Prologue : Un nouveau départ
L’obscurité. Il fait sombre. J'ai froid.
- Par la malepeste ! Igor ! Je t'ai dit cent fois de mettre une bouilloire dans ce lit ! Où il est encore passé, ce feignant !
Attends, attends...
Mes doigts tâtent la surface sous mon corps. Une dalle, froide et dure. A moins que les huissiers ne soient passés en douce encore une fois, je ne suis pas dans mon lit.
D'ailleurs, je ne me souviens pas de ce plafond devant mes yeux. Juste de la pierre nue. Bon sang, si Igor m'a encore piqué mes fresques érotiques, ça va barder pour son matricule !
Celui-là, depuis qu'il est amoureux, il n'y a rien à en tirer. Je vais finir par être obligé de me débarrasser de cette chèvre...
- Igor ! Igor, par la malepeste ! J'ai froid !
Ma main se lève pour attraper et tirer le cordon qui me sert à sonner ce satané bossu.
Pas de cordon. Juste la pierre nue.
Bon, je vois. Il s'est encore passé un truc. Réfléchissons...
Ah oui, ça me revient. Les Paladins... Je hais ces satanés fouineurs ! On travaille tranquillement dans son coin, sans gêner personne, et sous prétexte qu'on est un Génie du Mal et qu'on veut conquérir le monde, ils débarquent dans votre repaire, enfoncent la porte, massacrent vos gardes, piquent l'argenterie, mangent vos servantes et violent vos poules, ou le contraire, on ne sait jamais avec ces paloufs, et ne s'essuient même pas les pieds sur le paillasson !
A tous les coups ils m'ont encore monté un plan pendard, comme cette fichue Démoniste qui m'avait enfermé dans les toilettes l'autre fois.
Si même les collègues s'y mettent…
Bon, ils ont dû m'enfermer dans mon tombeau, cette fois-ci. Bizarre que je ne m'en souvienne pas, quand même...
- Igor ! Igor, laisse cette chèvre et amène-moi ma robe de chambre ! Igor, par la malepeste !
Aucune réponse. D'accord, j'ai compris, je vais devoir me lever moi-même et retourner au laboratoire. Et dès que je remets la main sur ce satané bossu, j'essaie ma nouvelle panoplie du petit tortionnaire que j'ai eu à la dernière Fête de l'Hiver par Tata Suzette...
Tiens, je ne me souvenais pas de ces escaliers. Pourtant, l'architecte gobelin m'avait assuré qu'avec les marais, il était impossible de faire des caves pour mon repaire.
Bon, pas grave, l'important, c'est de rentrer chez moi, de retrouver mon fauteuil et mes chaussons, et de fomenter un nouveau plan maléfique pour conquérir le monde.
Mouahahahahahahah !
Ca y est, je suis enfin sorti de ce caveau.
Mais... je suis dans un cimetière ! Où qu'il est, mon repaire secret ? Où qu'ils sont, mes séides ?
Euh... je suis où, là ?! Et qui c'est ce…
- Y me donne son nom et sa classe pour le registre, merci.
- Qmfff mfff fmmmfff cmmmfff sffmm rmfff !!!
- Y l'a dit quoi ?
- Je dis : qui m'a foutu cette satanée robe ! J'ai failli me faire mal en tombant, par la malepeste ! Et puis, vous êtes qui ? Un Mort-Vivant ? Beurk ! Igor va vraiment s'en prendre une, je vous le garantis. J'avais dit : pas de Mort-Vivant ! Ca pue, ça passe son temps à vouloir bouffer du cerveau, et ça perd des morceaux un peu partout, c'est une vraie plaie pour ravoir les draps au lavage.
- Bon, c'est pas tout ça, mais y'en a d'autres qui attendent, alors si y pouvait ne pas traîner... Nom et classe. Pour le registre, merci.
- Eh ! Oh ! Baisse d'un ton, créature. Je ne suis pas n'importe qui, moi. Je suis un Génie du Mal, moi. J'ai un repaire secret, moi. J'ai des séides et un serviteur bossu, moi. J'ai le diplôme homologué de la Confrérie Nécromancienne de Répression Sympathique, moi. Je suis...
- Y l'est mort.
- ... le plus grand cerveau criminel de tout... Comment ?
- Y l'est mort. Et y'en a d'autres qui attendent, alors si y pouvait ne pas traîner...
- Mort ? Mort ? Mais... mort ? Comme... pas en vie ?
- Y l'est perspicace. Et y m'a pas encore donné son nom et sa classe. Pour le registre, merci.
- Je ne peux pas être mort ! Par la malepeste ! Je dois conquérir le monde ! Et puis... mort ?
- Pfff... Pourquoi c'est toujours sur moi que ça tombe... Bon, je vais y faire un résumé. Y'a eu le Fléau. Y'en a beaucoup qui sont morts. Y'en a qui sont revenus. Y l'est du lot. Alors y l'est content, y l'a une seconde chance, tout ça, et y me donne son nom et sa classe pour le registre, merci.
- Mais... mon repaire secret ? Mes séides ? Mon bossu ? Non, pas mon bossu, celui-là, il peut aller se faire voir avec sa chèvre... Mon plan génial pour conquérir le monde ?
- Y z'ont tout rasé y'a 15 ans pour faire du potiron. Y me donne son nom et sa classe, merci. Pour le registre.
- Tout rasé ? Mais... je n'avais même pas fini les tapisseries du salon rose... Et je venais de faire curer les douves... Et puis... Euh... Attendez... 15 ans ?
- Y l'est mort y'a 50 ans. Et y m'a pas encore donné son nom et sa classe. Pour le registre, merci.
- 50 ans... 50 ANS !!! Par la malepeste ! Euh, rassurez-moi, mon brave : personne n'a encore conquis le monde, j'espère ?
- Y'en a qu'ont essayé, y z'ont eu des problèmes... Après, c'est lui qui voit... Nom et classe, merci. Pour le registre.
- 50 ans... Plus de repaire secret... Plus de séides... Plus de… Non ! Ma collection d'estampes elfiques ! Oh non… Quoique… D'un autre côté, plus de dettes... Plus de... Eh ! Je suis mort ! Dites donc, vous, ça veut dire que je ne peux plus mourir ? Hein ?
- Y peut mourir, mais ça dure pas. Nom et classe. Pour le registre, merci.
- Je ne peux plus mourir. Mouahahahahahahah ! Ainsi, dès ce soir, je vais pouvoir reprendre mon oeuvre maléfique !
- Y va faire quoi, ce soir ?
- Ce que je fais tous les soirs, minus : tenter de conquérir le monde ! Mouahahahahahahah !
- Pfff... Encore un... Nom et classe, merci. Pour le registre.
- Notez. Pour la postérité. Pour la gloire de mon nom immortel. Pour...
- Nom et classe, merci. Pour le registre.
- Llégion. Sorcier Malfaisant. Et Génie du Mal.
- ... "Llégion" ?
- "Mon nom est Llégion, car nous sommes innombrables"
- Y l'est tout seul, là.
- Oui, mais vous allez voir : bientôt, oui, bientôt... J'aurais levé une nouvelle armée. Plus grande que celle que j'avais auparavant. Plus puissante. Et avec cette armée... je conquerirai... je conquirai... je conqu... Rhaaa ! J'irai conquérir le monde ! Mouahahahahahahah !
- Alors y l'oubliera pas d'aller au Bureau des Génies du Mal à Fossoyeuse et y demandera le formulaire relatif aux Conquérants du Monde. Y l'oubliera pas de préciser catégorie "Serviteur de l'Enfer".
- Oui, oui, on lui dira... Allez, disparais de ma vue, créature insignifiante. Ou par la malepeste, je te réduis en charpie !
- Y va maintenant aller au Nord pour prendre ses ordres au village. Et y fait attention aux chauves-souris et aux loups.
Et c'est ainsi que moi, Llégion, Démoniste Malfaisant et Génie du Mal, je repris la route vers la conquête du monde et la soumission de toute vie à ma volonté.
Mouahahahahahahah !
- Et y fait attention à ne pas se marcher sur sa robe.
Par la malepeste ! Ils ne peuvent pas faire des robes moins casse-gueule !
***
Chapitre 1 : Un ami pour la vie
Avant toute chose, Llégion devait retrouver ses incommensurables pouvoirs maléfiques. Et force était de reconnaître que c'était plutôt mal parti...
Malgré son incontestable talent et sa fabuleuse expérience dans les arts occultes, Llégion n'était revenu à la "non-vie" qu'avec une robe pouilleuse, une dague rouillée et surtout un minable trait de l'ombre comme seul sortilège de combat.
C'était à pleurer. Comment voulez-vous conquérir le monde avec un tel équipement ? Quand il pensait à son repaire secret et à tout le matériel qu'il y avait patiemment entreposé...
Bon, c'est vrai que les huissiers avaient déjà tout raflé.
Trois fois.
Mais quand même...
Plongé dans ses réflexions, Llégion arriva rapidement au petit bourg situé au nord du tombeau.
Le Glas.
Le bâtiment principal avait l'air minable, et les Morts-Vivants qui y avaient élu domicile étaient à peine mieux.
Au moins, ils ne juraient pas dans l'ensemble.
Celui qui semblait le chef - en tout cas, le moins pouilleux de tous, si tenté que cela puisse exister - leva la tête de la partie de carte auquel il participait avec ses congénères.
- Bienvenue à toi, Démoniste. Tu es des nôtres, dorénavant.
- Je ne suis pas sûr d'aimer ça...
- Tu verras, tu t'habitueras. Et pour commencer, tu devras faire tes preuves. Je t'ordonne de tuer des morts-vivants qui traînent là-bas et de me ramener leur coeur.
- Tuer des morts-vivants ? Des gars comme nous, vous voulez dire ?
- Je sais, moi aussi je trouve ça foireux, mais que veux-tu, ce sont les ordres... De toutes façon, plus on en tue, plus il y en a de ces saletés. Donc, défoule-toi, c'est gratuit.
Bon ben, si c'est gratuit...
Mais avant tout, il fallait à Llégion un serviteur. Un démon, donc. Ca tombait bien, il y avait une collègue juste devant lui. Et vu sa tête, son jeu ne devait pas être terrible...
- (voix caverneuse) Par la malepeste, que veux-tu, créature ?
- Eh ! C'est mon juron ! C'est moi qui dis ça normalement !
- (voix caverneuse) Tu me fais perdre mon temps, créature.
- Grrr… En fait, vous allez rire, mais bien que je sois un Génie du Mal diplômé, j'ai, hem... "oublié" comment on invoque des démons. Vous voulez bien me le rappeler ?
- (voix caverneuse) Pour commencer, tu devras faire tes preuves, créature. Je t'ordonne de tuer des morts-vivants qui traînent là-bas...
- ... et de vous ramener leur coeur, c'est bon, je connais le topo.
- (voix caverneuse) ... et de me ramener leur crâne. Perdu.
- Pas de problème.
- (voix caverneuse) Ne te trompe pas, créature. Ce sont les squelettes que tu dois tuer.
- Dites donc, ils n'ont pas l'air d'être vos copains, ces morts-vivants.
- Ca fait 15 fois qu'ils ruinent mon potager ! Tu parles que je vais me gêner pour les faire démolir par tous les bouseux qui passent par ici !
- Tiens, vous avez perdu votre voix caverneuse.
- Euh... (voix caverneuse) Ne me fais pas perdre mon temps, créature. (voix normale) Et puis, te gêne pas pour en démolir un bon paquet, hein. De toutes façon, plus on en tue, plus il y en a de ces saletés. Donc...
- ... défoulez-vous, c'est gratuit. Ca aussi, je connais.
Il avait donc une mission maintenant : casser du mort-vivant. Y'avait plus qu'à.
…
Un quart d'heure plus tard, Llégion titubait maladroitement vers le bâtiment où ses "employeurs" continuaient tranquillement à taper le carton en attendant les débutants comme lui.
Il ne titubait pas pour faire comme un mort-vivant, il avait déjà assez de mal avec cette satanée rob...
- Encore ?! Par la malepeste, ras-le-bol ! Jamais je réussis à marcher sans me casser la figure, moi !
Llégion se releva en pestant et ramassa le tas de coeurs décomposés et de crânes pourrissants, récupérés de haute lutte sur les sacs d'os se baladant dans le village en ruine.
Passablement encombré, il se planta devant sa consoeur.
- Bon, voila, je vous ai apporté les crânes. Un boulot pourri, soi dit en passant. Vous me montrez l'invocation, maintenant ?
- (voix caverneuse) Tu as bien travaillé, créature. Laisse-moi te montrer...
L'apprentissage se révéla plus fastidieux que prévu. Llégion avait notamment du mal avec le passage avec les mains, mais au bout d'une heure d'efforts, il réussit enfin à piger le truc.
Llégion se frotta les mains.
- Enfin ! Un démon puissant et destructeur ! Soumis à mes ordres ! Ils vont voir, ces ploucs ! Maintenant, oui, maintenant, Llégion repart à la conquête du monde ! Mouahahahahahahah !
Llégion remonta ses manches et entreprit de procéder au rituel qu'il venait d'apprendre. Après quelques secondes de recueillement, il lança le puissant sortilège qui allait lui donner l'instrument de sa volonté toute puissante.
Le sortilège fit trembler les murs de la réalité. Un portail s'ouvrit devant lui, donnant à voir une infime partie des Enfers.
Le puissant démon qu'il avait invoqué parut alors, et traversa le portail.
- Enfin ! Oui, enfin ! Tu es dorénavant à mes ordres, démon ! Et je t'ordonne de... euh... Par la malepeste, c'est quoi ce truc ?
Le "truc" en question n'avait rien du puissant démon envisagé. Au contraire. Petit, vaguement agité, avec des ailes ridicules...
- Un Diablotin ! Par la malepeste ! Ils m'ont fourgué une saleté de Diablotin ! Je l'crois pas ! Eh ! Rouvrez le portail, vous vous êtes trompé ! C'est pas le bon modèle !
- Bonjour ! C'est vous mon Maître ?
- Non ! J'ai demandé un puissant démon, pas une petite crotte ! Dégage ! Retourne en Enfer et dis-leur de m'envoyer le bon !
- Désolé, Maître, mais conformément à la directive infernale 427 alinéa 38 du Code de Procédure d'Invocation, les Démonistes en noviciat d'invocation n'ont pas accès aux susdits infernaux d'une habilitation supérieure au niveau dudit novice.
- ... Hein ?
- Ca veut dire que vous êtes trop nul pour avoir autre chose qu'un Diablotin pour l'instant... Maître. Pas de bol.
- Par la malepeste, mais j'ai un monde à conquérir, moi ! Tu ne te rends pas compte ! Comment je fais moi, sans un puissant démon pour anéantir mes ennemis ?
- Vous inquiétez pas, je suis pas si mauvais que ça... moi... Maître.
- Dis donc, toi, tu ne serais pas en train de légèrement me charrier, là ?
- (air innocent) Moi ? Nooonnn... Ce serait surprenant. Ne suis-je pas votre serviteur, ô mon Maître ?
- Tu es un vrai faux-cul, toi... Tu me plais bien, finalement. Et tu t'appelles ?
- Abatik, Maître. Ca vient de mon arrière-grand-oncle qui servait...
- On s'en fout. Et tu sais faire quoi ? Tu connais des sorts, au moins ?
- Des sorts ? *sourire pervers* Je ne vous ai pas encore montré mon sort préféré, Maître. Ca s'appelle...
Cinq minutes plus tard.
- Sympa. J'aime bien la façon dont ils courent dans tous les sens, et les flammes, ça donne un côté festif. Et tu appelles ça... ?
- Eclair de feu, Maître. Simple et de bon goût. En plus, cela présente l'avantage sur les traits d'ombre de cuire la viande en même temps. Sans le goût faisandé.
- Bien, je crois que finalement, je vais quand même te garder.
- Mon Maître est trop bon. C'est un honneur de servir un tel seigneur...
- On lui dira, on lui dira... Bon, c'est pas tout ça, mais que penses-tu de partir à la chasse ?
- La chasse ? Je ne connais pas, Maître. Ca marche comment ?
- On tue des trucs.
- Intéressant. Je sens que ça va me plaire, Maître...
- En plus, tu as le droit de les faire souffrir.
- ... vraiment me plaire, Maître.
Abatik. Hypocrite, tordu et malin comme un singe. Un nouveau serviteur. Finalement, tout ceci prenait une tournure assez sympathique...
- Vous ne vous êtes pas fait mal, Maître ?
- RHHHAAA !!! Par la malepeste ! Marre de cette robe à la con !
- Respirez, Maître, vous devenez bleu.
- (voix geignarde) Je veux un pantalon...
- N'ayez crainte, Maître. J'ai ma petite idée...
***
Chapitre 2 : De fil en aiguille
Llégion était assis à une table à l'auberge du Pendu de Brill, devenu son quartier général faute de mieux.
- Par la malepeste, pour une idée à la con, c'est vraiment une idée à la con. Et je m'y connais.
- Mais non, Maître. C'est simplement logique. Faites attention à votre ourlet.
- On ne peut pas trouver des gens pour faire ça à ma place ? Genre de charmantes demoiselles, avec des yeux de biche, un sourire ravageur, une longue chevelure bouclée...
- Maître...
- Des cuisses fermes et bronzées, des petites fesses dodues...
- Maître !
- Quoi ?
- Vous êtes mort, Maître. Vous vous faites du mal. Et en plus, vous n'en n'avez pas besoin.
- Je suis un Génie du Mal. Je suis sensé me vautrer dans le stupre et la luxure.
- C'est prévu, Maître. Un peu de patience...
- C'est-à-dire ?
- Vous avez entendu parler de la Succube, Maître ?
- La Succube ? C'est quoi ?
- Je vous laisse la surprise, Maître. Mais ça va vous plaire, croyez-moi.
- Si tu le dis... Mais pour en revenir à ton idée à la con...
- De toutes façons, il faut de l'argent pour acheter, Maître. Même moi je sais ça. Et on a combien ?
- ...
- Donc : il vous faut un métier, Maître. Et la couture, pour un Démoniste, c'est une base.
- N'empêche, je trouve ça, comment dire... pas très malfaisant.
Il se replongea dans son canevas.
Franchement, moi, Llégion, le plus grand cerveau criminel de tout Azeroth, un pur Génie du Mal, faire de la couture...
Le pire, c'est que ça commençait à lui plaire…
Il fallait reconnaître au moins un avantage à ce métier. Pour coudre, il faut du tissu. Et du tissu, on en trouve sur des ennemis. Morts, vu que ce sont de sales égoïstes. Et avec Abatik, Llégion avait vite pris le coup pour ce qui était de tuer des trucs sans prendre de risques...
...
Une heure plus tard, du côté de la Tour de Garde occupée par les Ecarlates.
- Euh... Maître ?
- Oui, Abatik ?
- Je ne veux pas avoir l'air de me plaindre, Maître...
- Alors ferme-la. Et prépare ton éclair, j'ai repéré des guerriers Ecarlates là-bas.
- Je ferais bien une pause, Maître.
- Pourquoi donc, par la malepeste ? Tu ne t'amuses pas ?
- C'est la douzième fois que je meurs cet après-midi, Maître ! J'en ai marre !
- Tu es un démon. Tu ne peux pas mourir.
- Quand même. J'aime pas me faire invoquer, Maître. J'ai les oreilles qui bourdonnent pendant une heure à chaque fois.
De toutes façons, les guerriers Ecarlates avaient fini par décider d'aller se planquer du côté du Monastère ce jour-là. Beaucoup trop de jeunes Morts-Vivants enthousiastes dans le coin, et donc beaucoup trop de pertes pour les soi-disant champions de la Lumière.
De plus, Llégion avait son content de tissu pour se faire quelques habits un peu moins pouilleux. Abatik poussa un soupir de soulagement et les deux suppôts du Mal repartirent vers Brill.
- Par la malepeste, il faudrait que j'achète des sacs. Ca commence à faire juste, là.
- Il faut des sous pour ça, Maître.
- Oui. Et vu que je suis raide...
- L'idéal, Maître, ce serait de trouver un riche pigeon et de lui soutirer son or.
- On est au milieu de nulle part, et je n'aime pas mendier. Ca fait plouc. On va plutôt continuer à tuer des trucs. En plus, il me semble que tu meurs moins, ces temps-ci...
- (Tu parles...) Vous avez raison, Maître.
- Mais il me faudrait une autre arme. Un bâton ou une épée, par exemple, pour remplacer cette dague minable. Et une baguette. Et j'ai besoin de cuir pour mes bottes. Et...
- Maître, on est raide.
- Ah, oui. Il me faudrait un bon plan pour me faire du fric facilement. Genre trouver un riche pigeon et lui soutirer son or. Tu en penses quoi ?
- (Ben tiens...) Une idée lumineuse, Maître.
- Bon, je te laisse les détails. Mais dépêche, on n'a pas toute la journée.
Abatik s'assit un moment, se caressant le menton d'un air pensif. Puis un sourire commença à apparaître sur son visage tordu.
- Je pense que je tiens quelque chose, Maître...
- Alors, c'est quoi ton plan ?
- Vous avez encore de la famille, Maître ?
- Aucune idée. Peut-être du côté de mon frère. Il a eu un fils autrefois. Il doit bien y avoir quelque marmaille qui en est sortie.
- On vérifiera dans les archives de Fossoyeuse, Maître. Et vous aimez écrire ?
- Ca fait parti de mes nombreux talents. Je suis un Génie du Mal, ne l'oublie pas.
- Alors Maître, voilà ce que vous allez faire...
***
Chapitre 3 : L'art de plumer un pigeon
Abatik avait eu une bonne idée. Comme Llégion l'avait subodoré dès leur rencontre, le Diablotin s'y connaissait en matière d'arnaques et de coups tordus.
Quelques recherches dans les archives de Fossoyeuse avait permis de retrouver la trace d'un arrière petit-neveu encore en vie, un certain Edualk, Paladin de son état, disposant d'un permis de voyage pour l'Outreterre en bonne et due forme.
Donc probablement riche.
Llégion se souvenait du grand-père du Paladin, son neveu donc, quand celui-ci n'était qu'un enfant. Un gniard classique, sage, poli, serviable. Il avait toujours de furieuses envies de balancer un coup de pied dedans, mais ce ne sont pas des choses à faire en réunion de famille.
Il paraît.
Que le petit-fils soit devenu Paladin ne le surprenait pas outre mesure.
C'est ainsi que le Démoniste se retrouva attablé à l'auberge de Brill, une plume à la main.
- Bon, je récapitule, Maître. Vous envoyez la lettre, on part ensuite à Baie du Butin…
- Pourquoi Baie du Butin ?
- C'est encore un des rares endroits d'Azeroth où Hordeux et Allianceux peuvent se rencontrer sans s'entretuer, Maître. Donc, vous déguisé en moine, moi en mignon orphelin – argh -, on repère le neveu, on récupère le fric et on se casse.
- Ca me parait bien. Tu crois qu'il va marcher ?
- C'est un Paladin, Maître. Courage, générosité, tout le toutim. Le pigeon idéal. En plus c'est la Semaine des Enfants, il ne pourra pas se défiler.
- Okay. Donc, je relis : "Cher messire Paladin. Vous n'êtes pas sans savoir les drames que provoquent les guerres innombrables contre les valeureux champions de la Horde..."
- Mettez plutôt "infâmes raclures" au lieu de "valeureux champions", Maître.
- Bien vu. "... les infâmes raclures de la Horde. Parmi tous ces drames, ces saletés de gniards..."
- Euh, non, Maître. Faudrait plutôt dire "nos chers et adorables enfants". On est sensé être, hum... gentil... argh... sur ce coup-là.
- Effectivement... "...nos chers et adorables enfants sont ceux qui ont le plus à souffrir des combats. Combien d'orphelins en pleurs les valeureux - pardon, les infâmes - raclures de la Horde ont-ils envoyés sur les routes ? Songez à leurs petits yeux emplis de larmes, leur adorable bouille attristée, leur rires joyeux que la guerre a fait taire, leurs jeux espiègles..."
- Je crois que vous en faites un peu trop, Maître. Il faut garder une certaine mesure, quand même, sinon ça va se voir.
- Dommage, j'étais bien parti pourtant. Bref, "...leurs jeux espiègles interrompus par la douleur d'avoir perdu leurs parents. Aujourd'hui, grâce à nos généreux donateurs, notre organisation est en mesure de prendre en charge au quotidien tous ces enfants. Oui, messire Paladin, c'est grâce à des contributeurs comme VOUS que la Société Philanthropique d'Activités Maternelles peut apporter un peu de joie à ces pauvres petits enfants..."
- J'y pense, Maître : faudrait peut-être placer un couplet sur l'exemplarité du Paladin ?
- Par la malepeste, ça va pas la tête ? Il serait capable d'aller former ces gniards et on se les retrouverait en face dans 20 ans !
- Z'aimez pas les Paladins, Maître ?
- Non. Le dernier qui a ravagé mon repaire secret a bousillé toutes mes tapisseries érotiques sous prétexte que "la luxure est un péché". Et y m'a tapé avec sa masse, en plus. Saloperie de palouf...
- (Je comprends mieux...) Vous en étiez où de la lettre, Maître ?
- "... blablabla... prendre en charge... blablabla... à ces pauvres petits enfants." Ah, oui. "...Car malgré les efforts et la générosité de nos donateurs, nos charges sont lourdes et nous n'arrivons que difficilement à subvenir à tous les besoins. Les Gobelins font payer une fortune pour les moindres petits travaux de maçonnerie, le prix de la pierre n'arrête pas d'augmenter, en plus, ces foutus marais engloutissent progressivement les étables..."
- Maître...
- "...Je ne parle même pas du prix des armes et des armures que de toutes façons les huissiers saisissent à chaque fois..."
- Euh… Maître ?
- "...En plus, les séides se mettent en grève pour un oui pour un non, sous prétexte qu'ils veulent une soi-disant prime de risque - par la malepeste, leur en foutrait, moi, une prime de risque, ils se croient en camp de vacances ? - et que les esclaves demandent la semaine de 150 heures payées pareil - je les paie pas, mais quand même..."
- Maître !
- "...Et sur ce, alors qu'on vient à peine de faire curer les douves - d'ailleurs, ils se prennent pour qui ces géants avec leur foutue pause syndicale ? - et qu'on vient de changer la porte..."
- Eh, oh, Maître !
- "... arrive une bande d'aventuriers à la mord-moi-l'noeud qui démolissent tout, brûlent la bibliothèque - une collection unique d'ouvrages licencieux elfiques que j'ai mis des années à récupérer, mais ça ils s'en foutent - pillent le garde-manger et me volent le peu d'or que j'avais réussi à mettre de côté..."
- Youhou ? Maître ?
- (voix sifflante) "...Mais tout ceci est fini, maintenant. Par la malepeste, je vais leur montrer, à ces ploucs, qui c'est le Génie du Mal ici. Y vont voir s'ils vont encore me jeter des cailloux sous prétexte qu'on a malencontreusement foutu le feu à l'école des Démonistes - en plus, c'était pas ma faute, y z'avait qu'à pas mettre de la paille à cet endroit-là, franchement, dans une écurie, on a pas idée..."
- J'y crois pas, il a pété un câble... Maître ? Maître !
- "...Car bientôt, oui, TRES bientôt, j'aurai levé une nouvelle armée démoniaque et ainsi, mouahahahahahahah ! Je conquir... je conquier... j'irai conquérir le monde ! Mouahahahahahahah ! Mouahahahahahahah ! Teuh reuh *tousse*..."
- Maître ?
- ...
- Respirez, Maître, vous devenez bleu.
Llégion réussit à reprendre son calme, sous le regard inquiet du Diablotin.
- C'est bon maintenant. On faisait quoi, déjà ?
- On écrivait une lettre pour plumer votre arrière petit-neveu, Maître. Ca parlait d'orphelins et de charges lourdes...
- Ah, oui. On ne va peut-être pas mettre la dernière partie, tu ne crois pas ?
- Cela ne me paraîtrait pas judicieux, Maître.
- "Blablabla... (et je ne parle même pas du temps pourri dans ces foutus marais, j'aurais dû me méfier, aussi, le type avait l'air sacrément louche, même pour moi, mais bon bref). C'est pourquoi nous sommes au regret de devoir faire appel à votre stupidité..."
- "Générosité", Maître.
- "... à votre générosité pour continuer la prise en charge des gn... des enfants. Un de nos moines a entrepris de visiter les principales villes d'Azeroth et se trouvera donc tantôt à Baie du Butin pour recueillir les fonds nécessaires au dépeçage des orphelins..."
- "Prise en charge", Maître, plutôt que "dépeçage".
- Pourquoi, par la malepeste ? Ca me paraît bien à moi.
- Pour un Paladin de l'Alliance, ça risque de ne pas passer, Maître.
- Si tu le dis. "...Nos experts comptables - tiens, je les avais oubliés, ceux-là ! Chers, incompétents, pas foutus de faire des additions justes sauf quand il s'agit de leurs propres factures. En plus, il suffit qu'on en étripe deux ou trois ou dix pour que les gardes débarquent et vous filent une amende - 50PA, moi je dis que c'est de l'abus, avec tous les impôts qu'on paye, bon, moi j'en ai jamais payé, sauf quand ils envoyaient leurs inspecteurs pour me faire un redressement, saloperie d'inspecteurs..." Quoi ?
- Non, non, Maître, rien... "...Nos experts comptables..."
- "...Nos experts comptables ont établi nos besoins en liquidités pour l'année à venir. Et c'est là, messire Paladin, que VOUS pouvez nous aider. Et puis, que sont 100PO quand il s'agit de nos enfants, en un mot, de notre... AVENIR. En liquide, d'avance merci."
Llégion reposa sa plume et regarda le Diablotin, qui relisait la lettre.
- Alors ?
- La fin est un peu... sèche, Maître. Mais le coup de l'avenir, c'est bien trouvé.
- Bien, on envoie la lettre, et en attendant que le dirigeable arrive, je vais te faire ton déguisement d'orphelin. Ne bouge pas, je prends tes mesures. Un bleu azur, avec une touche de rose clair, peut-être...
***
Chapitre 4 : Pigeon vole
Loin de là, en Feralas, un Paladin fatigué parlait à un énorme tigre couché sous un arbre.
- Ecoute Tigrou, je suis crevé, mes habits sont en lambeaux, ça fait un mois que j'ai pas dormi dans un lit, j'arrête pas de me prendre râteaux sur râteaux avec toutes les Draeneies que je croise, alors, s'il te plait, JE T'EN PRIE, lève-toi que je puisse aller prendre un bain dans un endroit civilisé et me coucher.
- Raou !
- Je t'ai déjà dit que c'était pour ne pas effrayer les filles ! Il n'y a rien entre ce cheval et moi !
- Grrr...
- C'est toi ma seule et unique monture, voyons ! Tu crois tout de même pas que j'ai claqué 500PO pour des cours de monte avancée pour me trimballer sur un vulgaire canasson !
- Raow !
- Chut ! Tais-toi donc, bon sang ! Personne n'est sensé savoir d'où vient cet or !
- Raou grrr...
- Moi je dis que cette jeune guerrière ne se serait pas installée devant l'hôtel des ventes de Hurlevent si son offre n'avait pas été honnête. C'était une exclusivité, en plus.
- Harrr harrr harrr...
- Vas-y, fous-toi de moi. N'empêche que sans cet or, tu serais encore à boulotter des écureuils à Darnassus. Alors qu'avec moi, tu n'as que du premier choix.
- RAOW !
- C'est ma faute à moi si j'ai pas le coup pour me faire des amis ? Et seul, pas question de me risquer dans Rochenoire, même pour que Môssieur le tigre puisse se taper un steak de dragon.
- Pfffrrr...
- Bon, allez... on fait la paix ?
- ...
- Allleezz...
- ... Miaou.
- Mon copain ! Gentil tigre. Mais c'est un adourable petit tigrounet, ça, mais oui madame, mais oui !
- Ron ron ron...
- Excusez, m'sieur. M'sieur... Edualk, Paladin ?
L'homme habillé d'un étrange uniforme bleu, non content de tenir une enveloppe à la main, essayait de retenir un fou rire à la vue d'un Paladin lourdement armuré faisant des gratouillis à un gigantesque tigre de monte.
- Oh oui il est mimi, oh oui... Hem, pardon. Edualk ? Oui, c'est moi. Vous êtes qui ?
- Le facteur, m'sieur.
- Un facteur ? Ici ?
- Nous sommes les premiers en matière de livraison express, m'sieur. Z'avez pas vu la pub ?
- Euh...
- Bref, j'ai une lettre pour vous. Et y'a un sus.
- Un sus ?
- Ouaip. L'envoyeur n'a pas mis de timbre. Ca vous fera 10PO.
- ... 10PO !!!
- Dame, ça vient de Fossoyeuse, quand même. Merci, m'sieur. Signez ici. A la r'voyure. Euh... gentil, le tigre...
- Tigrou, lâche le monsieur, c'est sale, tu sais pas où ça a été traîner.
Edualk ouvrit l'enveloppe remise par le préposé qui en profita pour prendre la tangente, étant donné la façon dont Tigrou le regardait en se pourléchant les babines.
- Tiens, ça vient d'une boîte, "SPAM". Connais pas. Voyons voir... "Blablabla... Orphelins... Liquidités... 100PO". OK, je vois le genre.
- Grrr.
- Rien à voir ! C'est vrai qu'elle était mignonne, la guerrière, mais moi je préfère les Draeneies. Et puis là, c'est à moi qu'on demande du fric.
- Raow ?
- Mais c'est bizarre, l'écriture me dit quelque chose. Et puis le passage sur les marais...
- Miaou.
- Chut, je réfléchis... Je suis sûr d'avoir vu ça quelque part… Et plus j'y réfléchis, plus je me dis que je connais ça… Etrange...
- Maiou ! Raow !
Edualk leva les yeux de la lettre et se retrouva nez à nez - ou nez à groin, vu le morceau - avec un Ogre.
- Quoi ? Oh pardon, je les avais pas vu... Sois maudit ! Meurs ! Rhaa ! Mais tu vas arrêter de bouger, saleté ! Meurs, charogne !
Edualk entreprit ensuite de fouiller les corps des Ogres qui avaient eu l'idée saugrenue de se jeter sur lui. Et qui étaient morts.
50PA. Bof. Mais bon, toujours ça de pris.
Il se replongea dans la lecture de la lettre, tandis que Tigrou commençait à arracher des morceaux de viande dans les corps sans vie.
- Surtout, mâche bien avant d'avaler. Et fait attention aux petits os.
- Graou.
- N'empêche, la dernière fois, le docteur a dû t'opérer.
- Raou ?
- On m'avait dit que c'était la meilleure vétérinaire d'Azeroth. Pas ma faute si elle vit à Exodar...
- ... maow...
- Oui, bien sûr que c'est une Draeneie, elle vit à Exodar.
- Maow...
- C'est vrai qu'elle était mignonne, la petite...
- Mrrr...
- Faudra qu'on retourne la voir. Pour ta visite de contrôle, bien sûr.
- Mow ?
- Non, je suis sûr de l'avoir entendu dire "chaque semaine".
- Mrrr...
- Jaloux...
- Maou row ?
- T'as raison. Cette lettre m'intrigue, je suis sûr de connaître cette écriture.
- Graou ?
- Mouais. Je vois que lui pour me renseigner.
- Mrrr...
- Je sais bien, mais c'est quand même mon papy. Et puis depuis qu'il a décidé de raccrocher, il a beaucoup changé.
Le Paladin rangea soigneusement la lettre sous son armure, ramassa ses sacs et partit donc vers le seul endroit où il était sûr de trouver un vieux Paladin râleur et à moitié sénile : la Comté de l'Or.
A pied.
- Tu vas pas me faire la gueule toute la route ! T'as vu où on est ? Tu sais combien de milliers de lieues on a à se taper ?
- Maou.
- Il est nul, il cause pas et il se traîne. Un vrai tocard, ce canasson. Avec toi, ça ira deux fois plus vite ! S'il te plait ?
- Grrr !
- Pas vrai, me faire ça à moi, avec mon expérience… La prochaine fois, je prendrais un Elekk. Et puis, j'avais eu un bon feeling avec la petite vendeuse...
***
Chapitre 5 : A la conquête d'Azeroth !
Un pigeon. C'était manifestement l'idée que les habitants des Clairières de Tirisfal se faisaient de Llégion, vu le nombre considérable de "services" pénibles qu'ils ne cessaient de lui demander.
Heureusement qu'ils payaient, et que cela lui permettait de se dérouiller après toutes ses années de "mort"…
Dernièrement, l'un de ces pénibles lui avait signalé un Gnoll qui venait régulièrement piétiner son potager et se rincer l'œil à travers les fenêtres quand sa femme prenait un bain.
Llégion n'en avait strictement rien à fiche, d'autant que ladite épouse n'avait plus assez de morceaux pour pouvoir exciter qui que ce soit – en-dehors des nécrophiles.
Mais le mari payait bien, et tuer des bestioles conservait heureusement un charme des plus attractif…
Après avoir erré pendant plusieurs heures faute de savoir où il allait, Llégion avait fini par arriver à l'Antre de Garren, où il devait pouvoir trouver le Gnoll en question pour lui…
- Tu me files un coup de main ? Pour Œil-de-Ver ?
Llégion regarda l’Orc de haut en bas. Une crête rouge pour lui servir de coiffure, le regard torve, un arc minable dans les mains… A ses côtés, un sanglier pouilleux se grattait consciencieusement avec un air de satisfaction béate.
Un Chasseur.
- Par la malepeste ! Tu m’as regardé, créature ? Agenouille-toi devant ton seigneur et Maître et soumets-toi à ma volonté !
Le Chasseur prit l’air choqué.
- Me soumettre ? A un vulgaire Démoniste ? Moi ? Par l'Enfer, chien galeux, tu parles à Flèchardente, le Seigneur des Bêtes ! Le futur Maître d’Azeroth !
- Eh ! Oh ! C’est moi le futur Maître, par la malepeste !
- Non d’abord ! Non d’abord !
- Si d'abord ! Même que je vais lever une armée, moi !
- Même pas vrai ! Et puis d’abord, moi, je vais lever une armée de bêtes féroces qui vont dévorer ton armée, par l'Enfer !
- Ouais, l’autre… Ben moi, quand j’étais vivant, j’avais un repaire secret, et des séides, et même un bossu.
- Ben moi, avant, j’avais un antre mystérieux, avec une meute féroce et un loup-garou. Et plus que toi, en plus !
Laissant son Maître se prendre le bec avec l'Orc, Abatik se rapprocha l’air de rien du sanglier. Les deux créatures se lancèrent un regard navré, et poussèrent en même temps un profond soupir.
- Il est comment, le tien ?
- Tu parles ? Je ne savais pas que les sangliers pouvaient parler...
- Une histoire de gland magique… A Durotar, y’en a partout de ces saloperies. Au fait, je m'appelle Groquik. C'est l'autre qui m'a appelé comme ça, donc pas de commentaire, merci.
- C'est pas de bol... Moi c'est Abatik. Mon Maître est un peu pénible, mais dans l’ensemble, j’arrive à l’empêcher de faire trop de bêtises.
- Le mien, il se croit le plus grand chasseur d’Azeroth.
- Et il est bon ?
- Suffisamment pour se tirer une flèche dans les fesses.
- Ah oui quand même… Le mien, il arrête pas de se casser la figure. Il dit que c’est la robe...
- Il est en pantalon, là.
- Oui. C’est dire...
Les deux familiers poussèrent un autre profond soupir, et s’installèrent tranquillement sous un arbre, attendant que leurs Maîtres terminent leur discussion.
- Ben moi, j’avais des murailles sanglantes !
- Et moi, j’avais des souterrains avec des salles de torture !
- Moi, les souterrains, l’architecte gobelin m’a dit que je ne pouvais pas. Parce que j’avais construit sur des marais...
- Remarque, moi je frime avec mes souterrains, mais en fait, c’était surtout des précipices… C'est le problème à la montagne.
- Beaucoup de pertes ? Parce que moi, avec les sables mouvants...
- M’en parle pas. Et puis la paperasse à remplir à chaque fois...
- Les charges sociales...
- Le prix de la pierre...
- Les huissiers...
- Les précipices, ça marche bien avec les huissiers. Mais y’en a toujours qui réussissent à passer.
- Je connais. T’en as eu beaucoup ?
- Tu sais, ça coûte cher d’entretenir un antre mystérieux. Et puis, hem... j’avais un harem...
- J’ai essayé, le harem, mais avec les sables mouvants... Alors je suis resté aux estampes elfiques...
- T’as de la chance. Avec mes bêtes féroces, le papier finissait systématiquement en foin.
Les deux Hordeux se regardèrent d’un air gêné.
- Ce serait bête de s’entretuer pour savoir qui va conquérir le monde. On n'a qu’à partager. Je prends les Royaumes de l’Est, et je te laisse Kalimdor et ses plaines sauvages ? Pour l’Outreterre, on verra après ?
- Ben tiens, comme ça, tu gardes Hurlevent et Lune d’Argent. Prends-moi pour un pigeon...
- Qu’est-ce qu’un chasseur peut bien faire d’une ville ?
- Ben, y’a plus de filles, déjà... J’ai un harem à faire, moi.
- Euh... Dites. Je faire quoi, moi ?
Llégion et Flèchardente se retournèrent. Tout à leur dispute, ils avaient oublié le chef Gnoll Œil-de-Ver et ses guerriers, qui attendaient d’un air impatient qu’on veuille bien s’occuper d’eux.
- Qu’est-ce qu’il y a ? Vous êtes pressé ?
- C’est-à-dire...
- Vous attendez votre tour ! Non mais...
- Ah, moi d'accord...
Le chef Gnoll fit signe à ses guerriers et retourna vers son repaire en râlant.
- Venir les gars, nous reven... Eh !
Le combat fut des plus violents. Abatik fut coupé en morceaux par trois guerriers Gnolls ricanant, qui finirent par se jeter sur un Llégion encore une fois étalé par terre.
Deux minutes plus tard, le combat était fini. Œil-de-Ver et ses guerriers gisaient à moitié nus sur le sol de la ferme, dépouillés par Flèchardente.
- Bon, c'était sympa, mais faut que j'y aille. A la revoyure, le Démo !
Llégion ne répondit rien. Son corps démembré gisait au milieu des cadavres, et son âme passablement énervée était encore au cimetière… étalée au sol.
- RHHHAAA !!! Par la malepeste ! Ras-le-bol de cette robe ! Et ce chasseur… Je me vengerai ! Mouahahahahahahah ! Oui ! Dès que j'aurais récupéré mon corps…
***
Chapitre 6 : Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait...
Le vieil homme ne ressemblait en rien à l'image du Paladin qu'on se faisait habituellement. Le fait qu'il se balade torse nu et en sandales au milieu de la rue principale de Comté de l'Or n'arrangeait rien à son apparence.
- Eh, toi ! Tu veux t'battre, ma mignonne ? Aller viens, chochotte ! Viens affronter l'homme le plus fort du monde ! Aller viens ! P'tite bite ! Couille molle !
Le puissant guerrier en armure lourde, vétéran de plus de 400 batailles, passa devant le vieillard sans lui accorder un regard.
Il croisa Edualk aux portes de Hurlevent.
- Tiens, Edualk, tu tombes bien. Y'a ton ancêtre qui recommence à emmerder le monde à Comté de l'Or.
- Quelle surprise...
- Il va bien, ton tigre ?
- Oui, pourquoi ?
- Non non, rien. C'est seulement que c'est la première fois que je vois un Paladin traîner un tigre en civière, c'est tout...
- Une divergence d'opinion. Bon, tu m'as dit qu'il était où, Papy ?
Le Paladin se dirigea vers le bourg. Il entendait déjà les vociférations de son grand-père, manifestement en grande forme ce jour-là.
- Tu fuis, lâche ! Amènes-toi, lopette !
- Lâche-moi, l'ancêtre...
- J'vais t'arracher la tête avec les dents, bâtard !
- Tiens, Edualk, y'a...
- Je sais.
- Et ton tigre...
- JE SAIS !
Edualk arriva à Comté de l'Or passablement harassé et couvert de poussière. Et traînant dans une civière Tigrou qui somnolait.
- C'est bon, t'as fini de faire la tête ?
- Mrrr...
- Bon ben, tu me fais signe, hein.
Edualk laissa la civière devant l'auberge et, bien que crevé, alla vers le vieil homme vindicatif.
- Viens te battre, pignouf ! T'en veux, hein ? …Tiens, salut Edualk *bises* t'as l'air crevé… T'as rien dans le calcif', châtré ! Alors amène-toi, viens t'battre !
- Papy, il a à peine 5 ans ce gosse… On peut parler ?
- Bien sûr… Mais oui, c'est ça, connard ! Fous-le camp ! T'as même pas le courage de te battre contre un vieux ! Je parie que ta femme s'envoie en l'air avec tout Hurlevent ! Tapette !
- Papy, c'est une fille et elle est loin...
- Ah, ces jeunes… Une belle génération de feignasses, je te le dis… Bon, tu voulais quoi ?
Les deux hommes s'installèrent à une table de l'auberge. L'avantage d'être avec Papy, c'est qu'on trouve toujours une table de libre… pensa Edualk.
- T'as l'air crevé. Ton destrier t'a laissé en plan ?
- J'ai pris un tigre de combat depuis la dernière fois, Papy. Mais on a… quelques divergences, on va dire… Tu as l'air… bien.
- La bagarre, ça maintient en forme, gamin ! Tu sais que je suis le champion d'Elwyn de bagarre maintenant ?
- Euh… Puisque tu en parles… Les gardes de Hurlevent m'ont demandé de te dire d'arrêter de défier les nouveaux arrivants. Après, ils les récupèrent en pleurs, et pour la guerre, c'est pas génial...
- Z'ont rien dans le froc, ces bleus-bites !
- T'as pas honte… T'en prendre à des petits...
- Pas que ! Je défie les vétérans, aussi !
- D'ailleurs, les maîtres de guildes m'ont fait passer une pétition pour demander qu'on te renvoie à l'hospice, rapport que tu emmerdes tout le monde avec tes défis ridicules.
- Y'en a pas un pour relever le gant ! Rien dans le froc, je te le dis, fiston.
- Papy… Il y en a qui reviennent d'Outreterre… Ils ont autre chose à faire que de coller une raclée à un vieux Paladin qui refuse de porter une arme ou une armure sous prétexte que c'est un truc de "tarlouze"...
- Grrrmmm… Bon, d'accord, je vais essayer de prendre un peu de vacances… Eh, la pédale, ça te dirait de te faire démonter la tronche par le plus grand combattant d'Azeroth ?
- Papy… C'est la serveuse...
- Grrr… Génération de feignasses...
- Bon, moi, j'étais venu pour ça en fait...
Le papy jeta un œil sur la lettre du SPAM que lui tendait son petit-fils.
- Au fait, t'as écrit à la prêtresse, tu sais, la mignonne qu'a été gentille avec moi ?
- Oui, Papy. Je lui ai envoyé un petit cadeau comme tu me l'as dit.
- Et ?
- Pas de nouvelles.
- Tu lui as offert un truc au moins ?
- Une rose et un petit chat.
- Peut-être que la tête d'un dragon, ça aurait été mieux. Plus viril.
- Moi, je préfère les fleurs et les chats...
- Soit plus offensif, mon garçon. Tu vas pas finir vieux garçon, quand même.
- Moi, ça me va… Et la lettre ? Il me semble reconnaître l'écriture...
- C'est l’aut’ con du marais. Mais je le croyais canné depuis 50 ans.
- Qui ça ?
- Mon oncle, Llégion. Ton arrière grand-oncle, quoi. Un Démoniste minable qui n'arrêtait pas de me filer des coups de pieds en douce et qui prétendait être un "Génie du Mal". Une belle collection d'estampes elfiques, par contre.
- Et il est mort ?
- Oui. Un ami de l'école des Paladins était allé lui piquer quelques unes de ses estampes – un bizutage classique à l'époque. Llégion l'a surpris et a voulu lui faire la peau. Il s'est pris les pieds dans sa robe et s'est brisé le cou dans le couloir des cuisines. Vraiment minable...
- La lettre vient de Fossoyeuse. Il a dû revenir sous forme de Mort-Vivant. Si on apprend que j'ai un Démoniste Mort-Vivant dans ma famille, je vais avoir des ennuis avec le Maître des Paladins...
- T'inquiètes, il est au courant. Les estampes, c'est lui. Et le connaissant, il doit encore les avoir...
- Oh. Remarque, ça expliquerait certains trucs…
- Par contre, il a pas changé, le vieux. Toujours à chercher du fric par tous les moyens. Déjà à l'époque, il avait été saisi plusieurs fois. On a dû le renier pour pas que les huissiers se retournent contre nous au nom de la solidarité familiale.
- Charmant bonhomme...
- En plus, il déteste les gosses, alors le coup des orphelins...
- Toi aussi, tu les détestes. T'en as même eu quatre exprès pour leur pourrir la vie.
- Tu devrais pas écouter tout ce que dis ton père, toi.
- Par contre, tu me donnes une idée...
- La Semaine des Enfants, je parie ? T'es aussi tordu que ton abruti de père, toi.
- J'ai de qui tenir. Et je crois qu'on va bien s'amuser...
***
Chapitre 7 : Un sombre plan
Edualk relit la lettre qu'il venait d'écrire.
"Cher messire.
Votre lettre m'a énormément touché. Mon engagement de Paladin au service de la Lumière m'a sensibilisé depuis longtemps au sort des malheureux et des sans-grades.
De plus, ayant fait vœu de pauvreté, je me retrouve plus que gêné de disposer d'autant d'or et de si peu d'œuvres de bienfaisance à qui apporter soutien et assistance.
Je serais donc particulièrement enchanté de vous rencontrer, accompagné comme il se doit de vos orphelins, en la riante cité de Baie du Butin, dimanche en huit.
En effet, vous n'êtes pas sans savoir que la loi de Hurlevent nous oblige dorénavant, en tant que serviteur de la Lumière, à ne soutenir financièrement que les associations ayant en charge un minimum de dix orphelins.
Orphelins devant être présentés au contributeur au moment du don, conformément à la loi.
Dans l'attente de vous rencontrer, je vous prie d'agréer, messire, l'expression de ma considération distinguée.
Signé : Edualk, Paladin du 64e cercle"
- Alors Papy ?
- Il va être vert ! Lui qui déteste les gosses ! L'obliger à s'en trimballer dix !
- C'est papa qui m'a appris ce coup-là. D'ailleurs, il t'embrasse et te fait dire qu'il a été muté aux Mortemines.
- Il se fait toujours autant démolir ?
- Plus, avec cette nouvelle affectation...
- Ca lui apprendra à rejoindre les Défias. Un fils de Paladin… Me faire ça à moi… Et sinon, tu as des nouvelles de ta mère ?
- Elle ne décolle plus de Cercle de Lune depuis six mois. Il parait qu'ils ont trouvé de nouvelles espèces d'herbes du côté d'Un'goro...
- Tu sais qu'à Forgefer les Gnomes testent un nouveau centre de désintoxication ?
- Déjà fait. Elle a tenu trois jours.
- Elle s'améliore. Enfin, c'est comme ça. La famille, c'est pas simple… Si au moins tu te trouvais une femme...
- Bon, c'est pas l'tout Papy, mais faut que j'y aille. Les quêtes, tout ça… Le temps de poster ma lettre et j'y vais. *Bises* Et embrasse Mamie.
- *Bises* J'y manquerai pas, dès que je retrouve sa tête. Le chien l'a encore enterrée quelque part… Prend garde à toi, fils.
- T'inquiète.
- Eh, ducon ! Oui, toi, avec la gueule d'Ogre ! Tu viens te battre ? T'as peur ? Tarlouze ! Couille molle ! Aller viens, j't'attends !
- Papy… c'est un lapin...
...
- QUOI ?!
- C'est dur, Maître.
- QUOI ?!
- Qui aurait pu imaginer, Maître ?
- COMMENT ?!
- Respirez, Maître, vous devenez bleu.
- Par la malepeste ! Dix orphelins ! DIX ORPHELINS ! Comment je vais trouver tout ça, moi ?!
- En plus, vivants, Maître.
- Qu... QUOI ?! Vivants ?! C'est pas vrai...
- Faut peut-être laisser tomber, Maître.
- 100PO, Abatik. Je ne laisse pas tomber. Mon ardoise à l'auberge des Pendus est longue comme le bras, et l'aubergiste commence à me regarder d'un sale œil.
- C'est à cause qu'il n'en a plus, Maître.
- Même. Il me faut du fric, et vite.
- Remarquez, Maître...
- Si tu as une idée, je suis preneur.
- Ca va pas vous plaire, Maître...
- Tant pis. Dis toujours.
- La Semaine des Enfants, Maître.
- ... ???
- Tous les ans, l'orphelinat d'Orgrimmar organise une campagne de sensibilisation aux sorts des orphelins. L'idée, Maître, c'est de faire visiter le monde à un enfant pendant quelques jours.
- Et ?
- Si vous acceptez de vous occuper d'un orphelin, cela touchera la directrice de l'orphelinat et je suis sûr qu'elle acceptera de vous en confier une dizaine pour visiter Baie du Butin. On ferait passer ça pour une sorte de sortie pédagogique, Maître.
- J'avais pensé à autre chose. Tu demandes à quelques Diablotins de tes amis de se déguiser en mioches et on va là-bas.
- Euuuhhh...
- Tu n'as pas l'air emballé.
- D'abord, le Code de Procédure d’Invocation interdit le transport de plus d'un démon à la fois. Ensuite, dix Diablotins ensemble, ça en fait vingt de trop. Et c'est pas une erreur de calcul, Maître. Mon idée est mieux.
- Mais tu ne te rends pas compte ! Voyager avec un… un… gniard ! Jamais je ne pourrais !
- C'est qu'un mauvais moment à passer, Maître. Ah, par contre, un truc important : le gosse doit revenir en vie et en entier. Sinon ça fait des histoires.
- En entier… avec tous ses morceaux ?
- Oui, Maître. Désolé. Mais pensez aux 100PO.
- Bon, je crois que je n’ai pas vraiment le choix… Aller, on y va !
- Pour Orgrimmar, c’est dans l’autre sens, Maître. Respirez calmement, je me charge de tout...
***
Chapitre 8 : Prendre un enfant par la main
Llégion était assis par terre, l'air accablé.
- Dis monsieur, pourquoi t’as plus de cheveux ?
- ...
- Dis monsieur, pourquoi t’as plus de cheveux ?
- ...
- Dis monsieur, pourquoi...
- Par la malepeste, la ferme !
- Hihihihi !
- RHHHAAA !!!
- Respirez, Maître, vous devenez bleu.
- Abatik… par pitié...
- Oui, Maître ?
- Fais-la taire...
- La directrice de l’orphelinat a été catégorique, Maître : on n’a pas le droit de la bâillonner.
- Dis monsieur, pourquoi t’as plus de cheveux ?
- J’en ai marre...
- T’as plus de cheveux parce que t’en as marre ? Hein ? Hein ?
- Je tiendrais jamais...
- Je veux un bonbon ! Dis monsieur, tu m’achètes un bonbon ?
- On est au milieu de nulle part, morveuse ! Alors tu la fermes !
- Ouinnnnnn !!!
- *sanglots* J’en ai marre...
- Moi je l’aime bien, Maître.
- Traître. Elle t’a même mis un nœud rose. T’es écoeurant.
- Vous la trouvez pas mimi, Maître ?
- Hihihihihi ! Il est tout marrant, le monsieur.
- Je tiendrais jamais...
Effectivement, la directrice de l’orphelinat avait été enthousiaste quand Abatik lui avait expliqué son idée de "visite pédagogique" à Baie du Butin. Mais il fallait d’abord que Llégion fasse la preuve de son sérieux dans la prise en charge d’un groupe d’enfants.
Nos deux compères s’étaient donc retrouvés avec une petite orpheline Orque du nom de Julie Dépeceuse-d’Elfes, qui savait très précisément ce qu’elle voulait.
Ce qui revenait concrètement à : emmerder le monde en général, et Llégion en particulier.
Comme tous les enfants de l’univers, Julie avait instinctivement repéré en Llégion celui qui ne supportait pas les enfants, et avait jeté son dévolu et son amour poisseux sur lui.
Quant à Abatik, il avait été promu immédiatement après au poste de doudou officiel de la petite fille. Avec nœuds roses et habits de poupée à la clé.
Au grand effroi du Démoniste, le Diablotin semblait se complaire dans ce rôle écoeurant et sirupeux, poussant le vice jusqu’à se laisser promener dans un landau.
Rose.
Avec des fanfreluches.
Llégion devait refréner en permanence ses pulsions homicides, et s’était surpris plus d’une fois à vouloir filer des coups de pied à la gamine.
Laquelle, bien entendu, ne l’en aimait que plus.
La petite Orque avait d’abord demandé à voir Fossoyeuse, puis la Barricade au nord des Tarides, puis Cabestan.
Une fois fait, elle avait réclamé un autographe de Cairne Sabots de Sang, aux Pitons du Tonnerre.
Llégion en avait marre de marcher, marre de faire des allers et retours, marre du bavardage incessant de la morveuse, marre de voir son Diablotin se faire pouponner, marre de tout en fait.
Et puis il y avait eu le pompon.
- TU VEUX QUOI ?!
- Alllééé-euuuuhhh...
- Abatik, dis-moi que c’est un cauchemar…
- S’il te plaît ! Silteplaîtsilteplaîtsilteplaîtsilteplaît !!!
- Tu crois quand même pas que je vais me farcir la route jusqu’aux Salines rien que… que… que pour...
- Respirez, Maître, vous devenez bleu.
- … rien que pour une putain de saloperie de GLACE à la con ?! TU TE FOUS DE MOI ?!
- Ouinnnn !
- La ferme !
- OUINNNNN !!!
- *sanglots* J’en ai marre...
- Calmez-vous, Maître. Ca va le faire.
- Ah bon ?
- Je connais un Gobelin à Orgrimmar qui vend des glaces, Maître. Ca évite d’aller jusqu’aux Salines. Malin, ces Gobelins...
- Par la malepeste ! Je t’embrasserais presque !
Le retour fut plus rapide que l’aller, et Llégion put donc, après des jours de marche, ramener la petite Orque à l’orphelinat.
Laquelle versa beaucoup de larmes à l'idée de ne plus revoir le "gentil monsieur qui n'a pas de cheveux". Qui lui dût se retenir encore une fois de lui filer des coups de pied.
Mais le but était atteint : la directrice était maintenant convaincue de l'aptitude du Démoniste à prendre en charge un groupe d'enfants sans les transformer en kebab-frites.
- Pas fâché d'être débarrassé de cette saleté de morveuse.
- Snif... snif... Oui, Maître... snif...
- Par la malepeste, arrête de pleurnicher ! Tu es un démon, pas une pucelle !
- Mais, Maître... snif... elle était si mignonne...
- Et enlève ces couettes roses, bon sang !
- Snif... En tout cas, on a réussi et plus encore, Maître.
- Tu parles du rat qu'elle m'a donné ? C'est vrai qu'il me plait bien, ça fait démoniaque, un rat comme familier. Même si le nom, Moustaches...
- Et puis, on a bien gâché la vie de la gamine, Maître.
- ... ???
- Ben oui, Maître. Elle va passer le reste de l'année à songer à cette petite virée, et ça va la déprimer, alors qu'elle reste coincée dans son orphelinat. Avec un peu de chance, d'ici quelques années, elle virera suicidaire.
- Mais... tu es une vraie saleté, toi !
- Ben oui, Maître. Je suis un démon.
- J'avais raison.
- Sur quoi, Maître ?
- T'es un vrai faux-cul.
- Merci, Maître.
- N'empêche, tu devrais enlever ces couettes. Ca ne fait pas sérieux.
- Mais Maître-eeuuuhhh...
Trottinant aux côtés des deux compères, Moustaches ne les regardait pas. Ses yeux étaient fixés sur l'horizon. Oui… Enfin… Cela allait pouvoir s'accomplir. Bientôt, oui, très bientôt, son plan serait au point...
Puis le rat entreprit de ronger consciencieusement la botte de son nouveau maître.
***
Chapitre 9 : Il y a le ciel, le soleil et la mer...
Baie du Butin. Comme tous les dimanches, des dizaines de représentants de l'Alliance et de la Horde s'étaient donnés rendez-vous dans la ville neutre pour se livrer le plus terrible combat hebdomadaire existant en Azeroth.
J'ai nommé : le concours de pêche.
La ville d'ordinaire si animée du fait des meurtres mutuels entre les deux factions, ainsi que des courses poursuites avec les gardes locaux, semblait étonnamment calme et sereine.
Tout le long des quais, guerriers en armures lourdes, mages en habits de soie et paillettes, chasseurs accompagnés de leur tyrannosaure et autres aventuriers surveillaient patiemment le bouchon flottant sur les eaux.
Calme et sérénité, douceur et...
- Excusez-moi, messire, c'est à vous ça ?
"Ca", c'était deux gamins surexcités que le garde gobelin tenait par la peau du cou.
Llégion soupira, se retenant de justesse de filer un coup de pied au Diablotin plié de rire qui, sous son déguisement d'orphelin attendrissant, ressemblait à un croisement entre un Gremlins et une poupée Charlotte aux Fraises.
En plus, il avait gardé les couettes.
- Oui, c'est à moi, par la malep… par la Lumière.
- Faut pas les laisser traîner partout, messire. Ca gêne les visiteurs et ça fait des saletés.
Llégion jeta un œil noir aux deux guerriers qui, au même moment, étaient en train de se fracasser le crâne à grands coups d'épées à deux mains sur les quais, tout en piétinant les gardes au passage, tout ça au milieu d'un monceau d'ossements, signe qu'ils n'en étaient pas à leur premier combat.
Llégion tenta la voix geignarde.
- Merci bien, mon brave. Mais vous savez, je ne suis qu'un humble moine qui essaie de faire découvrir cette rieuse bourgade à de pauvres petits orphelins...
Le garde, qui en avait vu d'autres, jeta quand même un œil étonné sur le "moine". Une robe rouge vif cachait difficilement l'épée et le bâton de Démoniste de son interlocuteur, tandis qu'une perruque, posée de travers, ne faisait que souligner la peau blafarde et moisie du Mort-Vivant.
Sans parler du… de la… enfin, du truc en robe rose et aura d'un vert glauque qui sautillait en ricanant autour de lui.
Le bouquet, c'était quand même le rat qui grignotait l'air de rien les doigts de pieds déjà bien entamés du "moine". Et qui lui lança un regard inquisiteur et acéré, avant de reprendre son ouvrage.
Il est bizarre, ce rat, pensa le garde. Mais la journée avait été longue, et il devait récupérer les gosses chez la nourrice avant d'aller préparer le barbecue pour sa soirée avec les voisins. Le Gobelin décida donc de laisser tomber et de laisser les collègues de la relève se débrouiller avec cette histoire.
- Bon, circulez. Et attention, y'en a un qui vient de tomber à la flotte. Je pourrais vous mettre une amende pour pollution.
Llégion poussa un gémissement intérieur et envoya Abatik récupérer l'orphelin pataugeant joyeusement dans le port.
- Et faites attention, vous allez marcher sur votre ourlet qui s'est déf… trop tard.
- Par la malepeste !
Le plan avait pourtant tout pour réussir. Le pigeon avait répondu au message, la directrice de l'orphelinat était d'accord pour lui confier une classe, et le bateau pour Baie du Butin avait été à l'heure pour une fois.
Bref, il aurait dû se méfier.
Un orphelin, c'était dur. Dix orphelins, c'était… cataclysmique. La façon dont la directrice lui avait souhaité bonne chance aurait dû lui mettre la puce à l'oreille. Ainsi que le cri de joie de la même directrice quand ils s'étaient éloignés.
Le bateau avait pris une journée de retard après qu'un des gamins ait disparu – en fait, il jouait à colin-maillard dans la cale et il avait attendu que ce soit drôle pour réapparaître.
Mort de rire.
Ensuite, il avait fallu réparer les cordages après qu'un autre ait tiré sur les nœuds "pour voir ce que ça fait, m'sieur".
On savait maintenant : ça fait tomber toutes les voiles et énerver le capitaine.
Enfin, ils avaient encore perdu une journée après un contrôle par un navire des douanes de l'Alliance. Les charmants bambins n'avaient alors rien trouvé de mieux à faire que de se déguiser en pirates de la Voile Sanglante et d'accueillir les douaniers avec un drapeau noir à tête de mort.
Et ça n'a pas le sens de l'humour, un douanier. Oh que non.
Bref, il était à Baie du Butin avec dix suppôts de l'Enfer déchaînés, dans un accoutrement ridicule, tout ça pour récupérer quelque argent d'un arrière petit-neveu qu'il n'avait jamais vu.
Il avait intérêt à être à l'heure.
- Par la malepeste, pour une idée à la con, c'est une idée à la con !
- Respirez, Maître, vous devenez bleu.
- Et puis, comment on fait pour trouver un Paladin ici ? Je ne comprends même pas la configuration des lieux !
- On a rendez-vous à l'auberge, Maître. Ne vous inquiétez pas, je connais.
- Tu me paraît connaître beaucoup de choses, toi...
- Vous n'êtes pas mon premier Maître, Maître. Mais vous êtes le plus malfaisant sans l'ombre d'un doute.
- Et toi le plus faux-cul des démons. Ah, c'est là.
Llégion entra dans l'auberge, Abatik sur les talons, et se dirigea vers le compt...
- Par la malepeste !
- Ca va, Maître ? Pas de mal ?
- Ras-le-bol de cette robe ! Marre de me prendre les pieds dedans !
- Mais vous êtes en pantal… Euh, non, rien, Maître.
S'étant relevé et ayant brossé ses habits d'un air sévère, Llégion se dirigea vers le comptoir sous l'œil goguenard des clients.
- (Souvenez-vous, Maître, vous êtes un moine affable).
- Pfff… Bonjour, mon brav… Euh… Y'a quelqu'un ?
- Plus bas, derrière le comptoir. Encore plus bas. Voilà.
- Je ne vous avais pas vu, mon brave (C'est quoi ce truc ? Un modèle réduit ?) J'ai rendez-vous avec un noble Paladin. L'auriez-vous vu ? Il porte le nom d'Edu...
- Salutations, l'ami ! Oups, désolé...
***
Chapitre 10 : Fricassée de pigeon aux petits pois
Edualk avait surgi soudainement derrière le Démoniste et lui avait flanqué une formidable frappe dans le dos qui l'avait envoyé se fracasser le thorax contre le comptoir.
- (voix étouffée) Pas de doutes, c'est un palouf… rhaaa…
- Respirez, Maître, vous devenez bleu.
- Ca va, mon vieux ? Tenez, vos cheveux, ils sont tombés par terre. Vous avez de sacrés problèmes de peau, on vous l'a déjà dit ? On croirait presque que vous êtes mort !
- Euh… Oui, merci mon brave (Super, c'est un marrant). Je ne peux malheureusement pas rester longtemps, mon brave. Mes chers gn… enfants doivent rentrer à l'orphelinat dès que possible.
Le Paladin cligna des yeux, chercha autour de lui du regard, puis le regarda sans comprendre.
- Les enfants ? Quels enfants ?
- *gémissement*
Il fallut une bonne heure pour récupérer les orphelins qui s'étaient répandus dans tout Baie du Butin.
- Il en manque, Maître.
- Tu es sûr ? Moi je trouve qu'il y en a beaucoup plus que la dernière fois.
- C'est parce qu'on en a récupéré qui sont pas à nous, Maître. D'ailleurs, faudrait les rendre. Mais il en manque… quatre, en fait.
- Tu arrives à les reconnaître ?
- Oui, Maître. C'est n°3, n°7, n°8 et n°10 qui manquent.
- C'était pour ça les dossards et la peinture ? Pas bête…
Une rapide enquête permit de retrouver la trace des fugueurs, partis bien évidemment…
- C'est pas vrai ! Pas les pirates ?! J'en ai marre… *sanglots*
- Vous inquiétez pas, Maître. Le Paladin nous aidera, j'en suis sûr.
Le Paladin, un inexplicable sourire contenu au visage, fut plus que ravi d'aider à récupérer les enfants manquant. Même si deux d'entre eux le mordirent et que le plus impressionnable eut un "accident" dont pâtit le magnifique tabard du Paladin.
- Voilà donc les charmants bambins – arrête de lui tirer les pattes, il aime pas ça - dont vous vous occupez à la SPAM ? – Descends de là, tu vas te faire mal ! - Ils ont l'air adorables… - Ne joue pas avec ça, ça coupe…– Vraiment adorables - Tiens, qu'est-ce que je t'avais dit !
- Oui, oui… Euh… En fait…
- Oui, la contribution. Vous allez rire, mais je crois que j'ai oublié ma bourse à la dernière auberge où je me suis arrêté. J'ai deux-trois bricoles à faire ici, pourquoi ne pas nous retrouver là-bas avec les gamins ? Disons… dans deux jours ? Je suis sûr qu'ils vont adorer Gadgetzan, y'a plein de machines rigolotes là-bas… Qu'est-ce qu'il lui arrive ?
- Maître ? Maître ? Respirez, vous devenez bleu. Maître ?
Finalement, Edualk "retrouva" sa bourse dans une de ses sacoches. On a beau aimer rigoler, on en reste pas moins un Paladin. Pour le coup, c'était vraiment cruel de prolonger la plaisanterie.
Llégion et sa marmaille purent ainsi reprendre avec soulagement le bateau qui le ramènerait vers Cabestan – vers la civilisation…
- Bon retour ! Vous ferez un bisou aux enfants pour moi ! Eh ! Attendez ! Vous en avez oublié un ! … Non, je rigole !
- Très drôle, le plouc… Bon, Abatik, tu as bien la bourse ?
- Oui, Maître, mais…
- Et il ne nous voit plus, maintenant, le plouc ?
- Non, Maître, on est trop loin, mais…
- D'accord… Les enfants ?
- OUIIIIII !!!
- Le premier à la bouée gagne une glace ! Prêts…. Partez !
- OUAAAIIISSS !!! *Plouf*
- … Ca, c'était mesquin, Maître. Même pour vous.
- Rien à foutre. Ras-le-bol.
- Ca risque de vous être reproché, plus tard, Maître. Jeter des enfants à la mer…
- Je les ai pas jetés, ils ont sauté tout seul. Nuance. Sinon, montre cette bourse.
- Euh… c'est-à-dire, Maître...
- Par la malepeste, donne-moi ça !
Il fallut dix bonnes minutes à Abatik pour ranimer son Maître. Dans la bourse, au lieu des pièces d'or promises, il n'y avait qu'un bout de papier et une boîte.
Le papier disait juste ceci : "Veuillez payer au porteur la somme de 100PO. Edualk, Paladin du 64e cercle"
La partie destinataire indiquait : Banque des Aldors, Shattrah.
En Outreterre.
Inaccessible avant des mois.
D'où la syncope du Démoniste.
La boîte, quant à elle, contenait un adorable petit chaton blanc, avec une carte indiquant : "De la part de ton neveu, en souvenir des anciennes réunions de famille."
Revenu à lui, Llégion attrapa le chat d'une main vengeresse et le fit tournoyer en l'air avant de...
- Chat volant !
- MIAOWWWW !!!
- Maître ! Pas dans la mer ! Oh non, il était si mignon…
- RHHHAAA !!! Me faire ça à moi ! Par la malepeste ! J'aurais dû étriper ce foutu gosse quand j'en avais l'occasion, il y a 50 ans !
- Vous avez vu, Maître, les enfants ont récupéré le petit chaton. Qu'ils sont mignons…
- RHHHAAA !!! Attaque-les, Abatik !
- Ils sont trop loin pour ça, Maître (ouf !). Et puis regardez, il me semble qu'un navire de la Voile Sanglante va vers eux… Oui ! Ils les recueillent. Ouf, sauvés !
- …
- Euh… Je voulais dire : oh non, saleté de pirates. Ce n'est pas de chance, Maître.
- Si je recroise ce Paladin, je te jure que je… que je…
- Il est encore un peu trop fort pour vous, Maître.
- RHHHAAA !!!
- Respirez, Maître, vous devenez bleu.
Moustaches sourit intérieurement. Son plan se déroulait parfaitement, et bientôt la roue du destin commencerait à tourner.
Puis le rat pissa sur l'un des sacs du Démoniste.
***
Chapitre 11 : Rien n'est certain, à part la mort et les impôts
Vimayre leva le sourcil et regarda l'Orc assis devant lui.
- Alors comme ça vous désirez un… comment dites-vous déjà ? Ah oui : un "délai" ?
L'Orc avait le regard d'une bête traquée, chose que Vimayre connaissait bien pour l'avoir vu bien souvent chez ses proies quand il partait chasser.
- C'est-à-dire, monsieur le contrôleur...
- "Monsieur le Contrôleur Principal", je vous prie. Avec des majuscules.
- Désolé… Monsieur le Contrôleur Principal, je voulais dire. C'est qu'en fait la saison a été très mauvaise...
- Je vois pourtant ici, dans ce rapport officiel fourni par les organismes compétents et dûment habilités par notre administration, que la fréquentation des Tarides a connu une hausse de 12%.
- En fait, pour moi, la saison n'a pas été très...
- Ce rapport indique que l'ensemble des commerces des Tarides, du fait de cette hausse des fréquentations, ont dû mécaniquement bénéficier d'une hausse de leurs bénéfices d'environ… où ai-je lu ça… ah oui : 130%.
- Mais monsieur, les...
- "Monsieur le Contrôleur Principal"...
- Monsieur le Contrôleur Principal, ils n'ont fait que se battre entre eux ou attaquer la Croisée ! Je n'ai fait que la moitié de mon chiffre d'affaire !
- Je suis désolé, monsieur, mais ce rapport est formel : 130% de hausse. Ce qui vous fait passer à la tranche supérieure et vous soumets à la taxe sur les bénéfices exceptionnels.
- Mais je n'ai pas d'argent !
- Il s'agit d'or, en fait. 10.723PO et des poussières, plus la majoration pour retard de 30%. Sans oublier, bien sûr, la dîme compensatoire destinée à réparer les dégâts commis par les Allianceux à la Croisée. Soit… je pose 3 et je retiens 7… 19.499PO.
- Mais… mais...
- Bien entendu, notre administration n'ignore pas les difficultés pour réunir une telle somme. Nous nous doutons bien que vous ne pouvez l'avoir sur vous, ah ah ah.
- Ah ah ah...
- Conformément au règlement fiscal en vigueur, nous vous accordons donc un délai de quinze jours pour réunir ladite somme et la déposer à la Perception dont vous dépendez, à savoir celle de Désolace.
- Mais même en quinze jours je ne pourrais jamais… Attendez ! En Désolace ?! Mais mon établissement est aux Tarides !
- L'administration fiscale a fait l'objet d'une réorganisation destinée à faciliter les démarches des contribuables, monsieur. Vous dépendez maintenant de la Perception de Désolace.
- Mais...
- Quinze jours, monsieur. Moins, bien entendu, la durée de traitement de votre dossier, et le délai pour fixer ce rendez-vous, ce qui vous laisse… 57 minutes et 45 secondes. Allez, j'arrondis à 58 minutes, vous m'êtes sympathique.
- Mais… mais...
- 57 minutes, maintenant.
Vimayre regarda l'Orc détaler à toutes jambes et se ruer dehors. Oui, décidemment, il adorait son travail.
Il baissa la main sous son bureau et caressa négligemment la tête de Crocdor. La panthère ronronna de plaisir et lécha la main de son meilleur ami.
Puis il se leva et alla à sa fenêtre regarder dehors. Devant ses yeux, la ville d'Orgrimmar bruissait des conversations habituelles entre les aventuriers de passage, tandis que camelots et bonimenteurs promettaient aux naïfs fortune et expérience en échange d'un peu d'or.
Vimayre n'était pas quelqu'un de banal. D'abord parce qu'il était l'un des rares Taurens à avoir rejoint le service des Impôts de la Horde, alors que d'ordinaire les meilleures places étaient occupées par des Morts-Vivants – considérés comme moins sensibles aux plaintes des contribuables.
Ensuite, parce qu'il avait rapidement gravi les échelons mais avait malgré tout préféré rester simple Contrôleur – certes Principal – au lieu d'être nommé Chef de Service.
Son profil atypique, son don naturel pour les mathématiques fiscales, et une ténacité apprise lors de ses chasses dans les prairies de Mulgore, avaient attiré l'attention et quelques jours plus tôt, son supérieur lui avait proposé une offre qu'il n'avait jamais osé espérer : rejoindre la Confrérie des Collecteurs.
Ce groupe existait depuis des temps immémoriaux, et leur nom faisait trembler tous les contribuables d'Azeroth.
Créée dans la haute antiquité, cette confrérie avait d'abord été une simple organisation criminelle ayant pour but le racket et le vol. Puis avec la sophistication croissante de la société et la mise en place d'administrations, elle avait découvert qu'il était plus profitable de servir le pouvoir en place que de rester dans l'illégalité.
Un siècle auparavant, la Grand Maître de la Confrérie, une Morte-Vivante nommée Tévéha, avait ainsi fait acte d'allégeance aux chefs de la Horde et avait été officiellement chargé du recouvrement des créances en souffrance.
Depuis, la Confrérie traquait impitoyablement les inconscients qui osaient ne pas payer leur tiers provisionnel en temps et en heure, en échange de 50% des pénalités de retard.
Ce qui faisait de cette Confrérie la plus riche de tout Azeroth.
Des rumeurs non confirmées prétendaient d'ailleurs que la Confrérie exerçait aussi du côté de l'Alliance, mais étrangement, tous ceux faisant état de cette rumeur subissaient un redressement fiscal dans le mois qui suivait.
Ce qui prouvait sans l'ombre d'un doute la fausseté des rumeurs…
Bref, Vimayre, en sortant de son bureau ce jour-là, sifflotait gaiement en songeant à la première mission qui lui serait attribuée comme épreuve d'admission.
Il espérait juste que ce ne serait pas un Tauren. Pas à cause d'une pseudo-solidarité de race, mais parce qu'il savait que ces pouilleux fumeurs d'herbes n'avaient jamais un sou sur eux.
Loin de là, Moustaches fronça le museau. Il s'était préparé à ce moment depuis longtemps, mais cela l'avait quand même secoué. Ainsi la chasse allait commencer… Il savait qu'elle devait se produire un jour ou l'autre, mais cela allait compliquer sa tâche.
Puis le rat se mit à courir après une souris pour lui dévorer la tête.
***
Chapitre 12 : Un nouvel ami pour la vie
- Finalement, il a été sympa votre arrière petit-neveu, Maître.
- Mouais…
- Allez, Maître, dites-le. Rien qu'une fois. Vous verrez, vous vous sentirez mieux après.
- Par la malepeste !
- Allez, Maître.
- Je dois reconnaître… RHHHAAA !!!... qu'il est finalement… Par la malepeste !... assez… *respiration sifflante*… sympa, pour un Paladin.
- Et tordu, en plus, Maître. Vous avez vu la façon dont il s'est fichu de vous ?
- Faut reconnaître, c'était pas mal. C'est bien mon sang qui coule dans ses veines.
Llégion et Abatik avaient installé leurs quartiers à l'auberge de Lune d'Argent, capitale des Elfes de Sang. Llégion avait entendu parler de richesses innombrables, mais il ne connaissait alors pas encore les Elfes de Sang.
En résumé, il avait vite – très vite – regretté d'y avoir mis les pieds. En plus d'être naturellement énervant avec leurs airs de poseurs et leurs sourires éclatants, les Elfes étaient tous dotés d'un sens de l'humour à donner envie de se pendre dans l'instant.
Heureusement, Edualk leur avait finalement envoyé une lettre d'excuse pour les "désagréments" et avait surtout joint les fameuses 100PO, obligeant Llégion à lui envoyer une lettre de remerciement – qu'Abatik avait écrite, son Maître étant encore une fois tombé en syncope.
Le Démoniste en avait profité pour recommencer une nouvelle collection d'estampes elfiques, tandis qu'Abatik avait simplement remplacé ses couettes roses, souvenir de la petite orpheline, par…
- Par la malepeste, enlève ça, Abatik.
- Mais Maîtttrrre-eeuuuhhh…
- Je t'ai dis d'enlever ça !
- S'il vous plaît-eeeuuuhhh, Maître !
- RHHHAAA !!! Tu es ridicule !
- Même Moustaches trouve ça bien, Maître.
Le rat leva son museau de l'écuelle de lait dans laquelle il était plongé, pour regarder le Diablotin, puis le Démoniste, puis à nouveau le Diablotin.
Qui arborait un magnifique nœud rose bonbon sur la tête.
Moustaches songea un instant à sa vie d'avant, à l'orphelinat. Il pensa à ses parents, à ses 327 frères et sœurs. Il pensa à la petite orpheline qui s'était occupée de lui après le… "drame".
Il pensa à ses plans et à tout ce qu'il devait organiser pour…
Moustaches se dit que finalement, la vie, ça pouvait être sacrément marrant parfois.
Puis il replongea le museau dans son écuelle.
- Dis donc, Abatik, j'ai sacrément progressé depuis que je t'ai fait venir la première fois.
- Oh oui, Maître. Et puis vous êtes sacrément fort, Maître. Et beau, aussi. Et…
- J'ai le niveau pour un nouveau démon, non ? Plus costaud, je veux dire.
- Euuuhhh… Il ne sera jamais aussi efficace que moi, Maître.
- On va voir ça.
Grâce à sa pierre de foyer, Llégion se transporta immédiatement – et avec soulagement - à Fossoyeuse, suivi d'un Abatik sombre et inquiet – malgré le nœud rose.
Impatient, le Démoniste se précipita au Temple et se planta devant la Maîtresse des Démonistes, qui remplaçait temporairement le vieux Kerwin partit en congé sabbatique.
- Salut la vieille ! La pêche ?
Un froid glacial, même pour un Mort-Vivant, s'abattit soudainement dans le Temple, tandis que la Maîtresse des Démonistes foudroyait Llégion du regard.
- Oups.
- Tu disais, petit ?
- Je disais : je ne suis qu'une humble larve soumise à la volonté toute puissante de la plus grande Démoniste de tout Azeroth, et ce serait un immense honneur, bien que je n'en sois pas digne, de recevoir votre enseignement dans les voies de l'invocation. Madame.
- Et… ?
- Euh… Pardon ? Madame ?
- Mieux, bien mieux… Tu peux le reposer par terre, Lucifer.
- (voix grondante) A vos ordres, Maîtresse.
Le titanesque démon l'ayant reposé par terre, Llégion se redressa en tremblant et se tint penaud devant la Maîtresse des Démonistes, un Abatik pâle comme la mort à ses côtés.
Moustaches, quant à lui, observait attentivement la scène comme à son habitude. Tout se déroule comme prévu, pensa-t-il encore une fois.
- Tu désires poursuivre ta progression dans les voies de la Démonologie, n'est-ce pas ?
- Oui, Madame. Pardon, Madame.
- Et contrôler un nouveau démon, c'est bien cela ?
- Oui, Madame. Avec votre permission, Madame. Pardon, Madame.
- Connais-tu le Marcheur du Vide, petit ?
- Non, Madame. Pardon, Madame.
- Tu vas en invoquer un et le détruire. Après, et seulement après, si tu en es digne, je t'apprendrais à en invoquer un pour ton service exclusif.
- Oui, Madame. Merci, Madame. Pardon, Madame.
Llégion se dirigea vers le cercle d'invocation en se massant la nuque.
- Mais pour qui elle se prend cette…
- (Maître, non ! Elle entend tout !)
- … exceptionnelle maîtresse des arts occultes, si ce n'est la plus grande Démoniste de tout Azeroth, ce qu'elle est de toute évidence, n'est-ce pas, Abatik ?
- Sans l'ombre d'un doute, Maître. (Bien récupéré, Maître !)
- Bon, j'invoque ce truc et je le tue, c'est ça ? Bref, comme d'habitude, quoi.
- C'est ça, Maître, mais en plus difficile.
Le combat fut étonnamment bref, et après à peine dix secondes, le Marcheur du Vide gisait au milieu du cercle d'invocation, en mille morceaux.
- J'ai eu une super idée, hein, Abatik ?
- Vous m'avez lancé sur ce truc, Maître !
- Oui, et c'est ce qui m'a sauvé la vie. Merci de ton aide, Abatik.
- Vous m'avez lancé dessus, Maître ! J'ai failli mourir ! Je le crois pas ! Vous m'avez lancé dessus !
- Du calme, tu es en vie et lui est mort.
- Vous m'avez lancé dessus, Maître !
- Tu radotes, Abatik. Retournons voir la Démoniste.
- Vous m'avez lancé dessus, Maître !
La Maîtresse des Démoniste fronça les sourcils en voyant revenir les deux compères.
- Déjà, petit ?
- Ettt ouais… Je veux dire : votre enseignement m'a donné la force et le talent dont je ne disposais pas, Madame.
- Tu apprends vite, petit. Tiens, prend cette lampe et ce livre. Le livre contient le rituel d'invocation d'un Marcheur du Vide. C'est un combattant solide qui a l'art d'attirer tes ennemis pour te permettre de lancer tes sorts. La lampe est son sanctuaire. Surtout ne la perd pas.
- Merci, Madame. Que serais-je sans votre enseignement et votre talent, Madame.
- Oui, vraiment très vite... On dirait moi plus jeune. Je me souviens, j'avais fini par égorger mon Maître ! C'était le bon temps… D'ailleurs, je me demande, tu me ressembles tellement…
- Bon, euh, c'est pas tout ça, l'heure tourne, alors je vous laisse, hein ? Madame.
Llégion prit la fuite précipitamment avant que la Démoniste qui commençait déjà à murmurer un sortilège de mort n'aille au bout de sa pensée.
- On s'en sort bien, hein, Abatik ?
- Vous m'avez lancé dessus, Maître !
- Oh, la ferme. Bon, voyons voir cette lampe.
- Vous m'avez lanc… Vous me renvoyez, Maître ?
- Ah bon ?
- Un seul démon à la fois, Maître. C'est la loi infernale.
- Il y a des lois en Enfer ?
- Il n'y a que ça, Maître. C'est ce qu'il y a de plus drôle en fait. Donc, si vous invoquez ce Marcheur, je devrais m'en aller. Mais je sais que vous ne ferez pas ç… oh, non !
***
Chapitre 13 : Tout retard fera l'objet d'une pénalité
Le tapotement des doigts du Mort-Vivant sur la couverture du dossier posé devant lui durait depuis plusieurs minutes. Cela agaçait d'autant plus Vimayre qu'il en usait suffisamment de son côté pour en connaître le caractère exaspérant.
Mais le Tauren avait au moins en commun avec ceux de sa race la patience. Il attendit donc le verdict sans montrer de signe de nervosité, et commença à réciter intérieurement les articles du Code des Impôts relatifs aux pénalités de retard - une vieille habitude lui permettant de patienter en meublant son ennui.
Le Mort-Vivant se tourna vers son coreligionnaire assis à sa droite, sans cesser son tapotement, et lui fit un signe de tête. Cela eut pour effet de secouer sa langue et de faire tomber de la salive sur son pupitre. Il faut dire qu'il avait perdu sa mâchoire au moment de son retour à la non-vie, ce qui lui avait valut une promotion rapide au sein de la Confrérie jusqu'à en devenir le Grand Maître en titre.
L'autre Mort-Vivant voulut parler, mais sa mâchoire se déboîta et il batailla pendant plusieurs secondes pour la remettre en place.
Vimayre ne montrait rien, mais intérieurement rageait devant l'apparence minable des Morts-Vivants. Certes, elle leur était très utile dans l'exercice de leurs fonctions, mais tout cela manquait d'efficacité et surtout de modernité.
Vimayre croyait beaucoup aux vertus de la modernité, et rêvait d'un monde tournant comme une horloge, précis et ordonné. Et surtout sans ces foutus Morts-Vivants imposant leurs règles obsolètes à la Confrérie.
Pendant que le premier bavait et que le second essayait de rafistoler sa mâchoire, le troisième Mort-Vivant assis devant Vimayre se tourna vers le mur et commença à parler.
S'il avait tous ses morceaux, celui-ci avait les yeux cachés par un bandeau clouté, l'empêchant de voir quoi que ce soit.
- Apprenti Vimayre, vous avez été convoqué par le Grand Conseil de la Confrérie pour vous voir attribuer votre première épreuve.
- Mfl spl vl, plf.
Vimayre regarda le Grand Maître qui venait de s'exprimer, leva un sourcil interrogatif et se tourna vers celui capable de s'exprimer.
- Je crains de ne pas avoir compris. Et je suis de l'autre côté.
- Ah oui. Comme le fait remarquer notre Grand Maître, il est exceptionnel qu'un simple Tauren soit accepté parmi nous.
- Vfl gnlf blf.
- Comment ?
- Il espère que vous saurez vous montrer digne de notre confiance.
Le second Mort-Vivant réussit à remettre sa mâchoire et ouvrit la bouche pour parler à son tour.
- Il est… gnnnn *cloc*
Le laissant se battre avec sa mâchoire encore décrochée, Vimayre se tourna à nouveau vers le Grand Maître.
- Mlf flf blf.
- Euh…
- Il ajoute que, conformément au code de déontologie de la Confrérie, vous êtes tenu de réussir cette mission, sous peine de blâme.
Le second eut un rire sec quand il remit sa mâchoire et voulut parler.
- En effet… gnnnn *cloc*
- Tlf.
- Hein ?
- Il précise que nous avons choisi une mission qui requiert quelqu'un d'extrêmement compétent, et surtout ayant de véritables dons pour la traque. En un mot un Chasseur, comme vous. Il tient aussi à préciser que de la réussite de cette mission dépendra non seulement votre avenir parmi nous mais aussi un certain nombre de projets en cours. Il insiste donc sur votre diligence.
Vimayre se retourna vers le Grand Maître qui le foudroyait du regard.
- Il a dit tout ça ?
- Bien sûr.
- Blf glf slf vlf tlf plf mlf.
- Et là ?
- Comment ? Non, rien, il a juste éternué.
Vimayre respira profondément. Il regarda successivement le Grand Maître bavant abondamment sur son pupitre, son second bataillant avec sa mâchoire et le troisième qui était tourné vers le mur.
Foutus Morts-Vivants.
- Et quelle est ma mission, Grand Maître ?
- Glf hlf vlf.
- Oui, nous… gnnnn *cloc*
- Nous vous avons choisi un dossier en souffrance. Tenez, prenez-le.
Vimayre soupira intérieurement et passa derrière le pupitre pour prendre le dossier que le Mort-Vivant tendait au mur derrière lui.
Puis il revint devant les trois cadavres et commença à feuilleter l'imposant monceau de papier.
Le dossier était ancien et très épais. Vimayre reconnu la nomenclature YZO-17, utilisée plusieurs décennies auparavant. Il jeta un œil sur la fiche nominative et se tourna son regard vers l'aveugle en levant un sourcil interrogatif. Avant de se rappeler de son état.
- Un Démoniste ? Mort apparemment.
- Il est… gnnnn * cloc*
- Llf mlf tlf.
- Oui, il est revenu à la non-vie il y a peu. Du temps où il était vivant, nous avions un redressement "spécial" à effectuer envers lui, mais une armée de Paladins a attaqué son repaire et l'a tué avant que nous ne puissions intervenir.
- Jlf glf.
- Il avait déjà plusieurs retards en cours, auxquels s'ajoutent les 50 années durant lesquelles il a été enterré.
- Ce qui… gnnnn *cloc*
- Flf.
- Votre épreuve sera de le retrouver et de le soumettre à un redressement en bon et dû forme. Des questions ?
Vimayre regarda la fiche nominative.
- Un indice sur l'endroit où je pourrais trouver ce Llégion ?
Moustaches frissonna, situation inhabituelle pour lui depuis… Il s'attendait à quelque chose de difficile, mais à ce point… La partie allait être serrée.
Puis le rat commença à décortiquer une noix.
***
Chapitre 14 : Le génie de la lampe
Llégion avait déjà commencé à prononcer le long rituel d'invocation. Abatik disparut dans un glapissement aigu, tandis que Moustaches, comme à son habitude regardait la scène.
Donc, il faut faire… et puis la main va… mais oui, je vois maintenant. Je vais pouvoir passer à l'étape suivante, pensa le rat.
Puis il entreprit de se gratter une oreille avant d'aller pisser sur le cercle d'invocation.
Il y eut un tremblement dans l'air, comme une anomalie dans la réalité donnant sur un lieu de flammes et de terreur : les Enfers.
Puis le tremblement s'accentua, tandis que la lampe dans les mains de Llégion se mettait à vibrer de plus en plus fort.
Finalement, la lampe eut un soubresaut et le tremblement dans l'air prit une teinte bleutée, jusqu'à laisser place à une créature énorme, translucide et… bleue.
- (voix caverneuse) Je suis à vos ordres, ô mon Maître.
- Classe… C'est vrai qu'il a l'air costaud, ce démon. T'as vu, Abatik, il… Ah oui, c'est vrai. Bon, tu t'appelles comment ?
- (voix caverneuse) Mezznagma, ô mon Maître.
- Mezzgam… Gezzmam… Par la malepeste ! Je vais t'appeler Mezz, c'est mieux.
- (voix caverneuse) Il en sera fait selon votre volonté, ô mon Maître.
- Tu peux m'appeler "Maître" tout court, Mezz.
- (voix caverneuse) J'obéis, Maître.
- Et tu sais faire quoi, Mezz ?
- (voix caverneuse) Titulaire d'un diplôme de troisième cycle en littérature comparée, j'ai rédigé une thèse sur la place des Naarus dans les sagas des Nains du Ier siècle qui a reçu les félicitations du jury, Maître.
- Hein ?
- (voix caverneuse) J'ai complété cette formation initiale par une licence en langues démoniaques appliquées dans le but de me spécialiser dans le secteur touristique, Maître.
- Heu…
- (voix caverneuse) Après mes études démoniaques, j'ai travaillé pendant près de 20.000 ans pour divers prestataires de services maléfiques où mes compétences ont été appréciées au point de me permettre d'accéder aux fonctions de Directeur des Ressources Démoniques.
- Attends…
- (voix caverneuse) Polyvalent et motivé, je suis prêt à m'engager avec enthousiasme dans tout emploi que vous voudrez bien me proposer, Maître.
- C'est-à-dire…
- (voix caverneuse) Dans l'attente de votre réponse, je vous prie d'agréer, Maître, l'expression de mes salutations distinguées.
Llégion regarda avec effarement l'énorme démon bleu qui se tenait devant lui, et remarqua alors…
- Tu… tu portes des lunettes ?!
- (voix caverneuse) Je suis myope, Maître.
- Par la malepeste, tu sors d'où ?
Mezz poussa un profond soupir, et sortit un mouchoir de… enfin, de quelque part, et commença à nettoyer ses lunettes.
- (voix caverneuse) J'ai été licencié par mon précédent Maître suite à une délocalisation vers les abysses inférieurs, Maître. La conseillère de l'ADPI - l'Agence Démoniaque Pour l'Invocation – m'a dit qu'il y avait une place qui venait de se libérer et que si je n'y allais pas, on me supprimerait mes allocations de demandeur d'invocation. Alors me voilà, Maître.
- Tu es au chômage !? Tu es un démon des Enfers au chômage ?!
- (voix caverneuse) Hélas oui, Maître. Les temps sont durs, avec les démons des abysses inférieurs qui travaillent pour un dixième de pierre d'âme et qui ne sont même pas syndiqués, et puis pour des démons qui ont passé les 50.000 ans comme moi, le marché de l'invocation est réduit. On a seulement le choix entre la préretraite ou un poste minable avec un Démoniste sans avenir et qui paye mal. Maître.
- Magnifique. Je suis tombé sur un démon en fin de carrière et au chômage depuis… ?
- (voix caverneuse) Cela va faire bientôt 3.000 ans, Maître. Cela devient dur de retrouver une invocation à 50.000 ans passés.
- Et si j'en demande un autre, il se passe quoi ?
- (voix caverneuse) J'ai un ancien collègue de 49.000 ans qui cherche aussi un Démoniste, Maître. Je peux lui en parler, si vous voulez…
- Okay, c'est bon, je ne cherche plus à comprendre. Tu restes, mais je te préviens, tu as intérêt à assurer. Tu es maintenant au service d'un Génie du Mal, et j'ai pour but de conquérir Azeroth !
- (voix caverneuse) Je saurais me montrer digne de votre confiance dans les tâches que vous m'assignerez, Maître. Et concernant les avantages sociaux et l'organisation des congés ?
- …
- (voix caverneuse) Nous en reparlerons ultérieurement alors, Maître.
- Bon, pour commencer, on va faire un tour à Ombrecroc. Le temps de trouver des larbins qui…
- (voix caverneuse) Je me permets d'attirer votre attention sur la période probatoire de recrutement, Maître.
- Hein ?
Mezz avait sorti un agenda.
- (voix caverneuse) Je ne pourrai être à mon poste qu'à partir du début du mois prochain, Maître. Du fait d'un arriéré de congés à solder de mon précédent poste, ainsi que des récupérations d'heures supplémentaires qui, comme vous le savez certainement, nous ont été accordées lors de la précédente négociation interdémoniaque…
- Par la malepeste ! Je ne veux plus rien savoir ! Tu fais comme tu veux, je ne veux plus rien savoir !
- (voix caverneuse) Puis-je vous suggérer de reprendre votre respiration, Maître ? Vous commencez à prendre une teinte bleutée.
- Foutu démon…
- (voix caverneuse) Nous nous donnons donc rendez-vous pour ma prise de fonction, Maître, disons… lundi en quinze ? Neuf heures ?
- Fais comme tu veux et fous-moi le camp.
- (voix caverneuse) Je gage que nous future collaboration sera des plus profitable pour l'entreprise commune, Maître. Je vous souhaite le bonsoir.
- C'est ça, on lui dira…
Le Marcheur du Vide referma son agenda et disparut dans le vide.
- Y'a que sur moi que ça tombe, des trucs pareils. Franchement, y'a qu'Abatik qui tienne la route…
- Merci de votre confiance, Maître.
- Tiens, tu es revenu ?
- Le gros bleu est parti, donc me revoilà, Maître. Il est bien ?
- Par la malepeste ! Je suis tombé sur un pénible. Un certain Mezz-trucmuche.
- Mezznagma, Maître ?
- Tu connais ?
- Ah, euh… un peu, Maître. Il paraît qu'il est affilié à la Confrérie Génératrice de Troubles. Un puissant syndicat en bas. Vous allez souffrir, Maître.
- Pourquoi ça ne m'étonne plus…
- Ca va aller, Maître. Je suis là, moi.
- Et puis je t'ai dit d'enlever ce truc, tu es ridicule.
- Mais Maître-eeeuuuhhh…
Llégion commença à ranger les nombreux objets récupérés depuis son dernier passage à Fossoyeuse, puis soudain, quelque chose fit "tilt" dans son esprit.
- "Un poste minable avec un Démoniste sans avenir et qui paye mal" ?! Eh ! Par la malepeste ! Attends voir !
Moustaches poussa un soupir. Des impondérables, toujours des impondérables. Quoique… Tout ceci pourrait offrir des possibilités, disons… intéressantes… Oui, il fallait attendre et observer…
Puis le rat posa quelques crottes au pied d'un lampadaire qui passait par là.
***
Chapitre 15 : Le registre
- Y me donne son nom et sa classe pour le registre, merci.
Vimayre toisa le Mort-Vivant qui se tenait courbé devant lui, un lourd registre sous le bras.
Puisque son client était un Mort-Vivant revenu à la "vie" après 50 ans d'absence, le Tauren avait décidé logiquement de commencer son enquête par les tombeaux au Nord du Glas.
Un coin sinistre, mais il fallait bien commencer quelque part...
- Tu fais erreur, l'ami. Je ne suis pas un Réprouvé.
- Moi on y dit de demander le nom et la classe, alors y demande le nom et la classe.
- Montre-moi ton registre, l'ami. Je dois vérifier quelque chose.
- Y l'a pas le droit de faire ça.
- Je suis un Contrôleur Principal. Obéis ou je te le prends de force.
- Y'en a qu'ont essayé, y z'ont eu des problèmes... Après, c'est lui qui voit...
Vimayre leva les yeux au ciel. Ces Morts-Vivants… Enfin, il était en mission officielle et pourvu de tous les documents adéquats. Sinon, il restait toujours les bonnes vieilles méthodes...
- A jour de tes cotisations sociales, l'ami ?
Le Mort-Vivant hésita quelques secondes puis, devant le regard déterminé du Tauren – chose rare chez ceux de sa race – il choisit de céder.
- Y va avoir droit à un rapport, et y l'aura des problèmes si y l'est pas en règle.
Vimayre prit le lourd registre et commença à le compulser. Il trouva assez rapidement ce qu'il cherchait.
- "Llégion, Démoniste Malfaisant et Génie du Mal". Je vois le genre… Vous vous souvenez de lui ?
- Y l'était grand, chauve, l'air con. Y l'avait pas l'air doué.
- Et y l'est… pardon, il est parti où ?
- Y l'a fait comme tous les autres. Y l'est parti vers le village.
Vimayre regarda vers le sud du tombeau. Encore des Morts-Vivants… Décidemment.
Enfin, il avait le début du fil, ne restait plus qu'à tirer dessus.
***
Chapitre 16 : Tous ensemble, tous ensemble, tous !
Llégion était gêné. Ce n'était pas une sensation familière pour un Génie du Mal de son envergure, et cela n'avait rien d'agréable.
Mezz avait finalement accepté de prendre son "poste" en avance, en échange d'une "prime de mobilité" de deux pierres d'âmes. Llégion n'était pas sûr de tout comprendre dans ce que le démon lui disait, mais il avait fini par abandonner l'idée de négocier avec lui après une longue conversation de six heures concernant la "pause-café réglementaire".
Llégion avait donc décidé d'aller faire un tour du côté de la forêt des Pins Argentés, où il avait entendu dire que les opportunités étaient nombreuses, et se trouvait présentement à traîner le dénommé Mezz sur une des îles du Levant.
Ceci étant dit, et si on oubliait les revendications du démon, celui-ci était des plus redoutable pour accrocher les ennemis et les réduire en pièces.
Même si sa méthode était des plus… originale. C'était la première fois que Llégion voyait un démon tuer un ennemi rien qu'avec un livre – en l'occurrence le Code du Travail Démoniaque.
Selon Abatik, qui avait finalement décidé de rester avec son Maître en permanence pour compenser les absences syndicales de Mezz, le Code du Travail Démoniaque n'était même plus sensé être en circulation car classé dans la catégorie des armes de destruction massive.
En voyant l'état des ennemis, Llégion ne pouvait qu'approuver. Même lui était gêné de voir les Murlocs s'effondrer en pleurant et se jeter dans le lac pour se noyer, après avoir subi les discours syndicaux du démon.
Bon, il n'y a que le résultat qui compte, mais quand même…
- Slt ! On két ensanble ? Moa cé Lizaa !!!
Llégion jeta un œil sévère sur la jeune consoeur qui l'avait interpellé.
C'était toujours pareil. Il suffisait qu'on massacre tranquillement quelques dizaines de bestioles pour se détendre pour qu'un boulet vous demande un coup de main.
Cette fois-ci, le boulet était une Morte-Vivante Démoniste, accompagnée de son Marcheur du Vide.
Mezz se pencha à l'oreille de son Maître.
- (voix caverneuse) Prenez garde, Maître. Son démon est un sécessionniste affilié à FO.
- FO ?
- (voix caverneuse) Force d'Outreterre, Maître. Ils ont trahi notre organisation lors du Congrès de Rochenoire en…
- Mezz ? Je m'en fous.
- (voix caverneuse) C'était pour vous prévenir de ne pas faire confiance à cette Démoniste, Maître. D'ailleurs la charte de notre syndicat stipule…
- Oui oui, on lui dira… Bon, elle veut quoi la gamine ?
- On két ensanble ?
Llégion la regarda de bas en haut avec mépris. Niveau faible, équipement minable, même son démon n'avait pas l'air dangereux.
A se demander d'où venaient les dizaines de cadavres démembrés et éparpillés autour d'elle…
- Et pourquoi je ferais ça ? Je suis Llégion, le plus grand cerveau criminel d'Azeroth, un pur Génie du Mal…
- Ta u tou lé murlok 2 la két ? Moa y men mank 3 !!!
Le Démoniste reprit sa respiration et modifia l'orientation de son esprit si supérieur.
Il en avait entendu parler à Fossoyeuse. Certains Morts-Vivants, en revenant à la "vie", ne récupéraient pas la totalité de leurs moyens et étaient condamnés à errer en Azeroth en bredouillant des phrases incompréhensibles et en se donnant en spectacle.
Le plus écoeurant, c'est que ces dégénérés faisaient presque tous parti de l'élite des combattants de la Horde.
- Euh… Moi préférer faire quêtes seul. Solo. Toi comprendre moi ?
- Lol ! Té 1 maran toa !!! On gr ?
- Non ! Moi vouloir seul. Seul ! Toi comprendre ?
- Alé go !
- Mezz ? Tu t'en occupes ? Mezz ?
- Il a pris sa pause, Maître. Et je pense pas que même lui puisse vous en débarrasser. Vous avez qu'à lui donner un coup de main, elle vous fichera la paix ensuite.
- Par la malepeste ! Un Génie du Mal n'aide pas les autres !
- Vous l'envoyez en première ligne et vous, vous restez derrière, Maître. Ca c'est maléfique.
- Effectivement… Bon. Lizaa ? Moi d'accord. O-Kay. Nous aller… allons bon, elle est partie.
Les Murlocs du lac qui s'étaient mis à respirer en voyant Mezz prendre sa pause durent déchanter. Malgré son expression des plus… "aléatoire", Lizaa et son démon faisaient un joyeux massacre de tout ce qui passait à leur portée, allant jusqu'à traquer les survivants au fond de l'eau.
Même Llégion dut reconnaître qu'elle avait un certain style.
- Il est bien, son démon.
- Oui, Maître. J'aime bien la façon dont il leur arrache les bras.
- Et puis le collier d'oreilles, on a beau dire, ça reste classique, ça va avec tout.
- Oui, Maître. Par contre, il a des progrès à faire sur le dépeçage je trouve.
- Dépecer des Murlocs, je ne savais pas que c'était possible.
- Attention, Maître, en voilà un. Vous en voulez un morceau ?
- Je te le laisse, Abatik. Juste un coup de malédiction pour la gourmandise.
- C'est marrant, Maître, mais il avait l'air soulagé de se faire tuer par nous.
- Et il a à peine crié, en plus.
- Je crois que c'est parce que nous, on les tue AVANT de leur couper des morceaux, Maître.
- C'est vrai que c'est un style assez bruyant, quand même. Il devrait faire quelque chose pour le bruit.
- Lol ! Y la réson ! Fé lé tér !
Les Murlocs qui essayaient d'abattre le Marcheur de Lizaa firent brusquement silence, une lueur de terreur dans le regard, en entendant la Démoniste.
Oui, il fallait lui reconnaître un certain style…
- C'est drôle, Maître, on pourrait presque croire qu'elle est plus forte que…
- Par la malepeste, Abatik, et dans ton intérêt, ta gueule.
- Oui, Maître.
Après une dizaine de minutes de massacre ininterrompu, les îles du lac étaient vides de Murlocs. Et de grenouilles aussi. Et d'oiseaux, vu que le marcheur de Lizaa avait éliminé systématiquement toute forme de vie à 500 mètres à la ronde.
- Bien, ton démon. Et il s’appelle ?
- Lol ! Y ma pa dy !
- Qu’est-ce qu’elle rac… Ah oui, j’ai compris. Alors, démon, quel est ton nom ?
- (voix caverneuse) TUER…
- Non, ton nom.
- (voix caverneuse) TUER…
- Lol ! Moa je lapel Tuer ! MDR !!!
- Il a l’air… gentil, sinon. Et il fait quoi à part éliminer tes adversaires ?
- ???!!!
- Pardon : quoi lui faire autre que tuer ?
- Y fé ke tué, et oçi y lé manje. Et y lé manje oçi aven de lé tué.
- Charmant garçon…
- On ren no két ?
- Je te suis, jeune Démoniste.
- Lol ! Té 1 maran toa !
Les deux Démonistes retournèrent ensemble à Fossoyeuse. Llégion abandonna vite l’idée de suivre sa consoeur qui n’arrêtait pas d’aller et venir dans toute la ville, et entreprit de se faire quelques nouveaux habits grâce au tissu récupéré sur les Murlocs.
Mezz potassait ses fiches syndicales, Abatik fouinait à droite à gauche et Moustaches… Et bien, comme d’habitude, Moustaches observait et réfléchissait.
Tout en se grattant négligemment une oreille.
- Dy, toré pa 1PO ?
- Une maille à l’endroit, une maille à l’envers… Quoi ? Tu disais ?
- Toré pa 1PO ? Pour du tyçu.
- Par la malepeste ! Et puis quoi encore ! Tu me prends pour un distributeur ?!
- Ci tu me done dé PO, je di a mon pair de te prandr dan la guilde ! Cé lui le métr !!!
- … "Si tu me donnes…" Oh. Tu as une guilde, toi ?
- Ui ! On é les "Kostos d'Hazerot" ! On daibut mé on é suppair coooll !!!
Llégion resta muet, ne sachant quoi répondre. Puis il avisa le Diablotin qui souriait.
- Abatik ? T'en penses quoi ?
- Pas bête, Maître, votre idée.
- Euh… Oui, je sais, mais dis-moi ce que tu en penses en détail.
- Rejoindre cette guilde minable pour y prendre le pouvoir dans l'ombre, Maître, je dis que c'est un plan maléfique comme on n'en fait plus. Comme ça, vous aurez votre armée de séides.
- Ah, oui… Je suis quand même sacrément intelligent, quand j'y pense.
- Oh, oui, Maître. Vous êtes un Génie du Mal, Maître.
- Et toi un vrai faux-cul.
- Merci, Maître.
- Alor ? Tu vien ?
- Soit, jeune Démoniste, j'accepte d'accorder à ta guilde naissante la primeur de mon talent et de mon intellect.
- ???!!!
- Rhhhaaa… Moi OK pour venir guilde toi.
- Lol ! Té 1 maran toa !
Llégion soupira.
- C'est drôle, Abatik, mais en fait je le sens pas trop, ce coup-là…
- Di toré pa dé PO pour le cofr de la guild ? Ten a pl1 !!!
- Rhhhaaa ! Mais elle va me lâcher avec ses PO ?!
- Votre arrière petit-neveu a toujours de l'or, Maître.
- Mmmm… Bien vu. Je lui enverrai une lettre. Il paiera pour mon armée. Mouahahahahahahah ! Je sens que les affaires reprennent !
- Ton neve y pe me doné dé PO ?
- Rhhhaaa ! Par la malepeste !
- Respirez, Maître, vous devenez bleu.
Moustaches sourit intérieurement. Il suffisait d'être patient pour que les évènements prennent un cours utile à ses projets. Et ceci ouvrait encore de nouvelles perspectives…
Puis le rat entreprit de ronger les nouvelles bottes de Llégion.
***
Chapitre 17 : La Démoniste
- (voix caverneuse) Par la malepeste, que veux-tu, créature ?
Vimayre grimaça. Le coup de la voix caverneuse… Même à Fossoyeuse ils ne le faisaient plus depuis des siècles.
Manifestement, ces dégénérés du Glas n'étaient pas encore au courant.
- Je cherche un Démoniste Mort-Vivant. Un certain Llégion. Il a dû vous contacter pour sa première invocation.
La Démoniste réfléchit.
- Un grand chauve, l'air con ?
- Tiens, vous avez perdu votre voix caverneuse.
- Euh... (voix caverneuse) Ne me fais pas perdre mon temps, créature. (voix normale) Et pourquoi tu le cherches ?
- Je travaille pour la Confrérie des Collecteurs. On a un dossier sur lui.
La Démoniste blêmit – enfin, elle devint encore plus blême.
- Je lui ai montré pour son Diablotin. Il a récupéré un certain Abatik. Un faux-cul, du genre à avoir des plans tordus.
- Et il est parti où ensuite ?
Elle déglutit et indiqua le sud-est.
- Il a dû partir par là. C'est le chemin que suivent tous les nouveaux Réprouvés. Vers Brill et Fossoyeuse.
Vimayre soupira. Encore des Morts-Vivants…
- Au fait, vous en êtes où de vos cotisations ?
- Euh…
Laissant la Démoniste sur ces derniers mots, Vimayre prit la route vers le sud-est. La piste était froide, mais lui allait plus vite et elle ne tarderait pas à se réchauffer.
- (voix caverneuse) Et veille à ne plus me déranger, créature. (voix normale) Foutu gratte-papier…
***
Chapitre 18 : Et dans les ténèbres les lier…
Llégion poussa le corps sans vie du rat du bout de son bâton.
- Non, désolé, c'est pas pareil.
Puis il regarda Mezz qui prenait des notes sur un calepin devant un Abatik bouillant de colère.
- J'ai pas ce foutu formulaire, Mezz ! Je suis un Diablotin, pas un bureaucrate ! Je veux juste savoir quand tu prends tes congés !
- (voix caverneuse) Je suis désolé, collègue, mais sans le formulaire T-4809, je ne peux te communiquer cette information couverte par la loi Papyrus et Esclavage. Il s'agit du respect de ma vie privée.
- Eh, les comiques, je disais…
- Et comment je fais pour savoir quand te remplacer, abruti !
- (voix caverneuse) Je dois te mettre en garde sur tes propos, Abatik. Il te faut savoir que l'insulte à un représentant des Enfers dans l'exercice de ses fonctions est passible de poursuites conformément à l'article…
- PAR LA MALPESTE !!! LA FERME !!!
- Respirez, Maître, vous devenez bleu.
- (voix caverneuse) Oui, Maître, puis-je vous suggérer de reprendre votre respiration ? Vous commencez à prendre une teinte bleutée.
Les deux démons regardèrent en silence leur Maître reprendre son calme.
- Je disais : Non, désolé, c'est pas pareil.
- C'est déjà bien d'avoir pu tuer ces rats, Maître. En plein milieu du donjon d'Ombrecroc, c'est quand même un sacré exploit.
- (voix caverneuse) Nonobstant la présence du Mage, Maître…
Le Mage. Mercät. Llégion était tombé dessus alors qu'il cherchait à convaincre des volontaires de l'accompagner dans le sinistre donjon tenu par les loups-garous d'Arugal.
Ou pour être plus précis, pour lui ouvrir la route et prendre tous les coups tandis que lui récupérerait le butin.
Sa recherche n'avait pas été couronnée d'un franc succès. Etonnant l'égoïsme des gens, quand on y pense.
Puis il était tombé sur le Mage. Un Elfe de Sang de très haut niveau, qui traînait son ennui à Fossoyeuse et avait commencé à envoyer des sorts sur Mezz, pour s'amuser.
C'est Abatik qui avait eu l'idée. Il était allé traîner du côté du Mage et avait négligemment laissé tomber devant lui qu'Arugal répétait partout que les Elfes de Sang, surtout les Mages, faisaient très tapettes avec leurs oreilles pointues et leurs robes à paillettes, et que c'était tous des crétins dégénérés.
Le Mage était aussi orgueilleux que son air hautain le laissait penser. Il avait pris la mouche, et avait juré de faire la peau de cet Aru-machintruc.
Et par un formidable coup de chance, il se trouvait qu'il avait à sa disposition un Démoniste connaissant la route pour se rendre au repaire du malotru.
Les deux arcanistes étaient donc entrés ensemble dans le donjon, accompagnés par les deux démons.
Moustaches, bien sûr, était très satisfait de voir ses projets avancer.
L'exploration s'était révélée très simple. Mercät massacrait les ennemis à coups de sorts de glace, tandis que Llégion essayait de suivre le rythme effréné tout en pillant consciencieusement les corps sans vie.
Et comme Llégion commençait à avoir quelques scrupules – un sentiment nouveau pour lui – il avait entrepris de couvrir les arrières du Mage... en tuant les rats traînant dans les couloirs.
- C'est vraiment pas pareil.
- Ne vous bilez pas, Maître. Le mago est content, et vous, vous récupérez plein de trucs bien – tenez, vous avez oublié la hache, là.
- Le problème, c'est que je commence à manquer de place. Tiens, prends ça, Mezz.
- (voix caverneuse) Non, Maître.
- Comment ? J'ordonne et tu obéis, tu te souviens ?
- (voix caverneuse) Le règlement intérieur de notre entreprise stipule qu'il est interdit aux démons de porter des charges lourdes s'ils ne sont pas habilités à cela, Maître. Et je ne le suis pas.
- On a un règlement intérieur, nous ?
- (voix caverneuse) Il a été voté lors de la dernière réunion intersyndicale, Maître. Celle dont vous vous étiez absenté pour aller voir ce marchand d'estampes elfiques.
- Ce truc doit être écrit, non ? J'ai rien vu passer.
- (voix caverneuse) Je vous ai envoyé un mémo, Maître. Celui dont vous vous êtes servi pour brûler la poussette de la petite fille l'autre jour.
- Mezz ?
- (voix caverneuse) Oui, Maître ?
- Tu m'emmerdes, Mezz. Et un de ces jours, je vais vraiment me fâcher. En attendant, Abatik, tu prends cette hache.
- Mais, Maître… elle est plus grande que moi !
- Par la malepeste ! J'ai compris, je me débrouille seul. Mais je vous préviens, dès que j'ai ma Succube, vous dégagez.
- Oui, Maître.
- (voix caverneuse) Oui, Maître. (en aparté) De toutes façons, il ne connaît pas encore les Succubes… On ne risque rien.
- (en aparté) C'est sûr qu'il va vite comprendre… Bon, concernant tes congés…
Llégion rattrapa le Mage qui s'était assis dans un coin, le temps de boire un peu d'eau pour récupérer sa mana. Autour de lui, une dizaine de corps de loups-garous formaient comme un gigantesque tapis en fourrure. Légèrement poisseux à cause du sang.
Et parce que les loups-garous n'avaient pas encore totalement assimilé le concept de "propreté".
Ni de "toilettes".
- Ah ah ! Je sens d'ici l'odeur nauséabonde de cette vile créature ! Il va apprendre à se moquer de la noble race des Elfes de Sang !
- En fait, l'odeur, c'est Moustaches qui a pissé sur votre bâton… Sinon, pour Arugal, je pense que le mieux, ce serait de l'attaquer directement, sans lui laisser le temps d'ouvrir la bouche.
Et comme ça, pensa Llégion, j'évite les ennuis avec le Mage. Il ne manquerait plus qu'Arugal me l'énerve en faisant l'innocent.
- Bonne idée, ami cadavérique ! Ce misérable aura la leçon qu'il mérite !
Finalement, après avoir vidé le château de toute forme de vie et de non-vie, le Mage arriva dans la salle en ruine où Arugal faisait son ménage de la semaine.
En effet, on a beau être un Démoniste maléfique à la tête d'une armée de créatures des ténèbres, il y a des choses que ni les loups-garous ni les spectres ne peuvent faire.
Quant au petit personnel, il avait arrêté d'en engager car ils finissaient systématiquement dans le ventre de ses serviteurs.
Et ça finit par coûter cher, ces conneries…
- Que vois-je ? Un de ces crétins de tapettes d'Elfes de Sang avec sa ridicule robe à paillett...
Les sorts de glace du Mage le désintégrèrent en une fraction de seconde.
Llégion regarda le corps sans vie - et sans beaucoup d'autres morceaux, d'ailleurs - avec surprise.
Finalement, il l'avait vraiment dit, l'histoire de la tapette... Il y a de ces hasards...
Il jeta un oeil inquisiteur vers Abatik, qui eut la décence de prendre un air gêné et de regarder ailleurs.
- Et bien, ami cadavérique ! Le malotru a été puni et l'honneur de ma noble race est vengé. Je suis néanmoins navré d'avoir dû te traîner jusqu'ici uniquement pour me voir punir cet Aru-machin. Je t'ai fait perdre de ton précieux temps pour rien…
Llégion regarda ses sacs pleins à craquer d'équipements divers et de très haute qualité, puis le Mage.
- Non, non, pensez-vous, il fallait donner une leçon à ce minable. On ne peut laisser salir une race si noble que la votre. Je n'ai fait que mon devoir.
- Voilà un Mort-Vivant comme je les aime ! Tu as raison, mais tu sais, nous autres Elfes de Sang devons en permanence garder à l'esprit de rester digne de notre noblesse et de notre élégance.
- J'allais le dire !
- Au fait, tu connais celle des deux putes et de l'étalon ? Tu vas voir, elle est mortelle ! Alors c'est deux putes qui doivent se faire...
- C'est bon, je la connais ! Bon, je ne veux pas vous retenir, vous devez avoir plein de trucs à faire, et tout...
- Dommage... Attends, le temps d'en trouver une bonne dans mon carnet à blagues... Tiens, celle du pétomane et de la trompette...
- Pas de chance, je la connais aussi ! Bon, à la prochaine !
Le Mage haussa les épaules et rangea son carnet d'un air déçu, tandis que le Démoniste activait sa pierre de foyer.
- Pfff... Ils les connaissent toujours toutes... Même celle de l'escargot pédé. Elle est pourtant fendard, celle-là...
Comme quoi, pensa Llégion en voyant s'évanouir le Mage, on peut avoir une classe folle et être un vrai plouc.
Avant de disparaître avec son maître, Moustaches grava le visage du mage dans un coin de son esprit. Il le savait, il le reverrait. Comme il l'avait prévu. Car tout se déroulait pour l'instant parfaitement.
Puis le rat lâcha une crotte sur le cadavre d'Arugal.
***
Chapitre 19 : Brill
- Ca, pour causer, ils causaient, vous pouvez me croire.
L'aubergiste cracha dans la chope et entreprit de la nettoyer consciencieusement. Enfin… disons plutôt que la crasse était maintenant étalée d'une manière beaucoup plus démocratique.
Vimayre grimaça. Le village de Brill ne payait pas de mine, et était occupé par des Morts-Vivants. Un endroit peu attractif donc pour le Tauren.
Et l'aubergiste, en plus de ne plus respirer, n'avait plus d'yeux, ce qui ne semblait pourtant pas le gêner.
- Et ils parlaient de quoi ?
- Ils faisaient pas que causer, vous savez. Le grand chauve à l'air con faisait de la couture, aussi.
- Intéressant… Mais ils parlaient de quoi ?
- Quant à la petite crotte, l'avait l'air louche. Le genre à avoir des idées tordues, voyez.
- Certes. Et ils parlaient de quoi ?
- En plus, le grand chauve à l'air con m'avait laissé une ardoise longue comme le bras. Et la petite crotte me regardait d'un sale oeil.
Vimayre respira profondément et recommença à se réciter intérieurement la notice explicative de la déclaration de revenus exceptionnels. D'ordinaire, cela suffisait à le calmer, mais là…
- Je m'en doute. Et ils parlaient de quoi ?
- Vous prenez quelque chose ? Parce que sinon, c'est pas un endroit pour traîner. Ici, c'est une maison respectable.
- J'ai déjà pris une bière. Et vous ne m'avez pas dit de quoi ils parlaient.
- Le grand chauve à l'air con, il buvait que du vin. Se prenait pour un seigneur, genre Génie du Mal, mais pas foutu de reconnaître un picrate d'un grand cru. Et la petite crotte, buvait pas.
- Passionnant. Et ils parlaient de quoi ?
- Voulaient plumer un descendant, en envoyant une lettre. Humain, expérimenté, riche. Une arnaque avec la Semaine des Enfants. Puis ils sont partis vers la ferme occupée par les Gnolls.
- Et ils parlaient de qu… Oh. Euh… Eh bien, merci de l'information.
- Ca fait 50PC. Plus 50PA pour le tuyau. Parc'que j'aime pas les Taurens.
Vimayre leva les yeux au ciel, mais il avait son information.
***
Chapitre 20 : Laisse-moi t'offrir mon cœur, bébé…
Llégion n'arrivait pas à détacher son regard du miroir en pied qui lui renvoyait son reflet.
Son merveilleux reflet de puissant et élégant Démoniste Mort-Vivant. Et futur Maître d'Azeroth, bien sûr.
La robe noire et blanche d'Arugal s'accordait merveilleusement bien avec sa cape bleue en fourrure, et son sabre lui donnait une classe folle. Les épaulières qu'il venait de se confectionner donnait à l'ensemble un côté incontestablement… malfaisant. Et classe bien sûr.
Avec l'équipement récupéré à Ombrecroc, et les divers objets confectionnés de ses propres mains, Llégion commençait à ressembler enfin à un véritable Génie du Mal.
Et puis surtout, il avait enfin atteint le niveau nécessaire pour invoquer un nouveau démon. La fameuse et mystérieuse Succube…
- Bon, vous deux, au pied. Plus vite que ça, par la malepeste !
- Nous arrivons, Maître.
- (voix caverneuse) Nous voilà, Maître.
- Vous n'êtes pas sans savoir vous deux que j'ai maintenant le niveau pour invoquer une Succube. Vous en déduisez donc… ?
- Que nous sommes promus, Maître ?
- Raté ! Vous êtes virés ! Alors, heureux ?
- (voix caverneuse) Je crois, Maître, que vous oubliez les garanties accordées aux démons par l'accord…
- Re-raté, Mezz ! J'ai jeté un oeil sur ton bouquin, le Code du Travail Démoniaque, et la loi est claire : le Démoniste invoque ses démons personnels librement et selon sa seule volonté. Donc, je ne vous invoque plus, ce qui revient à dire que vous êtes virés. Le plus marrant, c'est que vous ne pouvez même pas trouver un autre boulot ! Mouahahahahahahah !
- Euh… Mezz ?
- (voix caverneuse) Désolé, collègue, mais j'ai peur qu'il n'ait raison. S'il est satisfait de la Succube, il peut décider de ne plus nous invoquer.
- Et ouais ! Donc, en attendant, vous restez pour me couvrir – surtout Mezz – mais dès que j'aurais ma Succube, vous dégagez. Elle est pas belle la vie ?
Llégion partit alors un grand sourire aux lèvres vers le temple de Fossoyeuse.
- "S'il est satisfait de la Succube", Mezz.
- (voix caverneuse) Oui, collègue. "S'il est satisfait de la Succube".
Les deux démons se regardèrent, un grand sourire pervers au visage.
Moustaches pensa au temps qu'il allait perdre dans cette histoire. Mais après tout, il n'était pas pressé.
Puis il vomit sur les pieds du Diablotin.
…
Le hurlement de rage ébranla les murs des ruines formant la cité de Fossoyeuse.
- Tiens, remarqua l'aubergiste, le grand con est revenu.
Llégion, effondré dans le Temple, réussit progressivement à reprendre son calme.
- Respirez, Maître, vous devenez bleu.
- (voix caverneuse) Oui, Maître, puis-je vous suggérer de reprendre votre respiration ? Vous commencez à prendre une teinte bleutée.
- RHHHAAA !!! Par la malepeste ! Jamais ils me demandent un truc simple ! Genre ramener, je sais pas, du pain ou des fleurs !
- La récompense est toujours à la hauteur du danger, Maître.
- (voix caverneuse) Et puis, vous verrez du pays – tenez, je vous prépare de suite un formulaire de déplacement interrégional.
Llégion relit le document que lui avait remis la Maîtresse des Démonistes, un sourire sadique sur les lèvres.
Pour pouvoir invoquer une Succube, il fallait d'abord en tuer une. Classique.
Pour en tuer une, il fallait en invoquer une une première fois. Re-classique.
Et pour en invoquer une, il fallait un appât. Deux en fait : deux cœurs d'innocents.
Le document précisait heureusement le nom et la localisation des innocents.
Le premier était au Mur de Grisetête, au sud d'Ombrecroc. Un lieu que Llégion connaissait déjà pour y avoir déjà tué quelques Allianceux. Pas la porte à côté, mais faisable.
Le second… c'est là que Llégion avait failli avoir sa syncope.
- Le Viaduc de Thandol ! Ce plouc est au Viaduc de Thandol ! RHHHAAA !!! Par la malepeste ! Comment je me rends là-bas, moi ?!
- Respirez, Maître, vous devenez bleu.
- (voix caverneuse) Oui, Maître, puis-je vous suggérer de reprendre votre respiration ? Vous commencez à prendre une teinte bleutée.
- C'est à des lieues d'ici ! En territoire hostile !
- Ne vous inquiétez pas, Maître. Ca va aller.
- Tu crois ça ? Tu sais la taille des bestioles en Arathi ? Tu me vois affronter ça ?
- Ca va aller tout seul, Maître. J'ai un plan.
- Un plan ? Il a intérêt à être bon !
- C'est très simple, Maître. Il vous suffit de foncer sur la route, Mezz à vos côtés. Toutes les bestioles qui voudront vous attaquer l'intercepteront lui, et une fois mort, il vous suffira de le réinvoquer. Puis vous recommencez jusqu'au Viaduc.
- (voix caverneuse) Oui, Maître. Je m'occupe des bestioles et... Attends voir, Abatik.
- Tu as raison ! Mezz est là pour ça, après tout ! Je fonce, et toi tu te fais massacrer à ma place ! Aller, on est parti !
- (voix caverneuse) Euh… Maître, je ne crois pas… Maître ? Attendez-moi ! C'était pas dans mon contrat ! Maître !
…
Mur de Grisetête, une heure plus tard.
Llégion regardait avec sévérité le démon bleu qui, pour le coup, avait pris une teinte violette. Sûrement ce qui se rapprochait le plus chez lui du rouge de la honte.
- Reprenons, Mezz. J'arrive jusqu'au Mur, en éclatant au passage les quelques loups-garous et wargs qui traînent sur la route. Toi, tu fais ton travail, à savoir les bloquer. On est d'accord ?
- (voix caverneuse) Oui, Maître.
- On arrive au Mur, et je repère la cible sur ma gauche, un peu éloignée de quelques gardes mais pas trop loin quand même. On est toujours d'accord ?
- (voix caverneuse) Oui, Maître.
- A ce moment-là, je te dis quelque chose. Tu peux me rappeler ce que j'ai dit ?
- (voix caverneuse) Oui, Maître : "Je vais attirer ce pignouf sur moi et toi tu l'interceptes."
- Vraiment ? Rien d'autre ?
- (voix caverneuse) Si, Maître : "Surtout, Mezz, tu restes près de moi et SURTOUT, tu n'attaques pas les gardes, ils sont trop nombreux".
- Donc, tu confirmes.
- (voix caverneuse) Oui, Maître.
- Et il s'est passé quoi, ensuite, Mezz ?
- (voix caverneuse) Je ne me rappelle plus trop, Maître…
- Alors, tu peux me faire le débriefing de ce qui s'est passé, Abatik ? Et par la malepeste, arrête de rire, ça m'énerve.
- Pardon, Maître. En fait, si j'ai bien tout compris, Mezz a bien démoli la cible tandis que vous l'attaquiez à coups de baguette. Puis un garde est intervenu, et Mezz s'est retourné contre lui.
- Et ?
- Le garde s'est enfui, Maître. Mais je ne me rappelle plus trop de la suite…
- Moi, par contre, je m'en souviens, alors je vais te le raconter. Mezz ici présent a pourchassé le garde jusqu'à un groupe un peu éloigné, et m'a ramené sur la tronche cinq, j'ai bien dit cinq gardes assoiffés de sang et de vengeance.
- (voix caverneuse) J'ai donné ma vie pour vous, Maître.
- Et moi j'ai donné la mienne, Mezz. On est mort tous les deux, surtout moi d'ailleurs, et ces salopards ont même balancé mes restes dans leurs latrines. D'où l'odeur. J'ai oublié quelque chose ?
- Tout n'est pas négatif, Maître. Vous avez récupéré le cœur de l'innocent. C'est bien, hein ?
- Mezz ? Abatik ?
- Oui, Maître ?
- (voix caverneuse) Oui, Maître ?
- Vous allez VRAIMENT en baver quand j'aurai ma Succube. Vraiment. Bon, on continue vers le Viaduc, et Mezz ?
- (voix caverneuse) Oui, Maître ?
- Passé le Mur de Thoradin, tu me colles aux basques et tu interceptes toutes les bestioles qui voudraient me faire la peau. J'ai dit TOUTES, Mezz. Vu ?
- (voix caverneuse) Oui, Maître.
- Bon, on est parti.
Mezz regarda Abatik d'un air penaud.
- (voix caverneuse) On devrait peut-être lui dire pour la Succube, collègue, sinon il risque d'être en pétard.
- On va plutôt faire les morts, Mezz. Il comprendra vite, et de toutes façons, il est déjà en pétard.
Moustaches jubilait intérieurement. Il n'avait pas prévu l'incident, mais cela faisait grandement son affaire. De nouvelles opportunités s'ouvraient à lui, et il allait devoir y réfléchir.
Puis le rat fit une cabriole.
***
Chapitre 21 : Œil de Ver
- Quoi vous vouloir ? Ici pas parc d'attraction.
Vimayre se tenait devant le chef Gnoll entouré de deux de ses lieutenants. Et il avait l'air un peu débordé, peut-être à cause des aventuriers attendant en file indienne devant sa maison.
- C'est vous Œil de Ver ?
- Si vous vouloir tuer moi, vous attendre. Orc moche avec fusil cassé avant vous. Puis cadavre qui marche avec trous dedans ensuite. Puis dinde Elfe de Sang avec coton dans bustier. Vous après.
- Je cherche un Démoniste.
- Vous prendre ticket, sinon être bordel. Vous faire queue.
Vimayre soupira, mais devant le refus du Gnoll de coopérer fut bien obligé d'attendre avec les autres.
L'Orc était un Chasseur, accompagné d'un sanglier comme familier. Il se fit hacher par le Gnoll en quelques secondes, son compagnon s'étant enfui dès le début du combat, et son fusil lui ayant explosé dans les mains.
Le Mort-Vivant étant un Mage, il tenta de geler ses adversaires, mais se trompa dans ses sorts et se retrouva lui-même dans un bloc de glace. Œil de Ver se contenta de faire exploser la glace d'une pichenette – et le Mage avec.
La Paladine Elfe se débrouilla beaucoup mieux, jusqu'à ce qu'elle se casse un ongle. Elle lâcha son arme en poussant des cris perçants, tenta de remettre le coton dans son bustier et eut la tête coupée.
Enfin Vimayre put parler au Gnoll.
- Je cherche un Démoniste Mort-Vivant du nom de Llégion, accompagné d'un Diablotin. Il a dû venir vous voir.
- Moi regarder registre… Vous raison. Moi me souvenir : lui grand chauve, air con. Lui attaquer moi avec Orc chasseur. Moi mort, mais lui aussi.
- Et il est parti où ?
- Moi pas savoir. Moi mort. Orc savoir. Nom lui être Fléchardente. Moi voir lui près potirons. Lui minable : pas réussir quitter région depuis un mois !
Vimayre laissa le Gnoll rire de l'Orc et partit en direction du champ, et salua le Tauren puissamment équipé dont c'était le tour.
- Eh ! Vous pas droit attaquer moi ! Vous trop puiss… *gargl*
***
Chapitre 22 : Rhaaa lovely !
Viaduc de Thandol, milieu de journée.
Llégion était assis sur celui qui avait été jusqu'à récemment un innocent au cœur pur, et qui était maintenant un cadavre sans cœur mais avec un trou dans la poitrine.
Elle avait vraiment des goûts bizarres, cette Succube…
- Lâche ton bouquin, Mezz, et viens par là, tu vas encore m'attirer des ennuis.
- (voix caverneuse) Je suis sûr d'avoir vu un article contre ça, Maître. Je suis sûr qu'un Démoniste n'a pas le droit de faire tuer ses démons volontairement…
- Ce n'était pas volontaire, Mezz, arrête de faire la tête. J'ai atteint mon but, trouver ce pignouf, et toi, je dois le reconnaître, tu t'en es bien sorti.
- (voix caverneuse) Je me suis fait attaqué par sept raptors, trois araignées géantes, deux élémentaires, quatre Ogres, et un lapin m'a même pissé dessus, Maître. Et je suis mort à chaque fois.
- Pas avec le lapin, Mezz, n'exagère pas.
Le démon prit un air vexé, et alla bouder dans un coin, tout en cherchant dans le Code du Travail Démoniaque un moyen d'attaquer son Maître aux prud'hommes infernaux.
Une fois remis de ses émotions, Llégion se téléporta à Fossoyeuse et se rendit à nouveau auprès de la Maîtresse des Démonistes.
- Tiens, le petit Llégion. Tu m'as ramené les cœurs ?
- Oui, Madame. Vous pourriez dire à votre démon de me déposer par terre, Madame ? Pardon, Madame.
- Lucifer, repose-le.
- Merci, Madame.
- Et toi, mon petit, tu vas m'invoquer une Succube avec ces cœurs et… ?
- Euh… Je l'invoque et je la tue, Madame ?
- Oui, tu apprends vite, petit.
- (en même temps, c'est à chaque fois pareil…) Oui, Madame. Pardon, Madame.
Llégion alla se poster près du cercle d'invocation, Mezz à ses côtés, et vérifia son équipement et ses sortilèges. Il fallait être prudent quand même : ne connaissant pas les pouvoirs de cette puissante créature, autant mettre le paquet.
Le seul truc bizarre, c'était le drôle de sourire de Mezz et le fait qu'Abatik était en train de s'étrangler par terre.
La peur, sans doute.
Seul Moustaches gardait son calme. Il était malgré tout impatient de voir si son plan allait marcher.
Puis le rat pissa sous lui.
Llégion lança alors le sortilège d'invocation de la Succube. Il y eut l'habituelle déchirure dans le tissu de la réalité, un bref aperçu des Enfers, puis…
- Respirez, Maître, vous devenez bleu.
- (voix caverneuse) Vous pourriez m'aider, Maître ? Vos sorts nous seraient très utiles pour abattre la Succube.
Llégion était bouche bée devant la créature apparue devant lui. Les paroles d'Abatik prononcées plusieurs semaines plus tôt lui revinrent en mémoire :
- Vous avez entendu parler de la Succube ?
- La Succube ? C'est quoi ?
- Je vous laisse la surprise, Maître. Mais ça va vous plaire, croyez-moi.
Abatik avait raison. Ca lui plaisait. Beaucoup. Enormément. Carrément, même.
Sauf que…
- Eh ! Mezz ! Par la malepeste ! Tu l'as tuée ! Ca va pas bien ?!
- (voix caverneuse) C'était le but, Maître. L'invoquer et la tuer…
- Mais t'as vu le canon !
- (voix caverneuse) … pour ensuite en invoquer une qui sera à votre service exclusif, Maître.
- …
- (voix caverneuse) Puis-je vous suggérer de reprendre votre respiration, Maître ? Vous commencez à prendre une teinte bleutée.
- RHHHAAA !!! Par la malepeste ! Madame ! Madame ! Ayé ! Vous me donnez le rituel ? Hein ? Hein ?
…
Quatre secondes plus tard.
La Maîtresse des Démoniste secoua la tête d'un air excédé et regarda l'énorme démon, Lucifer, qui veillait ordinairement sur sa sécurité.
Et qui tenait par les pieds un certain Démoniste bien connu, tout en le maintenant plongé dans le canal.
- Tu peux le reposer, Lucifer. Je crois que le petit est calmé, maintenant.
- (voix grondante) Oui, Maîtresse. Dois-je le sortir de l'eau d'abord ?
- Oui, c'est préférable. Alors, petit, tu voulais… ?
- Rhhhaaa…
- Lucifer, encore un bain froid pour le petit.
Llégion réussit tant bien que mal à reprendre son calme et sa contenance.
- Non, non, c'est bon. Madame. Pardon, Madame. Hem.
- Donc… ?
- Puis-je solliciter de votre haute bienveillance, Madame, l'apprentissage du rituel d'invocation de la… de la…
- Respirez, Maître, vous devenez bleu.
- … de la Succuccu… de la cucu… de la Succube, Madame ? Pardon, Madame.
- Bien sûr, mon petit. Mais prends garde. Comme dit le dicton : les Succubes sont trésors aux mortels interdits. Et puis, ne te fie pas aux apparences, petit.
- Non, non, Madame. N'ayez crainte, je sais garder la tête froide. Madame. Euh… La Succube ? Madame ?
La Maîtresse des Démonistes lui tendit la feuille où était écrit le rituel, ainsi qu'un étrange objet oblong en argent, tout en longueur.
- Ne perds pas cet objet, petit. C'est un goupillon ouvragé démoniaque d'élégance. Il est dorénavant le meilleur ami de ta Succube… et pas que d'elle, d'ailleurs, mais c'est une autre histoire…
- Merci, Madame. Mais pas très pratique à ranger, ce truc. Abatik, arrête de rire, tu m'énerves.
- Ne t'inquiète pas pour le rangement. Ta Succube saura quoi en faire quand tu n'es pas là.
- Merci, Madame. Je vais l'invoquer, alors. Merci, Madame. Abatik, arrête ! Et respire, tu deviens bleu.
Les deux démons, en proie chacun à un fou rire à peine contrôlé, disparurent tandis que Llégion lançait le rituel d'invocation.
Quand même, drôle de truc ce goupillon ouvragé démonique d'élégance… Et ce nom…
Moustaches secoua la tête d'air navré. Tout ceci manquait de subtilité, mais bon…
Tant que tout se déroulait comme prévu…
Puis le rat commença à copuler avec une ratte de passage.
***
Chapitre 23 : Fléchardente
- Tu me files un coup de main ? Pour les potirons ?
Vimayre toisa l'Orc qui venait de l'aborder alors qu'il s'approchait de la ferme protégée par les Ecarlates.
- C'est vous, Fléchardente ?
- Et oui, mon gars, c'est moi. Le seul et unique. Le futur Maître d'Azeroth.
- Je me souviens de votre nom. Une histoire de harem non déclaré, non ? J'ai un collègue qui suit ce dossier…
L'Orc hésita. Il remarqua le tampon pendant à la ceinture du Tauren, signe de reconnaissance des Contrôleurs. Cela lui rappela de mauvais souvenirs, et il décida de la jouer profil bas.
- En fait, j'avais prévu de passer bientôt à la Trésorerie…
- Vous ne m'intéressez pas. Je cherche un dénommé Llégion.
L'Orc souffla de soulagement.
- Ah oui, le grand chauve à l'air con ! Je l'ai aidé il y a quelques temps de cela, pour tuer un chef Gnoll. Je pense qu'il a dû partir vers Orgrimmar juste après. Vous avez une tour de dirigeables un peu plus loin, devant Fossoyeuse.
Vimayre hocha la tête. Au moins, il n'aurait pas besoin d'aller à la cité des Réprouvés.
Il se dirigea alors vers la tour mais s'arrêta soudain après quelques pas.
- Au fait, vous m'avez parlé d'un chef Gnoll. Vous l'avez déclaré ?
- Hein ?
- Comme revenu exceptionnel. C'est le formulaire bleu. Passé trois jours, sans déclaration, vous risquez le redressement.
L'Orc eut l'air paniqué.
Le laissant seul avec ses angoisses, Vimayre prit donc la direction de la cité des Orcs.
***
Chapitre 24 : Tu as pensé à mon petit cadeau ?
Llégion avait maintenant l'habitude des rituels d'invocation. Celui de la Succube ne différait guère des autres, si ce n'était ce fichu goupillon dont il ne savait que faire.
L'habituelle déchirure dans le tissu de la réalité apparut devant le Démoniste, tandis qu'il essayait de ne pas oublier quelques passages dans le rituel malgré son excitation.
Dire qu'il était impatient d'avoir la Succube devant lui serait une litote…
Puis elle apparut. Somptueusement belle. Somptueusement perverse. Sa peau d'un rose légèrement rougeâtre soulignait la courbure de ses formes généreuses. Sa bouche mutine, ses yeux coquins, la légère rougeur sur ses joues… tout en elle dégageait le désir et la luxure.
Même les attributs de démon qu'elle arborait fièrement ne faisait que souligner sa beauté : ses jambes se terminant en sabots, sa queue barbelée, ses ailes en cuir et surtout les deux magnifiques cornes sur son front, émergeant d'une épaisse chevelure d'un noir maléfique.
Llégion avait cessé de penser. Il restait bouche bée devant la magnifique créature, définitivement subjugué par sa beauté qui lui faisait même oublier jusqu'à sa collection d'estampes elfiques qu'il avait pourtant eu tant de mal à constituer.
La Succube se tourna alors vers le Démoniste. Son regard plongea dans le sien et lui arracha le cœur, achevant de détruire les quelques pensées cohérentes encore présentes dans son esprit.
Puis elle sourit, et ce sourire lui donna envie, là, tout de suite, de se jeter dans un lac de lave rien que pour le plaisir de garder son regard sur lui.
La Succube ouvrit les bras et, d'un air extatique, dit :
- Je suis à tes ordres, ô mon puissant Maître !
Puis, dans un profond soupir qui fit s'élever la température de Llégion de quelques dizaines de milliers de degrés, elle… ramassa Moustaches et le serra contre sa poitrine.
- Eh ! Non ! Pas ça ! Pas maintenant !
- Tu n'es pas mon Maître ?
- Non ! Lâche-moi ! Tu vas me perdre !
- Oups !
La Succube reposa le rat d'un air gêné en se mordillant la lèvre inférieure, et prit soudainement conscience de la présence du Démoniste.
Lequel, heureusement pour Moustaches, n'avait pas remarqué grand-chose vu son état et, de toutes façons, avait déjà tout oublié à cause du mordillement de lèvre précédemment souligné.
La Succube eut l'air déçu. Le charme étant rompu, Llégion émergea alors de son état second, secoua la tête pour reprendre ses esprits et reposa le regard sur son nouveau démon, les idées étrangement plus claires.
- Je suis à tes ordres, ô mon puiss… ô mon Maître.
- Oui. Ah. Euh…
- Ordonne et j'obéirai, mon Maître.
Llégion finit par émerger du brouillard dans lequel la présence de la Succube l'avait plongé.
- Bien. Bien bien. Hem. Donc, tu es… une Succube. C'est bien ça ?
- Oui, et tu es mon… Maître.
Llégion releva l'hésitation de la Succube. Il releva aussi le regard teinté d'une nuance de déception. Puis la Succube eut un léger sourire, et Llégion se rendit subitement compte de la somptueuse beauté de l'être magnifique devant lui.
- Ma beauté ! Tu es… Eh ! Arrête ça, par la malepeste !
- Quoi donc, mon Maître ?
- J'ai compris ! Tu te sers de tes charmes pour manipuler les mortels ! Tu t'en sers pour me manipuler ! Tu me prends pour qui ?!
- Pour le Démoniste qui m'a invoquée et dont je suis maintenant la servante, moi et mes pouvoirs, mon Maître.
Llégion réfléchit. Il se rendait compte de la capacité de séduction du démon, mais il avait aussi l'impression, maintenant qu'il avait pigé le truc, qu'il réfléchissait mieux en sa présence.
- Je commence à comprendre tes talents, Succube. Tu es redoutable.
- Oui, mon Maître. Je séduis et manipule tes ennemis, et grâce à moi, tes pouvoirs sont plus grands. Ne dit-on pas que derrière chaque grand homme, il y a une grande femme ?
- Sauf que tu es un démon. D'ailleurs, quel est ton nom ?
- Je suis Selneri la Fatale, beauté des Enfers et tourmenteuse des mortels ! Et je suis dorénavant à ton service exclusif, mon Maître.
- Waou ! Par la malepeste, tu es la première de mes serviteurs qui semble tenir la route. Ca fait bizarre tout d'un coup. Et en dehors de…
- Ahhh… Si tu savais comme je suis é-rein-té, mon chou !
- "Mon chou" ?!
- Mais oui, mamour. Tu ne trouves pas que tous ces "mon Maître", ça manque de chaleur ? Et en plus, tu es tellement trognon, toi !
- "Mamour" ?! "Trognon" ?! Je suis un Génie du…
- Oh, soyons plus décontractés, minou. Pas de chichi entre nous. Tu peux m'appeler Seln, d'ailleurs.
- "Minou" ?! Je suis…
- Oui, é-rein-tée, mon choubichounet ! J'ai passé les dernières années à faire les boutiques avec cette salope de Cattnia et en plus, elle m'a fauché ce magnifique fouet que j'avais repéré en vitrine. Tu arrives à le croire ?
- "Choubichounet" ?! Et bien…
- D'ailleurs, tu as pensé à mon petit cadeau ? Je suis TELLEMENT impatiente de le voir ! Et après, on part à Hurlevent faire les boutiques ! N'est-ce pas, mon poupinou ?
Llégion ouvrit et referma la bouche plusieurs fois de suite, incapable de prononcer le moindre mot. La Succube le regardait avec un petit sourire timide, le regard plein d'espoir.
Il devina que cela aurait dû lui paraître terriblement pervers, mais bizarrement, Selneri n'en paraissait que plus… enfantine. Innocente.
Bref, pas du tout le monstre de perversité et de luxure qu'elle était sensée être.
Llégion poussa un profond soupir. Non, finalement, les choses étaient bien comme d'habitude.
- Seln ?
- Oui mon Llélé ?
- … Hum, passons. Hurlevent est la capitale de l'Alliance, et je suis membre de la Horde.
- Mmm… "Membre"… Tu vas me faire rougir !
- Je veux dire qu'on ne peut pas y aller faire les boutiques, Seln.
- Mais… Qu'est-ce que je vais mettre, moi ? Tu es méchant, crapaud ! Bouhouhou…
- Par la malepeste ! Je dois conquérir Azeroth, et tu es là pour m'y aider ! Ca veut dire se battre, tuer et détruire !
La Succube arrêta de pleurer et regarda Llégion avec étonnement à travers ses larmes.
- Se battre ? Tu veux que je me batte ? Mais… mais… je risque de me casser un ongle ! Et je sors à peine du coiffeur ! Mon chéri, tu ne peux pas me faire ça !
- Ecoute…
- Bouhouhou… Tu es méchant avec moi ! Alors que je veux juste être gentille avec mon petit chéri adoré… Bouhouhou…
Oui, comme d'habitude. Bon, tant pis, elle fera au moins joli dans le décor. Et pour se battre, Mezz est là.
Une idée lui vint soudain.
- Euh… Puisque tu parles d'être gentille… Tu sais, ça fait plus de 50 ans que je suis mort…
- Pas ce soir, j'ai la migraine.
La réponse avait fusé, sèche et implacable.
Ben tiens. Ca aurait été trop simple.
Abatik choisit alors ce moment pour réapparaître.
- Alors, Maître, elle est comment ?
- Tiens, tu es revenu ?
- Mezz a trouvé un article dans l'un de ses Codes qui dit que les Succubes sont plus esthétiques qu'utiles, Maître, donc qu'elles n'annulent pas forcément les autres invocations. Il dit que devant un tribunal infernal, c'est limite, mais que ça peut passer. Surtout si on dit rien, Maître.
- Pour l'esthétique, il n'a pas tort. Et je suppose que Mezz…
- Une réunion, Maître. J'ai pas tout compris, mais ce serait au sujet de la réduction du temps d'invocation…
- On s'en fout. En tout cas, elle est sacrément canon, cette Selneri. Pas très utile, mais canon. Tu la connais ?
- Je croyais connaître toutes les Succubes des Enfers, Maître, mais pas celle-là. En plus, c'est bizarre, mais elle n'a pas la "marque" rituelle.
- La "marque" ?
- Oui, Maître. Les Succubes qui ont eu leur diplôme en Luxure ont une marque apposée sur… sur une partie de leur anatomie. En bas du dos, en fait.
- Effectivement, je ne vois rien. Argh. Ce qui veut dire… ?
- Dites, Maître, est-ce qu'elle vous a fait le coup de la migraine ?
- Par la malepeste ! Mêle-toi de ce qui te regarde !
- D'accord, je vois ce que c'est, Maître. Elle n'a pas eu son diplôme. Probablement trop "tendre" pour le job. En général, elles se retrouvent avec des minables.
Llégion et son Diablotin tournèrent leurs regards vers la Succube, qui était en train de se remaquiller après sa crise de larmes. Voyant qu'on la regardait, elle sourit timidement à son Maître en baissant les yeux.
- Abatik ? Tu disais…
- Mais il arrive que certaines soient envoyées auprès de Démonistes de talents, Maître.
- C'est déjà arrivé, Abatik ?
- Euh…
Moustaches avait réussi à calmer les battements de son cœur. Cette satanée Succube avait failli tout faire rater ! Heureusement qu'il avait vite réagi… Enfin, une nouvelle pièce était en jeu, et la partie continuait.
Puis le rat se gratta frénétiquement le museau.
***
Chapitre 25 : L'orphelinat
- Dis monsieur, pourquoi t’as des cornes ?
Vimayre baissa les yeux sur la petite Orque qui le regardait, un doudou informe dans les bras.
- Je viens voir la directrice, petite.
- Dis monsieur, pourquoi t'as des cornes ?
Le Tauren loucha en tirant la langue, tout en mettant ses immenses mains sur ses oreilles. La grimace fit rire la gamine qui s'enfuit en courant en voyant arriver la directrice de l'orphelinat d'Orgrimmar.
Les deux fonctionnaires se toisèrent du regard pendant plusieurs secondes, puis chacun sortit de son bloc-notes une feuille qu'ils se tamponnèrent mutuellement.
Etant à jour de leurs démarches, ils purent discuter.
- Je cherche un Démoniste Mort-Vivant qui a dû passer par ici lors de la Semaine des Enfants. Il s'appelle Llégion.
- Un grand chauve, à l'air con ? Un vrai pigeon ! J'ai réussi à lui fourguer une dizaine d'orphelins pour une sortie éducative. Une escroquerie à mon avis, mais ses papiers étaient en règle. Et je suis à jour de mes déclarations.
- Je n'en doute pas, collègue. Une idée sur où il a pu aller ?
- D'après la petite – la directrice indiqua la petite Orque qui se cachait derrière l'enseigne et les regardait de loin – il devait rencontrer un parent à Baie du Butin.
- Intéressant. Vous avez son nom ? Parce que normalement, d'après son dossier, sa famille l'a renié.
- La petite ne l'a pas dit. Mais c'est un Humain. Vous risquez d'avoir du mal à l'interroger.
Vimayre réfléchit un instant, puis sourit. La directrice plissa les yeux et sourit à son tour.
- Pas de problème. Ce genre de cas est prévu.
Vimayre fit demi-tour et se dirigea vers la tour des wivernes. Baie du Butin n'était pas à côté, mais le lieu était plutôt calme en général. Et les gardes du genre coopératif…
***
Chapitre 26 : Safari photo
- Mamour ! J'ai TELLEMENT mal aux pieds ! Et il fait TELLEMENT chaud ! Et il y a TELLEMENT de poussière ! Si on allait plutôt se baigner ? Ce serait TELLEMENT chou !
Llégion devait bien reconnaître que Seln n'avait pas totalement tort. Ils avaient rejoint les Tarides quelques jours plus tôt, et s'étaient installés à l'auberge de Cabestan, un petit port tenu par les gobelins.
Les Tarides s'étendaient au sud-ouest d'Orgrimmar. C'était une région chaude et désertique, ponctuée ça et là de collines escarpées et d'oasis trop rares.
Seln avait trouvé que ça manquait d'animations et de boutiques, et elle avait raison.
Abatik avait trouvé que les gobelins manquaient de réactivité à ses combines, et il avait raison.
Mezz avait trouvé que ça manquait d'activité syndicale, et il avait raison, sauf que ça, tout le monde s'en foutait.
Quant à Moustaches, il avait trouvé que c'était une perte de temps, mais il était bien obligé de suivre.
Llégion avait décidé de rejoindre cette région pour accroître son expérience et pour tester les capacités de sa Succube. Sur ce dernier point, il avait été rassuré. Comme il le supposait, Seln s'était révélée totalement inapte à toute forme de combat.
De plus, la Succube prenait systématiquement fait et cause pour les "pauvres petits animaux tout trognons" que le Démoniste massacrait à la chaîne, ce qui déclenchait chez elle des crises de larmes.
Bref, Selneri dite "la Fatale" était une pauvre gamine trop tendre et trop innocente.
Ce qui ne l'empêchait pas d'avoir toujours la migraine quand Llégion voulait l'approcher.
Elle avait quand même un "vice", pas le plus intéressant malheureusement : c'était une folle de shopping et de mode.
Ce qui voulait dire qu'elle s'ennuyait à mourir dans ce coin désert, n'ayant personne à qui faire admirer son allure.
Et en plus, elle n'arrêtait pas de se plaindre de la chaleur.
Llégion se disait que finalement, il avait eu bien raison de rester vieux garçon jusqu'à présent. Et de faire la collection d'estampes "artistiques".
Sur un plan plus "guerrier", la faune locale était du genre hostile. Fauves faussement assoupis par le soleil, raptors agressifs… L'incontournable Kapitalrisk s'était même installée au nord et commençait à faire de l'ombre aux gobelins de Cabestan.
Un comble pour une région aussi ensoleillée ! (La blague d'Abatik avait fait rire Seln pendant deux jours).
Toujours est-il qu'entre les demandes des habitants de Cabestan, et celles de la Croisée, point d'appui des Orcs dans la région, Llégion avait de quoi s'occuper en servant de larbin.
Il pouvait ainsi satisfaire son goût pour le massacre d'espèces menacées et pour les récompenses du type "sonnantes et trébuchantes".
Les deux seuls problèmes, bien sûr, Seln les avait immédiatement remarqués : 1) c'est TELLEMENT grand, mon chéri ! et 2) c'est TELLEMENT désert, mamour !
- Ca, faut reconnaître, on ne se marche pas dessus dans le coin.
- Ce sont les Tarides, Maître. Il y a beaucoup à faire, mais il faut marcher.
- Au moins, Mezz a l'air de s'amuser. C'est plutôt étonnant, vu la faune locale…
Mezz avait effectivement découvert, à sa grande et agréable surprise, un formidable terrain encore vierge pour ses activités syndicales.
Il s'en était rendu compte alors qu'il avait commencé à lire aux employés de la Kapitalrisk des passages de son fameux et redoutable Code du Travail Démoniaque pour les pousser au suicide, selon sa méthode de combat habituelle.
Ils avaient alors immédiatement cessé le combat pour écouter le démon et, une heure plus tard, Mezz créait la première section syndicale de la Kapitalrisk.
Le chaos qui en avait résulté avait totalement désorganisé les actions de cette société dans la région et, au grand bonheur de Mezz, commençait même à s'étendre aux autres communautés.
Mezz avait dû installer un bureau provisoire à la Croisée, où il recevait sans interruption des Harpies, des pirates, des soldats de Theramore, et même quelques lionnes.
- Qu'est-ce que des lionnes viennent fiche ici ? Ce ne sont que des animaux !
- (voix caverneuse) Il semble qu'elles soient lassées de leur exploitation par leurs mâles, Maître. Je dois d'ailleurs reconnaître que notre propre syndicat n'accorde pas encore assez d'attention au sort de nos consoeurs honteusement exploitées par…
- Tu t'amuses comme un fou, hein, Mezz ?
- (voix caverneuse) Si je peux apporter quelque assistance à tous les exploités, Maître…
- Ne t'aurait-il pas échappé, Mezz, que d'une part, tu es à MON service, et que d'autre part, tu es un DEMON ? Un truc fait pour semer le chaos et le malheur.
- (voix caverneuse) Que croyez-vous que je fasse, Maître ?
Llégion ouvrit la bouche pour répondre, puis la referma. Et regarda autour de lui.
Dans toute la savane, des cris indiquaient de violents affrontements entre des manifestants excédés et leurs employeurs fous de rage.
Les Allianceux qui tentaient, comme à leur habitude, de prendre la Croisée n'arrivaient même plus à l'atteindre, interceptés par les innombrables manifestations qui commençaient à encombrer la région.
Abatik s'était lui aussi joint à la fête, proposant ses services de "consultant" et ramassant sans se fatiguer toutes les économies de ses "clients" en échange de ses plans tordus.
Bref, c'était le plus magnifique bordel que Llégion n'ait jamais vu.
La seule qui faisait la tête, c'était Seln. C'était la raison pour laquelle Llégion avait décidé de s'installer à Cabestan, espérant ainsi calmer les plaintes de la Succube en l'installant sur la plage.
Cela avait réussi, disons… deux minutes. Le temps que Seln ne se rende compte qu'il n'y avait pas un seul vendeur de maillots de bain potable.
Et surtout qu'il n'y avait strictement personne pour l'admirer en train de bronzer ou de se baigner.
- Mon poupounet ! Je m'ennuie TELLEMENT ici ! Pourquoi on n'irait pas à Lune d'Argent ? Ce serait TELLEMENT plus sympa ! Ici, il n'y a TELLEMENT rien à faire ! Alllllleeezzz…
- Je veux d'abord terminer ici, Seln. Les minables du coin ont toujours quelques jobs à offrir, et ça rapporte plutôt bien. Donc on reste.
- Mais chouchou…
- On ira à Lune d'Argent ensuite, Seln. Promis. Ca me permettra de gagner Tranquillien. J'ai entendu dire que ces tapettes d'Elfes de Sang ont quelques difficultés là-bas. Et qu'ils payent bien.
- Il y a des boutiques à Tranquillien, mamour ?
Llégion hésita. Il savait, pour y avoir déjà été en repérage, que Tranquillien se résumait en une poignée de ruines occupées par quelques Elfes et Réprouvés très occupés à rester en vie.
Et que le coin grouillait d'araignées géantes. Il ne savait pas encore si Seln aimait les araignées, mais quelque chose lui disait que ce ne serait sûrement pas le cas.
Llégion ouvrit la bouche pour lui résumer la situation et fut intercepté par le sourire timide et inquiet de la Succube.
Il soupira.
- Ce n'est pas un coin très agréable, Seln. Mais on restera quelques jours à Lune d'Argent avant d'y aller.
- C'est promis, mon chéri ?
- Promis.
Seln poussa un petit cri de joie et se mit à danser avec Moustaches dans les bras.
Décidemment, je me fais vieux, pensa le Démoniste. Me faire avoir par une fille… Mais après tout, il n'était pas pressé. Et puis, il trouverait peut-être quelques bricoles intéressantes là-bas…
Moustaches, serré contre la poitrine de la Succube, fronça les sourcils. Tout ceci prenait un peu trop de temps, à son goût. Mais il devait rester patient. Rien ne pressait.
Puis le rat commença à se débattre en essayant de sauter des bras de la Succube.
***
Chapitre 27 : Baie du Butin
- Excusez-moi monsieur, c'est à vous ça ?
Vimayre se retourna et se retrouva face à un des gardes gobelins de Baie du Butin, tenant par le collet Sanguina.
Il avait en effet échangé sa panthère pour un raptor dompté dans les Tarides, qu'il avait baptisé Sanguina à cause de sa couleur de sang.
- Un problème, monsieur le garde ?
Le Gobelin baissa les yeux sur le papier que Vimayre venait de sortir, et reconnut le sceau de la Confrérie des Collecteurs. Et les ennuis éventuels qui pourraient en découler.
Le garde n'était pas un mauvais bougre. En plus, c'était l'anniversaire du gosse cet après-midi, et il avait prévu de partir plus tôt pour passer acheter quelques ballons à la boutique.
Bref, il décida de coopérer.
- Que puis-je pour votre service, monsieur le Contrôleur Principal ?
- Un renseignement. Un Démoniste est passé par ici il y a quelques mois. Un Mort-Vivant, accompagné d'une dizaine d'orphelins.
- Je n'ai aucun souvenir d'un Mort-Vivant avec des gamins, monsieur le Contrôleur Principal. Par contre, j'ai vu un gars bizarre. Grand, dégarni, un air peu intelligent. J'ai failli lui mettre une amende pour pollution quand un des enfants est tombé dans le port. Il n'est pas resté longtemps, et est reparti ensuite vers Cabestan.
- Il devait rencontrer un Humain. Vous êtes au courant ?
Le garde fit signe à Vimayre de le suivre jusqu'à la Capitainerie. Un rapide coup d'œil sur le registre du port lui donna la réponse.
- C'est un Paladin, un certain… Edualk. 64e cercle. Gros morceau.
Un Paladin de l'Alliance. Ca allait l'obliger à faire appel à d'autres moyens pour le contacter.
Vimayre hocha la tête et quitta le garde en lui promettant de le mentionner dans son rapport. Un retour à l'envoyeur… L'avantage avec les Gobelins, c'est qu'ils ne faisaient jamais de difficultés pour coopérer
Le Tauren prit donc la direction de la boîte aux lettres pour envoyer un certain message…
***
Chapitre 28 : A consommer avec modération
- RHHHAAA !!! Par la malepeste ! Encore un qui n'a pas de langue ! C'est quoi ce pays pourri ?!
- Respirez, Maître, vous devenez bleu.
Llégion fila un coup de pied rageur sur le cadavre de l'ours qu'il venait de tuer. Enfin, que Mezz venait de tuer, aidé par les sorts de son Maître.
Comme à son habitude maintenant, Abatik s'était confortablement installé dans le capuchon du Démoniste, et observait la scène en se retenant de rire.
Ne manquait que Seln au tableau, qui était restée à Moulin de Tarren.
Le petit groupe était arrivé la veille au village de la Horde situé au cœur de la région de Hautebrande. Llégion l'avait découvert quand il s'était rendu au Viaduc de Thandol, et avait soigneusement noté sa position pour y retourner plus tard.
Estimant en avoir eu plus qu'assez des Tarides, de son soleil torride et de sa faune hostile, Llégion s'était décidé à changer de continent. Et puis, c'était toujours mieux que de retourner à Orgrimmar, trop encombrée ces temps-ci.
Le village de Moulin du Tarren était étonnement peuplé pour un "trou" perdu en pleine campagne. Sentant en Llégion le pigeon de service, les habitants s'étaient quasiment jetés sur lui pour lui demander mille et un services - dont ramener dix langues d'ours.
D'où l'agacement, pour ne pas dire plus, du Démoniste en constatant que, encore une fois, l'ours qu'il venait de tuer n'avait pas de langue.
- On en est à combien, Abatik ?
- On a... quatre langues, Maître. Pour vingt-sept ours tués. A ce rythme-là, il nous faudra en tuer encore... une quarantaine pour avoir le quota.
- (voix caverneuse) Et je dois vous signaler, Maître, que depuis que nous sommes arrivés ici, la population oursine a manifestement beaucoup diminuée. Nous risquons l'extinction.
- Rien à foutre. En plus, je n'ai jamais pu saquer ces saletés. Par contre, on risque de se retrouver à court de fournisseurs de langues...
- Encore heureux que Seln ne soit pas là, Maître.
- Effectivement...
Seln avait été folle de joie quand elle avait appris que le petit groupe quittait les Tarides. Même si elle avait commencé à bien s'entendre avec une des Gobelines de Cabestan, l'absence criante de boutiques lui portait de plus en plus sur les nerfs. Elle avait même sauté au cou de Llégion, qui ne s'y attendait pas et rata ainsi une occasion peut-être unique de poser les mains sur la Succube.
Oui, quand ça veut pas, ça veut pas...
Par contre, elle s'était mise à faire la tête en apprenant leur destination, qui passait nécessairement par Fossoyeuse.
- Oh nonnnn... Mais chéri, Fossoyeuse est TELLEMENT sinistre. Et il y a TELLEMENT peu de boutiques. Et puis, c'est TELLEMENT sombre. Alors que Lune d'Argent est TELLEMENT fashion ! Pourquoi on n'y va pas, mamour ? Tu m'avais dit qu'on irait à Lune d'Argent ?
Llégion avait assez vite pris le pli avec elle. Il suffisait de la laisser se plaindre et elle finissait par se mettre à bouder et à le laisser tranquille. Pas très élégant, mais efficace.
Mais quand il lui avait dit qu'ils ne faisaient que passer par Fossoyeuse, pour se rendre dans un trou paumé en Hautebrande, Seln avait eu une réaction, disons... instinctive.
Elle lui avait collé une gifle magistrale et avait cessé de lui parler. Ce qui faisait le bonheur de Llégion, car il pouvait ainsi souffler. Sauf pour la gifle, car on a sa fierté après tout.
Arrivés à Moulin de Tarren, Seln s'était installée à l'auberge avec un stock de chocolats fourrés au soufre et s'était enfermée dans sa chambre, laissant le Démoniste accompagné d'Abatik et de Mezz massacrer la faune locale.
La bouderie durait depuis maintenant une semaine, et Llégion commençait quand même à s'inquiéter un peu. Même si ses expéditions dans la région lui prenaient tout son temps.
- Bon, on fait une pause, les gars. On va se changer les idées. On a quoi encore à faire pour les pignoufs, Abatik ?
Le Diablotin sortit une liste et un crayon.
- Il y a le village de paysans de l'Alliance où on doit tuer des types, Maître.
- Mouais… Je commence à m'en lasser, du massacre d'innocents. Ensuite ?
- Vous avez les truands dans leurs ruines, Maître. En plus, on devient copain avec les voleurs de Ravenhold.
- Rien à foutre. Rien d'autre ?
- Et bien… bien sûr, il y a les Gnolls et leurs champignons, Maître...
Les Gnolls et leurs champignons... Llégion sentit un frisson lui parcourir l'échine.
La mission que l'alchimiste de Moulin du Tauren lui avait donné était simple : récupérer des champignons dans un champ annexé par une bande de Gnolls, pour pouvoir réaliser une de ses potions.
Enfin, officiellement.
Car Llégion avait en réalité mis le pied dans un véritable nid de frelons.
Les champignons en question étaient soudainement apparus quelques mois plus tôt dans le champ d'une modeste famille de Hautebrande, suite à une pluie étrange venue des Maleterres. Bleus translucides, légèrement transparents, d'une taille peu commune, ils s'étaient révélés puissamment hallucinogènes une fois convenablement préparés.
La famille qui les avait goûtés n'avait pas décollée pendant trois jours, et après avoir retrouvé ses esprits, le père avait immédiatement prévenu la petite colonie naine installée au sud du Mur de Thoradin pour qu'ils les lui enlèvent.
Vétéran de plusieurs guerres et naturellement prudent, le brave homme avait tout de suite vu en cette nouveauté une formidable source d'ennuis pour lui et les siens, d'où sa décision.
Malheureusement, l'homme avait misé sur le mauvais cheval – ou plutôt le mauvais poney, comme dirait Llégion… (Seln ne se lassait pas de ce bon mot…).
Le chef des Nains n'était qu'une crapule, exilé par les siens dans ce coin perdu. La petite famille eut un "accident" – un truc idiot, leur chariot fut "malencontreusement" écrasé par un char de guerre tombé d'un arbre.
Oui, ça arrive, la preuve…
Mais les Nains n'avaient pas été assez rapides. La nouvelle s'était répandue, et une petite bande de Gnolls avait mis la main sur le champ pendant que leurs "concurrents" s'escrimaient à installer un char dans un arbre au dessus de la route…
Les chefs des deux groupes étaient du genre retords et calculateurs. Plutôt que de s'entretuer, ils avaient conclu un accord destiné à assurer à chacun une part honnête des bénéfices : les Gnolls exploitaient le champ, et revendaient leur production aux Nains qui se chargeaient de l'écouler.
Llégion avait donc tenté de s'infiltrer dans le champ suite à la demande de l'alchimiste. Il s'était rapidement fait tuer par une demi-douzaine de chamans Gnolls complètement défoncés mais néanmoins très efficaces.
Suite à cette mésaventure, Llégion était retourné voir l'alchimiste pour avoir des explications et des précisions. Une fois bien secoué par Mezz, il avait alors révélé avoir été envoyé par ses collègues de Fossoyeuse pour récupérer ce trafic à leur profit exclusif.
Le Démoniste n'avait pas du tout apprécié que lui, le futur Maître du monde, se fasse manipuler par un minable trafiquant de drogue. Après de longues négociations, et l'aide de Mezz et du Code Pénal Démoniaque (la version intégrale, celle en trois volumes), Llégion avait réussi à obtenir un pourcentage sur l'affaire.
Restait à nettoyer le champ, tâche rendue difficile par le renforcement des lieux suite à sa visite "meurtrière".
D'où le frisson du Démoniste. Tuer des Gnolls, ou tout autre créature d'ailleurs, ça allait. En affronter une dizaine d'un coup, ça devenait un peu plus délicat, même pour 20% de part.
- On va plutôt attendre encore un peu, Abatik. Le village des ploucs me paraît plus intéressant.
- Vous voulez tuer de braves paysans innocents, Maître ? Mais ils ne vous ont rien fait…
- Justement…
- Z'êtes vraiment mauvais, Maître. C'est un honneur de vous servir.
- Et on ne repassera pas par la boutique de colifichets t'acheter ce nœud papillon à paillettes, Abatik. N'insiste pas.
- Mais Maître-eeeuuuhhh…
Moustaches prit mentalement note de s'occuper de cette histoire de champignons plus tard. Il n'aimait pas ce genre de méthodes, mais après tout, la fin justifiait les moyens.
Puis le rat vomit sur le cadavre de l'ours.
***
Chapitre 29 : Le bras de fer
- Salutations, l'ami ! Oups, désolé…
Edualk secoua la main pour chasser la douleur. Il avait frappé violemment sur le dos de Vimayre, ce qui d'ordinaire fracassait la victime, mais sur un Tauren…
- Ravi que vous ayez pu vous déplacer, messire.
L'Humain et le Tauren s'assirent autour de la table et se jaugèrent du regard.
Le Paladin n'avait pas l'air bien équipé, mais quelque chose en lui poussait Vimayre à la méfiance. Il avait l'air trop minable pour l'être vraiment. Et son regard ne se détournait pas.
Edualk rompit la glace le premier.
- D'ordinaire, je ne fraye pas avec ceux de la Horde, sauf quand je me fais démolir sur les champs de bataille d'Alterac ou de l'Oeil du Cyclone, mais j'ai cru comprendre que vous êtes une sorte de fonctionnaire, c'est ça ?
- Je suis Contrôleur Principal pour la Confrérie des Collecteurs.
- Ah. Les impôts.
- Votre équipement ne semble d'ailleurs pas avoir le cachet réglementaire, messire…
- En effet, ce cachet n'est pas obligatoire pour de l'équipement d'occasion, ou fabriqué pour son usage personnel. Et la charte de ma Guilde me couvre au plan juridique.
Les deux adversaires se regardèrent en silence. La partie était serrée, ils s'en rendaient compte, et dans l'auberge de Baie du Butin, un grand silence s'était fait autour d'eux.
- Je suis chargé de mettre à jour un dossier, messire. Concernant votre arrière grand-oncle. Llégion, vous connaissez ?
Edualk le regarda droit dans les yeux, sans ciller.
- Pas du tout. D'une part, je suis trop jeune pour connaître mes aïeux directement, et d'autre part, un certain nombre de ceux-ci ont fait l'objet de procédure en reniement. Votre dossier doit certainement le mentionner…
Edualk avait pris une voix fielleuse. Vimayre ne se démonta pas.
- En effet, notamment votre père, si mes renseignements sont bons.
Edualk leva un sourcil et sourit.
- Il y a en effet un homme du nom d'Arrsène qui a été renié par mon grand-père quand il a rejoint la Confrérie des Défias. Je croyais d'ailleurs que celle-ci avait des liens avec votre confrérie, non ?
Vimayre sourit lui aussi.
- De simples rumeurs, vous savez ce que c'est…
Un nouveau silence se fit, qui fut rompu quand l'aubergiste fit tomber un verre par terre. Les deux adversaires le fusillèrent du regard, l'obligeant à se réfugier dans l'arrière-salle.
- Bon…
- Bien…
Vimayre et Edualk se regardèrent à nouveau, cherchant à évaluer la force de l'autre. Le Tauren, moins expérimenté que l'Humain, décida de céder le premier.
- Ecoutez messire, Llégion a plus de 50 années de retards sur ses impôts, sans compter ses dettes du temps où il était encore en vie. Il n'a plus de lien avec vous ou quiconque de sa famille, donc notre organisation ne peut en aucun cas se retourner contre vous. Alors aidez-moi, je vous prie.
- C'est la famille, non-juridiquement parlant. Je ne livre pas ma famille, même non-juridique.
Vimayre pesta intérieurement. S'il n'avait pas précisé "non-juridique", il aurait pu l'avoir, mais le bougre était malin.
Moins bête qu'il n'en avait l'air, le bougre…
- Donc… ?
- Il n'y a pas une prime de prévue pour ceux qui vous aident ?
- Je n'ai pas souvenir…
- Article 272 alinéa 4. Ou un truc de ce genre.
Vraiment moins bête…
- Maintenant que vous le dites… 5% du redressement il me semble…
- 10% en réalité.
- … 10%, vous avez raison, suis-je bête. Alors… ?
- Je ne sais pas où il est maintenant, mais je ne serais pas surpris, vu que c'est un Démoniste et un Mort-Vivant, qu'il se soit rendu à Fossoyeuse après notre rencontre, histoire de récupérer un nouveau démon. Mais ce n'est qu'une hypothèse, bien entendu.
- Bien entendu, messire.
Le Tauren et l'Humain se regardèrent à nouveau en silence.
- Par curiosité, vu que je n'ai aucun lien juridique avec ce Mort-Vivant, vous allez lui faire quoi quand vous l'aurez retrouvé ?
- Il subira un redressement de niveau 4.
- Ce qui signifie ?
- Vous ne voulez pas le savoir. Croyez-moi, messire.
Edualk hocha la tête, puis à la grande surprise de Vimayre, sourit.
- Le pauvre vieux ! Quand ça veut pas, ça veut pas…
- Vous n'avez pas l'air si désolé, finalement.
Edualk plissa et les yeux en continuant de sourire.
- Je vais vous donner un conseil, monsieur le Contrôleur Principal. Conseil que je me permets de vous recommander de ne pas oublier. Dans notre famille, même au sens non-juridique, on n'est peut-être pas doués, mais on est du genre coriace. Très coriace.
Vimayre hocha la tête.
- J'en prends bonne note, messire.
- Et vous payez les consommations. Frais de déplacement.
- Bien entendu.
Très loin de là, Moustaches secoua la tête pour remettre ses idées en ordre. D'abord la Succube, puis ça… Heureusement que le Paladin avait tenu, sinon…
Puis le rat pissa contre un mur de passage.
***
Chapitre 30 : La rage du feu…
Llégion eut une grimace. Il avait soigneusement préparé l'opération, mais là, il se sentait soudainement minable.
Et passablement énervé.
Devant lui, installés juste à l'entrée du gouffre de Ragefeu, un Druide et un Chasseur Elfes de la Nuit affûtaient leurs armes. Une demi-douzaine de cadavres d'Orcs jonchaient le sol devant eux.
- Par la malepeste ! J'arrive pas à le croire ! Le jour où je décide d'aller nettoyer ce satané gouffre, y'a deux pignoufs de l'Alliance qui font un raid sur Orgrimmar. Et bien sûr, pas un garde ne bouge, à croire qu'ils le font exprès !
- (voix caverneuse) Il me semble que cela est autorisé par le Code, Maître. On ne peut rien dire…
- Déjà qu'ils m'ont pourri la vie dans les Tarides avec leurs attaques toutes les trois minutes, voilà qu'ils me suivent jusqu'ici ! J'en ai ras-le-bol !
- Respirez, Maître, vous devenez bleu. De toutes façons, ils n'ont pas l'air de vouloir vous attaquer. Vous devez leur paraître trop mina… trop fort pour eux.
Llégion jeta un regard noir au Diablotin qui prit un air innocent.
- Bon, inutile de rester traîner, on y va. Mezz, tu passes devant. Abatik, tu profites de notre petite virée pour me retrouver Seln. Ca fait deux jours qu'elle a disparu et je n'aime pas ça…
- Pas d'inquiétude, Maître. Je m'en occupe. Elle ne peut pas être bien loin, elle vous est liée.
- (voix caverneuse) Et puis-je connaître nos objectifs, Maître ?
- On entre, on tue tout ce qui bouge, on pille les corps. Ah oui, on doit aussi retrouver un de ces foutus Taurens qui s'y est paumé. Mezz, tu les cognes, moi je reste à l'arrière. Un commentaire ?
- (voix caverneuse) Le Code…
- J'ai vérifié, Mezz, c'est non seulement autorisé mais aussi obligatoire. Clause d'instance, ils appellent ça. Et tu n'as plus de formations ou de récup' à poser.
- (voix caverneuse) … Vous n'êtes pas sensé vous occuper de ces choses-là, Maître. C'est mon travail…
- N'empêche que tu viens avec moi et que tu passes devant.
- (voix caverneuse) Oui, Maître. Mais j'attire votre attention sur la pause réglementaire…
- C'est prévu : une pause tous les quarts d'heure pour récupérer, en plus, j'en aurai aussi besoin.
Mezz poussa un grognement. Si maintenant son Maître se mettait à s'intéresser à la loi des Enfers…
Abatik leur fit de grands signes de la main alors que le Démoniste et son serviteur pénétraient dans le gouffre, sous le regard goguenard des deux Elfes de la Nuit.
Moustaches, quant à lui, avait décidé de les suivre. Non qu'il y ait quelque chose de particulier à y faire, mais il avait deux-trois bricoles à vérifier avec un certain démon…
…
Ragefeu. Ce nom faisait frémir les jeunes aventuriers qui arrivaient tout juste à Orgrimmar. Mais passés les premiers émois, le lieu devenait beaucoup moins intéressant. Les comploteurs Orcs qui s'y étaient installés se révélaient vite trop peu dangereux pour menacer la stabilité de la cité.
Surtout avec tous ces jeunôts qui écumaient les lieux en permanence, sans parler des vétérans qui ne rechingnaient pas à nettoyer les lieux entre deux raids sur Hurlevent.
Mais le lieu présentait quelques avantages pour ceux qui, comme Llégion, avaient l'intention de rester dans les bonnes grâces des dirigeants de la ville.
- (voix caverneuse) Quatre.
- Qu'est-ce que tu dis, Mezz ?
- (voix caverneuse) C'est la quatrième fois que nous mourrons, Maître.
- Ce coup-ci, c'est de ta faute, Mezz. Je t'ai dit d'attaquer ce Gnoll, pas de rameuter la moitié de sa tribu !
- (voix caverneuse) J'étais obligé de passer par eux pour atteindre la cible, Maître.
- Par la malepeste ! Il te suffisait de sauter dans le trou, Mezz ! Et moi, je restais en hauteur à les bombarder ! Tu es nul !
- (voix caverneuse) Cela ne m'a pas paru adéquat, Maître.
- Dis plutôt que tu as le vertige ! Rhhhaaa ! Par la malepeste ! Et on y était presque ! Je déteste me taper le chemin à pied depuis ce satané cimetière !
- (voix caverneuse) Où allons-nous maintenant, Maître ?
- Tu vois les Orcs là-bas ? Avec les Démonistes et les guerriers ? On se les fait.
- (voix caverneuse) Oui, Maître. (en aparté) Pourquoi ai-je posé la question…
Llégion et Mezz eurent le temps de mourir encore trois fois. Les Orcs, bien que de faible niveau, étaient nombreux, et les patrouilles incessantes. Et puis il y avait eu l'assaut contre l'invocateur…
- Mezz ?
- (voix caverneuse) Désolé, Maître. Mais c'était le chemin le plus court.
- Non. Le chemin le plus court, c'était celui où tu sautais de la corniche.
- (voix caverneuse) C'était haut, Maître…
- Deux mètres, Mezz. J'appelle pas ça haut. Surtout pour un démon des Enfers.
- (voix caverneuse) Je risquais de me blesser, Maître, et donc d'être immobilisé. L'ennemi vous aurait alors attaqué.
- Mezz… Ils m'ont attaqué. Parce que tu as rameuté la moitié des effectifs ennemis. Et je suis mort, Mezz. Ca commence un tantinet à me GONFLER SERIEUSEMENT, PAR LA MALEPESTE !!!
- (voix caverneuse) Puis-je vous suggérer de reprendre votre respiration, Maître ? Vous commencez à prendre une teinte bleutée.
- Tu as raison, je suis calme, zen, tout va bien PAR LA MALEPESTE !!! Cool, zen, lexomil.
- (voix caverneuse) Les cours de yoga de Selneri semblent vous faire du bien, Maître. Vous paraissez plus serein.
- Mezz ?
- (voix caverneuse) Oui, Maître ?
- Ta gueule. Et on y retourne. On a encore un de ces types à éliminer, et on sort.
- (voix caverneuse) Vous parlez de celui sur la corniche, Maître ? Là-haut ?
- RHHHAAA !!! PAR LA MALEPESTE !!!
Moustaches secoua la tête d'un air navré. Il avait eu les informations qu'il cherchait, mais ces deux-là manquaient décidemment de discrétion.
Puis le rat pissa sur les bottes du Démoniste.
***
Chapitre 31 : Fossoyeuse
- Tu disais, petit ?
Vimayre avait d'emblée choisit d'adopter un profil bas, vu que la maîtresse des Démonistes de Fossoyeuse appartenait à la hiérarchie de la Confrérie.
Foutus Morts-Vivants…
- Veuillez me pardonner, Madame, mais je suis chargé par la Confrérie d'un dossier YZO-17.
- Et en quoi cela me concerne-t-il, petit ?
- En fait, Madame, notre contribuable est un Démoniste Mort-Vivant du nom de Llégion. Il est probable que vous l'ayez rencontré.
- C'est possible, petit.
- Dans ce cas, vos renseignements me permettraient de continuer à suivre sa piste, Madame.
La Démoniste sembla réfléchir, mais avec son regard dur et surtout vide étant donné son absence d'yeux, il était en fait difficile de savoir si elle n'était pas en fait sujette à une constipation chronique.
- Il est venu me voir. Un grand chauve, pas futé. Impatient et peu respectueux.
- J'espère qu'il ne vous a pas manqué de respect, Madame ?
- Tu n'aimes pas les Réprouvés, n'est-ce pas ? Je le sens d'ici. Mais ce n'est pas un problème. On te dit efficace, et tu me parais avoir toute l'hypocrisie nécessaire pour notre sacerdoce.
- Euh... merci Madame.
Vimayre n'était pas sûr que ce soit un compliment, mais il avait entendu dire beaucoup de mal de la maîtresse des Démonistes de Fossoyeuse par les autres Morts-Vivants de la Confrérie.
Autant dire que Vimayre avait un a priori positif sur elle.
- Je lui ai appris à invoquer un Marcheur du Vide. Il se nomme Mezznagma. C'est une plaie pour les Démonistes, et il a l'art de laisser des traces partout où il va.
- De quels genres, Madame ?
- Du genre syndical, petit. Cherche des manifestants, et tu trouveras ton contribuable. Et en attendant, je sais qu'il s'est rendu au Sépulcre.
- Merci Madame. Vous m'avez énormément aidé.
- Oui, vraiment hypocrite...
***
Chapitre 32 : Recherche Selneri désespérément
Quelques heures plus tôt.
Abatik arrêta de secouer la main quand il vit Llégion et Mezz disparaître sous le porche de Ragefeu. Puis il soupira.
Un Diablotin de son niveau… Multi-diplômé, avec les meilleures références des Enfers, être obligé de servir un nul pareil…
Certes, cela faisait longtemps qu'Abatik songeait à prendre des vacances.
Accompagner ce Démoniste maladroit et colérique ressemblait assez à l'idée qu'il se faisait de vacances réussies, mais parfois il se disait qu'il n'avait pas mérité un tel sort.
Ca m'apprendra à rendre service, pensa-t-il. La prochaine fois, le grand cornu se débrouillera tout seul avec ses histoires de Messie…
Enfin… Il était débarrassé pour un moment de son Maître. Mais il fallait maintenant retrouver Selneri…
La Succube avait disparu juste après leur arrivée à Orgrimmar. En fait, après que Llégion lui ai dit qu'ils allaient visiter Ragefeu. Déjà énervée, la Succube avait – encore une fois – giflé son Maître et était partie folle de rage vers les portes de la cité. Ce n'est qu'au moment de se rendre dans le gouffre que Llégion s'était inquiété de ne pas la revoir.
Surtout que, et Abatik s'était bien gardé de le révéler à son Maître, elle avait pris avec elle la moitié de son argent…
Abatik aimait bien la Succube. D'ordinaire, il travaillait avec des démones perverses et cruelles, terriblement orgueilleuses et surtout incapables de tenir une conversation digne de ce nom.
Selneri était très largement différente. Pas seulement parce qu'elle n'était pas diplômée, mais parce qu'elle avait manifestement un bon fond.
Certes, ce n'était pas l'idéal pour une Succube des Enfers. Mais elle avait quand même ce pouvoir de manipulation des mâles commun à celles de son espèce. Sauf que chez elle, cela se traduisait par ce côté boudeur et enthousiaste qui agaçait et en même temps séduisait Llégion.
Dans son genre, Selneri était plutôt douée…
Et dans le cas présent en fugue le Diable sait où…
Abatik réfléchit. Les gardes d'Orgrimmar l'avaient vue quitter la ville par la grande porte. Une rapide vérification auprès des Gobelins de la tour des dirigeables lui appris qu'aucune Succube solitaire n'avait pris de vol. Le regard concupiscent du responsable l'amenait à penser qu'il aurait automatiquement repéré la fugueuse…
Selneri n'avait pas le sens de l'orientation. Il s'en été rendu compte, ainsi que Llégion, lors de leur expédition dans les Tarides. Heureusement, Mezz avait chassé les lions rien qu'en leur montrant son Code. Les mauvaises nouvelles comme Mezz voyageaient vite, surtout depuis que les lionnes s'étaient mises en grève de reproduction…
Donc… elle pouvait être n'importe où. La plage à l'est d'Orgrimmar ? Un simple bout de côte désert et au sable pollué. Aucune chance qu'elle y soit.
Le fleuve à l'ouest ? Il fallait traverser une lande poussiéreuse, et Abatik se souvenait que Seln s'était achetée la veille un nouveau bustier. A exclure là aussi.
Restait la route du sud, qu'Abatik prit en sautillant.
Une heure plus tard, le Diablotin interrogeait l'aubergiste de Tranche-Collines. Coup de chance, Seln était passée par l'auberge l'avant-veille pour s'y reposer.
Elle était repartie au bout de cinq minutes en découvrant l'absence de chambre individuelle, de baignoire ainsi que l'obligation de payer ses repas.
Dix minutes supplémentaires suffirent au Diablotin pour apprendre d'un garde qu'un convoi qui passait par là avait bien voulu la prendre avec eux.
Le garde connaissait même la destination : Cabestan.
A ce moment de ses recherches, Abatik commençait à se faire une petite idée de la destination probable de la Succube. Il espérait juste se tromper…
En arrivant dans les Tarides, Abatik se souvint brusquement du chaos semé par Mezz lors de leur dernier passage.
La Croisée était quasiment encerclée par plusieurs manifestations concurrentes organisées, le Diablotin l'apprit vite, par des organisations syndicales rivales car issues de scissions.
Leur concurrence avait facilement pris la forme de batailles rangées, compliquées non seulement par leur nombre mais aussi par le fait que les dirigeants des communautés concernées, contestés par leur base, avaient embauché des mercenaires pour rétablir l'ordre.
Et au milieu de ce capharnaüm, la poignée de gardes Orcs assurant la sécurité de l'avant-poste de la Horde essayaient de maintenir un peu de calme à grands coups de massues…
Oh, j'oubliais. Il va de soi que tant les mercenaires que les gardes de la Horde étaient eux aussi "contaminés" par le syndicalisme militant provoqué par Mezz…
Normalement, Abatik n'aimait pas vraiment les Marcheurs du Vide. Leur arrivée auprès d'un Démoniste signifiait souvent la mise au rencard des faibles Diablotins. Mais il fallait reconnaître à Mezz un vrai talent pour semer le désordre.
Abatik réussit à esquiver les manifestants et se dirigea vers l'est, vers Cabestan, ses gobelins et ses bateaux vers les Royaumes de l'Est…
Loin de là, au cœur du gouffre de Ragefeu, Moustaches reprit ses esprits. Même s'il maîtrisait assez bien la technique, voir au-delà de son champ de vision nécessitait de grands efforts pour lui. Mais il était rassuré. Le Diablotin jouait la partie comme il l'avait prévu.
Puis le rat entreprit de grignoter les pieds d'un cadavre qui traînait par là.
***
Chapitre 33 : Lizaa
- Slt ! On két ensanble ? Moa sé Lizaa !
Vimayre hésita. Et sentit immédiatement que ça allait être dur… Déjà que le Sépulcre était rempli de ces foutus Morts-Vivants...
- Tu as rencontré un certain Llégion. Un Démoniste. Tu sais où il est allé ?
- ???!!!
- D'ac-cord... Toi connaître Llégion ? Moi chercher lui.
- Ui ! Y lé gren é chov é kon ! Mé y ma édé a fér dé ket ! é y ma doné dé PO ! Mé y lé plu den la guild ! Y lé parti ! lol !!!
- ... Je vois. Toi savoir où lui parti ?
- Y voulé alé a Ombrecroc ! lol !!!
- Tout seul ?
- Ge sé pa ! Y ma pa di ! lol !!!
- Où lui être quand lui quitter toi ?
- On nété a Fossoyeuse ! é y lé parti ! é y ma plu doné de PO ! lol !!!
Vimayre respira profondément en pinçant l'arête de son museau. La conversation avec cette… "créature"… commençait à lui donner mal à la tête.
- Bon. Toi savoir si lui parler avec quelqu'un ?
- Lol ! Je sé kil a vu 1 mago ! 1 elph de sen ! lol !!!
- Intéressant… Tu connais son nom ?
- ???!!!
- Bon sang… Toi savoir nom à lui ?
- Mé ui ! Y sapel Llégion ! Té 1 maran toi !!!
- Non… Le nom du mage. Du "mago".
- Lol ! Javé pa conpri ! Le mago y sapel Mercät. Lol !!!
- Et tu aurais des informations sur… Pardon. Toi savoir choses sur le mago ?
- Ui ! Y di dé blag ! Dé supair draul ! Lol !!!
- Toi savoir où lui être ?
- Ui ! Y fé 1 skeptakl à Lune d'Argent. Lol !!!
- Merci. Tu m'as beaucoup aidé.
- ???!!!
- Pfff… Toi aider moi beaucoup beaucoup. Moi dire merci toi.
- Lol ! Té 1 maran toi !!!
Vimayre soupira et quitta précipitamment la Morte-Vivante. Non seulement son mal de crâne était en train d'empirer, mais en plus ça commençait même à lui piquer les yeux…
***
Chapitre 34 : Quand Abatik rencontre Edualk
Abatik n'en revenait pas. Il dut se coller une claque pour vérifier que ce qu'il voyait n'était pas le fruit d'une hallucination.
Cabestan était d'ordinaire un petit village calme et peu peuplé. Les aventuriers de passage ne restaient que le temps de faire réparer leur équipement et de passer à la banque avant d'aller visiter les Cavernes des Lamentations.
Mais cette fois-ci, des centaines d'aventuriers de l'Alliance encombraient la zone. Un brouhaha considérable, entrecoupé de cris quand deux Guerriers se battaient en duel, rendait toute conversation absolument impossible à une lieue à la ronde.
Et surtout, les aventuriers avaient l'air de s'ennuyer considérablement…
Abatik, qui avait le sens de l'observation, nota aussi autre chose, mais il n'y accorda pas d'attention sur le coup. Mais cela fit néanmoins écho dans son esprit à une autre idée qu'il avait gardé en mémoire.
La situation ne gênait pas le Diablotin, qui en avait vu d'autres. Le problème, c'était comment retrouver la trace de Seln sans se faire piétiner...
Abatik en était encore à chercher comment se faufiler jusqu'à l'auberge quand son ouïe acérée surprit une conversation entre deux Paladins de l'Alliance.
- Franchement, il est temps que le Maître de l'Ordre fasse quelque chose. Ce type nous fait honte...
- Il ne fera rien. J'ai entendu dire qu'il y avait une vieille histoire entre lui et le grand-père du type...
- Tu parles du vieux sénile qui emmerde tout le monde à la Comté de l'Or ?
- Il n'y est plus. L'hospice de Hurlevent a fini par lui mettre la main dessus, malgré la protection du Maître.
- J'aimerais bien savoir comment ce vieux sénile tient notre Maître... J'ai entendu parler d'une histoire de bizutage...
- Vaut mieux pas savoir, crois-moi. Il parait que le dernier qui a évoqué cette histoire dans la cathédrale s'est retrouvé concierge à Ruisselune...
- Pas mal...
- ... avec interdiction d'approcher les Mortemines.
- Moche. Mais je maintiens que l'autre, avec son tigre feignasse et ses histoires de Draeneies, il nous fiche la honte !
- Surtout qu'il squatte le meilleur lit de l'auberge...
Abatik réfléchit. Edualk. Ainsi l'arrière petit-neveu de son Maître était lui aussi à Cabestan. Le Diablotin avait gardé de l'homme une image sympathique : un Paladin qui mène en bateau et torture psychologiquement un Démoniste de la Horde a forcément un bon fond !
Pardon, un "mauvais" fond…
Et surtout, Abatik pensait qu'il était sûrement moins bête qu'il n'en avait l'air...
Le Diablotin se dirigea donc vers l'auberge.
Les écuries lui confirmèrent la présence du Paladin.
Nonchalamment affalé dans une litière, un énorme tigre somnolait.
Une écuelle dans laquelle on aurait mis un cheval se trouvait à portée de patte, et débordait littéralement de viande.
La sérénité de la scène vola soudain en éclat quand parut Edualk.
- C'est bon ? T'es content ? T'as tout ce qui faut ?
- Mrrr...
- Tu me diras quand t'auras fini, hein ?
- Rrrr...
- J'aurais jamais cru ça de toi… Tricher aux dés… C'est nul !
- Hrrr hrrr hrrr…
- Je sais pas ce qui me retient de te faire cuire à la broche...
- Graou.
- Si, j'ai le niveau en cuisine ! En plus, t'es bien content quand je m'esquinte à te faire à manger !
- Maow !
- Si c'est dégueulasse, pourquoi t'en redemandes ?
- ...
- T'as raison, tais-toi, tu m'énerves... T'es qui toi ?
Abatik retourna subitement à la réalité. Malgré son camouflage furtif, le Paladin l'avait repéré.
- Euh... Je ne suis qu'un humble Diablotin qui a perdu son Maître, noble seigneur.
- Tu sais quoi ? Ca marcherait mieux sans le noeud rose.
Abatik hésita et, lentement, ramena sa main sur sa tête... où trônait un magnifique noeud rose. Il se souvint brusquement qu'il avait le même à Baie du Butin, quand il avait rencontré Edualk pour le plumer.
Moins bête qu'il n'en a l'air…
- Alors, comment va le sac d'os ? Toujours pas Maître du monde ? Je pense pas, sinon j'en aurai entendu parler, non ?
Abatik hésita encore. C'était un Paladin de l'Alliance, donc techniquement doublement un ennemi. Mais en même temps, c'était un tordu et Abatik avait besoin d'aide.
Surtout que la petite idée qu'il avait en tête lui faisait des appels du pied insistants, et que si cela se vérifiait, Edualk serait utile.
Le Diablotin choisit donc, après avoir pris une profonde respiration, d'être franc avec lui.
Après tout, c'était quand même la famille, non ?
Loin de là, à Ragefeu, Moustaches dressa les oreilles et fronça le museau. Ca y était. La rencontre avait eu lieu, comme prévu. Ne restait plus qu'à attendre…
Puis le rat s'assit pour attendre le Démoniste qui venait encore une fois de mourir.
***
Chapitre 35 : Mercät
- … et là la petite souris dit : oui mais moi j'ai été malade.
Toute l'auberge de Lune d'Argent éclata de rire tandis que Mercät faisait le tour de la scène en battant des ailes comme un poulet.
Vimayre secoua la tête. Un spectacle comique par un Elfe de Sang… Il devait sûrement exister pire supplice dans l'univers, mais de peu.
Vimayre attendit donc dehors que le spectacle se termine, puis rentra à nouveau lorsque le public commença à sortir.
- C'est vous Mercät ?
- Le seul et l'unique ! Vous voulez un autographe ? C'est pour qui… dam ? Vous avez compris ? Quidam ? Je suis génial !
- En fait, je suis un Contrôleur Principal…
- … sambleu ! Palsambleu ! Vous avez compris ?
- Et je suis ici…
- … phon ! Siphon ! Vous avez compris ?
Vimayre sentit son mal de crâne revenir à toutes jambes.
- Soit vous arrêtez de suite, soit je…
- … de main ! Jeu de main ! Vous avez compris ?
- … serais dans l'obligation de me penchez sur vos déclarations. Car vos spectacles sont déclarés, n'est-ce pas ?
Mercät faillit répondre "-tisserie", ce qui aurait fait un super jeu de mots, mais quelque chose lui souffla que ce n'était peut-être pas le moment.
- Euh… Vous voulez quoi ?
- Llégion. Un Démoniste Mort-Vivant. Vous l'avez accompagné à Ombrecroc.
- … quignolesque. Croquignolesque ! Vous avez comp… Hum… Oui, je le connais. Une prestance royale, un front d'intellectuel, et l'air très intelligent. On s'est quitté après qu'il m'ait aidé à tuer un sale type sans humour.
- Et il est parti où ?
- … rs en peluch… Hum… J'ai entendu parler d'un nouveau démon. Fossoyeuse sûrement.
Vimayre soupira. Il y avait peu de choses plus détestables que les Morts-Vivants, et malheureusement les Elfes de Sang en faisaient partie.
***
Chapitre 36 : Le charme de la vie à deux
- On a un souci, Monseigneur. Un gros.
- Tu vas me raconter ça autour d'un verre, petit. Et ton nom, c'est quoi ?
- Abatik, Monseigneur. Et je ne bois pas.
- Laisse tomber le protocole, Aba. T'as pas idée à quel point ces trucs-là me gonflent...
- D'accord, m'sieur. Si vous permettez, vous êtes assez... original pour un Paladin. Je suis un démon, vous savez.
- Tu dis ça parce que tu connais pas la famille. Je peux t'assurer que ton Maître ne fait pas tâche. Au contraire. Son frère était lui aussi bien atteint, mais dans un genre... différent.
- Son frère, m'sieur ? Mon Maître a un frère ?
- "Avait". Il doit être mort depuis le temps. Quant à son histoire... Papy me l'a raconté. J'te raconterai un jour. Comme ça, t'auras un peu moins honte de ton Maître. Bon, sinon, tu cherches qui au juste ?
Abatik tiqua. Il n'avait pas parlé de chercher quelqu'un. Comment avait-il deviné ?
Oui, vraiment moins bête.
- Nous avons, comment dire… "égaré" notre Succube, m'sieur. Elle s'appelle Selneri, et il semble qu'elle soit venue ici il y a deux jours.
- Une Succube ? Ce vieux sac d'os s'est dégoté une Succube ? Ben y s'emmerde pas ! Finalement, il se débrouille pas trop mal, apparemment…
- C'est pas aussi simple, m'sieur. Ca l'est jamais avec mon Maître. Seln est du genre "gentille". Et aussi capricieuse et boudeuse. Une sorte de gamine, m'sieur. D'où sa fugue.
- Gentille ? Une gamine ? Pas du genre rural, je suppose ?
- C'est rien de le dire, m'sieur.
- Cherche plus, je sais où elle est. Mais ça va pas être simple. Pas du tout même.
- Ca n'aurait pas un rapport avec la présence de tous ces aventuriers ici, m'sieur ? Et le fait qu'il n'y ait aucune fille ?
- T'es un malin, Aba. Oui, y'a un lien. Un truc s'est produit à Hurlevent.
Le silence se fit brusquement dans l'auberge pourtant bondée. Quelques aventuriers couturés de cicatrices se mirent à pleurer. Devant le comptoir, un gigantesque Prêtre Draenei portant la marque de l'Aldor se mit à trembler et à se mordre le poing, tandis qu'un de ses amis essayait de le calmer.
Tous les regards étaient braqués sur Edualk et le Diablotin. Un Elfe, nonchalamment assis à la table voisine, commença à parler.
- C'est arrivé soudainement, petit. Aucun avertissement. Mais "elles" savaient. Et quand la chose s'est produite, "elles" étaient prêtes.
- "Elles", Monseigneur ?
- Oui, petit. Nos compagnes. Nos sœurs. Nous avons à peine eu le temps de nous enfuir dans le seul lieu où on ne risquait rien, à Cabestan.
- Mais… de quoi parlez-vous, Monseigneur ?
- Un truc de filles, Aba. Le genre qui truc à faire fuir tous les mâles.
L'Elfe interrompit Edualk.
- Tu peux parler, Edualk. Tout le monde sait que t'as jamais été foutu de te dégoter une fille. Alors les avis d'un célibataire… Tu connais rien à ça. A se demander ce que tu fous là, d'ailleurs.
- Vas-y, dis-le plus fort ! J'ai une réputation à tenir, moi !
L'Elfe regarda Edualk les yeux écarquillés, puis éclata de rire en même temps que toute la salle.
Mais Abatik plomba à nouveau l'ambiance.
- Euh… On parle de quoi exactement, Monseigneur ?
L'Elfe plissa les yeux et soupira. Les aventuriers autour d'eux se mirent à regarder leurs pieds d'un air gêné. On entendit un gloussement hystérique venant du fond de la salle, tandis qu'un Gnome se remettait à pleurer silencieusement.
- Je parle de… *profonde respiration* des…
- Non ! Ne prononce pas le mot ! cria une voix dans la foule
- … Des soldes, petit.
Un silence de mort accueillit les paroles de l'Elfe. Celui-ci voulut se servir un verre de vin, mais sa main tremblait tellement qu'il en renversa la moitié à côté.
Abatik regarda les hommes qui l'entouraient. Uniquement des vétérans, tous lourdement équipés avec le meilleur matériel glané sur les champs de bataille d'Azeroth ou en Outreterre.
Tous tremblant comme des feuilles.
Le Diablotin regarda Edualk, qui hocha la tête avec sérieux.
- Attendez, les gars… Messeigneurs. Vous vous êtes enfuis de Hurlevent parce que ce sont les soldes ?! Vous ?! La fine fleur de l'élite de l'Alliance ?!
L'Elfe reposa brutalement son verre sur la table, en en cassant le pied.
- Tu n'y connais rien, petit ! Tu n'as jamais dû suivre ta copine les bras chargés de colis ! Tu n'as jamais dû l'attendre à l'entrée des boutiques pendant qu'elle dépensait ton or durement gagné !
- Moi, j'ai pas pu acheter ma monture à cause de ça, dit une voix.
- Moi, j'ai même dû revendre mon bouclier pour lui payer une jupe, dit un autre.
- Moi, j'ai même dû essayer ses robes pour faire des retouches, et elle ne m'en a même pas laissé une seule, dit un troisième.
Un long silence accueillit cette dernière remarque. Le Guerrier qui l'avait prononcée, un Nain à la longue barbe tressée, rougit sous son heaume de plaques.
- Ben quoi, on fait tout les deux la même taille. En plus, elle m'allait super bien, cette robe. Je veux dire, c'est moi qui l'ai payé et je peux même pas la porter… Pourquoi vous me regardez comme ça, les gars ?
L'Elfe secoua la tête d'un air accablé. Mais discrètement, quelques Guerriers se rapprochèrent du Nain et commencèrent à parler avec lui d'un air intéressé.
- Ne nous dis pas que nous sommes des lâches, petit. Tu ne sais pas. Tu ne peux pas savoir.
- C'est pour ça que nous sommes tous ici, intervint Edualk. Cabestan est tellement pourri qu'elles ne viendront jamais nous chercher ici…
- Pas toi ! cria quelqu'un dans la foule.
- Ta gueule. Ta Succube y est sûrement. Elle a probablement pris le bateau vers Baie du Butin, puis de là est remontée vers Hurlevent.
- Donc je dois y aller, m'sieur.
- Tu vas te faire massacrer, Aba. Les gardes sont très nerveux depuis le dernier raid de Hordeux. Surtout que ce sont les filles qui les ont massacrés…
- J'ai pas le choix, m'sieur. Mon Maître va piquer sa crise si je reviens les mains vides.
- Et je suppose que tu vas me demander un coup de main ?
- Ben oui, m'sieur. C'est pour la famille.
Edualk sourit avant de vider sa chope de bière.
Près du cimetière de Durotar, attendant le Démoniste, Moustaches sourit. Il était assez fier de ce coup-là, et les suites risquaient d'être amusantes.
Puis le rat se gratta l'oreille.
***