beaucoup.
Arsène empocha la dague que lui tendait la Guerrière - une lame tarabiscotée mais affutée comme il fallait.
- Faisons les choses dans l'ordre. Au pire, on ira à Forgefer pour retrouver le vieux Gloïn. Mais j'aimerais savoir où je mets les pieds.
La Draeneie ne répondit rien, se contentant de monter sur le cheval qu'Arsène avait précédemment volé. Ainsi c'était celui de la Guerrière... Il enfourcha l'autre monture, moins impressionnante.
- Au fait, je m'appelle Arsène. Et vous ?
- Je sais votrrre nom. Mon nom est Rrroxiane.
- Roxiane ? Marrant, mon gamin connait une Drana... Drena... une comme vous, mais une Mage. Qui porte le même nom.
- Nous disons Drrraeneie. Rrroxiane est nom courrrant chez notrrre peuple. Nom qui dit sérrrieux, solide.
Roxiane lança quelques mots dans sa langue étrange vers le chat qui courut souplement jusqu'à elle et sauta sur le pommeau de sa selle.
- Nous y allons. Nous trrrouvons l'homme, pourrr les inforrrmations.
Le couple dissemblable reprit la route de Menethil. Arsène réfléchissait, suivi par Roxiane. Un autre plan... Trouver un autre plan... Saouler cette bestiole risquait de ne pas être aussi simple que ça...
***
Chapitre 21 : Je commande
Cela faisait deux heures que Roxiane et Arsène fouillaient le port de Menethil sous le regard soupçonneux des gardes qui avaient manifestement choisi d'oublier l'affaire avec le Borgne mais non sans rester méfiants.
Aucun des marins n'était l'agent de Shaw, et personne n'avait remarqué d'absent. En même temps, les mouvements étaient nombreux dans cette communauté et tous ne se connaissaient pas entre eux. Bref, ils faisaient chou blanc.
- Ni info, ni fric. C'est la merde.
- Nous allons cherrrcher l'ami Nain. C'est mieux.
- Ou contacter Shaw ?
- Il ne faut pas perrrdrrre le temps. Nous cherrrchons le Nain. Où ça ?
- Forgefer, pour commencer. Le meilleur endroit pour trouver un Nain.
Roxiane secoua la tête.
- On a dit à moi que le Nain est ami de vous. Nous allons chez sa maison. Maintenant.
- Plus compliqué que ça. Avant, il vivait près de chez moi, en Elwyn. Puis il s'est retiré dans un coin paumé, et je ne sais pas où.
- Pourrrquoi Forrrgeferrr ? Nous allons à Elwyn, oui ? Pourrr trrrouver.
Arsène secoua la tête.
- Mauvaise idée. C'était il y a longtemps. A Forgefer, on trouvera sûrement quelqu'un qui a des nouvelles de lui. On commencera par écumer les tavernes - tel que je le connais, il doit les fréquenter assidûment !
La Draeneie ne répondit pas mais se dirigea vers les chevaux. Arsène retint un sourire. Elwyn ? Des clous ! Pour être accueilli à coups de pieds par son paternel, sans parler de son frère, ce bêcheur d'Athamnas ! Non, Forgefer, ses tavernes, son alcool... Et ensuite, la tangente !
...
Arsène déprimait. Il n'aimait guère Forgefer, dont le seuls intérêt était d'offrir de nombreuses tavernes et de l'alcool puissant en grande quantité. Malheureusement, son plan ne se déroulait pas comme prévu...
Ils avaient écumé toutes les tavernes de la cité. A chaque fois, Arsène poussait la Draeneie à boire généreusement, sans qu'elle ne s'y oppose. Elle devait déjà avoir sifflé plusieurs litres d'alcool pur, le ventre vide, et pourtant, elle semblait toujours aussi maîtresse d'elle-même ! Heureusement, Arsène en profitait pour faire les poches de ses voisins de table, histoire de se renflouer, mais quand même... La bonne nouvelle, c'est que si certains Nains connaissaient le vieux Gloïn, aucun ne savait où le trouver. La seule information valable était qu'il s'était réfugié quelque part en Dun Morogh.
A la dernière taverne, il craqua.
- Dites-donc, vous avez la descente facile !
- Vous dites il faut payer à boirrre pour fairrre parrrler. Je fais ça. Ils parrrlent, mais pas d'inforrrmation sur l'ami.
- Vous allez finir par rouler sous la table !
- La boisson ici n'est pas forrrte. La boisson des Drrraeneis est forrrte.
- Forte comment ?
- Je sais que les Nains ne boivent pas ça. J'ai vu un nain boirrre un verrrrrre, il devient aveugle. Trrrop frrragile.
Arsène grimaça intérieurement. Foutues chèvres... S'il avait su ça, il aurait gagné du temps !
- Maintenant, on va à Elwyn, oui ? On trrrouve la famille de vous, et on pose les questions.
- Je vous l'ai dit...
- J'ai les inforrrmations. La famille est toujourrrs là-bas. Vous essayez de trrromper moi. Je montrrre à vous que c'est inutile. Maintenant, on trrravaille ensemble pour trrrouver le monstrrre.
- Mais non ! Je n'essaie pas...
- Vous parrrlez beau, et beaucoup. On m'a dit, vous êtes Voleurrr, vous trrraitez les femelles comme un objet. Je pourrrrrrais tuer vous, mais je veux le monstrrre. Oui ?
Arsène se tut. Plan B foiré. Passons au plan C - dommage qu'il n'en ai pas encore...
- On pourrait essayer Kharanos. C'est un village de Nains en Dun Morogh. Peut-être...
- J'épuise la patience avec vous. Je commande. Je dis : nous allons à Elwyn voirrr la famille de vous. Si pas la famille, on a dit de cherrrcher le fils de vous. Oui ?
- Edualk ? Il doit être au Norfendre, à l'heure actuelle.
- Alorrrs nous allons à Norrrfendrrre si obligé. Je prrrotége vous. Ou je tue vous. Vous choisissez ?
Arsène soupira.
- D'accord, d'accord... On va en Elwyn... Mais ne vous attendez pas à être bien accueillie.
Roxiane se leva et attendit que le Voleur fasse de même avant de partir. Elwyn... Arsène n'y faisait que de rares escales, surtout à l'auberge de la Comté de l'Or. Le temps de croiser son père de plus en plus sénile, tout en évitant son frère Athamnas qui n'avait jamais accepté son choix de vie.
Foutue famille de tarés...
Poster un commentaire -
Commentaires (0)
Créé le 16/10/2012 à 18:47:18 - Pas de modification