Chapitre 109 : A la conquête d'Azeroth ! (bis)
Histoire d'être tranquille, Llégion s'était installé à l'auberge de Cabestan où il savait pouvoir ruminer sa déception autour d'un verre de vin sans être dérangé par des hordes de ploucs.
Après de notables efforts, il avait enfin atteint le 40e cercle, un moment toujours important pour tout aventurier d'Azeroth.
Sauf que là, c'était raté. En effet, le 40e cercle était un but à atteindre à cause de l'accès à la monture, source de gain de temps pour de grands voyageurs. Mais depuis qu'"ils" avaient changé les règles, ce cap n'avait plus rien d'intéressant, notamment pour quelqu'un comme Llégion.
Llégion avait la sérieuse impression de s'être fait avoir. A tel point qu'il avait même renvoyé son tabard au maître de sa guilde, histoire qu'on lui fiche la paix une bonne fois pour toute.
Il avait ainsi pu échapper à une nouvelle soirée avec Mercät…
- Je sais ce qui ne va pas.
- Maître ?
Abatik leva la tête de son journal et regarda le Démoniste.
- J'ai compris pourquoi tout va de travers depuis le début, Abatik.
- Vous êtes un brillant Démoniste, Maître. C'est juste que vous n'avez pas de chance.
- Et toi tu es un faux-cul de première, Abatik.
- Merci, Maître.
- Non, le truc, c'est que j'ai perdu de vue mon objectif.
- Lequel, Maître ?
Llégion foudroya du regard le Diablotin qui le regardait d'un air intrigué.
- La conquête du monde ! Par la malepeste, Abatik, la conquête du monde !
- Ah, ça. Je pensais que vous aviez mis cela de côté pour le moment, Maître. Pour quand vous serez au 70e cercle.
Abatik n'avait manifestement pas l'air convaincu.
- Non ! Je perds du temps avec ces histoires de quêtes, de donjons, et de massacre de créatures.
Le Démoniste se leva soudain de sa chaise et prit une pose théâtrale.
- Par la malepeste ! Je suis Llégion le Maléfique ! Génie du Mal et plus grand cerveau criminel d'Azeroth ! Et je vais conquérir le monde ! Mouahahahahahahah !
- Oh, ta gueule le poivrot.
Llégion se figea dans sa pose et lança un regard méprisant sur le Voleur qui l'avait apostrophé. Puis il se rassit - le Chasseur étant quand même du 70e cercle...
- Non, Abatik. Il est temps pour moi de me lancer véritablement dans la poursuite de mon véritable et seul objectif.
- Euh... Oui, Maître.
Abatik se replongea dans son journal, considérant l'affaire close.
- Donc : que me faut-il pour accomplir ce but ?
- Mmmm… ? Je veux dire, je ne sais pas, Maître.
Voyant que Llégion n'avait pas l'air de lâcher l'affaire, Abatik soupira discrètement et replia son journal.
- Il me faut des serviteurs. C'est ça le problème dans cette histoire : je n'ai pas de serviteurs ! Personne pour s'occuper de l'intendance, pour se battre à ma place, pour mourir pour moi !
- J'ai dit, ta gueule le poivrot !
Abatik ouvrit la bouche pour répondre quand il vit arriver les autres démons. L'entrée de Seln dans l'auberge aurait dû provoquer un silence admiratif, si ladite auberge n'avait pas été vide mis à part le Chasseur qui en était à sa 14e bière et commençait à avoir du mal à repérer quelle chope était la bonne sur sa table.
En bikini noir et paréo, elle revenait de la plage où elle venait de profiter du soleil. Le gobelin vendant ses marchandises estivales avait en effet fait nettoyer tout un coin, à la grande satisfaction de la Succube.
Zaza, comme d'habitude, était couvert d'algues ainsi que de divers morceaux provenant manifestement de créatures marines décédées.
Enfin, on ne pouvait qu'espérer qu'elles le soient, étant donné la taille des morceaux.
Mezz avait ses lunettes et compulsait son Code avec application. Il venait tout juste de commencer les longues démarches destinées à la création de la religion de Llégion, démarches nécessitant toute son attention ainsi qu'une solide dose de patience et de perversité.
Il s'amusait donc comme un fou.
Buck, quant à lui, avait passé la journée à tenter de trouver des partenaires de bridge. Etonnamment, il avait fini par en trouver chez les gardes gobelins. Des gens charmants, quoique communs.
Ils s'étaient promis de se retrouver le soir même autour d'un verre de brandy.
Poussant un profond soupir, Seln s'effondra donc sur une chaise.
- Mon Llélé, je suis TELLEMENT é-rein-tée ! J'ai passé la journée à la plage, et je n'ai qu'une envie, c'est de prendre un bon bain !
- Wif !
- Mais oui, mon Zaza, maman va te donner à manger. Tu as vu, mamour ? Je lui ai mis un petit chapeau !
Llégion baissa les yeux sur le Chasseur Infernal qui portait effectivement un bob avec écrit dessus "ZAZA". Il eut la décence de prendre l'air honteux, ce qui était un minimum.
Llégion secoua la tête et revint à ses affaires.
- Vous tombez bien ! Qu'est-ce qui ne va pas chez moi ? Sincèrement.
Dans un magnifique ensemble, les démons prirent une profonde inspiration pour dire le fond de leur pensée mais s'interrompirent net en voyant Abatik leur faire de grands gestes de dénégation paniquée dans le dos de Llégion.
- (voix caverneuse) Nous ne voyons pas, Maître.
- Par la malepeste ! Il me manque des serviteurs !
- (voix caverneuse) Vous voulez dire, comme des démons ?
- Non ! Je veux dire des VRAIS serviteurs, efficaces, discrets, serviables, le genre à combattre pour ma cause !
- Ainsi vous avez une cause, Monseigneur. J'en suis fort aise. Il est certain qu'un gentilhomme ne saurait vivre que de distractions futiles, quand tant et tant de nobles causes...
- Je parlais de la conquête du monde !
Un long silence accueillit l'exclamation de Llégion. Mezz avait l'air dubitatif. Seln, comme à son habitude, ne suivait pas et faisait des papouilles à Zaza.
Buck sentit qu'il lui fallait intervenir.
- Voilà une cause noble et ambitieuse, Monseigneur. Mais pour ce faire, il vous faudrait moult suppôts et vassaux susceptibles de vous fournir l'appui nécessaire à votre projet. Ainsi qu'un plan, bien entendu.
- Voilà ! Enfin quelqu'un qui me comprend ! Et c'est le canasson ! Personne ne suit à part lui.
- Euh... Bien qu'étant un destrier infernal des plus commun, et en aucune manière une monture épique, je trouve néanmoins le terme de "canasson" quelque peu...
- On s'en fout ! Abatik ! Où je peux trouver des serviteurs ?
- Le meilleur endroit pour embaucher quelqu'un, Maître, me parait être Baie du Butin. Les Gobelins y ont des bureaux de placement depuis longtemps, et fournissent une main d'oeuvre variée tant à la Horde qu'à l'Alliance.
- Donc, on va à Baie du Butin. Ca tombe bien, je connais du monde là-bas. J'y avais recruté une partie de mes serviteurs dans le temps. Et le patron de l'agence me doit des services...
- Deux objections, Maître ?
Llégion leva les yeux au ciel en soupirant.
- Bon, qu'est-ce qu'il y a encore ?
- En un, je me permets de vous rappeler que vous êtes mort pendant 50 ans, Maître. Plus personne ne doit vous connaître là-bas.
- ... Mouais. Bien vu. Et en deux ?
- En deux, Maître, je suis désolé de vous le dire, mais je crains que nos fonds ne soient… comment dire… limités. TRES limités.
- Comment ?!
- Bon ben moi je vais prendre un bain ! A plus tard !
Seln s'enfuit plus qu'elle ne se retira, en lançant un regard inquiet à Abatik qui avait prévu le coup. Quand on a une Succube comme Seln dans l'équipe, et qu'on s'occupe de gérer les fonds de son Maître, on anticipe. Beaucoup. Tout le temps.
- Vous avez beaucoup dépensé en tissu, Maître. Et peu vendu, vu que tous les objets intéressants, vous les désenchantez au lieu de les vendre.
- Je suis encore à sec ?!
- Non, Maître. Dans l'ensemble, on s'en sort, et on a même une petite réserve de secours, mais les dépenses imprévues et importantes sont à éviter. Et aussi celles qui dépassent nos revenus réguliers. Comme des salaires.
- Par la malepeste ! Bon, tant pis, on verra sur place. Dès demain, on part sur Strangleronce et on s'occupe de trouver du monde.
Llégion et les démons prirent le chemin de la chambre que le Démoniste louait - à un prix excessif selon l'avis d'Abatik, qui avait fini par comprendre que son Maître ne savait pas gérer son argent.
Moustaches les suivit en trottinant. Le Démoniste avait mis du temps, mais il avait enfin fini par comprendre. Demain allait être une journée intéressante...
Puis le rat s'arrêta pour lâcher une crotte.
***
Chapitre 110 : Un amour de kodo
- Dame, c'est qu'c'est-y de la belle bête, ça, élevée en plein air ! R'gardez-zy l'croupion, milord ! Et tâtez-moi c'jarret ! C'est du bestiau de compétition, pas d'la viande d'bouch'rie !
Vimayre obtempéra et flatta le flanc du kodo qui ignora le geste, trop occupé à ruminer son herbe et à chasser les mouches de sa queue.
- Et pi, c'est j'avions gagné des prix, avec mes bestiaux ! Dame, c'est qu'y sont connu dans tout Kalimdor, les kodos d'vieux Harb Sabot-griffu !
Vimayre avait donc décidé de faire une pause, considérant que Llégion, de toutes façons, ne lui échapperait pas.
il avait surtout décidé de récupérer une monture, histoire de ne plus être obligé de faire la route à pied - surtout s'il devait refaire un tour dans les régions tenues par l'Alliance !
Il était donc revenu dans les plaines Mulgore, lieu de sa jeunesse déjà lointaine, pour rencontrer le seul vrai éleveur de kodos digne de ce nom, le vieux Harb, un Tauren sympathique bien que du genre... agraire.
- Et pi, j'avions du choix ! Plusieurs couleurs, pour qu'un milord comme vous aut' y soye fier de monter d'ssus !
- N'ayez crainte, Harb, j'avions... pardon, je n'ai aucun problème avec vos kodos. Ils ne sont pas connus comme les meilleurs pour rien.
Le vieux Harb se redressa avec fierté.
- J'avions bien vu qu'vous étiez point un d'ces péteux d'la ville, toujours à mépriser les p'tites gens d'la campagne.
- En effet, j'ai passé mon enfance ici.
- Ca c'est-ty un vrai Tauren ! Et vous f'sez quoi, milord ?
- Je suis Contr... euh... contremaître. Dans une mine. Loin. Vous ne connaissez pas.
Vimayre souffla intérieurement tandis que Harb continuait à faire l'article, comme seul un maquignon de Mulgore en est capable.
S'il avait révélé son vrai travail, il aurait sûrement eu du mal à échapper au lynchage. Les paysans n'était pas très réceptifs, d'après ses informations, au concept d'"impôt".
Et plutôt du genre "soupe au lait" quand on insistait.
Et Vimayre avait besoin d'une monture assez puissante pour le porter.
- Alors ? Y l'a ty choisi ?
- Oui, Harb. Je vais prendre le gris, il a l'air calme.
- Z'avez l'oeil, milord ! Galette, c'est d'la graine de champion ! Même qu'ça m'fait mal au palpitant d'm'en séparer, vu qu'j'l'avions élevé au bib'ron moi-même ! *snif* Ca va m'fendre le coeur... *snif*
Vimayre se permit un sourire discret. Sacré Harb... Jamais le dernier pour faire cracher son or au client ! Mais cette fois-ci, il avait affaire à forte partie.
...
Deux heures plus tard, les deux Taurens se serrèrent la main pour conclure leur marché, le sourire aux lèvres.
- Z'êtes du genre coriace, milord ! J'avions pris du plaisir à marchander avec vous.
- Le plaisr fut réciproque, Harb. Au fait...
Vimayre grimpa sur sa nouvelle monture.
- Pourquoi vous l'avez appelé Galette ?
Le vieux Harb sourit franchement.
- J'vous avions point dit ? Il a la digestion difficile.Vaut mieux pas rester derrière, si vous voyez c'que j'voulions dire...
Loin de là, Moustaches nota mentalement l'évènement. Tant mieux, les choses allaient pouvoir avancer plus vite.
Puis le rat fit un culbute et se rendormit.
***
Chapitre 111 : Qui n'a pas son séide !
- Ils sont beaux, ils sont beaux, mes larbins ! Approchez, approchez !
- Les meilleurs suppôts de tout Azeroth ! Pour deux achetés, un offert ! On y va, on y va !
- Séides et valets à prix cassés ! A peine servis ! Profitez-en, y'en aura pas pour tout le monde !
- Serviteurs maléfiques ! Qui n'a pas son serviteur maléfique ! Garantis 100% biologiques !
Baie du Butin retentissait des boniments des vendeurs des agences de placement installés devant l'entrée de la ville. Des squelettes perdant des morceaux côtoyaient des chevaliers en armure noire, tandis que des gladiateurs s'affrontaient pour montrer aux acheteurs potentiels leur force.
Llégion respira profondément et expira de béatitude.
- Ah, ça me rappelle mes débuts... A l'époque, je commençais juste comme Génie du Mal, et mon repaire secret n'était encore qu'une cahute au milieu de la boue. Mais j'étais ambitieux... Toute une époque...
Llégion se mit à froncer les sourcils et à serrer la mâchoire.
- Quand je pense au temps que j'ai mis pour avoir un repaire acceptable. A tout l'argent que j'ai englouti pour recruter et entraîner mon armée... Et tout ça pour qu'un entrepreneur rase tout pour cultiver des potirons, sous prétexte que j'étais mort ! Rhhhaaa !
- Respirez, maître, vous devenez bleu.
- Bon, inutile de ressasser le passé. Mais si je tenais ce sale type ! Bref, on cherche l'Agence du Littoral. En espérant qu'elle existe toujours. Ils ont toujours été compréhensifs pour les délais de paiement...
Llégion et ce qu'il restait du groupe, à savoir Abatik et le rat, commencèrent à faire le tour des étals.
Mezz était parti dans sa tournée quotidienne des administrations, tandis que Seln - et bien sûr Zaza - faisait les boutiques, partant du principe qu'un port a FORCEMENT des boutiques de vêtements.
Buck s'était caché dans un coin, soi-disant à cause d'une allergie à l'air marin. En réalité, la ville comptait beaucoup de vétérans du 70e cercle, dont des Démonistes, et il ne voulait pas courir le risque d'être démasqué.
En plus, la ville comptait un club de bridge au sein de la garde gobeline...
Llégion finit par trouver l'Agence juste aux pieds de l'escalier du tunnel menant à la ville. Un Gobelin au sourire enjôleur - pour un Gobelin - faisait l'article devant quelques passants intéressés.
- Mais oui, madame - pardon, Sombre Maîtresse des Enfers. Ils sont lavables à la main ou en machine. Pensez juste à séparer les démons des morts-vivants, pour éviter la propagation des malédictions. Et oui, monsieur - pardon, Fléau Ténébreux. Nos esclaves damnés sont garantis un an, pièces et main d'oeuvre. Oui ? En effet, mon petit bonhomme - pardon, Damien fils de Satan. S'ils ne vous conviennent pas, on vous les échange gratuitement, à condition qu'ils soient dans leur emballage d'origine, bien entendu. Et pour le grand monsieur mort, qu'est-ce que ce sera ?
Le Gobelin s'était retourné vers Llégion, un sourire commercial aux lèvres.
- Je regarde... Vous faites toujours des Bras Droits ?
- Bien sûr, monsieur ! Tout modèle et toute gamme de prix ! Vous cherchez quelque chose de particulier, peut-être... ?
- Et bien, je me serais bien laissé tenter par quelque chose, mais mon budget est assez limité...
- N'en dites pas plus ! La satisfaction du client est notre deuxième priorité ! Quels que soient vos moyens, l'Agence du Littoral aura ce qu'il vous faut !
- Par curiosité, quelle est la première priorité ?
Le Gobelin sourit encore plus - un exploit à ce stade.
- Mais gagner de l'argent, bien sûr ! Alors, dites-moi tout : que cherchez vous ?
- J'ai eu un Bossu, autrefois. Une sale tendance à mentir, à tripatouiller les chèvres et à dormir pendant ses tours de garde...
- Ah, un bossu ! Un modèle 67, apparemment. Je vois que monsieur est connaisseur. Ils ont arrêté d'en faire, malheureusement. Et même d'occasion, j'ai peur que cela ne dépasse votre budget, à moins que vous ne puissiez faire un effort... ? De combien disposez vous ?
Llégion tint un court conciliabule avec Abatik, puis se retourna vers le Gobelin et lui donna son budget.
Le sourire du Gobelin, étonnamment, vacilla à peine.
- Ah ah ! Je vois que monsieur aime les défis ! Ca tombe bien, moi aussi ! Vous avez peu d'argent, ce n'est pas un problème, je vais le prendre quand même ! Bien, déjà, envisagez-vous de faire de la reproduction ?
- Pas pour l'instant. Je n'ai pas les locaux pour cela.
- Dommage... J'ai des prix pour des couples. Sinon, quel sexe ? Ca peut être important si vous envisagez d'en faire un esclave sexuel...
Le Gobelin fit à Llégion un clin d'oeil appuyé.
- J'ai déjà une Succube, merci.
- Effectivement... Donc le sexe ?
- Indifférent. Du moment que ça ne pond pas de gniard…
- C'est vous le client. Maintenant, le modèle.
- Il me faudrait d'abord un Bras Droit. Ou un Serviteur Maléfique à la rigueur. Vous m'avez dit que les Bossus étaient devenus chers ?
- Hélas, mon cher monsieur, hélas ! Les prix ont véritablement explosé, et il devient très dur d'en trouver, même pour nous. Je me permettrais plutôt de vous conseiller un Séide, vu votre budget.
- Mouais... Mais pour créer une armée, un seul Séide...
- Certes, mais c'est une question de choix, si je peux me permettre. Certes, vous pouvez avoir un Serviteur Maléfique, voire un Bras Droit, mais uniquement d'occasion et ayant déjà servi. Alors que vous pouvez avoir un Séide neuf, personnalisable à votre convenance. Et bien entendu, principal avantage selon moi, parfaitement aux normes actuelles !
- Effectivement...
- Tenez, j'ai justement quelques modèles à vous proposer.
Moustaches s'était soudain tendu. Ce moment allait être important. A condition que rien ne vienne perturber l'opération. RIEN ne devait la perturber.
Puis le rat éternua de nervosité.
***
Chapitre 112 : La piste perdue
- Un grand chauve à l'air con ? Ben tiens, bien sûr que je m'en souviens, Monsieur le Contrôleur Principal. Il a fait un scandale à la taverne, l'autre jour.
Vimayre hocha la tête. Comme prévu, Llégion avait quitté Orgrimmar, mais comme d'habitude, non sans se faire remarquer, notamment des gardes de la cité.
- Le motif du scandale, Sergent ?
- Une rixe avec ses démons, apparemment, Monsieur le Contrôleur Principal. On les a mis dehors sur la demande de l'aubergiste.
Vimayre jeta un oeil vers l'auberge, à l'entrée de laquelle se tenait le tenancier, les bras croisés et l'air maussade, surveillant manifestement le Tauren de loin.
- Et je suppose qu'en plus, il n'aime pas les Taurens...
- Oh si, il les adore. C'est une de ses spécialités culinaires ! Oups ! Désolé...
- Pas grave... Bon, plus important, il est parti où ?
- Le grand con ?
- Non, l'aubergiste...
- Ben il est resté dans son auberge jusqu'à la fermeture. Je suppose qu'après, il est rentré chez lui.
Vimayre se passa une main fatiguée sur le visage.
- C'était de l'humour, Sergent... Je parlais de l'auteur de l'esclandre.
- Ben fallait préciser, je ne suis pas sensé savoir, moi...
- Donc, le Mort-Vivant ?
- Après tout, comment je peux savoir si vous êtes sérieux ou pas ? Déjà, vous, les Taurens, vous faites toujours la même tête, et puis, je ne suis qu'un simple sergent de ville, et...
- Où-est-parti-le-Mort-Vivant ?
- Aucune idée.
- Pardon ?
- Oups ! Je veux dire : aucune idée, Monsieur le Contrôleur Principal.
- Comment ça, aucune idée ?!
- Ben, ça dépend des idées sur quoi. Moi, par exemple, je réfléchis beaucoup à la question de la circulation des montures dans la ville, et...
- Je m'en fous ! Je parlais du Mort-Vivant ! Llégion ! Ne me dites pas qu'il n'a rien dit sur sa destination ?!
- ...
- Comment ?
- Vous me dites de ne pas vous le dire. Alors je ne le dis pas.
- Je... Laissez tomber... Vous... Mais pas votre arme, bougre de crétin !
- Vous me dites de laisser tomber, moi je...
- RHHHAAA ! Qu'est-ce que j'ai fais pour mériter ça ?!
- Si vous voulez, on peut aller vérifier votre casier judiciaire, si vous avez fait des trucs, ce sera dedans. Eh ! Revenez ! Qu'est-ce que j'ai dis ?!
Un second garde rejoignit le sergent tandis que Vimayre partait en fulminant.
- Il voulait quoi, le steack ?
- Il cherche un Mort-Vivant.
- Ils ont de drôles de moeurs, ces gars-là. En plus, il y en a plein les rues.
- Tu as prévenu les services de la voirie ? Ca risque d'encombrer la circulation.
- Régis ?
- Oui ?
- T'es vraiment con, tu sais. On devrait en faire une série.
- T'es nul...
***
Chapitre 113 : Cruel dilemme…
Le Gobelin fouilla sous son comptoir et ramena un lourd volume avec de nombreux marque-pages, qu'il ouvrit au début.
- Voyons voir... Un Humain ? Classique, sobre, peu original certes mais sachant se tenir. Il faut simplement faire attention à leur alimentation et les sortir régulièrement, sinon ils s'empâtent – surtout les femelles. Nous sommes actuellement en rupture de stock, mais nous attendons une commande d'ici une semaine à peine.
- Alors non. C'est pour consommer de suite.
- Je comprends... Un Elfe de la Nuit ? Certes un peu encombrant vu la taille, mais idéal pour des randonnées en nature. Grande longévité, endurance remarquable, les femelles sont certes un peu puériles mais très douées sur un plan sexuel – à condition de penser à leur couper les oreilles, elles ont tendance à chatouiller dans le feu de l'action.
- J'aime pas les Elfes.
- Je vous comprends... Qui voudrait d'un Elfe ? Beurk ! Un Nain ? Facile à ranger, on peut taper dessus tant qu'on veut sans l'abîmer, et les modèles les plus perfectionnés sont livrés avec une brasserie portative.
- Un Nain ? Vous êtes sérieux ?
- Et bien… Oublions. Ou un Gnome ?
- ...
- Très pratique, si je puis me permettre, le Gnome. J'ai quelques clients, des originaux certes, qui en sont très satisfaits. Il y a toute une technique qui consiste à s'en servir comme ballon quand on est énervé. Bien entendu, le modèle est livré avec son manuel technique, ça semble ardu au début, mais on prend vite le pli.
- Pas de rase-bitume. J'ai ma fierté.
- Je vous comprends ! Un Gnome ! Franchement ! Voyons voir… Ah, oui, il y a bien les Draeneis, mais il s'agit de modèles plutôt exotiques qui ne conviennent pas à tous les intérieurs. La taille de leurs femelles présente notamment un risque de lumbago dans un cadre que je qualifierais de festif – à moins de disposer d'un équipement adapté, comme celui que nous proposons dans notre catalogue d'accessoires.
- J'en ai entendu parler, mais je ne connais pas. Ils ne sont pas en voie d'extinction ?
- Effectivement, leur rareté est un fait, mais c'est aussi ce qui les rend si appréciables du collectionneur…
- ... donc trop chers. Non.
- Un Mort-Vivant alors ? Aucune conscience, une soumission totale, on peut les taper sans risque de blessure ou de révolte. C'est un grand classique. On m'objectera qu'on passe son temps à ramasser les morceaux, sans parler de l'odeur. Pour ma part, j'ai toujours dit qu'un Génie Démoniaque…
- Génie du Mal.
- … qu'un Génie du Mal, toutes mes excuses, ne peut décemment pas ignorer le Mort-Vivant quand il s'agit de choisir un serviteur ! Question de standing !
- Pas de Mort-Vivant. Jamais. Ca tache les draps et c'est une horreur à ravoir. Et ils passent leur temps à vouloir bouffer du cerveau.
- Mais vous êtes... Pas grave ! Le client est roi ! Voyons voir… Ah ! Un Elfe de Sang ! Regardez-moi ces spécimens ! Quelle beauté ! Quelle élégance ! Vous leur mettez n'importe quoi, ils restent classe ! Et ça va avec tous les styles ! Et leurs femelles ! Sauvages ou soumises, vous disposez d'un choix des plus considérable !
- Garanti sans humour ?
- Franchement, monsieur, un Elfe de Sang est un atout considérable pour tout Génie du mal qui se respecte !
- Je vous ai posé une question.
- Euh… Quelle était la question ?
- Je voulais savoir si vous les garantissiez sans humour.
Le Gobelin hésita tandis que son sourire vacillait.
- Nous ne faisons malheureusement pas ce genre d'option sur ces modèles.
- Alors c'est non.
- J'aurais pu vous faire un prix...
- Non.
- Je… J'ai failli oublier ! C'est… euh… l'anniversaire du patron ! Voilà ! Offre spéciale ! Deux pour le prix d'un !
- Non.
- Allez ! Je vous en offre un troisième en prime, ça me fait plaisir, vous m'êtes sympathique !
- Toujours pas.
- Et si on leur coupe la langue avant ?
- Même.
- Et que je rajoute une femelle ?
- Surtout pas !
- Je… Je… Je danse pour vous ! Là ! Tout de suite !
- Vous n'arrivez pas à les vendre, n'est-ce pas ?
Le Gobelin perdit définitivement son sourire commercial.
- Quelle misère... J'ai tout un stock que je n'arrive pas à écouler. Trois mois qu'ils pourrissent dans mon entrepôt ! Même les associations d'anciens galériens ne veulent pas m'en débarrasser. Je vais finir pas être obligé de détruire le stock. Mais peut-être que si je rajoute des rouleaux de soie...
- Pas d'Elfe de Sang.
Le Gobelin prit une inspiration profonde et retrouva son sourire commercial.
- Soit. Et si… D'accord. Sinon, je peux vous proposer aussi… un Tauren ? Les modèles féminins peuvent être fournis avec l'option "lait frais" – pratique pour les familles nombreuses.
- J'aime pas les gniards. Et pas sûr que ma Succube apprécie. Les mouches, l'odeur d'étable... et je suis d'accord avec elle. On oublie les Taurens.
- Très bien, pas de Tauren. Vous êtes un client difficile, monsieur ! Qu'ai-je donc encore en magasin… Un Troll ?
- Mouais... Je ne connais pas bien les Trolls. Ils sont comment ?
- L'idéal pour un repaire caché au coeur de la jungle, monsieur ! Sacrifices sanglants, danses primitives, vaudou... Ils sont parfaits !
- Je voyais plutôt un repaire en milieu urbain. Ou pas trop loin pour les commerces.
- Effectivement, un Troll devient moins utile en dehors d'une jungle mystérieuse. Il me reste donc à vous proposer un Orc. Classique, obéissant, costaud... un incontournable pour un séide. En plus, la technique a fait d'énorme progrès depuis les premiers modèles, et nos modèles moyenne gamme incluent dorénavant un mode "conversation" digne de ce nom !
- Livré avec un cerveau ?
- Seulement les modèles de luxe. Si vous pouvez faire un petit effort niveau budget…
- Non.
- Alors sans cerveau, obligatoirement.
- Vous n'avez rien d'autre ?
Le Gobelin réfléchit en se caressant le menton.
- J'ai eu des Murlocs, des femelles, mais c'était une commande spéciale pour un Elfe de Sang de Tranquillien. Un gars bizarre, même pour un Elfe. Des Gnolls aussi, mais je vous déconseille, ils obéissent très mal. J'ai aussi eu des rats, à une époque, mais là encore, c'était encore une commande spéciale.
- Je crois que je vais réfléchir, alors...
- Il y aurait bien... mais non, ça ne vous intéressera pas.
Le Gobelin avait pris un air innocent en faisant sa remarque. Llégion fit mine de ne pas s'y intéresser plus que cela.
- Dites toujours.
- J'ai - peut-être ! - la possibilité de vous avoir un Igor. Pour pas trop cher.
- Maître !
Abatik avait remarqué la petite lueur dans l'oeil de son Maître, tout comme le Gobelin qui n'était pas un débutant en matière de commerce.
- Un instant, je vous prie...
- Faites donc, monsieur !
- Quoi, Abatik ?
- Maître ! Les Igor sont hors de prix, tout le monde sait ça ! Alors soit c'est une contrefaçon, soit il a un défaut caché, soit il va vous plumer !
- Ne t'inquiètes pas, Abatik, j'en ai eu en stage quand j'étais en "vie". Il parait que mon repaire était un "modèle dans le genre", selon le directeur de l'école – sauf qu'il n'a jamais voulu me préciser de quel genre… Et malheureusement, un de ces Igor a coulé dans les sables mouvants du salon un jour. Ca m'a coûté une fortune !
Llégion revint vers le Gobelin.
- Un Igor, vous dites ? C'est un vrai ? Authentifié ?
- Avec certificat d'origine, monsieur. Une occasion à saisir.
- Je connais les prix des Igor. Trop cher pour moi.
- Celui-ci rentrerait pile dans votre budget, monsieur. Je vous l'ai dit, une occasion à saisir !
- C'est un modèle périmé ?
Le Gobelin prit un air outré.
- Non, monsieur ! Nous ne vendons pas de modèle périmé dans notre agence ! C'est un de nos principes. Celui-ci est jeune et en bonne santé. Tenez, j'ai ici sa notice descriptive.
Le Gobelin farfouilla dans ses papiers et sortit deux feuilles qu'il resta regarder avec hésitation. Puis il rangea l'une des feuilles et tendit l'autre au Démoniste.
- Tenez, monsieur ! Il s'appelle Yygor. Son père n'était autre qu'Ygor, serviteur maléfique de Dark Vodar le Chevalier Tish, et sa mère, Igorina, était Prêtresse Perverse de Vulva la Chienne Lubrique. Son grand-père, Iggor, a lui été bossu chez Arrrggghhh le Tueur d'Elfes, avant de finir comme majordome infernal de Riquiqui le Pourfendeur de Lapins.
- Le "Pourfendeur de Lapins" ?
- Un Gnome. Très gran... très fameux Génie du Mal… Chez les Gnomes. Mais quand même.
- C'est un Orc.
- Ah, monsieur est observateur ! Oui, en effet, c'est un Orc. Je ne vous cache pas que c'est un des motifs de son prix.
Llégion et Abatik lurent attentivement la fiche, puis le Diablotin murmura quelques mots à l'oreille de son Maître.
- Mon démon me fait remarquer à l'instant qu'il n'est nullement fait mention de ses diplômes...
- Et avez-vous remarqué la couleur de sa crête ? Le gris tourterelle est très tendance cette année, mais bien sûr il est personnalisable.
- Ses diplômes...
- Vous ai-je dit qu'il était forgeron ? Un atout de poids quand vous commencerez à recruter pour votre armée, monsieur !
- Mais ses diplômes...
- Il sait aussi cuisiner, faire des bandages, le ménage, le repassage... la polyvalence, voilà l'avenir !
- RHHHAAA !!! Par la malepeste ! Répondez !
- Du calme, cher client ! Votre question... ?
- Ses diplômes ! Il n'en a pas, c'est ça. Ou alors il a été renvoyé. C'est pour ça que vous le bradez ?
Le Gobelin ne se troubla pas le moins du monde, et fit signe à Llégion de se rapprocher en prenant un air de conspirateur.
- Un pur autodidacte, monsieur ! Et avec ça, aucune de ces idées rétrogrades qu'on vous fourre dans le crâne dans ces écoles éloignées du terrain ! Il a tout à apprendre, et c'est vous qui le formerez ! Qu'en dites-vous ?
- Il est autodidacte ou il a tout à apprendre ? C'est pas clair...
- C'est une affaire en or, monsieur !
- Je ne suis pas sûr que la douane de Baie du Butin apprécie de voir des Igor non formés être vendus ici...
Abatik avait lâché sa remarque avec une totale négligence, mais elle provoqua chez le Gobelin une crispation nerveuse du côté de son oeil gauche.
- Je vous fais 10% de rabais ! Tout de suite ! Et les frais de livraison sont pour moi !
Llégion échangea un regard avec Abatik, qui hocha légèrement la tête.
- Vous avez parlé de livraison...
- Il est en Durotar. Mais il vous sera livré par Orcissimo en 24 heures chrono !
- Très bien, je le prends.
- Vous ne le regretterez pas, monsieur ! Par ici pour les papiers... Au fait, vous avez songé à prendre un crédit ?
Moustaches fulminait de rage. Mais quel abruti ce Gobelin ! Se tromper de fiche comme cela ! Tous ces efforts réduits à néant ! Il allait maintenant devoir tout reprendre avec ce nouvel élément. Foutue journée...
Puis le rat éternua de nervosité.
***
Chapitre 114 : Démasqué ?
- Foutus gardes ! A croire qu'on les choisit pour leur incapacité à ne rien comprendre !
Vimayre fulminait. Tout semblait devoir se passer merveilleusement, avec une proie devenue soudain infiniment plus intéressante, et voilà qu'à cause d'un abruti d'Orc, il venait de perdre la piste !
Quelle plaie !
- Quel peuple de dégénérés ! Tas de pignoufs ! Sanguina ! Attaque !
Vimayre désigna à son raptor un sanglier au loin tandis que lui-même épaulait son fusil. Le raptor se jeta sur la bestiole innocente et la massacra, tandis que Vimayre le canardait de loin.
Puis il rejoignit le cadavre pour le dépecer, caressant au passage son compagnon.
- Heureusement qu'il me reste la chasse pour me détendre... Sanguina ! Attaque !
Le raptor - qui venait de massacrer pas loin d'une centaine d'animaux depuis deux heures et commençait à en avoir plein les pattes - poussa un soupir et se rua sur le scorpion qui tenta quand même de s'enfuir, mais en vain.
- Et comment je retrouve ce pignouf, maintenant ?! Je passe une annonce ? Je l'invoque ? Sanguina ! Attaque !
- Rrrr !
- Hein ?
Vimayre baissa son fusil qu'il venait d'épauler. Sanguina, son fidèle raptor, était assise et le regardait d'un air désapprobateur.
- J'ai dis : Attaque !
- Rrrr.
- Mais tu vas obéir, saleté !
- Rrrr ?
- ... Désolé. Excuse-moi. Je m'énerve, alors que tu n'y es pour rien. Tu as raison, on a trop traîné ici. En plus, je n'ai jamais aimé Durotar - trop sec.
- Rrrr. *soupir de soulagement*
- Mais il me faut un début de piste, quelque chose. Et je ne sais pas qui peut me renseigner. Ou alors... L'aubergiste d'Orgrimmar ?
- Rrrr.
- Bon, je suppose que je n'ai pas le choix... je vais quand même jeter un oeil sur son dossier, au cas où.
- Rrrr.
- Bon sang... Je déteste les aubergistes...
***
Chapitre 115 : Une belle tête de vainqueur
- Ca, il faut reconnaître qu'il a une belle tête de vainqueur.
L'Orc souriait bêtement à l'entrée de l'auberge de Grom'Gol où Llégion devait le récupérer. Puis il fronça les sourcils et, l'air sérieux, péta bruyamment. Il se gratta alors négligemment une fesse. Puis il regarda sa main et, après un temps de réflexion et plusieurs essais, réussit à utiliser la lame de sa hache pour se curer les ongles. Enfin il avala le fruit de son nettoyage avec un air satisfait, avant d'attaquer l'inspection de ses oreilles - dont le résultat suivit le même chemin que celui de ses ongles.
Histoire de compléter sa tache si importante, il se cura consciencieusement les narines et avala aussi le résultat des fouilles.
Puis il rota et reprit son air de satisfaction béate.
Un Orc plus âgé le rejoignit après avoir été discuter avec l'aubergiste, et lui mit une taloche à l'arrière de la tête.
Le plus jeune prit un air penaud et regarda ses chaussures.
Le plus âgé secoua la tête de dépit et se mit à chercher du regard dans la salle, les yeux plissés comme le ferait un myope, ce qu'il était manifestement.
- On ne sait jamais, Maître, il pourrait nous surprendre. C'est quand même un Igor.
Mais Abatik n'avait pas l'air franchement convaincu en disant cela. Sa figure tentait manifestement - et avec succès - de se désolidariser de sa bouche.
Llégion poussa un soupir et se décida finalement à aller voir l'Orc qui attendait seul, son aîné étant reparti interroger la serveuse.
- Alors comme ça c'est toi mon nouveau serviteur ?
L'Orc regarda le Démoniste en continuant à sourire bêtement.
- C'est toi Yygor ?
- Yy-gor.
- Oui. C'est toi ?
- Je être Yygor.
- La conjugaison, Yygor !
L'Orc plus âgé était revenu, et il remit une taloche au cadet, qui se mit à bouder, et se tourna vers Llégion.
- Faut l'excuser, messire, le petit débute, il a pas encore l'habitude. Vous êtes Llégion, alors ? Son employeur ? Vous verrez, il n'est peut-être pas très rapide, mais quand il s'y met, on ne l'arrête plus !
Llégion se retint de s'énerver.
- Et vous êtes ?
- Son pépé ! Vous savez, ça fait des mois que le petit cherche du travail, alors quand l'agence nous a dit qu'on avait trouvé un travail pour lui, sa mémé et moi on était fou de joie !
- Et bien…
- Faut dire, ses parents sont toujours loin, au travail, vous savez ce que c'est !
- Euh…
- Moi, par contre, je suis à la retraite, donc je m'occupe du petit. Et puis le juge a dit qu'il ne devait plus voir ses parents, à cause qu'il a été bercé trop près du mur, et tout ça.
- Ce qui explique…
- Et puis, ça me rappelle ma jeunesse, quand j'étais Bras Droit. Ca rigolait pas, à l'époque ! C'était le bon temps ! Pas comme maintenant avec toutes ces idées modernes sur le "management" et toutes ces bêtises ! De mon temps, c'était le fouet et puis c'est tout !
- C'était vous avec le Gnome ?
Llégion ne pouvait s'empêcher de se montrer intéressé.
- Le Riquiqui ? Gran… Sacré bonhomme, vous savez ! Un malfaisant comme on en fait plus !
- Comment ça se fait qu'il soit mort et pas vous ?
- Une histoire idiote... J'étais en congé-formation. Il a voulu aller trop loin, et n'a pas eu la patience d'attendre mon retour. Son plus gros défaut, ça, le manque de patience. Dame, c'est qu'il était de la vieille école, le Riquiqui ! Avec rire maléfique et tout !
- Et il est mort comment, le tueur de gerbille ?
Llégion était fasciné. Normalement, il aurait dû s'énerver et faire taire l'Orc, mais quelque chose en lui dégageait comme une sorte de magnétisme, obligeant à écouter le récit.
- Le Pourfendeur de Lapins, pas de gerbilles. Il a voulu s'occuper du lapin de trop, comme souvent.
- … ?
- Le problème, c'est que c'était un lièvre… Il m'arrive encore d'y penser, le soir…
L'Orc eut un frisson. Puis il remit une taloche à son petit-fils qui s'était mis à se ronger les ongles.
- Donc, Yigor…
- Non, ça c'est mon frère. Le petit, c'est Yygor. Arrête de te gratter les fesses, ça se fait pas devant ton patron !
Le grand-père remit une taloche à son petit-fils.
Llégion sentait l'énervement monter en lui. Mais pourtant, il semblait incapable d'exploser, comme à son habitude. Ca commençait même à l'inquiéter…
- Rha ! Par la malepeste !
Les deux Orcs se retournèrent vers le Démoniste.
- Pourquoi je n'arrive pas à m'énerver !
- Un truc à nous, messire. C'est pour ça que les Igor sont aussi recherchés. On a le don pour calmer les Génies du Mal. C'est pour ça que le petit vous sera utile.
- Il est stupide, il ne sait rien faire…
- Ah pardon, je lui ai appris à miner. J'ai essayé la forge, mais le petit, ça lui bloque le cerveau quand il réfléchit trop. Alors j'ai laissé tomber pour lui apprendre le dépeçage. Bon, c'est sûr que les morceaux sont un peu gros, mais ça rend service.
- … il est incapable de parler…
- Ah non, il parle ! Dis un truc, toi.
- Tru-queu. Yy-gor.
- Vous voyez ?
- … et je devrais le prendre à mon service ? Je monte une armée pour la conquête du monde, pas une œuvre de bienfaisance. Et je voudrais m'énerver, bon sang !
- Trop tard, messire. Vous avez signé le bon de livraison.
- Mais j'ai rien sign…
Llégion s'arrêta net et se tourna vers Abatik qui sourit nerveusement.
- C'était pour vous avancer, Maître. De toutes façons, les Gobelins sont des escrocs. Jamais ils vous auraient rendu votre argent.
Llégion prit une respiration profonde. Puis revint vers les deux Orcs.
- Il sait au moins faire un truc bien ?
- Ah ça oui, messire ! C'est un guerrier. Donnez-lui une hache à deux mains, reculez assez loin et dites-lui d'attaquer, et il n'y aura plus rien en face ! Par contre, il y a un truc à savoir pour lui faire attaquer le bon ennemi. Tenez.
L'Orc lui tendit un bout de papier plié en deux et extrêmement sale. Llégion le déplia avec deux doigts précautionneux et lut le mot écrit dedans. Puis il leva la tête vers l'Orc.
- Ca veut dire quoi ?
- Quand vous voulez que le petit attaque, vous dites la phrase écrite là et le nom de l'ennemi. Il va foncer dedans direct.
Llégion regarda à nouveau le papier.
- Comme "L'aubergiste t'a volé ton nounours, Yygor" ?
- NON !
- Pas nounours ! TAPER !!!
Moustaches avait mis du temps avant de réaliser. Sûrement à cause de l'erreur du Gobelin qui l'avait énervé. Il réalisait maintenant qu'il avait parlé d'une commande spéciale de rats. Se pourrait-il que... ? Il devait vérifier, même s'il devait prendre du retard à cause de cela.
Puis le rat se gratta le museau.
***
Chapitre 116 : I love Taurens
- Moi, j'aime bien les Taurens. Surtout ceux élevés en plein air. Ca fond dans la bouche, c'est un régal.
L'Orc qui tenait l'auberge d'Orgrimmar sourit ouvertement devant Vimayre, qui pourtant paraissait extrémement calme.
- C'est le plat du jour, d'ailleurs. Vous devriez essayer.
Vimayre était toujours silencieux, un léger sourire aux lèvres.
- Des fois, il m'arrive d'ailleurs de faire des parties de chasse en Mulgore. Du côté des parcs, là où sont vos veaux.
Vimayre ne répondait toujours pas. L'aubergiste commença à avoir un léger doute.
- Bon, on parle, on parle, mais vous voulez quoi, au fait ?
Vimayre se redressa, en souriant cette fois-ci ouvertement.
- Vous avez eu un Mort-Vivant, un Démoniste, qui a provoqué un esclandre dernièrement.
- Le grand chauve ? A l'air con ? Ca se pourrait. Et ?
- J'ai besoin d'informations sur là où il est allé. Vous avez dû entendre des choses. Il vaudrait mieux, d'ailleurs.
- "Il vaudrait mieux" ? Et pourquoi ?
- Parce que j'ai là, dans ma main, une copie de votre dossier de la Confrérie des Collecteurs - dont je suis un des Contrôleurs Principaux. Très instructif.
- Ah bon ? J'ai toujours été en règle.
- Vous saviez que servir du Tauren comme plat était autorisé dans certains établissements ? Je l'ignorais moi-même.
- Ca tombe bien alors.
- Ca dépend.
- Ca dépend de quoi ?
- De si vous êtes un Troll.
- Ben non, je suis un Orc. Pourquoi un Troll ?
- Parce que d'après les normes d'hygiène alimentaire, seuls les établissements tenus par des Trolls sont autorisés à servir du Tauren. En fait, ils ont le droit de servir n'importe quoi - un petit privilège qui leur a été accordé autrefois.
- Ca, ca peut s'arranger. Je connais bien vos collègues. Ils sont arrangeants.
- Je n'en doute pas. Sauf que là, les Trolls ont aussi un autre privilège : celui de s'occuper de ceux qui tentent de leur faire de la concurrence déloyale. J'espère que vous n'êtes pas trop fade...
L'aubergiste avait blémi au fur et à mesure que Vimayre parlait. A la fin, il était livide.
- Euh... Un Mort-Vivant ? Oui ! Je m'en souviens bien ! Il a décampé avec ses démons. Mais il n'a pas dit où.
- C'est dommage pour vous... C'est où le quartier Troll, déjà ?
- Mais j'ai entendu un truc ! Les démons, ils parlaient entre eux ! Ils ont dit qu'un collègue à vous était sur leurs traces ! Non, vous !
- Ils ont... Ils savent ?
- Et la petite crotte, elle l'a dit au grand con ! Et c'est là qu'il s'est énervé ! Mais il s'est calmé, parce que la petite crotte a dit qu'il avait un plan ! Je vous en supplie, ne parlez pas de moi aux Trolls, je vous ai dit tout ce que je savais !
Vimayre n'écoutait plus. Alors Llégion était au courant... Et plus grave que tout : il aurait un plan...
Maintenant, il n'avait plus qu'une piste : la Maîtresse des Démonistes de Fossoyeuse.
***
Chapitre 117 : Je être Yygor
Llégion redressa encore une fois son chapeau et fusilla du regard l'Orc, qui lui répondit par un rire idiot.
Heureusement pour l'aubergiste, Yygor avait effectivement chargé, mais sans tenir compte des obstacles entre lui et sa cible.
En l'occurrence, un Guerrier Tauren lourdement armé qui, voyant l'Orc foncer sur lui, l'intercepta négligemment et l'assomma d'un coup de poing. Il avait fallu l'installer sur Buck et quitter le village avant que les gardes ne viennent voir ce qu'il se passait à l'auberge.
Bien entendu, le grand-père en avait profité pour s'éclipser.
La bonne nouvelle, c'est que Llégion avait récupéré sa hargne habituelle et avait pu passer ses nerfs sur l'Orc.
Lequel s'était contenté de sourire bêtement, tout en se grattant une fesse de temps en temps.
Le Démoniste avait fini par laisser tomber au bout de dix minutes. N'empêche, ça faisait un bien fou…
- Bon, Yygor…
- Yy-gor. Ca être moi.
- Oui, tu es Yygor…
- Je être Yy-gor.
- Alors tu…
- Nom moi être Yy-gor.
- Oui, Yygor…
- Yy-gor.
Llégion s'interrompit et décida de procéder autrement.
- Pour commencer, tu vas…
- Je être Yy-gor.
- Par la malepeste ! La ferme ! Tu vas m'accompagner et me servir de garde du corps. Pour un séide, ça suffira. Parce que manifestement, on peut oublier pour faire de toi un bras droit.
- Je être fier de être au service de vous, patron. Vous ne être pas décevoir.
- Oui, tu…
Llégion s'arrêta et se reprit.
- Tu parles ?
- Mon pépé dire que je ne être pas malin, mais je avoir apprendre beaucoup de choses tout seul, patron.
- Oh. Mais pas la forge ? J'aurais voulu que tu fabriques des armes pour mon armée.
- Forger être trop dur pour moi, patron. Quand je réfléchir trop fort, je arrêter de penser. Il y avoir un grand blanc dans ma tête. Mais ça ne durer pas longtemps.
- Un plantage mental ? Magnifique… Tu es un vrai crétin, toi.
- Je savoir me battre et tuer des ennemis, patron. Je avoir une grande hache.
Yygor brandit la hache effectivement impressionnante qu'il portait sur son dos.
- Je pouvoir trouver beaucoup de métal, patron. Si vous trouver quelqu'un qui connaître la forge, vous pouvoir faire des armes.
- Mouais…
Llégion réfléchit un moment, tout en examinant l'Orc. Après tout, le bougre n'avait pas l'air si idiot que cela. Pour un simple séide, il se débrouillait même bien, en-dehors de son incapacité manifeste à appréhender le concept de "conjugaison".
Il avait l'air suffisamment costaud pour tenir et brandir sa hache d'une seule main, et sa charge aurait été dévastatrice, si le Guerrier ne l'avait pas étendu pour le compte.
- Bon, je te garde alors. Et j'ai vraiment besoin de ce truc ?
Llégion tendit le bout de papier à l'Orc qui le prit et essaya de le lire.
- Vous n'auriez pas dû faire ça, Maître.
- Pourquoi, Abatik ? Ce n'est qu'un… Par la malepeste !
Yygor s'était figé, le regard posé sur le papier. Un filet de bave commençait à couler sur son menton, tandis qu'un peu de fumée sortait de ses oreilles.
- Laissez, Maître, je sais comment faire.
Abatik sauta sur l'épaule de l'Orc, lui enleva le papier de la main puis, surmontant une évidente répulsion, s'approcha de son oreille, mit ses mains en cornet devant elle et souffla dedans.
De la fumée sortit par l'autre oreille avec un bruit de bouteille qu'on débouche, et Yygor se redressa.
- Yy-gor. Ca être mon nom.
Puis il resta attendre en souriant bêtement.
Llégion soupira, trop fatigué pour raler comme à son habitude. Puis il s'adressa à Abatik.
- J'ai payé combien pour cet abruti ?
- A-bru-ti. Yy-gor.
- La ferme. Alors ?
- Ben, vous allez rire, Maître…
- Non.
- Son pépé ne sait pas compter, Maître. Et je crois que je me suis trompé en lui rendant sa monnaie.
Llégion eut soudain l'air très intéressé.
- Donc ?
- Je lui ai donné que un dixième de la somme, Maître. A mon avis, il va se faire sonner les cloches par l'agence…
- Ce n'est pas bien, Abatik.
- Désolé, Maître.
- Mais je crois que je réussirai à vivre avec cette idée.
- Mais aussi, Maître.
- Donc, il nous reste de l'argent ?
- Un peu, Maître.
- J'ai une nouvelle idée.
- Aïe ! - Pardon, je voulais dire : chouette, Maître !
- Ta gueule. Il en est où avec ma religion, Mezz ?
- Aux dernières nouvelles, ça avance, Maître. Mais vous savez, la paperasse, ça prend toujours du temps.
- On va prendre un peu d'avance, alors. De quoi a besoin un Dieu Malfaisant ?
- Vaste sujet, Maître.
- Oui. Mais surtout, d'une… ?
- Un plan, Maître ? Mais c'est masculin…
- Par la malepeste ! Une Grand Prêtre ! Si je veux être un Dieu, il me faut un larbin pour s'en occuper !
Abatik n'avait pas l'air franchement convaincu.
- Ce n'est pas un peu tôt, Maître ? D'ordinaire, il faut d'abord avoir la religion qui va avec…
- J'aime pas attendre. C'est pour ça qu'il me faut commencer maintenant. J'y ai réfléchi…
- Aïe…
- Ta gueule - et j'ai conçu un plan.
Abatik soupira.
- On repasse par l'agence, Maître ? Avant qu'ils n'aient des nouvelles du pépé…
- Non, ces trucs-là ne s'achètent pas au marché, surtout si on veut de la qualité et de l'expérience.
- Et c'est quoi le plan, Maître ?
- Devine.
- Euh...
- Mon plan, c'est que tu vas m'en trouver un.
- (Celle-là, j'aurais dû la voir venir…) Bien, Maître.
- Et dépêche-toi, je n'ai pas toute la journée.
Moustaches n'avait toujours pas réussi à reprendre son calme. Un Orc débile à la place de… Quelle erreur stupide ! Il allait devoir tout reprendre. Mais l'idée du Démoniste l'intriguait. Il y avait là matière à réflexion.
Puis le rat éternua.
***
Chapitre 118 : Retour à Fossoyeuse
- Alors, petit, toujours en chasse ?
Vimayre s'inclina devant la Maîtresse des Démonistes de Fossoyeuse
- Oui, madame. Mais j'ai perdu la piste à Orgrimmar.
- Je ne l'ai plus vu depuis la dernière fois, petit.
- ...
- Tu es bien silencieux, petit.
- C'est-à-dire... C'est la première fois que vous me donnez une information sans jouer avec mes nerfs. Ca surprend.
La Démoniste éclata d'un rire sadique.
- Je crois que je commence à avoir pitié de toi, petit. Surtout quand on connaît ton client.
- Je le connais de plus en plus, madame, et je commence à comprendre à qui j'ai vraiment affaire. D'où ma prudence.
- Ta prudence ?
La Démoniste semblait sincérement étonnée.
- Pour ce minable ?
- C'est... plus compliqué, madame.
- Et bien... Ce Llégion est décidemment bien surprenant.
- Je suis d'accord, madame. De plus, d'après un garde d'Orgrimmar, il serait maintenant au courant de mon existence.
- Je l'ai dit au Diablotin.
- ... Merci, madame.
- Un peu plus de fiel dans la voix, petit. Mais ne le prends pas personnellement. Il faut bien lui laisser une chance, même infime.
- Le problème, madame, c'est que son Diablotin aurait trouvé une solution. En est-il capable ? Vous qui connaissez si bien les arcanes de la Confrérie...
La Démoniste réfléchit un moment.
- Il existe plusieurs possibilités. Mais aucune pour un minable comme lui. Il faudrait connaître parfaitement les lois et réglements pour de telles opérations...
- Vous semblez avoir des doutes, madame ?
- Tu dis qu'il serait plus dangereux que ce qu'il montre ?
- C'est... compliqué, apparemment. Et pas certain. Mais possible.
- Son Marcheur du Vide, c'est Mezznagma. Un vrai fléau, spécialiste en droit...
Vimayre laissa la Démoniste réfléchir en silence.
Puis elle soupira.
- Il peut tenter quelque chose. Tout dépend de son Marcheur.
- Vous pouvez m'en dire plus, madame ?
- Hors de question. Je dois en référer au Conseil. Cette histoire ne me plaît pas. Maintenant, laisse-moi.
Vimayre allait répondre quand il vit le démon personnel de la Démoniste, Lucifer, se rapprocher - et décida donc d'aller voir ailleurs.
Mais il n'avait toujours pas de piste...
***
Chapitre 119 : J'aime les chats
Llégion relit une nouvelle fois l'affiche qu'il tenait à la main.
Vous ne croyez plus en rien ?
Vous cherchez un nouveau Dieu ?
Vous êtes ambitieux et déterminé ?
Alors n'hésitez plus !
Llégion le Magnifique,
Génie du Mal,
plus grand cerveau criminel d'Azeroth
futur Maître du monde
futur Dieu malfaisant
RECRUTE
un Grand Prêtre Maléfique
pour fonder sa religion, convertir des fidèles et égorger ses ennemis
Recrutement à Orgrimmar, près de la banque
Références et expérience exigées
N'HESITEZ PLUS !
LLEGION WANTS YOU !
Llégion avait décidé de ne pas passer par une agence de placement pour recruter son Grand Prêtre. Après tout, un séide n'a pas besoin de recommandations particulières, alors que quand il s'agit de fonder une religion, il vaut mieux être sûr de son coup.
Il avait donc passé la journée à coller ses affiches un peu partout à Orgrimmar, Pitons du Tonnerre et Fossoyeuse avant d'installer un stand à côté de la banque de la cité des Orcs.
Enfin, pour être tout à fait précis, Yygor avait fait le tour des villes pour s'occuper de la corvée. Deux fois, puisque la première fois il était arrivé on ne sait comment à Reflet de Lune où il avait perdu ses affiches dans le lac. Abatik avait dû l'accompagner la deuxième fois, pour être sûr.
Puis il avait ensuite fait le stand pour son patron. Quatre fois, vu qu'il avait du mal à comprendre ce que voulait Llégion, qui avait fini par le monter lui-même en râlant.
Enfin, après de nombreux efforts et une bonne nuit de sommeil, il avait pu s'installer au petit matin dans un confortable fauteuil pour attendre les innombrables postulants. Il était néanmoins légèrement inquiet au sujet des tests : en avait-il fait imprimer suffisamment ? Ne devrait-il pas en sortir une nouvelle série de mille ? Buck était prêt à galoper jusqu'à l'imprimerie si nécessaire.
…
Le soir venu, son enthousiasme était légèrement redescendu. Il n'avait reçu que deux candidats, en fait un Orc cherchant l'entrée de Ragefeu et un clodo puant l'alcool qui lui avait tenu la jambe pendant une heure.
Abatik en avait profité pour attaquer le dernier roman de Stéphane Roi – un écrivain démon très populaire en-bas.
Mezz savourait sa journée de récupération - l'administration se révélait plus coriace que prévue, mais il avait pris rendez-vous pour le lendemain auprès d'un chef de service-adjoint dont il espérait beaucoup.
Seln avait retrouvé des copines des Enfers, venues faire une virée et s'encanailler chez les mortels. Thrall avait essayé de prévenir les parents des Succubes pour qu'ils viennent les récupérer, mais ils étaient tous partis en vacances au Temple Noir. Autant dire que la ville était à deux doigts de sombrer dans le chaos.
Zaza avait commencé et fini l'extermination systématique de tous les compagnons des aventuriers présents, et commençaient une nouvelle dépression étant donné l'absence de lampadaires pour compenser.
Buck, quant à lui, et comme à son habitude, restait planqué hors de la ville, de crainte d'être reconnu. Surtout des Succubes en qui il avait reconnu - avec un frisson de crainte - le noyau dur de son fan-club.
Le nouveau venu, Yygor, était resté debout derrière son patron pendant toute la journée, ne s'agitant que pour se livrer à ses activités favorites, à savoir se gratter, se curer les ongles, nez et oreilles, et sourire bêtement.
En un mot comme en cent, Llégion avait passé une journée habituelle. Complètement pourrie donc. Et il commençait à en avoir marre.
C'est alors qu'il passait ses nerfs sur un Yygor toujours aussi stoïque que l'impensable se produisit : un candidat.
Ou plutôt "une".
Llégion resta un moment silencieux devant l'apparition qui le regardait fixement après s'être assise devant lui, hésitant à se décider. Puis il prit une respiration profonde et se décida à attaquer.
Après tout, ce n'était pas comme si il avait le choix.
- Je n'ai mis aucune affiche à Lune d'Argent.
- Je sais. Je les ai vu à Fossoyeuse.
- Ce n'était pas un oubli.
- C'est votre droit.
- Je veux dire que je l'ai fait exprès, de ne pas mettre d'affiches à Lune d'Argent.
- J'ai des références.
- Vous êtes une Elfe de Sang.
- Bien vu.
- Je le sais à cause de l'échancrure de votre bustier. Une sale manie, si vous voulez mon avis.
- Si ça ne vous plait pas, pourquoi vous n'arrêtez pas de regarder ?
- Parce qu'il n'y a rien à regarder. On dirait une plache à repasser.
- Je ne suis pas là pour ça, mais pour un emploi.
- Vous êtes une Elfe de Sang.
- Vous l'avez déjà dit.
- C'est un emploi sérieux.
- Je suis sérieuse.
- Je veux dire, pas un emploi où on fait des blagues.
- Je n'ai aucun humour.
- Ah bon ?
- Oui.
- Pourquoi ?
- C'est pas mon truc.
- Vous êtes une gothique ?
- Non.
- Vous êtes malade ?
- Le toubib a dit que non.
- Vous avez vu un médecin ?
- Mes parents étaient inquiets.
- A cause de l'absence d'humour ?
- A cause des chats.
- Pardon ?
- J'aime les chats.
- Comme tous les Elfes.
- J'aime quand ils gigotent.
- Je croyais les chats plutôt endormis.
- Pas les miens.
- Pourquoi ?
- Je ne sais pas.
- Vous leur faisiez un truc ?
- Rien d'inhabituel.
- Comme quoi ?
- Le genre de trucs qu'on fait avec des chats.
- En particulier ?
- Manger leurs yeux, par exemple.
- Ils étaient morts ?
- Qui ça ?
- Les chats.
- Non. Pourquoi ?
- On ne fait pas ça avec des chats.
- Ah bon ?
- Non.
- C'est ce qu'avait dit le toubib avant.
- Avant quoi ?
- Avant de se taire.
- Pourquoi il a arrêté de parler.
- Je ne sais pas. Sa langue avait l'air normale.
- Comment vous le savez ?
- J'ai eu le temps de la voir avant de l'avaler.
- Oh.
- Elle avait le même goût que toutes les langues.
- Oh.
- Mais je préfère les yeux.
- Oh.
- Ca croque, c'est sympa.
- Oh.
- Et pour l'emploi ? J'ai des références.
- Ah.
- Vous avez perdu votre langue ?
Moustaches observa Llégion, encore plus blême que d'habitude, reculer précautionneusement sa chaise. Ca, c'était inattendu… Et très dangereux. Il allait devoir faire attention.
Puis le rat se cacha derrière les bottes du Démoniste.
***
Chapitre 120 : Qui tu appelles Poulett, connard !
Llégion resta un moment silencieux. Un coup d'œil autour de lui lui permit de vérifier l'absence de ses démons. En fait, seul Moustaches était encore là.
Etrangement, cela n'était pas pour le rassurer…
- Ca va ?
- Un truc qui passe mal.
- Vous voulez que je regarde ?
- NON !
Llégion s'était levé brusquement. Mais voyant l'absence de réaction de l'Elfe, il se rassit doucement – tout en veillant à se ménager un espace pour fuir.
- Vous avez parlé de références…
- Oui.
- Et ?
- Et quoi ?
Llégion se demanda un bref instant si l'Elfe n'était pas en train de se moquer de lui.
Un rat passa alors juste à côté de la table, s'arrêta net à la vue de Moustaches et commença alors à reculer, le museau tremblant.
Il y eut alors un grand "splatch" quand la massue de l'Elfe écrasa le rat. Puis elle se pencha, sans quitter son air blasé, ramassa les restes et, sans prêter attention à ce qui se passait autour d'elle, se mit à croquer dans le petit corps encore frémissant.
Le rat remuait encore un peu, et poussa même un petit couinement quand elle mordit dans son ventre. Les os craquèrent, tandis que du sang dégoulinait sur son menton.
Quelques aventuriers qui passaient à côté s'étaient arrêtés, et certains parmi eux vomirent.
L'Elfe termina son "repas", s'essuya négligemment ses mains pleines de sang sur son pantalon et regarda à nouveau Llégion. Qui ne pouvait détacher son regard du sang souillant son menton, accompagné de quelques poils.
- Euh…
- Oui ?
- Vous faites ça souvent ?
- Ca quoi ?
- Ca.
- Je ne comprends pas.
- Vous venez d'écrabouiller un rat et de le bouffer.
- Et alors ?
- C'est… glauque.
- J'avais faim.
- Ca ne se fait pas.
- Ah bon ?
- Oui.
- Pourquoi ?
- C'est horrible.
- Et ?
- J'ai vu des types vomir.
- Et ?
- On pourrait croire que vous êtes tarée.
- Et ?
Llégion allait répondre "Vous êtes une foutue saloperie de psychopathe" mais il se retint prudemment.
- Pour vous, c'est un truc normal ?
- Oui.
- Donnez-moi vos références.
L'Elfe sortit une enveloppe de sous son bustier qu'elle tendit à Llégion. Celui-ci la prit délicatement, faisant bien attention à ne pas toucher les taches de sang. Il remarqua au passage que ce n'était pas les premières.
Il sortit une mince liasse de feuillets de l'enveloppe, et les lut pendant quelques minutes.
- Vous vous appelez donc… Poulett.
- QUI TU APPELLES POULETTE, CONNARD !!!
La dénommée Poulett avait plus rugi que hurlé, et s'était levée si brusquement que sa chaise avait volé à quelques mètres. Elle braquait aussi sa masse en direction de Llégion, un air de démence dans les yeux et le visage déformé par la rage.
Llégion n'avait pas bougé un muscle, et après avoir laisser passer quelques secondes, reprit la parole.
Sa voix ne tremblait même pas.
- Et vous êtes donc Prêtresse.
- Oui.
L'Elfe reprit son calme et son air blasé instantanément, redressa sa chaise et se rassit.
- Vous avez servi plusieurs Génies du Mal, à ce que je vois.
- Oui.
- Satanicus le Dément… Il n'a pas été massacré par des Nains ? Il était comment ?
- Fade. J'ai dû le saler.
- Ah. Puis Messalina la… la "Chaudasse" ? Ces noms… Tuée par un Mage. Et elle était… ?
- Tiède. Et je n'avais pas de feu.
- Oh. Je vois aussi le nom de Io le Clairvoyant. Il a eu les yeux crevés, non ?
- J'ai pu les manger avant.
- Ah. Vous avez toujours mangé vos employeurs ?
- Oui.
- Avant ou après leur mort ?
- Après.
- Pourquoi ?
- Le contrat m'interdisait de le faire avant.
- Hum… Bon à savoir. Et vous voulez que je vous embauche, c'est ça ?
- Oui.
- C'est un poste de Grande Prêtresse de futur Maître du monde.
- D'accord.
- Quelle sera la première chose que vous ferez en arrivant ?
- Un dîner.
- … Euh… On va dire que… Bref ! Vous vous y connaissez en sacrifices humains ?
- J'en ai entendu parler. Ca a l'air drôle.
- J'imagine… Vos trois qualités principales ?
- J'obéis sans poser de questions. Je suis toujours disponible. Je mange de tout.
- Euh… Et vos trois principaux défauts ?
- J'obéis sans poser de questions. Je suis toujours disponible. Je mange de tout.
- Je vois… Des questions ?
- Devrais-je me vautrer dans le stupre et la luxure avec vous, et enfanter votre progéniture malfaisante ?
- Pourquoi cette question ?
- Ca se fait.
- J'ignorais… On va dire pas toujours. Pas forcément. Pas du tout, même. En fait, je ne préfère pas.
- Bien. Salaire ?
- Oui.
- Des primes ? Avantages sociaux ?
- Vous verrez avec Mezz. Mais le connaissant, on va dire oui.
- D'accord.
- Toujours partante ?
- Oui.
- Alors laissez vos coordonnées, on vous écrira si vous êtes retenue.
- D'accord.
Poulett resta silencieuse devant Llégion, puis voyant que la conversation était finie, se leva et repartit vers l'hôtel des ventes.
- Alors, Maître, vous avez trouvé votre bonheur ?
- Abatik. Tu étais où ?
- Euh… En fait, j'ai retiré de l'argent à la banque, Maître.
- Bien sûr…
- Alors, Maître ?
- Une Elfe de Sang. Elle s'appelle Poulett.
- Vous allez la prendre, Maître ? Une Elfe ?
- Abatik ?
- Oui, Maître ?
- Tu ne dis JAMAIS son nom. Et tu évites de laisser traîner des trucs vivants à portée d'elle. Voire de traîner tout court.
- Elle si grave que ça, Maître ?
- Tu n'as pas idée. Alors on va la laisser se débrouiller, lui faire de grands sourires, et surtout…
- Maître ?
- On oublie cette tarée. Définitivement.
Moustaches eut du mal à se retenir. Il jubilait réellement. Poulett ! Le Démoniste avait failli embaucher Poulett ! Même s'il l'avait voulu, il n'aurait jamais pu arriver à un aussi formidable résultat. Quelle chance !
Puis le rat grignota les morceaux du rat laissés par l'Elfe.
***
Chapitre 121 : Un nouveau plan
- Bon, ça ne marche pas.
- Quoi donc, Maître ?
Llégion ruminait sa mauvaise humeur en attendant dans le salon de coiffure d'Orgrimmar.
- Le recrutement. Faire ça à l'ancienne ne fonctionne pas. Je ne tombe que sur des débiles ou des tarés. Passe-moi le journal.
- Tenez... Vous êtes dur, Maître. Vous avez Yygor...
- Je l'ai viré.
- Et vous... Pardon, Maître ?
- Je l'ai viré. Il arrétait pas de péter, et la conversation d'un débile, ça va bien cinq minutes. Je suis Llégion le Maléfique, pas une de ces tarlouzes d'Elfes ! Rhaaa ! Quelqu'un a fait les mots croisés !
- Vous auriez le dernier Orgri-Match, Maître ? Et la Poulett ? Elle est où la Poulett ?
- Premièrement, c'est un Elfe. Deuxièmement, c'est une femelle. Troisièmement, c'est une femelle elfique, ce qui est pire que tout. Et quatrièmement, elle est complétement, totalement et définitivement tarée. Tiens, je l'ai fini.
- Moi, je la trouvais drôle, Maître. Merci.
- ... J'aime pas ton humour, Abatik.
- Hum... Alors on fait quoi, Maître ? Je me permets de vous signaler que vos finances ne nous permettent guère de folie.
- Comme d'habitude, Abatik. D'ailleurs, récupère quelques revues, ça fera ça de moins en achat de foin pour le canasson. Non, il me faut une idée. Quelque chose de nouveau, de frais, qui attire les foules et qui fasse parler de moi.
- Vous parlez d'un plan marketing, Maître ?
- Une marque de quoi ?
- Oups... Je veux dire, un genre de fête, Maître, ou de concours, pour rameuter le pigeon...
- Qu'est-ce que tu viens de dire ?
Llégion s'était redressé soudainement, faisant tomber la lourde pile de journaux sur ses genoux.
- Un concours, Maître ?
- Un concours... Oui... Oui ! Une idée brillante, Abatik !
- Merci, Maître. Mais concrétement ?
- Je vais organiser un genre de concours en public, qu'on appellerait... "Séides Academy" ! Ou bien… "A la recherche du nouveau Séide" ! Oui ! C'est ça !
- Ah bon, Maître ?
- On met des affiches partout, et on invite tout le monde à faire son numéro. Oui ! Ca c'est une idée !
- Mais Maître, les idées, c'est à moi de les trouver...
- Tu en penses quoi ? Sois franc.
- Euh... Deux objections, Maître ?
- Vas-y.
- En un, on va se farcir tous les crétins d'Azeroth avec ce genre de truc, Maître.
- On fera ça à Baie du Butin, comme d'habitude, comme ça, on pourra les balancer à la flotte. Je commence à avoir le coup de main, maintenant.
- Et en deux, c'est du boulot, Maître.
- Exact ! Et tu sais quoi ?
- ... Je vais m'en occuper, Maître ?
- Encore exact ! Tu vois que tu y arrives, quand tu veux !
- Oui, Maître... Quelle surprise...
...
- Je préférais avant.
Llégion leva les yeux au ciel en se retenant de pester. Surtout que Seln n'avait pas tort...
Il avait opté pour une nouvelle coupe de cheveux, mais le résultat n'était pas brillant. Au lieu de sa queue de cheval moisie à la base de son crâne chauve, il arborait maintenant une sorte de tonsure, d'autant moins satisfaisante que le coiffeur gobelin avait dû se débrouiller avec les quelques cheveux qu'il lui restait.
Et la couleur était ratée.
Pour tout dire, Abatik avait du mal à garder son sérieux, Mezz avait levé un sourcil, Zaza s'en fichait et Buck avait demandé si son Maître ne préférait pas mettre un chapeau ou un capuchon avant de monter sur son dos.
Et Seln avait fait la moue. Venant de sa part, cela signifiait que c'était une horreur.
- Le Gobelin avait l'air convaincu, Seln - Abatik, arrête de rire, tu m'énerves !
- Pffrr... Oui, Maître... *manque de s'étrangler*
- C'est lequel qui t'a coiffé, mon Llélé ?
- Un Gobelin. Ils se ressemblent tous.
- C'est le petit avec des verrues sur le nez, ou le moyen qui n'arrête pas de renifler ?
- Qu'est-ce que j'en sais, Seln ! Celui avec les verrues, je crois.
Seln secoua la tête en soupirant.
- Mamour, il va falloir que je m'occupe de toi... Tu ne peux pas faire n'importe quoi ! En plus, tu as le cheveu raide, il faut ABSOLUMENT que tu apprennes à utiliser les bons produits !
- Je...
- D'abord, il faut s'occuper de ta peau, mon loulou.
- Tu...
- On va aller à Lune d'Argent...
- Non.
- Si, tu ne discutes pas. Je connais un très bon établissement, tu vas voir, tu en sortiras propre comme un sou neuf !
- Sauf...
- Et on va changer cette coupe de cheveux. Quel incapable, ce Gobelin ! On va te remettre ta queue de cheval, elle est si mignonne, en plus, ça te va TELLEMENT bien !
- Rh...
- Et tu te tais !
- Qu...
- Chut !
- Je...
- Llégion !
- ... Oui, Seln ?
- Il est temps que je m'occupe de toi ! J'en ai assez de tes pitreries !
- ... C'est quand même moi le Maître, Seln...
- Mais oui, mon choubichounet ! Regarde-le, Zaza ! Il s'inquiéte !
- Wif !
- Non, je vais seulement m'occuper de ton apparence. Tu sais, mamour, si tu veux devenir Maître du monde, il faut que tu sois bien habillé et propre sur toi. C'est important, l'apparence... Quoi, qu'est-ce que j'ai dit ?
Llégion regardait la Succube d'un air estomaqué.
- Tu es au courant que je suis en train de conquérir le monde ?
- Ben oui.
- Moi, Llégion ?
- *pouffe* Tu n'arrêtes pas de le répéter, mon lapin !
- Mais tu ne t'intéresses jamais à ce que je fais !
- Bien sûr que si ! Je m'intéresse à ce que fais mon petit Llélé d'amour à moi !
- Seln ?
- Oui, mon roudoudou ?
- Parfois, tu m'inquiètes.
- Oh ! Regardez-le s'inquiéter pour sa Selneri ! Qu'il est trognon ! Hein que papa est trognon mon Zazounet ?
- Grrr...
- Mais si !
- Wif !
- De toutes façons, la priorité, c'est de retourner voir un "vrai" coiffeur. Pas un de ces escrocs d'Orgrimmar. Donc, on va à Lune d'Argent.
- Pas tout de suite, Seln.
- Mais tu as une tête TELLEMENT horrible, mon Llélé !
- Tant mieux. Non, on va d'abord terminer cette histoire de concours.
- Un concours ? Un concours de quoi, mamour ?
Llégion lança un regard affligé à Abatik qui se contenta de hausser les épaules tout en essayant de conserver son sérieux.
- Seln ?
- Oui, mon chéri ?
- Contente-toi d'être là. Je m'occupe du reste.
- Il faut que je mette quelque chose de spécial, mamour ?
- Fais comme tu veux.
- Mais c'est important, mon choubichounet !
- Tout te va de toutes façons, alors fais-toi plaisir.
- ...
- Quoi ? Qu'est-ce que j'ai dis encore ?
- Alors là, c'était gentil. Tu vois quand tu veux !
Llégion bougonna.
- Oui, bon... En plus, c'est vrai... Heureusement, parce que le futur Maître d'Azeroth se doit d'être entouré des meilleurs ! Pas d'une bande de pouilleux !
Seln sourit.
- Mais oui, mon lapin.
- Bref ! Demain, tout le monde se lève tôt. Le concours commencera à l'aube.
Llégion tourna les talons et se dirigea avec une vigueur un peu trop forte pour être naturelle vers l'auberge où il louait une chambre.
Seln le suivait en trottinant et en souriant, Zaza sur ses talons.
Abatik et Mezz se lancèrent un regard.
- (voix caverneuse) Ca va mal finir cette histoire, Abatik.
- Mais non...
- (voix caverneuse) Moi je dis que si. Il est de plus en plus bizarre je trouve.
- C'est juste que notre Maître grandit. Il quitte l'adolescence pour entrer dans l'âge adulte.
- (voix caverneuse) Très drôle. Mais je ne le sens pas.
- De toutes façons, ça foire toujours avec lui. On fera comme d'habitude : on improvisera et on gérera.
- (voix caverneuse) Si on pouvait éviter de me faire tuer cette fois-ci...
- Là, je ne peux rien promettre...
Moustaches se gratta une oreille. Demain allait être une journée intéressante. Peut-être même qu'avec un peu de chance, il y aurait... Sinon, ce sera quand même une journée profitable.
Puis le rat alla rejoindre Llégion en trottinant.
***
Chapitre 122 : Perdu dans l'espace
- Donc, voilà où j'en suis : aucune piste, même la Maîtresse des Démonistes de Fossoyeuse ne sait rien, en plus, il est au courant et son Diablotin aurait un plan pour me couillonner. D'où mon problème : je fais quoi maintenant ?
Sanguina, couchée aux pieds de son compagnon attablé à l'auberge de la Croisée, leva la tête et jeta un oeil vers lui. Vimayre semblait abattu, et avait à peine touché à son verre - malgré le fait que l'aubergiste, comme d'habitude, lui en avait demandé le double du prix "parce que j'aime pas les Taurens".
Puis le raptor se tourna vers deux clients, un Guerrier Tauren et un Chaman Troll qui discutaient avec animation.
- Je ne vais quand même pas fouiller tout Azeroth ? En plus, le temps de retrouver une piste, il aura encore filé. Ca, il faut le reconnaître, s'il le fait exprès, il est sacrément fort.
Vimayre soupira à nouveau tandis que Sanguina tendait l'oreille, attentive à la conversation des deux Hordeux.
- Tu weux diwe qu'il t'a chawgé, comme ça, sans waison ?
- Ouais, j'étais tranquille, tu vois, en train de boire une bonne bière - avec les potes, on venait de se faire une virée chez l'autre pouffe de Jayna, et je peux te dire qu'on s'est bien marrés...
- N'empwêche, la dewnière fois que j'y suis wallé, la blwondasse m'aw télépowté en plwein au dessus dwe Stwanglewonce. J'wai eu chwaud aux fesses !
- Ca, elle est fortiche, pour une blonde.
- Swi ça se twouve, ça en est paws une vwaie.
- Faudra demander à Thrall - il paraît qu'il a des infos !
Les deux compères éclatèrent de rire, tandis que Sanguina se tournait à nouveau vers Vimayre qui chipotait le bol de cacahouètes.
- Et donwc ?
- Ouais, donc j'étais là, tranquille, avec ma bière, j'emmerdais personne, tu vois.
- Twanqwille.
- Ouais, et l'aut' con qui se met à hurler, euh... "Pas nounours ! TAPER !!!" et qui me fonce dessus !
- "Paws nounouws" ?
- Ouais, un débile, quoi. Un Orc.
- Suwtout qwand on sait qwe tu l'as depwis des années, ton nounouws.
- Ben ouais, c'est un cadeau de mamie. Il aurait pu me demander, quoi, on est pas des bêtes.
- Il étwait fowt, le dwébile ?
- Tu parles ! Un branleur, oui ! Je l'ai assommé d'une main. Et là, l'autre grand chauve - il avait l'air encore plus con que l'Orc - qui me pête un scandale, comme quoi j'ai pas le droit d'abîmer la marchandise, tout ça...
- Twu l'as claqwé ?
- Ben non, tu sais bien, j'aime pas taper sur les Morts-Vivants, j'ai toujours peur de leur arracher un truc...
Sanguina tendit la tête vers les Hordeux, soudain très attentive.
- Wemawqwe, la dewnièwe fwois, le juge a étwé sympwa, tw'as eu qw'un awewtissement.
- Ouais, mais quand même. Par contre, t'aurais vu le canasson... Un de ces bestiaux de Démoniste, mais carrément hyper-classe ! P'tain, tout le monde était scotché !
- Cwa dewait êtwe un supwer dDwémo, alows, le genwe à awller cowller des bwaffes à Illidan pouw s'occwuper.
- Même pas ! Un minable ! Avec un tas de démons tous plus miteux les uns que les autre - sauf peut-être le rat... *frisson* Celui-là, il m'a fichu les chocottes...
Sanguina, surveillant toujours les deux Hordeux, se mit à gratter la jambe de Vimayre pour attirer son attention.
- Fous-moi la paix, Sanguina...
- Rrrr ! RRRR !!!
- Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ?
- Rrrr !
Vimayre jeta un oeil sur la table et se figea.
- ... Et donc, là, il embarque l'autre abruti d'Orc sur ce cheval - enfin, c'est le gros machin bleu qu'ils trimballent partout...
- Un Mawcheuw dwu Wide.
- Ouais, voilà, et le canasson, il faisait, genre, précieux - faut dire qu'un gars puant sur un bestiaux de cette classe ! Ca faisait pitié. Et l'autre grand con qui gueule, qui m'insulte - remarque, c'est la première fois qu'on me traite de... Comment c'était, déjà ? Ah ouais, "mal à ta peste".
- Malpeste ! Par la malpeste !
Vimayre venait de se précipiter sur la table, l'air à moitié fou.
- Ouais ! C'est ça ! Dites, vous êtes qui, vous ?
- Owais, on aimewait wester twanqwille...
- Ta gueule, merdaille !
- Eh !
- Vimayre, Contrôleur Principal ! Quand l'avez-vous vu ? Le Mort-Vivant ?
- Mewde, les impwôts... Bon, je twe laisse, hein, j'awais paws wu l'heuwe...
- Faux-frère...
Vimayre ignora le Troll qui prenait la poudre d'escampette et agrippa le Guerrier par le devant de son habit.
- C'ETAIT QUAND ???!!!
- Eh, cool mon frère. C'était il y a quoi... Quelques jours ? A Grom'Gol.
- Grom'Gol ! Il était à Grom'Gol !
- Faut croire. Il a piqué le canasson ? Je me disais bien...
- Où est-il allé ? OU ?!
- C'que j'en sais... Je l'ai pas suivi.
- Je...
Vimayre lacha le Tauren et s'effondra dans un siège.
- Bordel ! Où il a pu aller ?
- Si c'est le Mort-Vivant que vous cherchez...
- Oui ! OUI !
- ... je l'ai vu ensuite à Orgrimmar. Il avait monté un stand près de la banque. J'ai cru qu'il faisait des dédicaces, et... Ben le voilà parti.
Vimayre s'était rué dehors et avait sauté sur le dos de son kodo, qui se mit à trotter tranquillement après avoir lâché une galette juste sur les pieds d'un garde.
- Il est pawti ?
- Ouais. T'as toujours pas payé la pension de ta femme ?
- Bwen non.
- Si t'avais fait comme pour les autres, aussi. Pourquoi tu l'as pas bouffée ?
- Jwe faiwsais un wégime....
Pas très loin de là, Moustaches sentit une sourde angoisse monter en lui. Le moment tant attendu approchait... Tout serait-il à la hauteur ?
Puis le rat pissa sur un lampadaire.
***
Chapitre 123 : No more heroes any more
NB : Toute ressemblance avec une scène de "Mystery Men" ne serait pas du tout une coincidence, vu que j'ai tout pompé dessus !
…
Whatever happened to Leon Trotsky ?
He got an ice pick
That made his ears burn
Whatever happened to dear old Lenny ?
The great Elmyra and Sancho Panza ?
Whatever happened to the heroes ?
Whatever happened to the heroes ?
Whatever happened to all the heroes ?
All the Shakespearoes ?
They watched their Rome burn
Whatever happened to all the heroes ?
Whatever happened to all the heroes ?
No more heroes any more
No more heroes any more
Whatever happened to all the heroes ?
All the Shakespearoes ?
They watched their Rome burn
Whatever happened to the heroes ?
Whatever happened to the heroes ?
No more heroes any more
No more heroes any more…
…
Llégion s'était levé d'humeur passable, notamment à cause de la tempête durant la nuit et du trou dans le toit.
Donnant directement dans sa chambre.
Pile au dessus de son lit.
La tête de son lit, bien entendu.
Après s'être préparé, le futur Maître du monde sortit affronter son destin... Malgré l'intense campagne de "publicité" - un mot que lui avait appris Abatik - Llégion partait du principe que son concours allait faire un bide.
Question d'habitude.
Il fut donc agréablement surpris en découvrant une petite foule assemblée sur les quais de Baie du Butin, attendant dans un brouhaha que le jury daigne paraitre.
Sa surprise fut moins agréable en voyant les tenues des candidats...
Llégion fit un signe discret à Abatik.
- Abatik ?
- Oui, Maître ?
- C'était quoi le mot que tu as employé hier ?
- "Crétins", Maître ?
- Oui, c'est ça... Finalement, "pignoufs", ça me paraît mieux.
- Pour une fois, je suis d'accord avec vous, Maître.
- Ils ont l'air graves.
- Je vous avais prévenu, Maître. Mais c'est vrai que là, on fait fort.
- Il est encore temps d'annuler ?
- Je ne pense pas, Maître. Certains sont plus expérimentés que vous.
- Bon, au moins, ça ne me change pas de mon ordinaire.
- On ne sait jamais, Maître, il y en a peut-être des biens...
Llégion haussa un sourcil en regardant le Diablotin.
- C'est gentil de faire ton numéro de faux-cul, mais là...
- Effectivement, Maître... On devrait peut-être y aller maintenant ? Histoire de finir rapidement ?
- Ca me parait indispensable.
Llégion s'assit solennellement derrière la table que Mezz avait installée la veille avant de repartir faire sa tournée des administrations.
Abatik s'assit à sa droite, tandis que Buck, réquisitionné pour l'occasion, s'installait à sa gauche. Il avait accepté de participer après avoir vu les vétérans fuir en courant la ville devant l'invasion des candidats.
Il venait de voir les candidats, et commençait déjà à regretter sa décision.
Seln arriva en retard, comme d'habitude, et fut accueillie par un concert de sifflements admiratifs et un glapissement de douleur - celui du Gnome qui avait essayé de lui mettre la main aux fesses et tomba nez à museau avec Zaza.
La Succube avait opté pour un paréo et un petit haut noué sous la poitrine, ainsi qu'un chapeau de paille piqué d'une plume. Elle s'assit d'abord sur le bord de la table, puis se plaça en ronchonnant derrière Llégion après que plusieurs candidats se soient effondrés d'apoplexie devant le spectacle de son croisement de jambes.
Quant à Moustaches, il attendait sous la chaise du Démoniste la suite des évènements.
Llégion frappa finalement du poing sur la table.
- Vos gueules, merdaille ! Bon, au premier de ces minables !
…
Le premier des candidats, un Elfe de Sang, s'avanca, l'air sûr de lui. Il portait une tenue ridicule blanche et rouge, et était affligé d'un peu de bide.
Llégion, penché sur sa fiche, leva la tête :
- Bon, déclinez vos noms et talents.
L'Elfe se mit à sourire d'un air confiant
- Moi, Denis le Gaufrier, avec ma Grille de Justice, j'assomme mes ennemis d'un seul coup, ou... je leur brûle la gueule comme ça.
"Denis" prit alors le gaufrier - si si - qu'il tenait à la main et se l'appliqua sur la joue, dans un bruit de grésil. Le jury grimaça d'écoeurement.
- Ah ah ah ah... zzzzzz.
Puis il sortit de sa poche une bouteille déjà bien entamée et qu'on devinait légèrement gluante et collante, qu'il présenta fièrement au jury.
- J'ai aussi bien sûr ma potion de vérité qui est... 0% matières grasses.
Il se mit soudain à se trémousser comme s'il était prit d'une envie pressante - ce qui était peut-être bien le cas, à bien y réfléchir...
- Et j'ai écrit ma chanson ! C'est genre, euh... : "Gaufreman ! Je suis le Gaufrier. Je grille à point, méchants et vilains !" *rire pseudo-sardonique* Et puis je cours, enfin, vous voyez, et réfléchissez - vous avez une assurance santé dans votre groupe, à propos, dentaire, optique...
Llégion secoua la tête de dépit et barra un nom sur la feuille devant lui.
- Suivant.
…
Le second candidat s'avança. L'Elfe de la Nuit arborait un sourire un peu figé, portait une tenue jaune, des crayons à papier dans sa poche de poitrine et les lettres "PM" à côté. Il se tenait dans la posture classique du super-héros(tm), menton haut et poings sur les hanches. Le jury nota les détails qui tuaient : une cape en plastique transparent et une toque ridicule sur la tête.
Et il zozottait légérement, en plus.
- Zalut. Ze zuis Pointeman.
Un Gnome, habillé exactement pareil, avec la même expression figée, surgit de derrière l'Elfe et se mit à ses côtés dans la même position.
- Et moi, je suis Mini-Pointeman.
- Nous transperzons le Mal.
Abatik soupira, tandis que Llégion barrait encore un nom sur sa feuille.
- Deux générations de...
- Merci.
En partant, le Gnome demanda à l'Elfe :
- (aparté) Ca allait ce que j'ai fait ?
- (aparté) Ze crois qu'on leur a plu.
- (aparté) Ah, super !
…
Le troisième candidat semblait prometteur. Il s'agissait d'un Orc assez costaud avec un air mystérieux, arborant une petite moustache et une barbiche de spadassin. Il était vétu de noir, un masque noir cachant le haut de son visage, et il arriva enveloppé dans une longue cape noire.
Les membres du jury se redressèrent, soudain intéressés par son allure pleine de promesses.
Buck, quant à lui, essayait encore de récupérer du précédent :
- C'est affligeant...
Puis voyant l'Elfe mystérieux, il se redressa lui aussi et attendit la suite avec intérêt.
L'Orc s'approcha, s'arrêta devant la table, et proclama :
- Je suis...
Il ouvrit alors sa cape qui dévoila un justaucorps moulant, noir toujours, un foulard rouge autour du cou et surtout, surtout ! ... un tutu en tulle rose.
- Ballerine-Man !
L'Orc se mit alors à danser et à faire des entrechats, tandis qu'une musique de ballet, venue d'on ne sait où, se mit à se faire entendre.
Le jury était affligé.
- Oh... Qu'est-ce qu'il ne faut pas voir...
Après quelques entrechats, l'Orc s'éloigna en se drapant à nouveau dans sa cape.
Llégion barra encore un nom.
- Merci.
…
Le quatrième - LA quatrième, en fait - était donc une Draeneie brune, vétue d'une tenue très "flashy" ressemblant énormément à la célèbre tenue moulante d'une certaine Femme Merveilleuse(tm). Elle se planta devant le jury, les mains sur les hanches et le menton levé, dans la posture classique du super-héros(tm) que nous connaissons tous maintenant bien.
- Je suis...
- Eh !
Une autre Draeneie, blonde cette fois-ci, mais avec exactement la même tenue, surgit de la foule en rage.
- Tu m'as copiée !
- C'est toi qui m'as copiée !
- Sûrement pas !
- Morveuse !
A la surprise - et joie - générale, la brune colla son poing dans la figure de la blonde et les deux Draeneies commencèrent à se battre... sous les encouragements de la foule toujours la première pour mater... pour regarder deux filles se battre dans la boue.
Les membres du jury se lèvèrent aussi, avec un sourire en coin - mais seulement pour observer, hein...
Abatik se pencha alors vers son Maître, l'air faussement hypocrite.
- Y'a un certain potentiel, Maître
Llégion continuait à regarder avec effarement les deux donzelles se déchirer leurs habits à coups de griffures et de morsures. Abatik hocha la tête.
- J'y crois.
…
Le cinquième, un Humain, avait une dégaine d'Espagnol de carnaval, avec un sabre à la main et un coup - ou deux, ou dix - dans le nez.
- Yé souis Kodo-Ador. Y'adore touer les kodos. Ah ! Ah ! Ah ! Ah !
…
Le sixième prit la forme d'un Tauren plutôt enveloppé, en salopette et avec une tige métallique de forme bizarre sur la tête, ainsi qu'un drôle d'objet mécanique sur le torse.
- Bonjour, amis conquérants du monde. Je suis Radio-Man.
…
Le septième était un Gnome chaussé d'échasses avec, là encore, une tige métallique sur la tête.
- Et moi, l'Antenne !
…
Le huitième, un Nain, portait des lunettes de plongée - très pratique sur la terre ferme - et était "armé" d'un balai pour laver les vitres, sûrement une invention des Gnomes, qu'il mit sous le nez d'Abatik.
- Je suis Balai-Eponge. Vous sentez son pouvoir ?
- Oui... oui, oui.
…
La neuvième était une Morte-Vivante habillée de rouge, un air supérieur sur le visage qui la rendit de suite antipathique au jury.
- Je suis Vengeur Sans Règles. Je ne travaille que 4 jours par mois. C'est un problème pour vous ?
Les membres du jury s'empressèrent de la rassurer dans un magnifique ensemble.
- Non... non, ça va.
- C'est comme vous voudrez.
- Il n'y a rien à redire.
- On vous appellera.
- On vous remercie beaucoup d'être venue.
La Morte-Vivante poussa un soupir d'agacement et s'en alla en leur faisant un geste obscène du doigt.
- Ca va, laissez tomber !
…
Llégion, passablement excédé, se leva alors et jeta son crayon sur la table et la feuille noircie de traits rageurs.
- Rhaaa ! Par la malepeste ! Ca suffit !
…
Whatever happened to Leon Trotsky ?
He got an ice pick
That made his ears burn
Whatever happened to dear old Lenny ?
The great Elmyra and Sancho Panza ?
Whatever happened to the heroes ?
Whatever happened to the heroes ?
Whatever happened to all the heroes ?
All the Shakespearoes ?
They watched their Rome burn
Whatever happened to all the heroes ?
Whatever happened to all the heroes ?
No more heroes any more
No more heroes any more
Whatever happened to all the heroes ?
All the Shakespearoes ?
They watched their Rome burn
Whatever happened to the heroes ?
Whatever happened to the heroes ?
No more heroes any more
No more heroes any more
***
Chapitre 124 : Ca va barder !
- Tu vas me dire où il est allé, sinon je te colle le plus magnifique contrôle fiscal depuis la dernière invasion du Fléau !
Vimayre avait soulevé le Gobelin du salon de coiffure d'Orgrimmar par les oreilles et le tenait à hauteur de son visage, d'ailleurs déformé par la rage.
- *Aïe !* Je l'ignore, monsieur le Contr... *aïe !* le Contrôleur Principal. Je vous... *aïe !* je vous le jure !
- Tu es coiffeur ! On te raconte tout ! Même quand on ne veut pas parler, tu nous emmerdes avec tes conversations sans intérêt ! Alors parle ! PARLE !
- Je ne sais... *aïe !* pas. Juré ! Il n'a... *aïe !* rien dit ! Il était énerv... *aïe !* énervé !
- Il est TOUJOURS énervé ! Et moi fou de rage ! Parle !
- Je vous j... *aïe !* jure ! Il a seulement demand... *aïe !* demandé s'il pouvait... *aïe !* pouvait mettre une affiche. *aïe*
- Une affiche ?!
- Oui, là *aïe !*
Vimayre lâcha brutalement le Gobelin qui tomba par terre et se releva en se massant les oreilles, devenues extrémement rouges.
- Là, je l'ai mise sur la devanture. C'est un genre de concours...
Vimayre arracha l'affiche et la relut attentivement. Puis, lentement, un sourire sadique apparut sur son visage.
- Quel jour sommes-nous, coiffeur ?
- Merde, vous avez failli m'arracher les oreilles ! Vous ne savez pas qu'elles sont fragiles ?
Vimayre se retourna vers le coiffeur qui se tut et déglutit en voyant sa tête.
- Euh... Mercredi. C'est pour ça qu'il y a des gosses partout.
- Et quelle heure est-il ?
- Je dirais... 11h, au soleil.
- Et ce concours, il y a eu des gens intéressés ?
- Ben, bizarrement, oui. Par contre, que des nazes.
- Bien.
Vimayre relut à nouveau l'affiche, le sourire toujours aux lèvres.
- Baie du Butin. A 10h. Ce mercredi.
Puis il lança un regard à Sanguina, qui se mit à pousser une sorte de rire cruel.
- Les affaires reprennent, ma belle. On va manger du macchabé ce midi.
Le Tauren et le raptor partirent vers la tour des wyvernes à pas rapides.
Le Gobelin secoua la tête en soupirant.
- On voit vraiment de ces tarés, tiens. J'aurais dû suivre les conseils de mon père et m'installer chez les Gnomes... Au moins, j'aurais été peinard, à Gnomeregan... Bon, vous avez eu le temps de choisir ?
Le Gobelin retourna vers son client, un Elfe de Sang.
- Peut-être une coupe facile à entretenir, qui n'offre pas de prise aux ennemis ? La brosse est un classique...
- Moa jve la mém ke Sangoku !!! jador se meque !!! lol !!!
- *soupir* Et une coupe "Pêteux inculte", une !
- lol !!!
***
Chapitre 125 : Retour aux sources
Llégion souffla sur son bâton pour le refroidir, puis remit son bandeau en place.
- Il en reste encore ?
- Non, Maître. Ceux que vous n'avez pas jetés à l'eau ou cramés directement ont préféré s'enfuir.
- Ils sont moins bêtes qu'ils n'en ont l'air alors.
- Je n'irais pas jusqu'à là, Maître... C'était plutôt une question d'instinct de survie.
Llégion regarda autour de lui en fronçant les sourcils. La table n'était plus d'un tas de cendres fumantes, et là où se tenaient les candidats était répandu tout un assortiment d'armes, d'armures et d'objets divers abandonnés par leurs propriétaires au moment de leur fuite.
Il faut dire que la colère de Llégion avait été spectaculaire, au point de rameuter les gardes Gobelins qui, au lieu d'intervenir, s'étaient contentés de regarder en mangeant leurs sandwiches de déjeuner.
Ils avaient aussi applaudi à la fin.
- Je pense à un truc, Abatik.
- Aïe !
- Ta gueule. Ca doit valoir du fric, le fatras abandonné là.
- Vous lisez dans mes pensées, Maître. Je m'en occupe avec le canasson ?
- Fais donc ça.
Le Diablotin mit deux doigts dans sa bouche et poussa un coup de sifflet strident.
- Buck ! Ramène tes fesses !
- Ami Abatik, je me permets de vous objecter...
- On s'en fout, vieux. Je récupère le matériel. Toi tu le portes.
- Plaît-il ? Euh... Monseigneur ?
- Quoi ?
- Oserais-je objecter, Monseigneur, que je ne saurais point être considéré comme une vulgaire bête de somme... Même si je ne suis qu'une simple monture, ma fonction...
- Buck ?
- Oui, Monseigneur ?
- Ta gueule.
- Oh.
- Et dépêche, je suis pressé.
- *soupir* Une monture de mon envergure...
Llégion se retourna et tomba nez à nez avec Seln qui lui passa une main sur le crâne.
- Tu vois, mamour, tu es tout décoiffé. Tu n'aurais JAMAIS dû aller dans ce salon de coiffure à Orgrimmar !
- Seln...
- On peut aller à Lune d'Argent maintenant, mon lapinou ?
- Pas "lapinou", Seln.
- Oh qu'il est trognon...
- Sérieusement, Seln. Tu peux m'appeler comme tu veux, mais pas "lapinou".
- T'es pas drôle, mon choubichounet.
- M'en fous.
- Alors ? On y va, mon coco ?
- Ni "mon coco". Ca fait perroquet.
- Ah oui, c'est vrai. Ca serait drôle, hein, que tu sois un perroquet !
Seln se mit à pouffer tandis que Zaza, toujours collé à ses sabots, lançait un regard éloquent à Llégion.
- Bon, tout le monde...
Les démons se réunirent autour de leur Maître, Buck faisant un peu la tête du fait du fatras d'objets divers, dont certains plutôt miteux, encombrant sa selle.
- Abatik !
- Oui, Maître ?
- Où est Mezz ?
- Deux secondes, Maître, je me renseigne... Il rentre. Les bureaux ferment pour le pont.
- Le pont ? Il y a une rivière dans ces bureaux ?
- Euh... Non, Maître, ça veut dire qu'ils ferment 6 jours à cause d'un jour férié.
- ... C'est pas mal, ça, comme concept.
- Oui, Maître, c'est l'administration. Faut pas chercher à comprendre.
- Donc, Mezz est disponible ?
- Oui, Maître. Et peut-être même plus longtemps, parce que votre dossier doit passer en commission d'attribution et qu'elle ne se réunira que dans deux semaines. Donc pas avant un mois.
- Magnifique... Bon, ça tombe bien, ça fait longtemps qu'on n'est pas parti à l'aventure.
- Mais mamour, tu avais dit qu'on irait à...
- TU avais dit. Moi, je me suis contenté de me taire.
- Mais...
- Plus tard, Seln. Bon, j'ai décidé d'aller en Désolace. Ca m'avait paru un endroit plein d'opportunités quand on y était allé à cause de l'histoire de l'autre alcoolique. Abatik ? Ton avis ?
- C'est un désert, Maître.
- Tant mieux, j'aurai la paix comme ça.
- Un désert, mais avec plein de bestioles partout, Maître.
- Quel genre, les bestioles ?
- Des démons, des Orcs, des Centaures... Surtout des Centaures, en fait, Maître.
- C'est tout ?
- Euh... Ah oui, et des Nagas aussi, Maître.
- Exactement ! Pile ce qu'il me faut.
- Ah bon, Maître ?
- Oui, et sauf erreur de ma part, il y a aussi des géants sur la côte.
- En effet, Maître.
- Bien... Très bien...
Un tremblement se fit alors dans l'air près d'Abatik, puis Mezz apparut, une pile de dossiers dans les bras.
- (voix caverneuse) Notre affaire avance bien, Maître.
- Tant mieux, je ne te paye pas à rien faire.
- (voix caverneuse) Je n'ai pas souvenir d'être pay…
- On s'en fout. On va en Désolace tuer des trucs. Tu en penses quoi ?
- (voix caverneuse) Je suppose que je vais vous servir à distraire vos ennemis, et donc que je vais souvent mourir...
- Je prends ça pour un oui. Buck, tu n'es qu'un canasson, donc c'est oui aussi.
- Monseigneur, sans vouloir vous manquer du moindre respect, j'apprécierais que le vocable "canasson" fasse l'objet d'un emploi moins récurrent de votre part.
- Buck ?
- Oui, Monseigneur ?
- Ta gueule.
Llégion se tourna alors vers Seln qui était en train de rajuster les rubans multicolores et le bob de Zaza. Il eut le temps de croiser le regard du Chasseur Infernal, et sentit un bref instant toute la douleur de la condition du "Zazounet à sa maman".
Parfois, il n'enviait pas son sort.
- Seln ? On part en Désolace.
- Non.
- Et je pense que... Quoi ?
- Non.
- Il me semblait que tu y avais de la famille...
- Ecoute, mon lapin, il est ABSOLUMENT hors de question que je retourne là-bas.
- Et pourquoi ?
- Tu... Je...
La Succube bafouilla en rougissant et s'arrêta de parler. Llégion lança un regard à Abatik qui comprit l'allusion et prit Seln à part pour parler avec elle.
Il revint après quelques minutes de discussion animée et fit signe à son Maître qu'il voulait le voir en particulier.
- Quoi ? Qu'est-ce qui se passe ?
- C'est un peu gênant, Maître... mais c'est très important pour Seln.
- Voilà autre chose… Je t'écoute.
- Voilà, Maître, mais avant tout, il faut garder en tête que traditionnellement, les Succubes sont issues de milieux démoniaques très favorisés, et que Seln est très attachée, comme toutes ses copines, à son standing et à son train de vie.
- J'ai cru remarquer, vu l'état de mes finances.
- C'est vraiment très important pour une Succube, Maître. Il n'y a pas de pauvres ni de pouilleux dans cette branche.
- J'ai compris, mais quel est le rapport avec la Désolace ?
- Maître, je ne veux pas vous commander, mais...
- Mais ?
- Vous devez faire très attention à la façon dont vous traitez Seln, Maître. Si vous poussez le bouchon trop loin, elle finira par vous plaquer.
- C'est un démon. Elle ne peut pas partir. Comme vous tous, d'ailleurs.
- Les Succubes, c'est particulier, Maître. Elles, elles peuvent partir. Et si Seln part, ça va faire du foin en bas et vous aurez des ennuis.
- Par la malepeste ! C'est quoi cette histoire encore ?
- Voilà, Maître - mais vous ne devez en parler à personne, parce que sinon, Seln va me passer un savon, et…
- Accouche !
- Seln n'est pas une gosse de riches, Maître. Elle vient de Désolace, et pour les Succubes, c'est vraiment un trou immonde, un coin peuplé de ploucs et de bouseux. Ils ne se reproduisent même pas entre eux, c'est dire !
- Je vois effectivement mal une Succube là-bas : comment elle a fait ?
- C'est... compliqué, Maître. Il faudrait des heures pour tout vous expliquer...
- ... et en plus, je m'en fous. Fais-moi la version courte.
- Ses parents ont plus ou moins été exilés là-bas, Maître.
- Et comment elle a fait pour devenir Succube ?
- N'oubliez pas qu'elle n'a pas son diplôme, Maître.
- Exact... Mais dis-donc ! On m'a fourgué un démon de second ordre !
- Ben... Oui et non, Maître.
- C'est-à-dire ?
- Elle a un oncle qui, lui, est très puissant "en-bas". Le genre de démon a qui on rend service sans discuter, Maître. Il a fait en sorte qu'elle soit acceptée là où il fallait.
- Y compris chez moi ?
- Sûrement, Maître. Il est du genre persuasif. Il a dû demander à ce que Seln ait une affectation malgré son absence de diplôme, et c'est tombé sur vous.
Llégion se pinça l'arête du nez en soupirant.
- Bon, en gros, elle ne veut pas retourner dans la fange de son enfance, c'est ça ?
- En gros, oui, Maître. Et puis, il y a des Succubes qui y font des virées de temps en temps, histoire de se moquer des ploucs, vous voyez le genre… Si on la voit là-bas, elle aura des ennuis. Et vous aussi, connaissant l'oncle.
- Donc ?
- Je peux vous donner un conseil, Maître ?
- Tu sers à quoi sinon ?
- Désolé, Maître... On l'envoie à Lune d'Argent, on lui laisse un peu de l'or que vous allez récupérer avec le matériel des crétins de tout à l'heure...
- Des pignoufs.
- ... des pignoufs, pardon Maître, et nous on va en Désolace.
- Je n'aurais jamais assez d'or pour qu'elle tienne seule là-bas, Abatik.
- Si on lui explique, elle fera attention, Maître.
- Pas sûr...
- Mais si, Maître ! Vous savez, elle est plus futée qu'elle n'en a l'air. Le côté "cruche", ça fait aussi partie du personnage.
- Magnifique. Tu es en train de me dire qu'elle se fout de moi depuis le début ?
- Euh... En fait, pas vraiment. Je pense qu'elle est vraiment comme ça. Mais ça n'enlève rien au fait qu'elle est moins bête que ce qu'elle montre. Surtout s'il est question d'argent.
- C'est vrai qu'elle a l'art d'embobiner les vendeurs...
- Alors on fait comme ça, Maître ?
Llégion resta silencieux, réfléchissant à la question. Laisser Seln seule à Lune d'Argent, avec une partie de son or... D'un autre côté, les ennuis avec son "oncle"...
- Rhaaa ! Par la malepeste ! Pourquoi c'est jamais simple !
- Alors, Maître ?
- On fait comme tu dis. Bon, Seln...
- Maître ! Votre ourl... Aïe !
Moustaches regarda d'un air dubitatif Llégion se relever en pestant. Nagas et géants... Pourquoi s'intéresser soudain à ceux-ci ? A moins que le Démoniste... Non... Cela signifierait que... Sauf si...
Le rat sentit un frisson d'inquiétude le traverser.
***
- Laissez-moi deviner : ils ont provoqué un esclandre, puis sont partis pour une destination inconnue. J'ai bon ?
Le garde Gobelin de Baie du Butin sourit de toutes ses dents. Après tout, la journée était belle, et ce n'était pas tous les jours qu'on fêtait son dixième anniversaire de mariage ! Son chef avait même accepté qu'il prenne son après-midi, histoire de fêter ça comme il convenait.
Ce n'était pas les questions d'un Tauren de la Confrérie des Collecteurs qui allaient lui gâcher la journée.
- C'est exactement ça, monsieur le Contrôleur Principal. A croire que vous avez l'habitude !
Vimayre grimaça.
- C'est exactement ça.
- C'était pourtant une bonne idée, ce concours de talents. Ca aurait pu mettre un peu d'animation sur les quais, à condition d'avoir eu des candidats potables.
- Et ils ne l'étaient pas ?
- Vous rigolez ? A croire que tous les nazes d'Azeroth s'étaient donnés rendez-vous ici ! Le grand type à l'air peu futé a fini par piquer une gueulante et par balancer des malédictions sur tout le monde !
- Sans se faire massacrer ?
- Que des nazes, monsieur le Contrôleur Principal. Ceux qui l'étaient un peu moins que les autres ont eu le réflexe de sauter à l'eau.
- Je vois. A tout hasard, vous n'auriez pas surpris une conversation qui pourrait m'indiquer où se serait rendu mon client ?
Le Gobelin réfléchit un moment en se grattant la tête.
- Non, désolé.
- Bon, tant pis. Ce n'est pas comme si je n'avais pas l'habitude…
- Par contre, la gamine qui l'accompagnait – un genre de Succube, mais moi, elle me faisait penser à ma gosse – s'est mise à crier et à chanter à un moment.
- Et elle chantait quoi ? On ne sait jamais…
- "Je vais à Lune d'Argent !" Elle avait l'air contente, alors que c'est quand même rempli d'Elfes de Sang… *frisson*
- Donc, quand je vous ai demandé si vous n'aviez pas surpris une conversation indiquant où se serait rendu mon client…
- Attention, moi je parle de la gamine. Le grand con, il allait ailleurs avec ses autres démons – sauf que je ne sais pas où. C'est seulement la gamine qui devait aller à Lune d'Argent.
- Seule ?
- Avec le machin, là, comme un clébart…
- Un Chasseur Infernal.
- Pas très infernal, si vous voulez mon avis. Mais elle a passé – la gamine – dix minutes à lui dire au revoir – au chauve. Et la petite crotte…
- Le Diablotin.
- Voilà, il a donné à la gosse une bourse pleine d'or. Le Mort-Vivant n'avait pas l'air jouasse…
- Donc, la Succube est à Lune d'Argent… Merci, mon ami. Vous m'avez été d'un grand secours.
- De rien, monsieur le Contrôleur Principal. Bon, c'est pas que je m'ennuie, mais j'ai fini ma journée et… Il ne m'écoute plus. Et bien au revoir.
Vimayre jeta un regard à Sanguina qui soupira.
- Ce n'est rien, ma belle. Cette fois-ci, nous savons où est la Succube.
Le raptor secoua la tête en grimaçant. Le problème n'était pas de savoir où était la Succube, mais qu'elle soit dans un des pires endroits au monde : Lune d'Argent…
***
Chapitre 127 : Un profond mystère…
- Rappelez-moi pourquoi j'ai décidé de venir ici ?
- Justement, ça n'a jamais été clair, Maître.
Llégion fusilla du regard le Diablotin qui avait pris un air innocent. Enfin, aussi innocent que possible pour un Diablotin tordu et rusé.
- Ah, oui. C'est vrai. Je dois...
Le Démoniste se tut, le regard sombre.
- (voix caverneuse) Maître, la Gnomette vous dit au revoir.
- Rien à foutre.
- (voix caverneuse) Elle est gentille, Maître. Vous devriez faire un effort.
- Rhaaa ! Par la malepeste !
Llégion fit un signe de la main en grimaçant à la Gnomette qu'il avait sortie du défilé rempli de Centaures. En d'autres circonstances, il l'aurait laissée sur place, voire aurait donné un coup de bâton ou deux en passant, pour le plaisir, mais avant qu'il n'ait eu le temps de réaliser, elle s'était jetée à son cou en le remerciant d'abondance.
Comme les Centaures avaient vu sa libération d'un sale oeil, et que Llégion voulait seulement sortir du défilé, il s'était retrouvé à massacrer tous ces fichus semi-équins et donc à aider la Gnomette à s'évader.
En résumé, une sale journée. En plus, elle lui avait fait un bisou. Baveux.
- C'est vraiment un coin pourri. Si je n'avais pas à... Oui. Vraiment pourri.
Abatik lança un regard à Mezz qui le lui renvoya. Pour une fois, leur Maître était venu dans le désert de Désolace pour une raison précise qu'il refusait pourtant d'expliquer.
Cela inquiétait les deux démons, surtout Abatik qui n'aimait pas ne pas avoir tous les éléments de la situation.
- En fait, on est là pour quoi, Maître ?
- Il faut qu'on trouve un Géant.
- Il ressemble à quoi, Maître ?
- Il est grand.
- Euh... Certes, Maître, mais...
- Verdâtre, du genre humide, et il a la fâcheuse manie de péter tout le temps.
- Si le clebs était là, on aurait pu le retrouver à l'odeur, Maître.
Zaza était effectivement resté à Lune d'Argent avec sa "maman". Seln avait versé une larme quand Llégion l'avait laissée à Baie du Butin avec instruction d'aller à Lune d'Argent, ce qui l'avait beaucoup surpris, et s'était même jeté à son cou pour lui faire une bise, ce qui avait encore plus surpris le Démoniste.
L'un dans l'autre, la Succube était quand même une gentille fille...
- Il doit traîner près de la côte. Ca tombe bien, j'en profiterai pour en finir avec les Nagas.
- Euh... Maître ?
- Oui, Abatik ?
- En fait, on cherche quoi ici ?
Llégion se retourna et resta silencieux quelques secondes interminables. Puis il sourit.
- Tu le sauras quand on l'aura trouvé.
- Vous savez, Maître, on serait plus efficace si...
- Non. Contente-toi de m'aider à le trouver.
- Bon, c'est vous le Maître, Maître. Mais ce manque de confiance...
- Abatik ?
- Oui, Maître ?
- Ta gueule.
- Oui, Maître.
- Buck ! Ramène-toi ! Je ne vais pas faire le chemin à pied !
- Je suis à votre service, Monseigneur. Et où dois-je diriger mes pas ?
- La côte. On cherche un Géant vert qui pête.
- Oh. (en aparté) Là, je touche le fond...
Le petit groupe se dirigea vers la côte au petit trot. Abatik suivait un peu en retrait, essayant de comprendre l'attitude de son Maître.
…
Il y avait quelque chose de louche dans cette histoire. Le coup du géant ne l'inquiètait pas autre mesure. Llégion avait peut-être entendu dire que ce genre de monstre transportait sur lui, de temps en temps, une arme légendaire ou un patron de couture.
Mais les Nagas, c'était autre chose. Ces saletés n'avaient rien d'anodin, et personne n'allait leur rendre visite pour le plaisir. Surtout que Llégion n'aimait pas l'eau, comme il s'en était souvenu lorsqu'il avait voulu s'aventurer dans les Profondeurs de Brassenoire.
Dés le départ, Abatik s'était fait une certaine idée de son Maître. Sachant qu'il avait reçu cette affectation suite à son ratage dans l'affaire avec cet escroc de Lucifer – qui lui devait dorénavant servir de larbin à la Maîtresse des Démonistes de Fossoyeuse - il avait compris qu'on lui avait refilé un minable en guise de sanction.
L'arrivée des autres démons l'avait confirmé dans son opinion. Une magnifique brochette de démons plutôt peu doués et capricieux.
Mais Abatik avait de la bouteille et un assez bon flair dans l'ensemble. Et surtout, il s'était renseigné.
Quand on est un Diablotin digne de ce nom, on fait en sorte d'en savoir un maximum sur son Maître, histoire de ne pas être pris au dépourvu en cas de tuile. Il avait donc été consulter le dossier de son Maître aux Bureau des Affectations, et avait vite compris qu'un truc clochait.
C'était comme si Llégion n'était apparu qu'à un âge mûr. Aucune information dans son dossier sur sa famille, ce qu'il avait fait étant jeune, ses amours, etc.
Alors Abatik avait fouiné.
En vain.
Il en avait déduit que son Maître avait dû changer de nom, et consulté les informateurs adéquats. En Enfer, on garde toujours une trace de ce genre de choses depuis un précédent plutôt embarrassant pour le démon qui s'était fait avoir.
Comment aurait-il pu deviner à l'époque que les femelles des mortels avaient cette sale habitude de prendre le nom de leur compagnon ?!
Belzébuth avait fait la gueule pendant trois siècles, et depuis on notait scrupuleusement toute modification des états-civils pour éviter que ce genre de méprise ne se reproduise.
Mais là, rien.
Ou plutôt, un "rien" révélateur. Quelqu'un avait tout effacé. Soigneusement et méticuleusement. Quand on connaissait son affaire - et Abatik était plutôt doué dans le genre - on apprenait à voir ce qui manquait.
Et là, il manquait des choses. Mais le travail était des plus soigné, un vrai travail d'orfèvre.
Abatik avait donc mené son enquête par d'autres voies moins... "officielles". Il y avait une règle d'or en Azeroth que nul ne pouvait violer : seul un Démoniste pouvait se voir affecter des démons.
Llégion avait forcément été Démoniste auparavant.
Donc des démons devaient le connaître.
Certes, les démons, ce n'est pas ce qui manque en Enfer. Mais il existe un lien qui unit les démons ayant eu les mêmes Maîtres. Sans aller jusqu'à former des associations d'anciens comme le faisaient certains collègues un peu trop enthousiastes au goût d'Abatik, on se reconnaissait instinctivement quand on se croisait.
Il suffisait donc au Diablotin de traîner un peu partout pour finir par tomber sur un ancien confrère.
Cette méthode n'avait rien donné. C'est comme si aucun démon n'avait jamais travaillé pour Llégion. Et pourtant, inconsciemment, Abatik sentait que d'autres existaient. Mais où ?
Alors il avait eu recours à une autre méthode. Abatik connaissait des démons qui connaissaient des démons qui savaient où laisser traîner les oreilles.
Il avait donc pris contact avec eux, et attendu.
En vain, là encore.
Abatik avait donc eu recours à la dernière méthode efficace pour trouver ce qu'il cherchait : le hasard. Comme le disait un de ses amis en caressant ses vieilles blessures, les chances sur un million arrivent toujours, surtout si c'est un de ces foutus héros qui est concerné.
Donc Abatik était allé traîner dans des bars louches - même selon les critères des Enfers - au cas où.
Et là, le miracle s'était produit.
Il était tombé sur un démon du Premier Cercle qui fêtait son retour de mission dans le soufre en fusion et au milieu d'une cohorte de Succubes impressionnées. Un de ces Seigneurs des Enfers couturés de cicatrices, attendant d'être renvoyé détruire un nouvel univers innocent.
Et qui avait ce lien.
Les deux démons s'étaient immédiatement reconnus, mais l'autre s'était éclipsé sans laisser le Diablotin l'aborder. Plus inquiétant, il avait une lueur de peur dans les yeux...
Abatik était tenace, et il tenait enfin une piste. Sauf que, à sa grande surprise, le démon en question avait été renvoyé en mission secrète le jour même. Loin des Enfers. Et de la curiosité du Diablotin.
Abatik en était donc là. Dans un cul-de-sac.
Llégion cachait quelque chose. L'autre démon qui s'était enfui était puissant. Pas le genre à se laisser soumettre par n'importe qui. Et pourtant il avait ce lien.
Confusément, et avec une sourde angoisse au coeur, Abatik commençait à se demander s'il n'avait pas mis les pieds dans une affaire beaucoup plus complexe que prévue...
Moustaches réfléchissait en observant le Diablotin. Lui aussi se posait des questions, et l'affaire prenait une tournure décidément bien inquiétante. Aller chez les Nagas à ce moment-là... Il allait devoir redoubler de précautions.
Puis le rat essaya de mordiller les sabots de Buck.
***
- Moi, ce que j'en dis ma p'tite dame, c'est pour vous : si vous laissez traîner, le siphon se bouche, et ça fait des saletés. Surtout, vous ne pourrez plus prendre de bains.
Vimayre replongea sous la baignoire de la salle de bain en faisant semblant de trafiquer la plomberie, sous le regard inquiet de Selneri.
Cette fois-ci, le Tauren avait trouvé ce qu'il cherchait. Il n'avait pas fallu longtemps pour retrouver la Succube, qui bien entendu occupait la meilleure chambre d'hôtel de Lune d'Argent – hôtel occupé en plus par le célèbre groupe des "Chieftains Elite 70".
Il l'avait suivie pendant une journée, grimaçant en la voyant dépenser des fortunes dans les boutiques de luxe – ça ferait toujours ça de moins à récupérer au moment du contrôle.
Seule la présence du Chasseur Infernal l'avait inquiété, surtout qu'il avait rapidement semblé comprendre qu'ils étaient suivi. Heureusement, la Succube avait très vite accaparé son attention en l'utilisant comme bête de somme et en lui demandant son avis toutes les deux minutes.
Il avait ensuite été voir le gérant de l'hôtel, et l'avait menacé d'une inspection sanitaire s'il ne l'aidait pas. Certes, le gérant étant un Elfe, il avait eu énormément de mal à lui expliquer sans craquer, mais heureusement – argh - son bras droit était un Mort-Vivant qui, lui, avait parfaitement compris et l'avait assuré de sa collaboration tout en poussant doucement mais fermement son patron vers son bureau.
Vimayre avait donc organisé le sabotage de la salle de bain de la Succube, histoire de pouvoir occuper les lieux quelques jours en se faisant passer pour un plombier, le temps que Llégion réapparaisse.
Tout allait donc pour le mieux, et Vimayre s'était même offert un petit plaisir en assommant un des grooms qui avait tenté de faire quelques sous-entendus salaces sur la Succube et le "plombier".
- Vous êtes sûrs, monsieur ? Parce que je connais mon Llélé, il ne va pas être content si je lui dis qu'il y a encore des choses à payer. Il est très soupe au lait sur ça !
Seln pouffa tandis que Vimayre se permettait de lancer un regard éloquent sur l'amas de vêtements et d'articles de luxe encombrant la chambre.
- Pas de soucis, ma p'tite dame. Ca fait partie du service-clientèle.
- Ca veut dire quoi ?
- Ca veut dire qu'il n'y a rien à payer, ma p'tite dame.
- Alors tant mieux. Et puis, je ne suis pas une fille facile, vous savez. Alors inutile de tenter quoi que ce soit – je vous connais, vous, les plombiers, vous venez voir les demoiselles pour réparer la plomberie et ça devient un lupanar. Mes copines m'ont racontée.
Vimayre replongea sous la baignoire pour ne pas éclater de rire devant la Succube – en l'occurrence vêtue très légèrement. Très.
Et il devait bien reconnaître que s'il n'avait pas été unTauren, il aurait effectivement eu du mal à résister. Mais là, dans le contexte… Il commençait à mieux saisir les péripéties de Llégion.
Enfin, il ne restait plus maintenant qu'à faire preuve de patience.
***
Chapitre 129 : Retour vers le futur de l'imparfait
Llégion se tenait devant un des portails encombrant les ruines de ................ Il avait nettoyé les environs, et Mezz n'était pas mort une seule fois - contrairement à l'embuscade des squelettes un peu plus loin.
Il gardait soigneusement caché dans son poing fermé le mystérieux objet qu'il avait récupéré sur les Nagas.
Abatik, malgré ses efforts, n'avait pas réussi à voir ce que c'était.
Après avoir abattu le Géant rencontré par hasard, Llégion avait récupéré un de ses anneaux, pourtant beaucoup trop grand pour lui. Puis il avait plongé dans la faille en pleine mer, évitant les Nagas et les Murlocs infestant les environs, et avait fouillé dans la vase à un endroit qui semblait pourtant des plus banals.
Un Naga visiblement très énervé avait alors surgi et s'était figé de surprise en voyant le Démoniste. Puis il avait fait demi-tour d'un air paniqué, mais Mezz l'avait intercepté et mis en pièces.
Llégion avait fouillé le corps et récupéré donc l'objet qu'il tenait présentement en main.
Tout ceci n'arrangeait pas la nervosité d'Abatik qui continuait à essayer de comprendre. Mezz, lui, avait juste haussé les épaules en écoutant les inquiétudes du Diablotin, et Buck ne s'intéressait qu'à la poussière qui salissait sa robe. De toutes façons, la lumière était mauvaise, et le scénario inconsistant.
Llégion avait cessé d'essayer de comprendre les allusions de sa monture et se contentait maintenant de hausser les épaules.
N'empêche, ce foutu canasson était franchement pénible avec ses airs faussement aristocratiques destinés à cacher qu'il n'était qu'un plouc.
Debout devant le portail, Llégion se redressa en faisant craquer ses os. Puis il regarda son poing fermé et sourit, avant de se retourner vers les démons qui attendaient derrière lui.
- Vous allez faire un truc pour moi : vous dégagez. Juste un moment.
- Mais Maître, les lieux sont dangereux.
- Depuis quand tu discutes, Abatik ?
- Ben, depuis toujours, Maître.
- ... Bien répondu. Bon, vous restez dans le coin à surveiller. Mais je ne veux pas vous voir.
- Maître, vous...
- Tu peux rester, Abatik.
Le Diablotin fit un petit signe à ses confrères qui allèrent s'installer sur une petite butte, suffisament bien située pour pouvoir surveiller les environs.
Puis il revint sur Llégion, impatient et légèrement inquiet de la suite des événements.
- Il est toujours actif, ce portail ?
- Et bien... Oui, on dirait, Maître. Mais pas suffisament pour s'ouvrir, heureusement.
- Pas de problème.
Llégion fit quelques passes de la main au dessus de son poing toujours fermé, d'où commença à apparaitre une lueur rougeatre.
Abatik sentit sa peau se hérisser et reconnut un puissant sortilège, normalement non accessible à son Maître.
- Eh ! Comment vous savez faire ça, Maître ?
- La ferme. J'ai appris ça quand j'étais jeune.
- Vous avez été jeune, Maître ?
- Oui.
- On a du mal à le croire, à vous voir si expérimenté et sûr de vous, Maître...
- Faux-cul.
- Bien sûr, Maître.
Le Diablotin hésita. Llégion continuait à effectuer ses passes au dessus de son poing, tout en murmurant l'incantation. Le fait est qu'Abatik était impressionné.
Le sortilège en train d'être incanté était un des plus puissant existant. Il servait à ouvrir une porte sur les Enfers, dont l'accès restait sous contrôle de l'incantateur. Abatik avait croisé peu de mortels capables de maitriser ce sort, même avec l'aide d'une pierre de pouvoir comme manifestement le faisait son Maître.
Et en plus il lui faisait la conversation tout en faisant son incantation !
- Permission de parler librement, Maître ?
- Si tu veux.
- Vous êtes qui, en vrai, Maître ? Je veux dire, derrière votre apparence... euh...
- Minable ? Ridicule ? Pitoyable ?
- Pitoyable, je ne le dirais pas, Maître. Quand même. Mais vous semblez tellement...
- Te serais-tu renseigné sur moi, Abatik ?
- Evidemment, Maître. Ca fait partie du boulot de Diablotin. Histoire de savoir les tuiles qui menacent.
- Et qu'as-tu trouvé ?
- En fait, rien, Maître. De là à penser que "quelqu'un" a fait le ménage...
- Et tu y crois ?
- Franchement, Maître ? Je ne sais plus. Et puis...
- Et puis quoi ?
Llégion avait fermé les yeux et continuait à murmurer l'incantation, tout en conservant le poing fermé.
- Ben... Je me suis dit, mais ce n'est qu'une idée, comme ça, Maître...
- Oui ?
- Peut-être bien, Maître, qu'un invocateur doué, mais quand je dis doué, je veux dire un cador, une pointure, comme on en trouvait dans les temps anciens, aurait pu, avec du temps et de l'effort, faire en sorte de, comment dire...
- Disparaitre ?
- Un truc comme ça, Maître. Sauf que ce n'est pas possible, parce qu'en Enfer, on sait exactement où se trouvent toutes les âmes ayant jamais existé.
- Donc disparaitre n'est pas la solution.
- Oui, Maître. Alors je me suis dit, mais sans vraiment approfondir, seulement comme une sorte de jeu intellectuel, que la meilleure solution si on veut disparaitre, quand on est un mortel, ce serait de changer sa vie. Mais je vous parle d'un changement profond, pas seulement de changer le nom - parce que ce coup-là, il ne marche plus "en-bas" - mais de faire comme si ce qu'on avait été avait, comment dire...
- ... N'avait été qu'une histoire, quasiment une légende. La réalité s'effaçant devant le souvenir.
- Oui, Maître. Un truc comme ça.
Abatik se tut, laissant son Maître continuer son incantation. Puis Llégion sourit, les yeux toujours fermés.
- Un "truc comme ça", comme tu dis, n'est pas à la portée de n'importe qui.
- Oui, Maître. Il faut au moins avoir l'envergure de, je ne sais pas... un futur Maître du monde. Voire un dieu malfaisant. Quelque chose dans ce goût-là.
- Cela s'est déjà fait, Abatik ?
- Pas à ma connaissance, Maître. Sauf que... ben, si le coup a déjà réussi, personne n'est au courant. Forcément.
- Donc impossible de savoir.
- Oui, Maître.
- Abatik ?
- Oui, Maître ?
- Tu as trop d'imagination. Je ne te paye pas pour inventer des histoires.
- Ca tombe bien, Maître, je ne suis pas payé.
- Ah oui, c'est vrai. Ah ! Ca y est.
Llégion cessa son incantation et lança ce qu'il tenait dans son poing dans le portail. Il y eut un éclair tandis la pierre rougeoyante se désintégrait, et un mur d'énergie pure se forma entre les montants du portail.
Abatik fit un pas de côté, histoire de placer Llégion entre lui et le portail qui émettait maintenant une aura malsaine et brulante.
Puis le mur d'énergie trembla et... "quelque chose"... passa la porte.
- Eh ! Mais c'est toi !
- La ferme, Abatik.
- Mais Maître, c'est le démon que j'ai vu...
- Je sais.
- Mais Maître, vous... Attendez ! Comment ça, vous savez ?
Llégion tourna la tête et foudroya du regard le Diablotin qui se recroquevilla. Puis il revint sur le puissant démon ailé qui se tenait devant lui.
- Tu me reconnais ?
Le démon se contenta de hocher la tête, les yeux flamboyants d'une lueur malsaine.
- OUI.
- Je veux savoir si "ça" a bougé.
- NOUS AVIONS UN MARCHE.
- Oui. Respecte ta part.
Le démon hocha la tête.
- "CA" REVIENT.
- Comment.
- UN MOYEN. QUELQUE CHOSE SE PRODUIT. UNE OPPORTUNITE.
- Quand.
- BIENTÔT.
- Bien. Retourne d'où tu viens. Et informe-moi.
- NOTRE MARCHE ?
- Pas avant que tout ne soit terminé.
- NON. MAINTENANT.
Abatik se recroquevilla derrière son Maître en voyant le démon se redresser d'un air menaçant.
- Non. Plus tard.
- Euh... Maître ? Faites quand même gaffe...
- Ta gueule.
- Oui, Maître. *gloups*
- LE TEMPS A PASSE.
- En effet.
- CE QUE VOUS ETIEZ N'EST PLUS.
- Vraiment ?
Les yeux du démon se mirent à luire de colère tandis que des flammes l'enveloppèrent.
- JE VEUX MA PART.
- Très drôle. Mais non.
Llégion leva ses deux mains, paumes en avant. A la surprise d'Abatik, le démon baissa la tête.
- SOIT.
- Tu auras ta part quand ce sera fini. C'est notre marché. N'est-ce pas ?
- OUI.
- Puisque nous sommes d'accord, je n'ai plus besoin de toi. Retire-toi. Et fais en sorte de ne pas me décevoir.
Le démon recula jusqu'à disparaitre par le portail. Puis Llégion fit un simple geste de la main et le mur d'énergie menant aux Enfers vacilla et se dissipa en un éclair.
- Abatik ?
- Euh... Oui, Maître ?
- Ce qui vient de se passer reste entre nous. Tu n'en parles pas aux autres.
- D'où ils sont, Maître, ils ont dû voir...
- Voir sans comprendre. Donc tu te tais. Et au passage, l'histoire que tu m'as raconté...
- Rien qu'un jeu intellectuel, Maître. Ca n'intéressera pas les autres.
- Effectivement. Oublie-la.
- Oublier quoi, Maître ?
- Bien dit.
- Et maintenant, Maître, on fait quoi ?
- J'ai fini ici. En plus, j'en ai marre de la poussière.
- Pas autant que Buck, Maître.
- Mouais... Bon, en attendant, je dois accroitre mon pouvoir. Trouve-moi un endroit pas trop pouilleux pour ça. Et sans poussière.
- J'ai bien une idée, Maître, mais ça risque de ne pas trop vous plaire. Mais il y a plein de trucs à tuer. Même des pignoufs de l'Alliance !
- Explique.
- Aprefange, Maître.
- Un marécage, non ?
- Oui, Maître.
- Aprefange... Ton idée n'est pas mauvaise. Cela me permettra de... Oui. Pas mauvaise du tout...
- Vous êtes d'accord, Maître ?
- Oui. On repasse d'abord par - argh - Lune d'Argent histoire de voir si Seln n'a pas trop fait de bétises. Puis ensuite, le marécage.
- Bien, Maître.
Llégion se redressa, fit demi-tour et se dirigea vers les démons restés à l'écart.
- Attention, Maître ! Votre ourl... Ah non, tiens.
Abatik le suivit. L'inquiétude avait maintenant fait la place à la curiosité. Finalement, cette affectation allait peut-être lui permettre de faire des trucs marrants...
Sifflotant gaiement, le Diablotin commença à réfléchir au moyen de convaincre Seln de les accompagner à Aprefange.
Ou pas.
Moustaches suivait Llégion en trottinant. Ainsi ce Mort-Vivant n'était pas ce qu'il semblait montrer... Il allait devoir réviser tous ses plans pour tenir compte de cette nouvelle donnée.
Puis le rat pissa sur un caillou qui l'avait regardé d'un sale oeil.
***
Chapitre 130 : Encore un contre-temps
- C'est une plaisanterie. Ou un genre d'épreuve. Vous ne pouvez pas être sérieux.
L'Elfe, bien qu'étant aussi intelligent qu'un Elf… enfin… bien qu'étant un Elfe, on va dire - avait assez de bon sens et d'instinct de survie pour sentir le danger.
- Désolé, monsieur, mais je ne suis que le messager… bien mangé. "J'ai bien mangé". Vous avez compr… Hem. Oubliez.
- Oui, je vais oublier. Histoire de ne pas vous arracher la tête.
- Euh… Merci ? Enfin voilà, il a dit tout de suite. Si vous n'êtes pas trop occupé…
Vimayre leva les yeux au ciel, tandis que l'Elfe se donnait contenance en regardant autour de lui la salle de bain transformée en véritable champ de bataille.
- Alors comme ça, vous vous faites passer pour un plombier ? Pas bête, ça. Par contre, sans vouloir vous offenser, je me demande si vous connaissez un peu le métier, parce que…
- La Succube n'y connaît rien, et ça me suffit.
- D'accord. Mais quand même, le tuyau, là, il devrait plutôt se trouver…
- Rien à fiche. Mais ça !
Vimayre brandit devant l'Elfe le message qu'il venait de lui remettre.
- Ca ! Le correspondant local de la Confrérie "requiert" ma présence ! En pleine mission sous couverture !
- On a toujours fait comme ça, vous sav…
- Et on s'étonne que vos résultats soient aussi affligeants ! Vous risquez de me griller !
- La fille est en ville, j'ai quand même choisi le bon mom…
Vimayre assomma l'Elfe d'un coup de poing rageur et essaya de se calmer.
- Bon, pas moyen d'y couper, même si ce n'est qu'une raclure d'Elfe, je dois y aller. Sanguina !
Le raptor, qui somnolait dans la baignoire, leva la tête.
- J'y vais, en essayant de ne pas traîner. Toi, tu restes ici et tu attends la Succube. Et dès qu'elle revient, tu ne la lâches plus d'une semelle ! Compris ?
- Rrrr.
- Oui, d'un sabot, si tu veux. Je me débrouillerai pour vous retrouver après.
- Rrrr.
- Je ne sais pas, improvise ! Fais-toi passer pour… un cadeau de bienvenue ! Voilà !
- Rrrr ! Rrrr rrrr !
- Ne t'inquiète pas, bon sang, c'est juste le temps d'aller voir l'autre débile et de revenir.
- Rrrr…
- Bien sûr que je ne t'abandonne pas.
- Rrrr.
- Mais non, tu es la seule. Qu'est-ce que tu crois ?
- Rrrr !
- Mais non ! Ecoute… J'y vais, je reviens, et surtout, SURTOUT, tu ne la perds pas !
Sanguina regarda avec inquiétude son compagnon filer en vitesse. Bien sûr, ils étaient les meilleurs amis du monde… Mais quand même… Ce ne serait pas le premier chasseur à abandonner sans prévenir son familier…
***
Chapitre 131 : Prêt-à-porter
- Alors ? Ca te plaît mon canard ?
Llégion, accompagné d'Abatik, restait bouche bée à l'entrée de la chambre louée pour Seln à l'auberge de Lune d'Argent. Mezz les avait abandonné après avoir reçu une convocation concernant les démarches en cours – il avait grand espoir d'apprendre de bonnes nouvelles.
La chambre était relativement grande et plutôt confortable - l'un des rares points positifs chez les Elfes de Sang. Dommage qu'ils soient aussi insupportables...
Llégion passa en revue du regard le capharnaum régnant dans la chambre, essayant de distinguer les meubles voire le lit sous l'amas de...
- Seln ? D'où viennent toutes ces boîtes ? Et ces cartons ? Et pourquoi tous les meubles sont-ils recouverts de robes ?
Le Démoniste écarquilla les yeux d'un air paniqué.
- Seln ! Par la malepeste ! Combien tu as dépensé ! Je t'avais dit de faire attention !
- Mais regarde, mon choubichounet. Tu as vu comme cette robe me va TELLEMENT bien ! Et celle-là ! Et ce bustier. Et attends ! J'ai ENFIN trouvé des bas assortis à mes sabots ! Ne bouge pas ! Je vais les mettre. Tu restes là, hein ?
Seln se précipita en sautillant dans le boudoir dont elle claqua la porte.
- Abatik ! Dis-moi que c'est un cauchemar !
- Ben, Maître...
- Toutes ces robes ! Tous ces... trucs ! Et ça ! C'est de la soie ! Et là, on dirait... du tisse-mage ! Abatik ! Je suis ruiné !
Llégion avait agrippé les épaules du Diablotin et le secouait d'un air effaré quand la porte du boudoir s'ouvrit brusquement et qu'en sortit Seln avec une nouvelle tenue.
- Regarde, mamour ! Tu vois, ce sont des bas spécialement pour Succube. C'est du tisse-néant ! Touche, tu verras comme c'est TELLEMENT doux ! Mamour ? Pourquoi tu ne dis rien ? Ca ne te plaît pas ?
Llégion et Abatik, toujours agrippé par son Maître, avaient la tête tournée vers la Succube qui venait de sortir du boudoir pour leur montrer ce qu'elle portait.
- Abatik...
- Argh... Oui, Maître ?
- C'est quoi le truc que tu me dis toujours ?
- "Respirez, Maître, vous devenez bleu" ?
- Voilà.
- Mais là vous seriez plutôt rouge, Maître.
- Ah bon.
- Maître ?
- Oui, Abatik ?
- Vous pourriez me lâcher, Maître ?
- Ah bon ?
- Oui, Maître.
- C'est... C'est très...
- Vous avez raison, Maître. C'est très. Argh.
- Surtout les trucs, là, qui tiennent les machins...
- J'essaie de ne pas regarder, Maître.
- Et tu y arrives ?
- J'ai du mal, Maître.
- Alors ça, mamour, c'est un bustier tout en dentelles de tisse-mage de Darnassus très fines, entièrement fait à la main, et qui remonte la poitrine tout en laissant respirer la peau. Tu remarqueras comme le noir se marie bien avec mon teint, c'est pour ça que j'ai plutôt choisi cette couleur plutôt que le rouge qui fait quand même un peu vulgaire.
- Argh.
- Les gants sont en tisse-mage aussi, et j'avoue que j'ai fait une folie, mon lapin, mais ils étaient TELLEMENT beaux que j'ai craqué, j'ai choisi ceux en dentelles aussi, et le modèle qui s'arrête au dessus du coude.
- Argh.
- La culotte, mon choubichounet,, c'est aussi de la dentelle, mais de Lune d'Argent, parce qu'elles sont plus confortables et que l'élastique, là, ne marque pas la peau. C'est un petit peu petit, je sais, mais ça met en valeur mes fesses qui sont, toutes mes copines le savent, la partie de mon corps la plus craquante. Avec mes cornes, bien sûr !
- Argh.
- Le porte-jarretelle...Alors je sais que ce n'est pas DU TOUT raisonnable, mais franchement mon Llélé, c'est IN-DIS-PEN-SA-BLE, sinon ce n'est pas un véritable ensemble de nuit. D'après la vendeuse, c'est du travail de Gnome, mais moi je crois que ça viendrait plutôt de chez les Nains, car ils sont très pointilleux sur tout ce qui concerne les attaches.
- Argh.
- Et puis les bas, bien sûr... J'ai pris du tisse-néant cette fois-ci, avec des petites fleurs, parce que la maille est solide, et en plus, je ne sais plus si je te l'ai déjà dit minou, mais c'est un modèle spécialement fait pour les Succubes.
- Argh.
- Alors ? Tu aimes, mon chéri ? Pourquoi tu es tout rouge ? Et pourquoi Aba il respire plus ? Ben quoi ? J'ai dit une bétise ?
Le terme utilisé d'ordinaire pour qualifier le type de vêtements portés par Seln est "lingerie". En réalité, ce qu'elle portait présentement, allié au fait qu'il s'agissait d'une Succube, même non-diplômée, devait probablement relever de l'incitation à la débauche avec circonstances aggravantes.
Au prix d'un effort surhumain - et probablement grâce au fait que, n'étant plus qu'un cadavre desséché, la "chose" le travaillait moins que de son vivant - Llégion réussit à reprendre sa contenance devant le spectacle de sa Succube en petite tenue.
Il se redressa, lâcha Abatik qu'il tenait toujours par les épaules et déglutit.
- Seln ? Tu voudrais me rendre un service ?
- Bien sûr, mamour !
- Remets une tenue plus... hem, plus décente. Avec moins de chair et plus de tissu.
- Mais pourquoi mon lapin ? Tu n'aimes pas ?
- Si, beaucoup, mais je crois qu'Abatik vient de crâmer une bonne partie de ses neurones, et j'en ai besoin.
- Mais tu aimes quand même, hein mon Llélé d'amour ?
Llégion avait toujours le regard braqué à 10cm à gauche du visage de la Succube.
- Je n'ai qu'une question, Seln : combien as-tu-tu-tu-tu-tu... hem, as-tu dépenssss... dépensé ?
- Et bie, tu sais mon lapin, les vendeurs ont toujours été très gentils avec moi, et...
- Combien, Seln ?
- Mais mon choubichounet, comment veux-tu que je sache ? J'aime pas faire du calcul !
- Je vois... Abatik ?
Le Diablotin avait réussi à se relever au bout d'à peine trois essais et sursauta en entendant son nom.
- Hein ? Quoi ? On est où ? Heu... C'était quoi la question, Maître ?
- Combien a-t-elle dépensé ?
- Vous voulez dire pour ces dentelles, et les bas, et...
- Abatik, respire.
- Pardon, Maître... Hem. Bon, tu les as mises où, Seln ?
- Quoi donc, Aba ? Au fait ! Je ne t'ai pas montré ! Je me suis fait un tatouage juste sur...
- Par pitié, Seln, arrête ! Je suis marié !
- Tu es marié ? Toi ? Parce que ça se marie, un démon ?
- Euh... Oui, Maître. Ca n'empêche pas.
Llégion resta interloqué quelques instants, puis secoua la tête pour reprendre ses esprits.
- On oublie... Bon, Seln, les factures ? Des morceaux de papier avec des chiffres dessus, que les vendeurs t'ont donnés.
- Ah oui ! Tiens, ils sont là-bas.
Abatik soupira et alla jusqu'au tas traînant sur un fauteuil - qu'il nota faire presque la moitié de sa taille.
Puis après d'interminables minutes de savants calculs, pendant lesquelles ni lui Llégion ne se risquèrent à regarder Seln toujours en petite tenue, Abatik poussa un sifflement.
- Ah oui, quand même.
- Alors ? Je suis ruiné ?
- En fait, Maître, sans être un connaisseur en - argh - lingerie et autres accessoires vestimentaires, je pense que Seln n'a dû payer que... environ un dixième des factures.
- Et ça fait ?
- Moins que prévu, Maître. Il reste même un peu de l'or que vous lui aviez passé avant de partir. Mais en même temps, vu qu'elle avait quasiment toute votre fortune…
Llégion et Abatik échangèrent un regard, puis se tournèrent vers la Succube en train de chercher une robe à leur montrer.
- Vous savez, Maître, elle est quand même sacrément forte. Avec la moitié de la chambre, vous pourriez vous acheter un nouveau repaire maléfique. Neuf.
- Oui, c'est vrai. Et elle est aussi très... avec de la... et des...
- Pitié, Maître. J'essaie toujours de ne pas y penser.
- Et tu y arrives ?
- J'ai toujours du mal, Maître.
- Je comprends. Mais j'aimerais quand même savoir comment elle a fait pour ne pas avoir son diplôme de Succube.
- Moi aussi, Maître. Moi aussi.
Moustaches secoua la tête. Ces bipédes... On leur montre de la peau sans fourrure et ils perdent tous leurs moyens. Même si, dans ce cas-là, il avait ressenti comme une sorte de chaleur bizarre dans le ventre. Il allait devoir creuser la question.
Puis le rat entreprit de se reproduire avec un coussin aux formes aguichantes.
***
- Tu te fous de moi ?!
- C'est pas moi qui fixe les prix, m'sieur.
- 30PO pour du tissu ?!
- C'est pas moi le responsable, m'sieur.
- 30PO ?!
- C'est pas moi qui fixe les prix, m'sieur.
- J'ai BESOIN de ce tissu.
- Je peux rien faire, m'sieur. C'est pas moi qui fixe les prix.
- Rhaaa ! Par la malepeste !
Llégion fusilla du regard le commissaire-priseur de Lune d'Argent qui en avait vu d'autres. En plus, il trouvait que les prix avaient baissé ces temps-ci.
- Abatik ! Abatik ! Où il est encore passé ce... ah, tu es là.
- Un problème, Maître ?
- Il me faut du fric. 30PO. J'ai besoin de nouvelles bottes.
- Euh...
- Quoi ?
- C'est-à-dire, Maître... 30PO pour des bottes...
- Non, 30PO pour du tissu. Et une rallonge pour du cuir. A tous les coups, c'est encore hors de prix.
- Oui... D'accord, Maître... Mais... Avez-vous vraiment besoin de nouvelles bottes ?
- Tu as vu ce que je porte ?
- Elle vous vont bien, Maître. Elles sont raccord avec le reste.
- Elles ont des trous partout. Quand il pleut, j'ai l'impression de marcher dans un lac.
- C'est normal, Maître. Les trous, ça fait partie du personnage quand on est un Mort-Vivant.
- J'en ai marre de les raccommoder ! Je te demande seulement... Mais pourquoi je discute ?! Donne-moi ce fric tout de suite !
- Ca risque de pas être simple, Maître.
Llégion ferma les yeux et prit une profonde inspiration. Puis il les rouvrit et se pencha jusqu'à se trouver à la hauteur du Diablotin.
- Essaierais-tu de me dire quelque chose, Abatik ?
- Ben... Vous voyez, Maître, les rentrées ont été faibles, et puis il y a eu des frais...
- Et... ?
- Beaucoup de frais, Maître...
- Quand tu dis beaucoup, tu veux dire... ?
- Regarde mon Llélé ! Tu as vu ma nouvelle robe ? Elle est TELLEMENT jolie ! Hein qu'elle qu'elle est jolie mon Zazounet ? Et arrête de tripoter ce lézard ! C'est sale !
- Bwouf !
Llégion et Abatik tournèrent la tête vers Seln qui venait d'apparaitre dans une robe effectivement magnifique - et accessoirement interdite aux mineurs.
Probablement.
Sûrement même.
Comme d'habitude, Zaza était à ses côtés, mais cette fois-ci il était accompagné d'un lézard rougeâtre déniché on-ne-sais-où. Le lézard avait l'air plutôt embêté, peut-être parce que Zaza le tenait dans la gueule.
- Beaucoup, Abatik ?
- Oui, Maître. Vous n'avez pas idée.
- J'imagine. Mais aurais-tu l'amabilité de m'expliquer pourquoi toi, que j'ai chargé de gérer MON or, tu as autorisé Seln à le dépenser. MON or. Pas le sien.
- Euh... Parce qu'elle n'a pas un sou, Maître ?
- Abatik ?
- Oui, Maître ?
- Elle a déjà pillé la ville pendant notre virée en Désolace. Explique-moi comment elle fait pour trouver de nouveaux trucs à acheter ? Depuis hier ?
- Euh… Une forme de talent, Maître ?
- Je ne conteste pas. Mais pourquoi, PAR LA MALEPESTE ! tu l'as laissée remettre la main sur mon or !
- Et bien... Vous m'avez dit que vous vouliez la paix, Maître. Et vous connaissez Seln...
Le Diablotin regardait son Maître avec inquiétude.
- Bon. Je sais qu'elle m'a quasiment ruiné – tant pis, ça m'apprendra. Mais il me reste combien de la dernière vente de butin ?
- Dans l'ensemble, si mes estimations de la nouvelle robe de Seln sont exactes, en tenant compte de sa visite chez le marchand de chaussures qui doit m'envoyer sa facture d'ici la fin de la semaine, sans parler, Maître, de l'abonnement au salon de coiffure...
- Donc ?
- Je dirais... 10PO.
- 10PO ?
- Oui, Maître. Respirez, Maître, vous devenez bleu.
Llégion se redressa et se tourna vers Seln en ouvrant la bouche. Abatik grimaça en plaqua ses mains sur ses oreilles. Heureusement pour la tranquillité de la cité elfe – si on fait bien entendu abstraction de la présence des Elfes eux-même - deux choses se produisirent.
D'une part, Seln était trop occupée à rajuster le noeud jaune servant de collier au Chasseur Infernal pour s'occuper de son "Llélé".
Le lézard en avait profité pour reprendre son souffle – avant de subitement redresser la tête et de… et de sourire ?
Car une ombre massive venait d'apparaître et de cacher le soleil au petit groupe...
Moustaches déglutit. D'accord, c'est ce qu'il avait prévu, mais quand même…
Puis il courut se cacher derrière les pieds du Démoniste
***
- Vous êtes Llégion, Démoniste Réprouvé ?
- Seln, tu... Hein ?
- Llégion ? C'est votre nom ?
Llégion se retourna vers l'apparition qui lui masquait le soleil, et plissa les yeux pour faire le point.
Un Tauren.
Il portait la tenue en cuir caractéristique des Chasseurs, et le lézard ramassé par Zaza venait de se mettre à ses côtés avec un soulagement évident – et un drôle de sourire – si si – à la gueule.
Il avait aussi deux autres caractéristiques notables.
La première, c'est que le Tauren tenait à la main un fusil à double canon particulièrement menaçant.
La seconde, qui éclairait d'un jour particulier la première, c'est que le Tauren avait l'air TRES énervé. On le devinait à la fumée sortant de ses naseaux, phénomène peu courant, quoi qu'on en dise.
Llégion se redressa avec fierté.
- Un Tauren ? C'était donc cela l'odeur d'étable !
- Vous êtes Llégion ?
- J'aime pas les Taurens. Et je suis occupé. Alors tu dégages.
Le Tauren prit une profonde inspiration et se rapprocha du Démoniste. Abatik nota avec intérêt que les phalanges de la main tenant le fusil étaient blanches tellement il le serrait.
Une pensée vint soudain au Diablotin qui blémit. Pourvu que Mezz ait fini !
- Etes-vous Llégion, Démoniste Réprouvé ?
- Non.
- Non ?
- Non.
Le Tauren hésita quelques secondes, comme si la réponse n'avait pas été prévue.
Llégion leva les bras au ciel en pestant.
- Par la malepeste ! Quand est-ce que vous allez vous mettre ça dans le crâne ! Je suis Llégion le Maléfique, Génie du Mal, plus grand cerveau criminel d'Azeroth, futur Maître du monde et dieu malfaisant !
- Vous...
- Alors finalement, vous avez choisi votre spécialité, Maître ?
Abatik avait levé un sourcil interrogatif en interrompant le Tauren. Llégion le regarda en souriant.
- Oui, j'ai choisi hier. Finalement, j'ai laissé tomber le dieu de destruction. Trop de boulot, et en plus, je suis quand même dans le business du Mal depuis le début.
- Vous auriez pu le dire, Maître. C'est vrai, on en avait quand même parlé ensemble. Ce genre de décision, ça se prend à deux. En plus, j'avais parié avec Mezz…
- Faudra qu'on en reparle un jour, de vos histoires de pari, Abatik. Je trouve qu'avec Mezz… D'ailleurs, le voilà.
Le Marcheur du Vide venait de réapparaitre dans un tremblement de poussière. Il sortit un dossier et en sortit une enveloppe qu'il tendit à LLégion.
- (voix caverneuse) Je suis heureux de vous annoncer, Maître, que l'ensemble des procédures sont terminées. Les dernières démarches n'ont pris que neuf heures. J'ai eu de la chance, le préposé appartient à ma section syndicale.
- Et alors ?
- (voix caverneuse) Les statuts de votre nouvelle religion sont déposés et validés, Maître. Je vous ai mis l'attestation dans l'enveloppe.
- Magnifique ! Alors, Abatik ? Tu vois que c'était une bonne idée !
- Bien sur, Maître, c'est Edu… Enfin, c'est moi qui… Je veux dire : qu'est-ce que vous êtes fort, Maître ! Par contre, pour les larbins, genre prêtres ou fidèles fanatiques, ça risque d'être plus compliqué.
- Tu penses bien que j'ai prévu le coup !
- Ah bon, Maître ? Mais c'est seulement pour arnaquer la Confr…
- Des clous ! Mezz ?
- (voix caverneuse) J'ai mis votre charte de guilde dans l'enveloppe, Maître. Elle s'appelle... hum... la Légion des Séides, comme vous l'avez demandé. Ne me regarde pas comme ça, Abatik, c'est lui qui a choisi le nom.
- Une guilde, Maître ? Vous allez créer une guilde ? Vous ?
- Oui, moi. Pourquoi ? Ca pose un problème ?
- C'est-à-dire, Maître… Pour être Maître de guilde, il faut des compétences en diplomatie, ce genre de choses…
- Et ?
- Et vous… *soupir* Non, rien, Maître. De toutes façons, ce n'est pas parce que vous avez une charte que la guilde existera vraiment…
- Je n'ai aucune inquiétude. Qui ne se battrait pas pour me servir ?
Abatik chercha quelque chose à répondre, mais il préféra laisser tomber.
Et surtout, il n'avait jamais servi un dieu, même seulement sur le papier... Ca ferait pas mal sur le CV... Et pour une fois que ce genre d'histoire ne tournait pas en désastre.
- Je dois avouer que vous avez fait fort, Maître – même si en fait c'est Edu… Hem, bref. Mais je crains que tant que vous n'avez pas trouvé des prêtres et des fidèles, vous ne puissiez être considéré vraiment comme un dieu. Enfin, de toutes façons, n'oubliez pas qu'à la base, c'est un plan pour…
- Ca n'empêche pas. D'ailleurs, Mezz, niveau impôts, ça donne quoi finalement ?
- (voix caverneuse) La religion existe bien, Maître, donc vous bénéficiez de tous ses avantages, même sans avoir encore de fidèles.
- J'espère que tu es sûr de ton coup…
- (voix caverneuse) Jurisprudence n°4.124.758.b relative à l'affaire "Xgrtahter contre Darnassus" : l'existence de fidèles n'est pas une condition nécessaire pour exercer son droit religieux.
- Alors les gars ? Qui a eu une bonne idée ? Hein ?
- Ben Edu… Enfin, moi… Je veux dire : chapeau, Maître.
- (voix caverneuse) Comme ça, vous avez tous les avantages, Maître. Notamment l'exonération d'impôts.
- Au fait Mezz, tu as réussi à avoir ton machin, là ?
- (voix caverneuse) La rétroactivité, Abatik. Oui, c'est fait.
- Rétroactivité ? C'est sûr ?
- (voix caverneuse) Oui, Maître. Considérant que vous exercez votre mission de Maître du Mal depuis votre vivant, j'ai pu invoquez un certain nombre de jurisprudences et de précédents…
- Version courte, Mezz.
- (voix caverneuse) Vous êtes officiellement un dieu malfaisant depuis vos débuts, Maître. Donc totalement éxonéré fiscalement parlant.
- Yes ! Yes, yes, yes ! Alors : elle est pas belle la vie ?
Llégion arborait un sourire magnifique devant ses démons qui se fendirent d'une petite révérence. Seln avait levé la tête.
- Qu'est-ce qu'il se passe, mon lapin ?
- Seln... Tu pourrais faire l'effort de suivre un peu...
- Mais je suis, mon Llélé ! Tu veux te faire de nouveaux habits. J'avais bien compris. Ce que tu peux être méchant...
- Oui, mais non, Seln. Tu as devant toi un dieu...
- Pas tout à fait, Maître.
- ... si si, un dieu, avec église et tout. Plus l'armée qui va avec : j'ai appelé ça la Légion des Séides.
- C'est vrai, mon choubichounet ?
- Eeet... ouais.
- Mais c'est génial ! Hein que c'est génial, mon Zazounet ?
- Wof...
- Mais si ! Je suis TELLEMENT fière de toi, mon chéri ! Je savais que tu arriverai à faire quelque chose de ta vie !
- Seln, je... Non, rien. Content que ça te plaise.
- Exo... Exo... *gargl*
Le petit groupe se retourna vers le Tauren que tout le monde avait oublié. Il était devenu rouge vif, son fusil était en train de se tordre sous la force de sa poigne, et à côté de lui le raptor avait posé les pattes sur sa tête en gémissant.
- Ah oui, le Tauren. Tu voulais quoi, toi ?
- Exon... Exon...
- En parlant de Tauren, Maître, je me demandais si ce ne serait pas, par hasard…
- Quoi ?
- Exon... Exon...
- C'est pas un Tauren que la Confrérie des Collecteurs vous a envoyé ?
- Ah oui, c'est vrai. Tu crois que c'est lui ?
- Exon... Exon...
- Ben, vu sa tête, Maître… Ce serait marrant !
- Ca, je dois reconnaître…
- Exon... Exon...
- Bon, articule, par la malepeste ! Je comprends rien ! Abatik ?
- Et bien... On dirait qu'il parle de l'exonération liée à votre nouvelle religion, Maître.
- Retr... Retr...
- Et sa rétroactivité apparemment, Maître.
- Llé... Llé...
- Llégion, oui, c'est bien lui. Le seul et unique. Respire, vieux.
- Conf… Conf…
- La Confrérie des Collecteurs. Tu bosses pour eux, hein ? T'inquiète, on est au courant.
- Redr… Redr…
- Redressement fiscal. Ben non, comme tu vois, c'est mort. Autre chose ?
- Vous… Vous…
- On t'a couillonné en beauté. Je confirme. Mais t'inquiète, rien de personnel. C'est juste que Llégion, on a préféré le garder. Il n'est peut-être pas très futé…
- Eh !
- … mais tu sais ce que c'est, on s'attache.
- "Pas très futé" ! Abatik !
- Oups. Désolé, Maître, j'avais oublié que vous étiez là…
- Un de ces jours, Abatik, tu vas payer pour tout ça.
- Mais c'est un honneur et un privilège quotidien de vous servir, Maître.
- Et toi t'es le roi des faux-culs, Abatik.
- Il paraît, Maître. Mais ça fait partie du boulot.
- (voix caverneuse) Puisque vous en avez fini avec cette affaire, Maître, je voudrais vous entretenir de mes congés…
- Que dalle ! On va en Aprefange, et j'ai besoin de toi pour prendre les coups !
- Pourquoi on ne reste pas à Lune d'Argent, mon poussin ? Tu sais, j'ai…
Sanguina resta silencieuse à regarder Llégion et ses démons repartirent vers l'hôtel. Puis elle leva la tête vers son ami.
Vimayre était figé, le teint blafard. Dans sa main, son fusil n'était plus que de la tôle tordue. Et il ne cessait de bredouiller.
- Exon... Exon...
Sanguina soupira et, après une légère hésitation, se décida à aller chercher les collègues de son compagnon. Parce que bien sûr, il fallait que cela arrive chez les Elfes…
Moustaches regarda le raptor s'en aller et revint sur le Tauren, toujours figé et bredouillant au milieu de la place de Lune d'Argent. Il ne pouvait s'empêcher d'avoir des remords, mais comme on dit, on ne fait pas d'omelettes sans casser des œufs.
Puis le rat pissa sur le sabot de Vimayre.
***
Chapitre 134 : Snirfl
- Y tabent bort, ces Burlocs. Snirfl.
- (voix caverneuse) Ca n'a pas l'air de s'arranger, dis-donc.
- C'est les barais. L'hubidité ne be réussit bas. Snirfl.
Abatik sorti un mouchoir, se moucha bruyamment puis jeta la malheureuse victime de son rhume par terre - où elle est rejoignit un tas de mouchoirs usagés déjà bien conséquent.
Mezz étant maintenant disponible, la petite troupe avait décidé d'aller faire un tour du côté du Marécage d'Aprefange, une région humide et hostile.
La Horde y avait établi un poste militaire, Mur-de-Fougères, juste à côté d'une caverne remplie d'araignées géantes. Enfin, beaucoup moins remplie depuis que Llégion, en pleine crise d'explorationnite aigue, avait décidé d'aller voir ce qu'il y avait au fond.
Maintenant, il savait. On y trouvait des tas d'araignées géantes mortes, ainsi que la génitrice de cette importante colonie dorénavant réduite à un petit tas de viande carbonisée.
Ca avait mis le temps, mais Llégion avait finalement réussi à prendre le coup de main avec ses sorts. Au grand dam des-dites araignées qui avaient servies ce jour-là de cobayes.
Dans la foulée, Llégion avait écumé la région, massacrant à tour de bras les soldats de Theramore patrouillant sur la route principale, les crocodiles géants et quelques fantômes égarés, tout en se plaignant de l'humidité, des moustiques, de la puanteur des Ogres et du pays dans son ensemble.
Abatik et Mezz avaient même dû s'y mettre à deux pour empêcher leur Maître d'attaquer à lui tout seul la forteresse de l'Alliance - qu'il aurait bien été capable de saccager étant donné son état d'esprit actuel.
Llégion avait incontestablement repris du poil de la bête. Aussi idiot qu'il pouvait paraître, cette histoire de "dieu malfaisant" lui avait regonflé le moral, sans parler de l'épisode du Tauren qui était, il fallait le reconnaître, le petit "plus" de cette histoire.
Abatik soupçonnait aussi l'épisode en Désolace - dont personne n'avait reparlé depuis – de jouer un rôle là-dedans.
Sauf que maintenant, Llégion parlait de se lancer sérieusement dans le recrutement de sa "Légion de séides". Il avait même profité d'une courte absence d'Abatik pour déposer des annonces dans un certain nombre d'auberges.
Nul ne pouvait plus ignorer que Llégion le Maléfique, Génie du Mal et plus grand cerveau criminel d'Azeroth, allait non seulement conquérir le monde, mais aussi en devenir le seul et unique dieu malfaisant.
Ca faisait rigoler toute la Horde depuis des jours.
Llégion était donc en grande forme, tuant et exterminant tout ce qui avait le malheur de croiser son chemin - jusqu'à cette histoire de Murlocs.
- Par la malepeste ! Mezz !
- (voix caverneuse) Oui, Maître ?
- Tu étais VRAIMENT obligé de tous les attaquer ?
- (voix caverneuse) Il s'est enfui, je l'ai poursuivi, Maître. C'est vous qui avez insisté sur le respect de la procédure de poursuite...
- Pas si ça nous ramène tout le camp sur le dos !
- Il a bas fait exbrès, Baître. Ces Burlocs sont de braies saloberies qui se rebroduisent cobbe des labins. Snirfl.
- J'y étais presque !
- En blus, c'est bas de chance que bous bous soyez bris les bieds dans votre robe, Baître... Snirfl.
- Elle m'énerve, cette robe ! Faut que j'en change.
- (voix caverneuse) Mais vous avez eu les têtes de poisson, Maître.
- Mouais... Ce foutu Ogre a intérêt à bien me payer. En attendant, on va s'occuper de la bestiole des deux pouilleux.
Abatik grimaça puis éternua à nouveau.
Ladite "bestiole" était un démon que les deux habitants d'un manoir - en réalité une simple cahute perdue au milieu d'un bourbier - voulaient voir éliminer.
Une sombre histoire de potager saccagé... Comme le faisait remarquer Buck, pour une fois dans le mille, ils touchaient parfois le fond dans toutes ces histoires de quêtes.
Arrivé à la cahute pouilleuse, Llégion fit craquer ses jointures, posa la "torche d'invocation" sur le ponton - un simple morceau de bois en réalité - et sortit sa baguette magique tandis que Mezz se préparait en soupirant à bloquer l'apparition.
Quelques secondes après avoir installé la torche, une sorte de wiverne apparut et poussa un cri de rage en voyant le Démoniste.
Le combat fut bref. Mezz enlaça la créature, la bloquant dans ses déplacements, et Llégion, après avoir craché dans ses mains, lui fit connaître toute la gamme de ses malédictions et de ses sorts, en particulier ceux à base de flammes.
Les deux "pouilleux" furent très heureux du résultat, et Llégion les assomma à coup de bâton histoire de leur apprendre à respecter leur futur dieu.
C'était d'ailleurs le seul côté pénible depuis leur arrivée dans la région : sa manie de casser la figure à grand coup de bâton à tous ceux qui n'avaient jamais entendu parler de lui.
- Bon, Abatik, on a quoi maintenant ?
- Le billage de Bourbe-à-Brac, au sud, Baître. Y'a des dragons à tuer. Snirfl.
- Des dragons ? Des vrais ?
- C'est le rebaire d'Onyxia, Baître. Tant qu'on y entre bas, tout ira bien. Bais il y a des draconnides tout autour. Snirfl.
- Et mouche-toi, par la malepeste !
- Désolé, Baître. Snirfl.
- (voix caverneuse) Ca va aller mieux là-bas, Abatik. Il y fait plutôt chaud.
- Suber. En blus, je bais attraber la crèbe. Snirfl.
- Des dragons...
Abatik jeta un regard inquiet à Mezz qui avait lui-aussi noté la réaction de Llégion. Se caressant le menton d'un air réveur, il souriait tout seul.
- Abatik ?
- Euh... Oui, Baître ? Snirfl.
- C'est puissant comment, un draconnide ?
- Assez buissant, Baître. Mais c'est bas une bonne idée. Snirfl.
- Qu'est-ce que t'en sais ?
- Bous boulez utiliser les draconnides à botre serbice, Baître. Bais Onyxia n'est bas bartageuse. Ca ba baire des histoires. Snirfl.
- Mais quand je l'aurais vaincue...
- Les derniers à aboir baincu Onyxia s'y sont bris à quarante, Baître. Et la boitié tiennent baintenant dans un cendrier. Snrifl.
- Mouais...
- Quand bous serez blus buissant, Baître. Attendez d'aboir eu le Roi-Liche. Snirfl.
- Ta gueule, Abatik.
- Bous ne boulez bas l'abattre, Baître ? Snirfl.
- Je ne suis pas un imbécile - Mezz, ta gueule.
- (voix caverneuse) Mais je n'ai rien dit, Maître.
- Même. De toutes façons, Arthas c'est... différent. Il n'est pas pour moi - ni pour personne, d'ailleurs. Sauf...
Abatik et Mezz se lancèrent un nouveau regard. Encore ces sous-entendus. Depuis leur balade en Désolace, non seulement leur Maître avait repris confiance, non seulement il se débrouillait mieux, mais il lui arrivait de plus en plus souvent de lancer ce genre de propos.
Et Abatik, malgré son expérience, avait de plus en plus de mal à cerner son Maître. Pour tout dire, ça ne lui plaisait pas franchement.
- Bon, de toutes façons, cet abruti d'Ogre veut que je tue un dragon. Alors on y va.
- Euh... Bous êtes sûr, Baître ? Un dragon ? Snirfl.
- Qu'est-ce qu'il y a, Abatik ? Tu as la trouille ?
- Sans aboir la trouille, Baître, ça reste un dragon. Snirfl.
- Mezz va me le tenir, ça va passer tout seul.
- (voix caverneuse) Oui, Maître. Je vais le... Attendez voir !
- Bon, on est parti.
- (voix caverneuse) Mais Maître... Maître ! C'était pas dans mon contrat !
Moustaches resta un moment sans bouger. Onyxia ? Des dragons ? Et le Démoniste qui… Tout ceci ne lui plaisait guère. Est-ce que par hasard il se pourrait que… ?
Puis le rat bondit soudainement pour rattraper le groupe.
***
Le repaire d'Onyxia semblait tout aussi menaçant malgrè la tête du formidable dragon ornant l'entrée d'Orgrimmar. Une petite armée d'aventuriers intrépides avait réussi à la ramener après une lutte acharnée. Mais contrairement à ce qu'avait affirmé Abatik, la moitié des héros n'étaient pas revenus dans un cendrier.
Il ne restait pas suffisament de cendres pour ça.
Malgré cet exploit, les draconnides patrouillaient toujours autour de l'entrée du repaire, et on murmurait qu'Onyxia elle-même serait revenue.
Comme d'habitude, d'ailleurs : à se demander l'intérêt d'abattre tous ces "ennemis d'Azeroth", alors que quelques jours plus tard, ils réapparaissaient en pleine forme.
Cela n'intéressait pas Llégion pour le moment. Un Ogre établi à Bourbe-à-Brac lui avait fait récupérer une vieille bannière miteuse au fond d'une grotte, et lui avait demandé d'abattre le dragon surveillant l'entrée de l'antre.
Llégion était resté de longues minutes silencieux devant la grotte. Il avait soigneusement regardé le paysage dévasté aux alentours, et avait poussé du bout du pied quelques morceaux de bois carbonisés trainant par terre.
Puis il avait poussé un profond soupir, secouant la tête tristement.
- Euh... Baître ? Bous allez bien ? Snirfl.
- Ce n'est rien, Abatik... De vieux souvenirs...
Llégion se secoua et agrippa la bannière d'une main ferme - non sans s'être planté une écharde dans la paume et avoir râlé pendant cinq bonnes minutes.
Puis il la planta devant l'entrée du repaire, et attendit, appuyé sur son bâton.
Abatik jeta un oeil distrait sur son Maître, parcourut du regard les alentours pour repérer d'éventuels monstres en vadrouille, puis revint soudain sur Llégion.
Le Démoniste était dans une semi-pénombre, à peine éclairé par quelques brasiers brûlant autour de lui. Ses yeux brillaient de leur habituelle couleur verdâtre, mais cette fois-ci ils donnaient l'impression de brûler.
Son allure, sa façon de se tenir à son bâton... Abatik eut un frisson. Il sentit comme un souffle sur sa nuque, et tel un fantôme, une vision du passé sembla se superposer au présent.
Il n'avait plus devant lui un Mort-Vivant, mais un Homme. La silhouette courbée était redressée avec morgue. Le bâton dans ses mains luisait d'une lueur malsaine. La robe couleur d'obscurité - celle de l'âme et de la peur - formait comme un trou dans les ténèbres. Et la flamme dans les yeux était celle de l'ambition... et du pouvoir.
Abatik vit aussi autre chose, avant que la vision ne disparaisse comme un mauvais rêve. Parce qu'il était un démon, parce qu'il était expérimenté, il vit ce que d'autres n'auraient pas vu.
Une autre silhouette dans les ténèbres, juste derrière son Maître. La lueur des flammes environnantes semblait s'éteindre devant elle.
Abatik vit un Homme, à l'allure fière et martiale. Sa main était posée sur l'épaule de Llégion, comme pour le retenir - ou le soutenir.
Et il vit le coeur de l'Homme.
Abatik réagit avant même de comprendre, évitant ainsi... il ne savait pas quoi, mais il sentait que cela aurait été mauvais pour lui.
Comme tous les démons d'Azeroth, Abatik avait senti dans ses tripes l'apparition du Roi-Liche, tout comme le retour récent d'Arthas en Norfendre. Une volonté effroyable destinée à plier le monde et à le détruire.
L'Homme derrière son Maître était... pire. D'une certaine façon. Ou pas.
Abatik, simple Diablotin ayant si souvent servi de puissants démons dans de multiples univers, vit un vide effroyable que rien ne pouvait combler. Et il sentit la douleur, terrible, impitoyable, qui était l'Homme.
Abatik vit Llégion tourner les yeux vers lui. Dans cet instant hors du temps et de la réalité, le Diablotin et le Démoniste échangèrent un regard, et la seconde silhouette sembla s'éteindre, comme un vague souvenir.
- (voix caverneuse) Il arrive, Maître.
La voix de Mezz, qui n'avait rien remarqué, fit revenir le présent. Llégion était de nouveau notre Mort-Vivant bien connu, posté aux côtés d'une bannière d'Ogre miteuse devant une caverne.
Llégion se redressa et fit un pas vers la caverne, d'où sortait un dragon couleur de feu.
Le monstre ailé se posa devant la bannière et la transforma en torche d'un souffle. Puis il tourna son regard vers son adversaire.
Le dragon sembla hésiter. Il renifla alors deux fois, tourné vers le Démoniste, puis une forme de... de sourire, oui, déforma sa gueule.
- Je te connais.
- Vraiment ?
- Je n'ai pas oublié.
- Quelle coïncidence... Moi non plus.
- Pourquoi es-tu ici ?
- Un Ogre a demandé à notre Baître de bous...
- Silence, Abatik.
La voix de Llégion était ferme. Le silence se fit, à peine troublé par le crépitement de la bannière en flammes.
Abatik et Mezz, après avoir échangé un bref regard, firent quelques pas en arrière.
- Une question. Et une réponse, bien sûr.
- Je devine la question. Mais de réponse, tu n'en auras point.
- Alors tu mourras.
- Tu es présomptueux, Mort-Vivant.
Llégion plissa les yeux.
- Regarde en moi, dragon. Et dis-moi si c'est vrai.
Le dragon resta silencieux quelques secondes, puis, soudainement, cracha son feu juste aux pieds de Llégion qui ne broncha même pas.
- Joli. Mais insuffisant.
- Tu as grandi, Mort-Vivant.
- Il semblerait.
- Il m'avait épargné.
- Sauf que je ne suis pas lui. Et que je veux une réponse.
- Si je te la donne, tourneras-tu les talons ?
Llégion eut un sourire cruel.
- D'après toi ?
- Non.
- Bien vu.
- Je ne te donnerai pas ta réponse, Mort-Vivant. Mais je vais te dire une chose, néanmoins.
Llégion attendit, appuyé sur son bâton.
- Quelque chose s'est produit, qui n'aurait pas dû arriver. Quelque chose qui s'est déjà produit. Autrefois. Et qui recommence.
Le dragon fit un pas en avant, et baissa la tête à hauteur de Llégion.
- Le sang. Sans limite ni raison. Ni pitié.
- Oh.
- Tremblerais-tu, Mort-Vivant ?
Les deux adversaires s'affrontèrent du regard en silence. Puis Llégion, à la surprise d'Abatik qui observait en silence, se mit à rire doucement.
- Cette information est effectivement... intéressante. Mais je n'ai aucune raison de trembler.
- Oui... Je vois ça... Je t'ai sous-estimé, Mort-Vivant. Tu es plus grand encore que je n'osais l'imaginer.
- Et oui... Et maintenant, toi, tu vas mourir. En souvenir de ce qui aurait dû être et qui ne fut pas.
Le dragon se dressa de toute sa taille, déployant ses ailes, et poussa un cri de défi à la silhouette courbée. Llégion se contenta de sourire et fit un geste de dénégation en direction de Mezz.
- Je l'affronte seul, Mezz.
- (voix caverneuse) Mais Maître je... Ah. D'accord. C'est vous le Maître, Maître.
- Et arrête de sourire, ça m'énerve.
Llégion leva les mains au ciel et invoqua une malédiction qui frappa le dragon et le fit reculer d'un pas. Puis, avant même qu'il n'ait eu le temps de souffler son feu, il en invoqua une seconde qui enveloppa la terrible silhouette de nuées malsaines.
Le feu du dragon frappa de plein fouet le Démoniste qui se contenta de protéger son visage d'un bras, tout en braquant sa baguette. Le sort de givre frappa la gueule du monstre, étouffant le feu et le faisant hurler de rage.
Puis Llégion lança un nouveau sort, son préféré, enveloppant le dragon de flammes, puis invoqua une pluie de feu qui fit craqueler le sol.
Le dragon poussa un nouveau hurlement de rage et de douleur mélées, incapable de faire cesser le feu qui le brûlait. Il tenta de prendre son envol, mais ses ailes avaient souffert des attaques et il ne réussit qu'à sautiller vers son ennemi. Il lui envoya un coup de griffes que Llégion para de son bâton, en envoya un second qui fit voler à plusieurs mètres le Démoniste.
Llégion se releva en grimaçant, sa robe déchirée, et ramassa son chapeau tombé à ses côtés. En face, le dragon secouait la tête pour reprendre ses esprits, enfin débarrassé des flammes qui le dévoraient.
Puis il leva la tête et ouvrit la gueule pour un nouveau souffle de feu.
Llégion sourit. Il empoigna son bâton à deux mains, le leva au dessus de sa tête et asséna un coup puissant sur le crâne du dragon, interrompant sa respiration, lui fermant la gueule brutalement et le sonnant quelques secondes.
Le bâton vola en éclats sous la puissance du coup.
Malheureusement pour le dragon, Llégion avait soigneusement choisi son moment, alors même qu'il s'apprêtait à souffler.
Le feu, n'ayant plus d'échappatoire, se répandit dans les entrailles du monstre, le détruisant de l'intérieur.
Le dragon poussa un hurlement de douleur et d'agonie, des flammes déchirant sa peau de cuir. Puis il leva la tête dans une dernière tentative pour frapper Llégion, et s'effondra au sol dans une gerbe de flammes.
Llégion, les habits en loques et le bâton brisé, se redressa, étouffant d'une main distraite quelques flammèches sur son torse. Puis il regarda le dragon.
- Une bonne chose de faite.
Llégion se retourna vers Abatik et Mezz qui étaient restés en arrière. Son regard était dur. Il fit un pas vers eux en ouvrant la bouche... et s'étala au sol.
- Par la malepeste !
- Bous bous êtes bris le bied dans une racine, Baître. C'est traître bar ici. Snirfl.
- (voix caverneuse) Un combat magnifique, Maître. Bien que vous ayez violé plusieurs articles du Code d'Invocation...
- Mezz ?
- (voix caverneuse) Oui, Maître ?
Llégion s'était relevé en brossant ce qui restait de ses habits.
- Ta gueule.
- (voix caverneuse) Oui, Maître.
- Il me faut de nouveaux habits, Abatik.
- En ebbet, Baître. On bourrait retourner au billage. Histoire de récubérer Seln. Snirfl.
- Il me faudra aussi du tissu.
- Il baudra aller boir à l'hôtel des Bentes, Baître. Orgribbar est la bille la blus broche. Et Seln boudra benir. Snirfl.
- Tu as intérêt à ce qu'on ait assez de côté pour ça, Abatik. Je n'aime toujours pas l'idée que tu t'occupes seul de mes finances. Surtout avec Seln dans les parages.
- Baites-boi confiance, Baître. On a bas bal de côté. Bêbe assez bour offrir des bricoles à Seln. Snirfl.
Llégion foudroya le Diablotin du regard.
- T'es pas en train d'essayer de me dire un truc, toi ? Bien sûr qu'on va récupérer Seln !
- C'est-à-dire, Baître... C'est bas cobbe si elle n'abait rien dit... Snirfl.
- Quoi ?
Abatik lança un regard fatigué à son Maître en se mouchant.
- Bous debriez écouter un beu ce qu'elle dit, Baître. Snirfl.
- Pourquoi ? C'est important ?
- C'est son annibersaire la sebaine brochaine, Baître. Snirfl.
- Quoi ? Pourquoi je ne suis pas au courant ?
- J'ai compté, Baître. Elle l'a dit 327 bois depuis qu'on est ici. Snirfl.
- Mais....
- Bêbe Bezz est au courant, Baître. Snirfl.
- (voix caverneuse) Oui, Maître. Je lui ai acheté un miroir.
- Mais...
- Et boi du baquillage, Baître. Snirfl.
- Mais...
- Et Buck est allé exbrès à Lune d'Argent bour son cadeau, Baître. Snirfl.
- Mais...
- Et bêbe le clébard a troubé un truc, Baître. Je ne sais bas cobbent, bais il lui a troubé un bracelet. Snirfl.
- Mais...
- Si bous ne lui offrez rien, elle ba être furax, Baître. Snirfl.
- Mais...
Llégion avait un regard effaré. Il ouvrit la bouche et ses yeux se baissèrent sur Moustaches. Qui lui renvoya son regard. Et gratta d'un air négligent son cou.
Llégion remarqua alors qu'il portait un collier qu'il n'avait jamais remarqué avant. Un collier ressemblant énormément à un bijou de valeur.
Le genre de bijou pouvant plaire à une Succube.
Llégion ouvrit et ferma la bouche plusieurs fois sans prononcer un mot. Puis il ferma les yeux et...
- Rhaaa ! Par la malepeste !
Le Gobelin s'occupant des wivernes de Bourbe-à-Brac tendit l'oreille et gémit
- Oh, non ! Il est revenu !
Puis il retourna à ses affaires.
Moustaches retint un soupir. Ce Démoniste... Ce n'était pourtant pas compliqué, quoi ! Même lui avait fait un effort. En plus, le Diablotin s'était trompé dans ses comptes, mais bon, ce n'était pas très grave... Pendant ce temps-là, il ne remarquait pas...
Puis le rat réajusta d'une patte habile le bijou sur son cou.
***
- Flpt.
- Oui, très déçu, vraiment. Nous fondions de grands espoirs sur vous.
- Nous pens... gnnn *cloc*
On ne pouvait pas dire que Vimaire était abattu. Cela aurait été erroné. La vérité était que le Tauren n'était plus que l'ombre de lui-même.
Les réprimandes des trois Morts-Vivants dirigeant la Confrérie n'étaient que le point final d'un échec sans appel. Il avait su immédiatement quelle serait leur réaction à la réception de son rapport. Et la réaction avait été rapide.
Deux Orcs au front bas portant l'insigne de la Confrérie étaient venus chercher Vimaire aux Pitons du Tonnerre où il ruminait sa déception, pour le conduire auprès du conseil de la Confrérie.
Enfin, en partie. Vimaire avait un respect vicéral des lois et des réglements, et il ne pouvait que s'incliner devant le coup magnifique réalisé par le Démoniste. Ou plutôt par son démon qui manifestement connaissait son sujet.
Il n'empéche, il fondait de grands espoirs sur cette affaire, et dorénavant ne savait plus quoi faire.
Vimaire fit un effort pour revenir au présent et pour écouter les trois Morts-Vivants qui le regardaient avec gravité. Enfin, deux d'entre eux le regardaient, le troisième étant tourné vers le mur à cause de son bandeau sur les yeux.
- Fltp gltp.
- Ainsi que le souligne notre confrère, cet échec sera porté sur votre dossier et vous subirez un blame. Et il est inutile de vous rappeler les conséquences d'une telle sanction sur la suite de votre carrière. Le Service des Affectations sera conduit à reconsidérer votre prochaine mutation... qui ne sera pas Orgrimmar, vous pouvez en être sûr.
- Nous ne pouv... gnnn *cloc*
Vimaire fixa d'un regard vide le troisième Mort-Vivant qui bataillait à nouveau pour remettre sa mâchoire encore une fois décrochée. Sa lassitude était telle qu'il n'avait même pas envie de s'énerver.
- Gtp flp thp.
- C'est en effet la décision que nous avons prise. Un autre va reprendre ce dossier et le régler. Nul n'échappe à la Confrérie.
- C'est inutile. J'ai déjà vérifié. Le dossier est inattaquable.
Le Mort-Vivant sans machoire leva un sourcil et jeta un coup d'oeil sur son confrère à la machoire capricieuse qui ouvrit le dossier devant lui et le parcourut rapidement.
- On dirait qu'il dit vr... gnnn *cloc*
- Gklp !
Le sans-machoire récupéra le dossier et le parcourut lui aussi rapidement, les sourcils froncés. Puis il se tourna vers le côté de l'estrade où il tronait avec ses confrère et fit un signe de tête à un Diablotin qui servait de secrétaire à la séance.
- Tflp ?
Le Diablotin sortit un petit classeur de sous son bureau, parcourut rapidement la table des matières et l'ouvrit à un signet.
- Ah ben d'accord, je pige mieux ce coup de pute. La grosse vache a raison : on peut faire que dalle.
- Comment cela ? Nous sommes la Confrérie ! Contre nous, personne ne gagne ! Revérifiez !
- Des clous, ducon. C'est le meilleur dossier que j'ai jamais vu. Du grand art, même !
Le Mort-Vivant foudroya du regard le Diablotin qui avait posé les pieds sur son bureau. Puis il revint sur Vimaire.
- Vblp ?
- Il a raison. Cela ne se peut. Quelqu'un l'a forcément aidé. Et comme il vient de le souligner, seul quelqu'un connaissant parfaitement notre fonctionnement a pu réussir cela. C'est-à-dire VOUS ! Qu'avez-vous à répondre ?
- Et soy... gnnn *cloc*
Vimaire sentit la colère monter en lui.
- Je sers la Confrérie depuis toujours ! J'ai toujours été fidèle et conciencieux ! Et vous OSEZ m'accuser de trahison ? Ce Llégion était à moi ! A moi !
- Alors qui ?
- Son démon. Le truc bleu que les Démonistes trimballent partout avec eux.
- Un Marcheur du Vide ? Qu'a-t-on sur lui ?
Le Diablotin soupira, agacé d'être dérangé, mais prit un autre classeur sous son bureau et le compulsa.
- Llégion, vous dites ?
- Oui. Un grand chauve à l'air con.
- Mmmm... Ah, je l'ai ! Mmmm... Oh putain !
- Fltp ?
- Son Marcheur, c'est Mezznagma. Tu m'étonnes que son dossier soit en béton armé !
- Fglp ?
- Oui, qui est ce Mezz-machintruc ?
Le Diablotin éclata de rire.
- Z'êtes vraiment des caves... Le Mezz a été l'adjoint d'un certain démon quand il a débuté. Physkal, ça vous dit quelque chose ?
Un long silence répondit au Diablotin qui affichait un grand sourire. Puis finalement Vimaire se décida à rompre le silence.
- Il a travaillé pour notre fondateur ?
- Pas que, ducon. Jamais vous lisez les petites lignes sur vos foutus machins ? Il a participé à la rédaction des Codes fiscaux. Votre Llégion vous l'a mis profond, les mecs !
Vimaire resta la tête baissée, tandis que sur l'estrade les trois Morts-Vivants se regardaient d'un air déconcerté. Puis il sourit.
- On dira ce qu'on voudra, mais il n'a fait que respecter les lois et réglements. Comme nous.
- Tgfp !
- Oui, il a raison ! Si cela venait à se savoir, notre réputation serait entachée à tout jamais ! Nous sommes la Confrérie ! Personne...
- ... ne gagne contre nous. Alors changeons les données du problème.
- Vous pens... gnnn *cloc*
- Oui, vous pensez à quelque chose ?
Vimaire hocha la tête.
- Ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous.
- Un principe fondamental.
- Alors cela veut dire que ceux qui ne sont pas contre nous...
- Dfgp fghp tlrp...
- Oui, ceux qui ne sont pas contre nous sont avec nous... Mais…
- Il suffit de le faire passer dans la catégorie YZO-04 et cela annulera toute la procédure.
- Sauf pour... gnnn *cloc*
- Oui, sauf pour les dossiers relatifs aux échéances non rétroactives... Ce qui implique...
- Que s'il fait un pas de travers, on pourra lui remettre tout sur le dos.
- Ptrp !
- Oui, il a raison : cela pourra prendre une éternité.
Vimaire planta son regard dans celui du Mort-Vivant, avant de détourner la tête du bandeau lui barrant le visage pour se tourner vers le principal responsable.
- Nous sommes la Confrérie. Nous avons le temps. Et nous sommes patients.
Les trois Morts-Vivants restèrent silencieux un moment, le temps de réfléchir.
- Fltp.
- En effet, votre idée est intéressante et bien la preuve de vos aptitudes. Cela mérite bien une citation sur votre dossier.
- Cela veut dire que mon blame...
- Ah, le blame... Vous pouvez bien entendu demander un réexamen par le biais du formulaire B-21-18-07bis.
Vimaire grimaça. Il connaissait la procédure, et savait que cela prendrait des siècles.
Nous sommes la Confrérie. Contre nous, personne ne gagne.
Foutus Morts-Vivants...
- Vous all... gnnn *cloc*
- Oui, vous allez vous occuper de mettre à jour le dossier de Llégion. Après tout, c'est votre affaire.
- NON.
***
Chapitre 137 : Joyeux anniversaire !
- (voix caverneuse) Je dois reconnaître qu'il fait des efforts, cette fois-ci.
- [...]
- (voix caverneuse) De sa part, c'est vraiment louable. Quand on sait à quel point il déteste Lune d'Argent.
- [...]
- (voix caverneuse) Ca ne s'arrange pas, ton extinction de voix.
- [...]
- (voix caverneuse) Ca, c'est le chaud et froid des marais.
- [...]
- (voix caverneuse) Ce qui m'ennuie, c'est que je dois lui faire la conversation à ta place.
- [...] !
- (voix caverneuse) C'est peut-être égoïste, mais c'est vrai.
- [...]
- (voix caverneuse) Je suis sûr que tu ne le penses pas.
Abatik ne répondit pas à Mezz. Enveloppé dans une épaisse couverture, le Diablotin s'était installé devant le poêle de l'auberge de Lune d'Argent où Llégion avait pris une chambre. Son nez gouttait avec une régularité d'horloge sur le tapis déjà bien imbibé et un tas de mouchoirs usagés prenait une bonne partie du salon commun. Abatik partait du principe que tant qu'à être malade, autant en profiter pour gâcher la vie aux autres.
Sauf que les Elfes conservaient un enthousiasme affligeant, malgré tout ce qu'il pouvait infliger aux lieux. Parfois, Abatik comprenait son Maître dans sa détestation des Elfes de Sang...
Le Diablotin souffrait aussi d'une extinction de voix l'empêchant de tenir le crachoir à son Maître. Ce rôle si important était donc retombé sur les épaules de Mezz qui ne savait pas comment s'y prendre.
Résultat : tous attendaient avec angoisse la prochaine catastrophe que ne manquerait pas de provoquer un Llégion privé des conseils de son Diablotin préféré.
Les deux compères levèrent la tête en voyant entrer Seln accompagnée de Zaza. La Succube boudait toujours, et ça durait depuis deux jours - depuis leur arrivée dans la cité en fait, Llégion ayant décrété un embargo total sur l'accès à ses finances.
Zaza, bien sûr, gambadait gaiement autour des jambes de sa "maman". Quelques taches suspectes autour de son museau indiquaient que la population féline locale devait encore avoir très fortement diminué.
- J'm'ennuie...
- [...]
- Toi-même, d'abord !
- Wif !
- (voix caverneuse) Abatik a raison. C'est quand même l'or de notre Maître.
- [...]
- (voix caverneuse) Oui, j'avais failli oublier. Où sont-elles, d'ailleurs ? Ca faisait quand même beaucoup de robes.
- Elles ne me plaisaient plus. Je les ai mises... je ne sais plus où.
- [...] ?
- Ah non ! La lingerie, je l'ai gardée ! Elle est trop chou...
- (voix caverneuse) Respire, Abatik, tu deviens rouge. J'aimerais bien qu'on m'explique, d'ailleurs. Parce que moi, je ne l'ai pas vue, cette lingerie.
- [...] !
- (voix caverneuse) Je me demande pourquoi il lui a interdit de remettre cet ensemble. Ce n'est que du tissu.
- [...]
- (voix caverneuse) Si tu le dis... Mais il faudra quand même m'expliquer un jour...
Selneri fit une moue boudeuse et alla s'asseoir dans un coin du salon, foudroyant du regard un vase qui ne lui avait pourtant rien fait.
Puis elle se mit à sourire.
- Dites, les garçons...
- [...] !
- Mais ce serait tellement chou !
- [...]
- C'était pas ma faute ! Il avait été méchant avec moi. Hein qu'il avait été méchant avec maman le vilain marchand ?
- Wif ! Grrr...
Zaza se remit à gambader joyeusement autour de Seln.
- (voix caverneuse) De toutes façons, l'accès au magasin t'est interdit depuis.
- [...]
- (voix caverneuse) En plus. Et notre Maître veut qu'on reste ici.
- [...]
- (voix caverneuse) Et Abatik ne peut pas bouger.
- Vous n'êtes pas drôles, les garçons...
Abatik leva les yeux au ciel en secouant la tête, puis cracha sur le tapis. Il avait failli oublier de le faire.
Un silence pesant se fit, régulièrement interrompu par les jappements de Zaza et les mouchages d'Abatik. Mezz profitait de ce moment de calme - trop rare ces temps-ci - pour mettre la dernière main à un mémoire sur les conditions de travail au sein des entités multiservices à vocation subséquente.
Un truc important. Sûrement.
- [...] ?
- (voix caverneuse) Je refuse de parler de ce vil exploiteur.
- [...]
- (voix caverneuse) Rien à voir. Llégion est notre Maître. C'est normal. Mais cet infâme aristocrate...
- [...]
- (voix caverneuse) Tu me déçois beaucoup, Abatik.
- [...] ?
- (voix caverneuse) Je crois qu'il traîne hors de la ville. Il parait qu'on pourrait le reconnaître sinon.
Abatik hocha la tête. Ce Buck... Un démon sympathique finalement. Un peu pédant et méprisant, certes, mais sans méchanceté. Plus un problème d'éducation qu'une véritable volonté de nuire.
Le Diablotin se moucha à nouveau et jeta son mouchoir dans une coupe de fruits.
- Les garçons ?
- [...] ?
- Il va m'offrir quoi, Llélé ?
Abatik et Mezz échangèrent un regard lourd de sous-entendus. Llégion les avait laissés à l'auberge dès leur arrivée, et avait prit tout son or. Enfin, ce qu'Abatik lui avait donné, le Diablotin étant d'une prudence extrème sur les questions financières avec son Maître. Autant ne pas tout lui dire.
Les deux démons n'avaient pas contredit Seln quand elle avait décidé que sa disparition était liée à son anniversaire, et qu'il lui préparait une fête magnifique avec toutes ses copines et plein de cadeaux. Mais ils n'avaient pas non plus approuvé. Pas fous.
Abatik penchait plutôt pour une panique sans fin du fait de l'incapacité de Llégion à tenir compte des sentiments des autres en général, et de sa Succube en particulier. Il devait sûrement chercher désesperement un cadeau à lui offrir, et finirait par acheter une babiole minable à la dernière minute.
Abatik avait déjà tout imaginé. Seln ferait une scène, Llégion piquerait une colère, Seln se mettrait à pleurer, Llégion se re-mettrait en colère, Seln re-ferait une scène, Llégion se re-re-mettrait en colère, et Seln partirait en claquant la porte. Tout ça au milieu des jappements hystériques de Zaza.
Le lendemain, Llégion se rendrait compte que Seln avait fugué, et ce serait encore une fois à Abatik de se taper la corvée de la ramener.
Et pas sûr de croiser à nouveau Edualk cette fois-ci.
Abatik décida de commencer à préparer le terrain et à prendre certaines mesures pour rattraper le coup.
- [...]
- Tu es drôle, Aba ! Bien sûr qu'il y pense ! J'ai pas arrêté de lui en parler, et en plus je lui ai montré ce que je voulais il y a un mois ! Hein que maman a montré à son lapinou ?
- Wif !
Abatik eut un bref moment de panique. Il se souvenait vaguement d'un moment passé dans une boutique indéterminée, mais il il n'y avait pas prété attention.
Qu'est-ce qu'elle avait bien pu lui montrer ? Il fallait être subtil ce coup-là...
- [...] ?
- Comme si tu ne le savais pas ! J'espère qu'il va le prendre en bleu... Ce serait TELLEMENT génial s'il prenait le bleu ! Hein mon Zaza ?
- Wif !
- [...] ?
- Mais non, il n'y a que là qu'on en trouve. Il parait que ce sont les meilleurs d'Azeroth ! Tu te rends comptes, Aba ? Oh, j'espère que ce sera le bleu ! Qu'est-ce que j'ai hâte !
Abatik jeta un oeil du côté de Zaza, mais celui-ci haussa les épaules d'un air de dire "J'ignore ce qu'elle a demandé, et en plus je m'en fous, parce que mon cadeau est mieux. Wif !". Très expressif pour un Chasseur Infernal...
Bon, pour le cadeau que voulait Seln, c'était rapé. Autant chercher autre chose.
- [...] ?
- Ne t'inquiète pas, Aba ! Bien sur qu'il y en a assez ! En plus, c'est ça que je veux et rien d'autre ! Et puis c'est tellement chouette en bleu ! Les copines vont être verte ! Verte ! Hi hi ! Bleu ! Verte ! T'as vu, Aba, j'ai fait une blague !
Abatik laissa tomber alors que Seln pouffait. Il avait fait ce qu'il pouvait, maintenant si Llégion n'était pas capable de s'occuper de ça lui-même...
- (voix caverneuse) Tu sais, Abatik, peut-être qu'il y a pensé.
- [...]
- (voix caverneuse) Pas la peine d'être blessant. Il s'est beaucoup amélioré ces derniers temps.
- [...] ?
- (voix caverneuse) Là, tu marques un point.
Le Diablotin et le Marcheur du Vide poussèrent en même temps un profond soupir. Parfois, ils regrettaient le temps où ils s'ennuyaient en Enfer...
Moustaches esquiva avec souplesse le mouchoir roulé en boule que lui envoya Abatik. De toutes façons, ce n'était pas le bon. Pas encore. Et il ne quittait pas des yeux le paquet en question.
Puis le rat tomba comme une masse au sol et entama une sieste.
***
- NON.
Vimaire sursauta en entendant la voix séche et caverneuse. Il se retourna tandis que, sur l'estrade, les trois Morts-Vivants se levaient avec respect.
- Fltp...
- Oui, nos respect… gnnn *cloc*
- Nos respectueuses salutations. Nous ignorions que vous étiez ici.
- NUL NE DOIT SAVOIR.
- Certes.
Vimayre plissa les yeux pour essayer de deviner la silhouette tapie dans l'ombre. Malheureusement, la lumière des torches l'empéchait de distinguer quoi que ce soit.
- Flp.
- CONTRE NOUS, PERSONNE NE GAGNE. CE PRINCIPE NE SOUFFRE PAS D'EXCEPTIONS.
- Effectiv… gnnn *cloc*
- Ainsi que le Contrôleur Principal l'a évoqué, la procédure…
- NON.
- Hem…
Les trois Morts-Vivants se tournèrent vers Vimayre qui venait de se racler la gorge pour attirer leur attention.
- La Confrérie n'existe que par ses procédures. Nous ne pouvons passer outre. Llégion a respecté les régles. Que pouvons-nous faire ?
- OUBLIEZ.
- Oublier ?
- OUBLIEZ LLEGION. IL Y A D'AUTRES IMPERATIFS. D'AUTRES DOSSIERS.
- La Confr… gnnn *cloc*
- Plf flf.
- Effectivement, Llégion n'est plus une priorité, mais dans l'intérêt de la Confrérie, nous devons maintenir une surveillance envers…
- NON.
- Pourquoi ?
La silhouette sembla se tourner vers Vimayre.
- CE QUI AURAIT DÛ ÊTRE ET QUI NE FUT PAS.
- Encore cette phrase ! Qu'est-ce que…
- IL SUFFIT. OUBLIEZ LLEGION. UN AUTRE DOSSIER RECQUIERT VOTRE ATTENTION.
- Mais je…
- A-RL-N-01. IL EST A VOUS. TRAQUEZ, ET REDRESSEZ.
- Ce doss… gnnn *cloc*
- Oui, ce dossier n'est accessible qu'aux membres du Conseil.
- OUI.
- Flp ?
- En effet, nous…
- J'AI DIT.
La silhouette sembla se fondre dans l'obscurité, puis il n'y eut plus rien.
Vimayre alla vérifier par acquis de conscience, mais il n'y avait que le mur familier, avec ses traces des batailles passées et les trous de souris.
Puis il se retourna vers les trois Morts-Vivants, qui semblaient passablement gênés.
- Qu'est-ce que le dossier A-RL-N-01 ?
- Ftl plf.
- Oui, votre nouvelle affectation… Un cas… sensible. Vous aurez accès à la totalité des moyens de la Confrérie pour le traiter… Conseiller Vimayre.
Vimayre se redressa. "Conseiller Vimayre"… Enfin !
Il monta sur l'estrade et s'assit sur la chaise que le Diablotin servant de secrétaire venait de lui apporter en lui faisant un clin d'œil torve.
Puis il prit le dossier que l'un des Morts-Vivants – un de ses collègues désormais – lui tendait.
- Voyons voir ce nouveau client qui… Oh. Merde.
- Flp.
- En eff… gnnn *cloc*
- En effet. Ce n'est pas une promotion, Conseiller Vimayre. Il risque d'être votre perte.
- Ca, c'est clair… Au moins, lui, je sais où le trouver…
Vimayre soupira et entreprit de lire le dossier. Il connaissait l'histoire, mais était curieux de savoir ce que la Confrérie avait sur lui.
Par contre, les Paladins, même de sang royal, étaient notoirement fauchés. Restait à savoir si cela concernait aussi ceux ayant viré du côté obscur…
Loin de là, Moustaches reprit sa respiration. Ces Morts-Vivants… Le Tauren avait bien raison de vouloir changer tout ça. Maintenant, son plan allait pouvoir se mettre en route.
Puis le rat éternua.
***
*
Qu'est-ce qui fait d'un homme ce qu'il est ?
Est-il déterminé par sa naissance ? Sa famille ? Son appartenance ?
Sont-ce les expériences vécues qui le façonnent ?
Vaste sujet.
Imaginons... un homme.
Banal. Un parmi tant d'autres.
Oh, certes, nous sommes dans un monde d'aventures extraodinaires. Et nous pouvons supposer que notre homme en a vécu sa part. C'est le cas, en effet.
Qui est-il vraiment ? Un simple anonyme, portant une arme et une armure - car notre homme se bat - ou peut-il être plus que cela ?
Peut-être même est-il important. Sans qu'il ne le sache. Sans qu'il ne le veuille.
Car notre homme n'est pas un héros. Il le sait. Il s'en contente.
Tout le monde n'a pas vocation à être un héros. C'est ce qu'il dit, quand on lui pose la question.
Tout le monde n'a pas vocation à être un héros...
Mais voilà : qui dit ce qu'est un héros ? Qu'est-ce qui le détermine ?
La question mérite d'être posée, n'est-ce pas ?
Ou tout au moins, elle mérite... une histoire.
L'histoire d'un homme. De cet homme.
Voyons voir... Il faut un début à cette histoire. Et un narrateur.
Disons... une taverne. Un homme vétu de noir, plus forcément très jeune, boit seul à sa table.
Il a une histoire à raconter. Notre histoire.
Et quelqu'un entre dans la taverne, désireux d'entendre cette histoire.
Ecoutons.
Cette simple histoire, d'un homme banal, dans un monde extraordinaire...
***
[Une taverne en Azeroth, +27]
- Racontez-moi.
L'homme vêtu de noir jeta un coup d'oeil éloquent sur sa chope.
- La mémoire, vous savez... Et avec tous mes soucis d'argent...
Une pièce d'or apparut comme par magie devant l'homme qui s'en saisi prestement en souriant. Puis il fit un petit signe à la serveuse de la taverne et attendit d'être servi avant de siffler la moitié de sa chope.
- Racontez-moi.
- C't-à-dire... je ne vous connais pas, et c'est quand même...
- Je dois savoir.
L'homme lança un regard moins alcoolisé qu'on pourrait le croire à son mystérieux interlocuteur. Celui-ci était vêtu d'une robe grise simple et usée, et un capuchon cachait ses traits.
- Je ne raconte pas mes histoires à n'importe qui.
Une bourse apparut devant l'homme tout aussi rapidement que la pièce d'or. Il hésita une fraction de secondes, puis la fit disparaitre sous sa chemise.
- Mouais... je suppose que si vous êtes un sale type, il saura quand même se débrouiller...
- Racontez-moi.
- Vous voulez savoir quoi ?
L'homme mystérieux se pencha lentement vers l'homme en noir par dessus la table.
- Racontez-moi... tout.
- Ca risque d'être long.
L'homme mystérieux ne répondit pas, mais se rassit sur sa chaise, l'air d'attendre.
L'homme en noir se gratta le menton, pris une gorgée de bière, puis commença à raconter...
- Alors voilà...
***
[
Chapitre 1 : Moi, c'est Edualk
L'homme prit quelques secondes pour passer en revue ce qu'il restait de sa maison. L'intérieur avait été saccagé, et le feu avait détruit une bonne partie du toit.
Sa maison n'était plus qu'une ruine.
Sa maison... mais non sa vie.
Il soupira, les épaules basses, puis prit une profonde inspiration et se redressa, parce que c'est ainsi qu'un homme comme lui devait se comporter. Toujours faire face. Ne jamais s'apitoyer.
Montrer l'exemple.
Il prit le sac vide qu'il avait avec lui et commença à fouiller les restes de son foyer pour récupérer ce qui pouvait l'être.
Dehors, le jeune garçon était assis sur une vieille souche et restait le regard posé sur le petit groupe en face de lui et qui plaisantait bruyamment au milieu des ruines du petit groupe de maison.
Des guerriers.
Des Orcs.
Leur chef se tenait un peu à l'écart, négligemment appuyé sur le manche d'une lourde hache de guerre. D'une main il tenait une gourde qu'il portait régulièrement à sa bouche, et de l'autre un jambon à moitié cuit dans lequel il mordait avec appétit, ne s'interrompant que pour lâcher un rot sonore.
Il finit son repas, jeta l'os par terre, rangea sa gourde et, lançant sa hache sur son épaule, s'approcha en souriant du jeune garçon. Celui-ci le regarda s'approcher sans montrer la moindre crainte, malgré le fait qu'il soit un Orc, qu'il soit un guerrier.
Malgré le fait qu'au loin, un nuage sombre masquait le soleil et indiquait où se trouvaient les ruines fumantes de Hurlevent, prises et brûlée par les mêmes Orcs.
Le guerrier à la peau-verte et aux cheveux légèrement grisonnant se planta devant le jeune garçon, posa sa hache et, s'appuyant dessus, cracha par terre.
- C'était ta maison, gamin ?
Le jeune garçon hocha la tête sans répondre.
- Tu sais que ce sont sûrement des grunts à moi qui ont brûlé ce village. A la guerre, ce sont des choses qui arrivent.
- C'est quoi, un grunt ?
Le garçon n'avait toujours pas l'air impressionné. Toujours assis sur sa souche, il regardait l'Orc droit dans les yeux. Celui-ci sourit.
- C'est comme ça qu'on appelle les guerriers chez nous.
- Vous êtes un grunt ?
- Je commande à des grunts.
- Pourquoi ?
- C'est comme ça. Les chefs ont trouvé que je faisais l'affaire.
- Ce n'est pas vous qui avez brûlé ma maison.
L'Orc leva un sourcil.
- Tu crois ? Tu sais reconnaître les Orcs entre eux ?
- Ceux qui ont attaqué avaient les yeux rouges. Vous, et les autres, là, vous avez des yeux normaux.
L'Orc plissa les yeux.
- T'es observateur, gamin. Mais tu as raison : ceux aux yeux rouges, faut pas t'en approcher.
- Pourquoi ?
- C'est un truc... qu'on leur a fait. Un sale truc. Ca met de sales idées dans la tête.
- Mais pas vous.
Ce n'était pas une question.
- Moi, j'ai fais en sorte d'y échapper. J'aime garder ma tête propre.
- Mon oncle en a tué beaucoup. Il sait se battre. Il est Capitaine de la Garde à Hurlevent.
- Je sais. Sauf que Hurlevent, c'est un tas de cendres maintenant.
- Mon oncle dit que Lordaeron va se battre. Que cette guerre, elle ne se limite pas aux royaumes, mais aux races.
- Ton oncle, c'est la gars là-bas ?
L'Orc fit un signe du menton vers la maison.
- Oui. Il s'occupe de moi.
- Et ton père, il est où ?
Le garçon haussa les épaules.
- Je ne sais pas. C'est un sale type, de toutes façons.
- Pourquoi ? C'est ton père. Il faut respecter son père.
- Lui ? C'est un escroc, et un minable. La dernière fois qu'il est venu me voir, il s'est enfui pendant la nuit après nous avoir volé nos économies.
- Et ben, ça a l'air d'un bon gars, dis-donc... Et ta mère ?
Le garçon haussa à nouveau les épaules.
- Elle vit chez les Elfes, très loin.
- Pourquoi tu n'es pas avec elle ? Tu serais plus en sécurité chez eux qu'ici, au milieu de la guerre.
- Elle n'est pas capable de s'occuper de moi. Elle fait des trucs trop bizarres, avec les Druides. Quand elle vient me voir, une fois sur deux elle ne se souvient plus de mon nom !
- C'est moche.
- Mais elle est gentille, et je sais qu'elle m'aime - c'est pour ça qu'elle a demandé à mon oncle de s'occuper de moi.
L'Orc resta silencieux. Il savait se battre, et d'une certaine façon, il ne détestait pas ça - même si le temps où il n'était qu'un simple péon coupant du bois lui manquait. Il n'aimait pas l'idée de brûler les villes de gens qui ne lui avaient rien fait.
Tout ça, c'était la faute de Gul'dan et de ses séides...
Le truc, c'était les gosses. Il commençait à se faire vieux - ses grunts l'avaient même surnommé affectueusement le Cagneux - et avait vu tout un tas de saloperies, depuis que son peuple avait sombré dans la violence et le sang.
Ce maudit sang.
Mais tuer des gosses, leur faire du mal, il n'avait jamais pu.
Et celui-ci, avec sa mine sérieuse, sa façon de poser des questions...
- Je vais te dire un secret, gamin. Tous les Orcs ne sont pas mauvais. La guerre, tout ça, c'est à cause de ceux qui ont mis ces sales idées dans la tête de mon peuple.
- Pourquoi ils ont fait ça ?
Cagneux réfléchit.
- Nos chefs sont devenus mauvais. Et ils ont décidé que les Orcs devaient l'être, eux aussi.
- C'est pour ça les yeux rouges ?
- Oui.
- Mais vous, vous n'avez pas les yeux rouges.
- Bien vu.
- Et les autres, là, non plus.
- Ce sont mes grunts. Pas d'yeux rouges chez moi.
- Alors pourquoi vous n'avez pas tué vos chefs, s'ils sont mauvais ?
- Parce que nous ne sommes que des grunts, et pas bien nombreux. Et nos chefs sont puissants.
Le garçon réfléchit, puis regarda à nouveau l'Orc dans les yeux.
- S'ils sont mauvais, alors un Héros viendra un jour pour les tuer. C'est comme ça que ça marche.
Cagneux sourit tristement.
- Désolé, gamin, mais c'est un foutu monde, et il ne marche pas comme ça.
- Si. Dans une histoire, il faut que ça finisse bien. Sinon, ce n'est pas une bonne histoire.
Le garçon posa la main sur celle de Cagneux.
- Mon oncle dit que les Orcs sont respectables. Que si vous faites la guerre, c'est pour de mauvaises raisons, parce qu'on ne vous a rien fait.
- Il dit ça, ton oncle ? Alors que c'est un soldat ?
- Oui. Et je suis sûr qu'un jour, vous aurez un héros qui tuera vos chefs. Et vous rentrerez chez vous, et ce sera la paix.
- Rentrer chez nous ? Si tu pouvais dire vrai...
Le garçon sourit.
- Moi, je sais que cette histoire finira bien. C'est toujours comme ça, avec les histoires.
Cagneux allait répondre quand l'homme ressortit des ruines de la maison, un sac peu rempli à la main. Il se dirigea vers Cagneux, le visage fermé.
- J'ai fini. Nous allons partir maintenant - je ne veux pas que vous vous fassiez prendre à cause de nous.
Cagneux sourit.
- Nous sommes en guerre, nous sommes ennemis - que vous importe mon sort ?
L'homme planta son regard dans celui de Cagneux.
- Vous êtes un ami de Gloïn, cela me suffit. Ce vieux Nain sait juger les autres.
- Un bon ami, ce Gloïn. Votre gamin, là, trouve que je ne suis pas un "méchant Orc". Il m'a tout l'air d'être du genre futé.
- Oui, il est moins bête qu'il n'en a l'air. Et je lui ai appris à ne pas juger sur les apparences.
Cagneux hocha la tête.
- C'est une foutue guerre. Un jour, nous nous retrouverons face à face. Et l'un de nous mourra.
- Oui. C'est ainsi. Mais j'aime croire que ce n'est pas inéluctable.
L'Orc et l'homme restèrent silencieux un moment, se jaugeant mutuellement. Puis l'homme tendit sa main à l'Orc qui, après avoir laissé passer quelques secondes, la prit et la serra.
- Puissiez-vous survivre à cette guerre, l'Orc.
- Vous aussi, l'Humain. Vous partez vers le Nord ?
- Moi, oui. Mes hommes ont besoin de moi. Mais mon neveu va partir sur Dun Morgoh avec son grand-père.
Les deux combattants se lâchèrent la main. L'homme jeta le sac sur son épaule et prit le jeune garçon par la main, tandis que l'Orc reprenait sa hache.
- Content d'avoir rencontré un homme comme vous.
- Et moi un Orc comme vous. Faites attention.
- Pas de soucis. Au fait, mes grunts m'appellent le Cagneux.
- Je m'appelle Athamnas. Adieu
Athamnas et le garçon prirent la route loin des ruines, tandis que Cagneux secouait ses grunts.
Alors qu'ils s'éloignaient, le jeune garçon lâcha la main de son oncle et courut vers les Orcs. Il s'arrêta devant Cagneux et, le visage sérieux, lui tendit la main. L'Orc la prit, le visage tout aussi sérieux.
- Moi c'est Edualk.
Puis il rejoignit en courant son oncle - et sa nouvelle vie, pour un temps loin de la guerre.
***
Chapitre 2 : C'est mon anniversaire
Il y a un rêve que je fais, parfois.
J'ai 4 ans. Je le sais, c'est mon anniversaire. Mon papy m'a fait un gâteau. Mais il ne sait pas faire la cuisine, alors le gâteau n'est pas très beau, et il est de travers.
Il a un goût de papier. La bougie a coulé dessus, ça ne sent pas bon.
Mon tonton m'a dit que je devenais un homme. Moi, je n'ai que 4 ans.
J'ai eu un cadeau. C'est un bonhomme de bois. Mon papy a travaillé dessus tous les jours, en se cachant. J'ai fait semblant de ne pas le voir, mais il disait beaucoup de gros mots.
Le bonhomme n'est pas très beau. Il a un bras trop long. Mon papy a mis de la peinture dessus, ça a coulé.
J'ai dit merci, je lui ai fait une bise, il avait l'air content.
C'est mon anniversaire.
Ca ne fait pas longtemps que j'habite avec mon tonton et mon papy. Avant, j'étais avec maman. Mais elle m'a dit qu'elle faisait des bêtises avec moi. Qu'elle ne pouvait pas s'occuper de moi, qu'elle devait faire des choses importantes avec les Elfes.
J'aime bien les Elfes. Ils sont très grands. Les dames Elfes sont gentilles avec moi. Elles ne sont pas contentes que les messieurs Elfes dorment tout le temps, et que maman parle avec eux.
Il y a plein de fumée qui pique les yeux, et une drôle d'odeur que maman a toujours sur elle.
Alors maman a fait mon sac. Elle a oublié plein de choses. Parfois, elle reste sans bouger, sans parler. Elle a les yeux pas là. Parfois, elle oublie que je suis là, mais les dames Elfes s'occupent de moi.
J'aimerais que maman s'occupe de moi tout le temps. Quand elle s'en souvient, elle est très gentille.
Mais elle a fait mon sac, m'a pris par la main, et on a pris un bateau, puis une charrette, et on est arrivé chez mon tonton et mon papy.
Ils ont parlé, et moi j'étais dehors, parce que c'était une conversation de grands.
Il y avait le chat de papy, il s'appelle Biscotte. Quand il est dans mes bras, il ronronne et il vibre, il est tout chaud.
Puis maman est partie. Elle a dit que j'allais habiter chez tonton et papy, qu'elle viendrait me voir.
Elle avait les yeux pas là.
Mon tonton n'avait pas l'air content en la regardant. Il m'a mis la main dans mes cheveux, il m'a dit de mettre mes affaires dans ma chambre. Je crois qu'il ne sait pas comment s'occuper de moi.
Moi, j'ai 4 ans, c'est mon anniversaire.
J'attends maman, parce que c'est mon anniversaire.
Je n'ai pas de copains ou de copines. Ca ne fait pas longtemps que je suis là. Ils jouent ensemble, moi, je voudrais bien jouer avec eux, mais ils ne me laissent pas.
Ils disent que mon papa est un voleur.
C'est le frère de mon tonton. Mon tonton ne l'aime pas. Il dit que c'est vrai, que ce n'est pas un homme gentil, que je dois l'oublier.
J'ai 4 ans, c'est mon anniversaire, j'attends maman, et papa, je ne l'ai jamais vu. Peut-être qu'il est gentil, en fait.
Je suis resté toute la journée devant la maison, avec Biscotte. Je n'ai pas mangé le gâteau, enfin un peu, pour faire plaisir à papy. J'ai essayé d'en donner au bonhomme en bois, mais lui aussi, il dit que ce n'est pas bon.
Maman me fera un gâteau quand elle sera là. Ils sont bons.
Alors je l'attends.
Il a commencé à pleuvoir. Moi, je suis resté dehors, parce que si je pars, maman ne me verra pas. Biscotte est rentré dormir devant la cheminée. Et il fait noir, aussi, parce que c'est le soir.
J'ai 4 ans, c'est mon anniversaire, maman va bientôt arriver.
Tonton sort de la maison. Il est gentil, je l'aime bien, mais il ne sait pas comment faire avec les enfants. Papy m'a dit que ma tata est partie au ciel juste avant que j'arrive. Mais ce n'est pas de ma faute.
Je ne savais pas que maman allait m'amener ici.
- Rentre, bonhomme, qu'il me dit. Tu vas t'enrhumer.
Moi j'ai dit non. Ca ne me dérange pas. Et puis, j'attends maman, c'est mon anniversaire, et elle va me faire un gâteau.
Tonton s'assoit à côté de moi. Son visage est triste. Moi, je sais que parfois, quand personne ne regarde, il pleure un peu. Je n'ose pas aller le voir, parce que tonton, il n'est pas comme ça. Il dit qu'il faut être fort.
Un grand garçon, ça ne pleure pas.
Moi, j'aime bien la pluie. J'ai le droit de pleurer, ça ne se voit pas. De toutes façons, maman va bientôt arriver - c'est mon anniversaire.
Tonton pousse un gros soupir. Ce n'est pas de sa faute, il en sait pas comment faire avec les enfants. C'est un soldat, dans la grande ville, là-bas. Mais moi je l'aime bien.
Il me dit que si maman vient, ce sera pour moi. Même si je suis très loin, même si je suis à l'autre bout du monde, elle viendra pour moi, donc ce n'est pas grave où je l'attends.
Je peux attendre dans la maison, devant la cheminée, au sec.
Je ne sais pas. J'ai froid, je suis mouillé, mais avec la pluie, j'ai le droit de pleurer, ça ne se voit pas.
Tonton me prend dans ses bras. Il me serre très fort, et on rentre.
Devant la cheminée, Biscotte vient dans mes bras. Tonton m'a donné des vêtements secs, et une tasse chaude avec des herbes qui sentent bon.
A un moment, je me suis réveillé. J'étais dans mon lit. Dehors, il y avait la lune, et il ne pleuvait plus.
Je me suis levé quand le coq a chanté. Tonton était parti à la ville, pour son travail de soldat. Papy est là, il a l'air embêté.
Il me montre un grand paquet emballé dans du papier de couleur. Ca vient de maman, elle m'a fait une bise quand je dormais, mais elle est partie, elle ne pouvait pas rester.
Dans le paquet, il y a un cheval à bascule, celui que j'avais vu dans le magasin à la ville. C'est le cadeau que je voulais.
Papy a l'air embêté. Moi, je dis que je suis content, mais que j'aurais voulu voir maman.
J'ai eu 4 ans hier. C'était mon anniversaire.
Maman n'est pas venue. Je le sais, papy ne sait pas mentir.
J'ai demandé à papy si il pouvait me faire un calendrier, comme celui dans le magasin. Il a fait une tête surprise.
J'ai dit que je voulais savoir pour la fête du Voile de l'Hiver.
Papy a rigolé, il a dit qu'il fallait attendre encore 4 mois, que j'avais le temps.
Moi j'ai dit que je voulais faire ma lettre maintenant, comme ça, il aurait le temps de s'organiser.
J'ai pris du papier et un crayon, et j'ai commencé ma lettre.
"Cher Grand-Père Hiver,
J'ai été très sage cette année.
Mon cadeau que je demande, c'est que maman soit là pour le Voile d'Hiver. Je te le dis maintenant, comme ça tu pourras t'organiser.
Je te fais des bisous.
Edualk"
J'ai eu 4 ans hier. C'était mon anniversaire.
Maman n'est pas venue.
Mais elle viendra pour le Voile d'Hiver. Je le sais.
Ou alors pour mes 5 ans.
Mais je sais que maman viendra.
C'est ma maman...
***
[b][Rochenoire, +6][/b]
[u]Chapitre 3 : Un avant-goût de l'enfer[/u]
- Il reste de l'alcool ? Potion ? Drogues ? N'importe quoi ?
- Non. Plus rien.
Le soigneur leva un visage épuisé sur le jeune garçon. Il était lourdement appuyé sur la planche qui faisait office de table d'opération, et était couvert de presqu'autant de sang que celle-ci.
Le jeune garçon semblait lui aussi épuisé, mais il se tenait droit, les bras serrant contre lui un tas de chiffons.
- C'est tout ce que j'ai pu trouver pour faire de la charpie, messire.
- Que ça ?
- Ce qui n'était pas couvert de sang a été utilisé. C'est tout ce qui reste.
Le soigneur passa lentement en revue le camp improvisé. Des corps ensanglantés partout, certains avec des formes impossibles, des membres manquants. Certains se tordaient, d'autres haletaient, beaucoup criaient, hurlaient, suppliaient. Certains ne bougeaient déjà plus, mort ou agonisants.
Des hommes et des femmes, très jeunes, trop pour pouvoir se battre, passaient des uns aux autres, essayant d'apaiser les peurs, d'écouter les suppliques, de fermer une dernière fois des yeux qui en avaient trop vu.
Le vacarme était terrible. Les bruits des combats, les hurlements des combattants, les cris, les pleurs, les prières des blessés. Mais ils ne l'entendaient même plus, concentrés sur leur tâche : soigner les blessés, les sauver quand c'était possible.
Jeter les corps dans un coin, quand c'était trop tard - en espérant pouvoir les enterrer décemment, une fois la bataille finie.
Le soigneur se redressa en grimaçant, les mains dans les reins.
- Bordel... Bon, envoyez !
Deux adolescents posèrent en vitesse un homme en armure cabossée et éventrée. On voyait ses entrailles palpiter dans le trou béant qu'était son ventre. Ses yeux étaient grands ouverts et vifs, et malgré la douleur qui devait être atroce, il ne gémissait même pas.
Le soigneur secoua la tête.
- Ca va être dur. Et je n'ai plus rien à lui donner... Edualk ! Et vous deux ! Tenez-le.
Il se pencha vers le blessé et lui glissa un morceau de bois entre les dents.
- Tu vas en baver.
Celui-ci, les yeux dans ceux du soigneur, se contenta de hocher imperceptiblement la tête, puis ferma les yeux tandis que les trois adolescents lui tenaient fermement les bras et les jambes.
...
La bataille n'était plus qu'un chaos sanglant, où chacun ne cherchait qu'à rester en vie, qu'à tuer l'autre de n'importe quelle façon. Les combattants pataugeaient dans une boue sanglante, écrasaient les blessés, sans que personne ne sache plus qui gagnait, et qui perdait.
L'armée de l'Alliance avait réussi à repousser la Horde jusqu'au Pic de Rochenoire. Alors que les terribles guerriers semblaient impossible à arrêter, ceux-ci avaient pourtant plié et s'étaient retirés. On parlait de trahison, de conflit de pouvoir au sein de la Horde.
Anduin Lothar, Commandant des armées de l'Alliance, avait saisi sa chance et en avait profité pour contre-attaquer.
Les Orcs avaient cédé, lâchant du terrain, abandonnant leurs conquêtes dévastées les unes après les autres. Jusqu'à Rochenoire, où les deux armées étaient tombées l'une sur l'autre.
La bataille durait depuis des heures. Edualk était trop jeune pour tenir une épée, et comme tous les Novices de la Main d'Argent, il avait été envoyé auprès des soigneurs.
Ils avaient tous été prévenus : ce n'était pas une planque.
Mais un avant-goût de l'enfer.
Impossible à affronter.
Indispensable pour ne jamais oublier ce que signifiait la guerre, dans toute son horreur.
Les soigneurs avaient de l'expérience. Ils utilisaient de puissants sorts de soin, faisaient appel à la Lumière, usaient de bandages et de potions, selon leurs spécialités et leurs talents - toujours pour sauver des vies, limiter les blessures, apaiser les âmes.
Edualk s'était retrouvé auprès d'un soigneur dont le seul talent était dans ses mains - un chirurgien d'une habileté inouïe, mais qu'aucun des novices n'avait osé aider. Trop de sang, de cris, de morts.
Il ne savait pas les mots de pouvoir, ou les prières de guérison. Mais il était le plus respecté, car il n'avait que son talent comme seul atout.
[i]Un avant-goût de l'enfer...[/i]
Edualk avait vomi au premier blessé, puis s'était endurci. Il n'avait pas le droit d'être faible, pas devant ces hommes et ces femmes aux corps brisés, déchirés. Il avait serré les dents, et aidé sans faiblir le soigneur.
Alors qu'il tenait fermement le blessé, Edualk prit un instant pour songer aux siens, pour les chercher du regard. Le camp des blessés avait été rapidement improvisé sur une hauteur dominant le champ de bataille, permettant de suivre son déroulement.
Son oncle Athamnas portait le tabard de la Main d'Argent sur une armure d'acier étincelant. L'un des premiers à devenir Paladin, quand Alonsus Faol avait fondé l'Ordre. Uther Porteur-de-Lumière lui-même l'avait ordonné, comme tant de valeureux Paladins dont beaucoup étaient depuis tombés.
Maintenant, il commandait d'autres Paladins, avec rigueur et courage, comme quand il servait sous l'uniforme de Hurlevent, car telle était sa nature.
Etait-il déjà mort ? Edualk n'arrivait pas à le voir, mais il espérait que non. Et puis, un homme comme Athamnas ne pouvait pas se faire tuer. Edualk espérait au fond de son cœur que ce fut vrai.
Et Papy... Sergent d'armes, lui aussi portant ce tabard, lui aussi commandant des hommes. Hurlant ses encouragements, filant des coups de pied aux plus timorés. Grande gueule, un peu fou, mais il fallait des hommes comme lui, d'anciens soldats capables d'apprendre les ficelles aux nouveaux et de leur apprendre à rester en vie.
Edualk pouvait le voir - et surtout l'entendre ! - un peu plus loin, debout sur un rocher, protégeant le camp improvisé contre des Orcs qui auraient cru pouvoir s'en prendre à une proie facile. Un bandeau rougi de sang autour de la tête, un bras en écharpe, il hurlait des ordres à des soldats tout aussi amochés que lui, la bannière de l'Alliance dans la main encore valide.
Papy... A moitié sénile, mais toujours à tenir la ligne contre l'ennemi.
...
- Trop tard. Emmenez-le, d'autres attendent.
Edualk revint au présent. Le blessé ne respirait plus. Les deux jeunes gens qui l'avaient amené le soulevèrent pour l'amener plus loin, à cet endroit que tous évitaient de regarder. Là où tant de corps, trop de corps gisaient en désordre, hachés par ce combat sans fin.
Puis soudain, tous se figèrent. Le temps sembla s'arrêter, tandis que plus loin, là où les deux armées s'affrontaient à l'ombre du Pic sinistre, une formidable clameur avait jailli de milliers de poitrines.
Une clameur de désespoir.
Les deux armées s'étaient figées.
Edualk se tourna vers son grand-père, toujours débout appuyé sur son étendard, qui de son rocher observait la bataille. Il se retourna vers les blessés, vers les soigneurs, vers les jeunes novices aux regards angoissés.
- Lothar ! Lothar est tombé !
L'armée de l'Alliance semblait figée, comme brisée par la chute de son chef, tandis qu'un Orc puissant, debout sur son cadavre au milieu de la mêlée, hurlait sa rage et sa victoire, rejoint par des milliers de voix d'Orcs enragés.
L'armée de l'Alliance recula.
- Bande de branleurs ! Formez la ligne ! Protégez les blessés ! Ce n'est pas fini !
La voix de Papy fit l'effet d'une douche froide. Des novices se regardèrent et ramassèrent rapidement des armes abandonnées pour rejoindre le vieux Sergent, tandis que ce qu'il restait de ses hommes épuisés formaient une ligne bancale, prêts à subir le choc d'une armée victorieuse qui, ils le savaient tous, ne ferait aucune merci après avoir détruit le corps principal.
Edualk regarda le soigneur qui hocha simplement la tête. Il ramassa une épée et un bouclier et courut rejoindre ses camarades.
Alors qu'il se plaçait entre un soldat boiteux et une frêle novice aux yeux terrorisés, Edualk vit les nuages qui cachaient le ciel s'écarter. Un rai de lumière frappa le centre de la mêlée, tel un signe céleste. Un homme en armure était au milieu de cette lumière, brandissant un bouclier, seul face au chef Orc, face à la Horde victorieuse.
Papy écarquilla les yeux.
- Turalyon !
Le nom du Paladin brandissant le bouclier de Lothar, seul devant les Orcs, fut hurlé par toute l'armée de l'Alliance. Puis, tout aussi soudainement, des milliers de poitrines hurlèrent un cri de guerre si formidable que les Orcs victorieux vacillèrent.
- POUR L'ALLIANCE !
Le combat changea brutalement d'âme. Rendus fous de rage par la mort de leur chef, les combattants de l'Alliance chargèrent telle une vague que rien ne pouvait arrêter. Le choc fut terrible, et pendant un court instant, la Horde sembla l'encaisser, tenir.
Puis les premières lignes vacillèrent, et reculèrent, incapables de s'opposer à la fureur des armées de l'Alliance menées par Turalyon.
Debout sur son rocher, Papy encourageait de sa voix de stentor ses camarades, trépignant de ne pouvoir participer à la bataille.
Edualk regardait son grand-père, blessé, à moitié sénile selon l'avis général, et pourtant présent en ce jour terrible pour défendre son pays, son peuple, son monde. Comme l'était Athamnas.
Par devoir.
Par conviction de savoir exactement ce qu'il convenait de faire, et où il fallait être.
Alors qu'autour de lui, les combattants blessés observaient les combats, alors que les novices souriaient, et que d'autres retournaient auprès des blessés, Edualk regardait son grand-père avec fierté.
Pas en première ligne.
Un simple combattant, parmi d'autres.
Papy se retourna rapidement pour vérifier derrière lui. Il vit son petit-fils et lui fit un signe amical avant de retourner à la bataille.
Edualk sourit.
[i]Un simple combattant...[/i]
Oui, tout le monde n'a pas vocation à être un héros...
***
[Azeroth, +10]
Chapitre 4 : Je ne tue pas de gosses
Edualk leva la tête en entendant le bruit sec de la clé dans la serrure. Bien que fatigué, il fit l'effort de se lever de la planche pourrie lui servant de lit et attendit debout, la respiration sifflante.
Il avait faim et soif, ses côtes lui faisaient mal quand il respirait, mais il ne leur ferait pas cet honneur.
La lourde porte de la cellule s'ouvrit en grinçant. Edualk plissa les yeux, la lumière l'éblouissant. Cela faisait des jours - des semaines ? - qu'il était dans la pénombre sans voir personne d'autre que le geôlier lui apportant ses repas par un trou dans la porte.
Dans l'encadré de la porte, deux silhouettes noires se tenaient.
Une voix familière se fit entendre.
- C'est bon, tu peux me laisser, frère.
- Mes ordres...
- Ce n'est qu'une épave. Je ne crains rien.
- D'accord.
La silhouette à la voix familière prit la lanterne des mains du geôlier, puis s'avança dans la cellule, tandis que le geôlier restait sur le palier et refermait la porte sur les deux hommes.
- Et bien, tu t'es mis dans un sacré pétrin, mon ami.
Edualk se passa une langue gonflée sur ses lèvres desséchées, et réussit à sourire faiblement.
- Je n'avais pas de raisons de ne pas aller jusqu'au bout... frère.
- "Frère" ? Tu utilises ces mots, maintenant ?
Edualk fit un vague signe de la main.
- Tu connais le dicton : on choisit ses amis, pas sa famille.
L'homme accrocha sa lanterne à un clou sur le mur et prit quelques secondes pour détailler le prisonnier.
Edualk avait la carrure caractéristique du combattant entrainé, toute en muscles mais sans excès. Malgré ses traits juvéniles, il y avait dans ses yeux comme une lueur d'ironie et de maturité qui étonnait toujours ceux qui le rencontraient pour la première fois et prenaient le temps de le détailler.
Il se tenait droit, mais n'était vêtu que de haillons sales. Ses cheveux longs et d'un châtain tirant sur le roux pendaient le long de son visage boursoufflé, portant des traces de coups non soignés.
Il était crasseux, faible, meurtri, et pourtant, il se tenait encore droit, un vague sourire ironique aux lèvres.
Edualk.
Un Paladin, membre de la Main d'Argent.
Serviteur de la Lumière.
Traître à son Ordre.
L'homme qui venait d'entrer était très différent. Bien que de la même carrure, il affichait un air de sérénité presque choquant dans cette cellule humide et sombre.
Il portait une lourde armure, une épée sur le côté, et arborait un tabard aux reflets d'argent. Tout en lui respirait le Paladin, droit et sûr de sa valeur.
Le Paladin secoua la tête d'un air las.
- Pourquoi tu as fait ça, mon ami ?
- Evitons le mot "ami" pour le moment, Frère Samuel. Un vaillant Paladin comme toi pourrait avoir des ennuis à cause de ça. En plus, je vois que tu as encore pris du galon ? Ca rapporte, d'être affecté à Lordaeron.
Samuel soupira.
- Tu es mon ami, Edualk. Comme tous ceux avec qui j'ai combattu pendant la guerre, et qui ont fait la preuve de leur valeur. Même si je ne comprends pas pourquoi tu as défié notre Capitaine.
Il serra les dents.
- Un ordre direct, Edualk ! En plein combat, tu as refusé d'obéir à un ordre direct ! Par la Lumière, tu te rends compte de ce que tu as fait ? Même de ta part, je ne l'aurais pas imaginé.
Edualk passa en revue sa cellule puis sourit.
- Je crois que oui, je m'en rends compte. Remarque, ça me change à peine de nos baraquements. Au moins, ici, je suis seul, sans tous ces abrutis à supporter. On se lasse assez vite du fanatisme, finalement.
- Ces abrutis, comme tu dis, sont tes frères.
- Apparemment, le Conseil de notre Ordre n'est pas de ton avis.
- Nous avons prêté un serment. Celui de nous battre pour la Lumière. Celui de monter la garde, même si la guerre est finie. Et cela implique d'obéir aux ordres de nos chefs !
- Je ne tue pas de gosses. Jamais.
- Tu ne... Quoi ?
Edualk regarda le Paladin dans les yeux et sourit à nouveau.
- Je ne tue pas de gosses. Même si ce sont des "peaux vertes", comme le dit si bien notre "généreux" Capitaine.
- Qui parle de tuer des enfants ? Nous sommes Paladins !
- Oui, Paladins, et c'est pour ça qu'on tue des gosses.
- Tu délires !
Le sourire d'Edualk se fit triste.
- Tu ne serais pas au courant ? Toi, le meilleur d'entre nous ?
- Au courant de quoi ?
- Tu te trompes. La guerre n'est pas finie. Pas ici, loin de la capitale. Et pas pour nos chefs. Nous sommes en guerre. Contre tout un peuple, et pas seulement contre ceux qui savent se battre. "Tuez les tous, et laissez la Lumière faire le tri"... Joli cri de guerre, n'est-ce pas, mon "ami" ? Et puis, tant qu'à faire, autant prendre de l'avance, non ? En égorgeant les gosses, on évite les guerres futures. Question de logique, et de prudence.
- Non...
- Et puis, tu aurais dû entendre le Prêtre. "Nous faisons œuvre de pitié en ne séparant pas les adultes et leurs portées"... Leurs "portées" !
Malgré sa soif, Edualk cracha par terre.
- Ce ne sont pas des êtres de raison, mais des bêtes qu'il faut exterminer ! Tous, sans exception ! Les propres mots de nos prêtres ! Ce n'est même pas une guerre, mais une extermination ! Tu dis que nous sommes Paladins ? Un Paladin ne fait pas ce genre de saloperies !
Edualk fit un pas en avant, les poings serrés.
- JE... ne fais pas ce genre de saloperies. Tu as raison quand tu dis que j'ai prêté un serment. Celui de servir la Lumière. En protégeant et en servant.
Edualk se tenait maintenant tout près de Samuel.
- Je suis Paladin. Comme mon oncle. J'ai vu Hurlevent brûler. J'ai vu Lothar tomber. J'ai fait mon devoir. J'ai servi, à ma place. Mais je n'ai pas prêté serment pour CA !
Edualk baissa la tête et vacilla.
- Pas pour tuer des gosses...
Samuel l'attrapa par le coude alors que ses jambes fléchissaient, mais Edualk le repoussa et recula en titubant, réussissant à rester debout et à se redresser seul.
- Alors, Frère Samuel ? Quand est-ce qu'on me pend ?
Le Paladin resta silencieux, le regard braqué dans les yeux du prisonnier. Puis il ferma les yeux en soupirant et en secouant la tête.
- Des enfants... Je n'aurais... Non. C'est faux. J'ai entendu des rumeurs... Je savais... mais je ne voulais pas le voir.
Samuel releva la tête, l'air grave.
- Tu vas être jugé, mon ami.
- Ils ont du temps à perdre.
- Profites-en. Parle. Tu dois parler. Ils doivent savoir.
Edualk resta silencieux quelques secondes.
- Et ensuite ?
- Ensuite ?
Edualk soupira
- Tu es bien le seul à croire que tous nos frères sont vertueux, Frère Samuel.
- La Lumière...
- ... n'est plus qu'un prétexte pour les fanatiques, et ils sont de plus en plus nombreux par ici. Je parlerai, bien sûr, histoire de leur rappeler que tous les Paladins ne sont pas complétement décérébrés. Pour que les hommes de bien qui existent encore dans notre Ordre sachent. Et puis je serai pendu.
Samuel se redressa, puis sourit soudain.
- J'étais venu te prévenir que tu allais être jugé, mon ami. Et que je me suis proposé pour te défendre. Cela va être amusant, de sauver une tête pour une fois.
Pour la première fois depuis le début de leur conversation, Edualk sembla surpris.
- Pourquoi fais-tu ça ? Cela te nuira.
- J'ai prêté un serment, comme toi. Tu as raison, je suis l'un des meilleurs d'entre nous. Ce n'est guère modeste, mais c'est un fait. Jusqu'à ce qu'un autre me surpasse bien sûr, ce qui viendra bien assez vite. Mon serment est de protéger et de servir. Toi et moi ne sommes pas si différents que cela, en réalité. Je n'aime pas la guerre. Je n'aime pas verser le sang. Mais moi je m'arrange pour faire mon devoir sans rougir de mes actes, alors que toi tu prétends garder ta liberté.
Le Paladin posa sa main sur l'épaule d'Edualk, qui ne le repoussa pas.
- Tu es mon ami, Edualk. Pas pour ta valeur, mais pour ton honnêteté. Tu es droit... à ta façon. Et je le respecte. Comme toi-même tu as toujours respecté mes choix, et ceux de nos frères.
- Ma cause est perdue, Samuel.
Le Paladin rit.
- Bien sûr ! Combattre pour une cause perdue d'avance, c'est ça, être Paladin !
- Laisse tomber. Tu es un brave type. Oublie-moi.
- J'ai largement montré ma valeur et ma droiture, mon ami. Personne ne peut me le contester. Alors on va dire que je dispose d'un capital de réputation que je peux utiliser pour sauver une brebis égarée. Je parie même qu'on dira de moi que je fais œuvre de générosité en te défendant !
- Je crois qu'en fait, tu es vraiment cinglé.
- Je suis Paladin, en somme.
Les deux hommes rirent ensemble.
- Et comment tu penses me sortir de là ?
Samuel redevint sérieux.
- J'ai une idée. Mais il y aura un prix à payer, mon ami. Je pense pouvoir limiter ce prix à ton renvoi de notre Ordre. Mais si tu veux rester Paladin, il te faudra en trouver un autre qui t'acceptera. Et malheureusement, personne n'est prêt à t'accepter.
Edualk réfléchit un instant, puis s'humecta ses lèvres douloureuses.
- Il y a... le vieux Nain. Gloïn. Un vieil ami de la famille.
- Il est encore en vie ?
- Oui. Et il est Maître Paladin. Il a quitté la civilisation et vit en solitaire dans les montagnes, mais il est toujours Paladin.
- Alors j'enverrai le chercher. Sa parole aura du poids.
Les deux hommes restèrent silencieux, la main du Paladin sur l'épaule d'Edualk.
- Tu es un chic type, Sammy.
- Pitié, pas Sammy...
- Je pense que tu peux garder le mot "ami". Si tu acceptes que je l'utilise aussi.
Le Paladin lâcha l'épaule d'Edualk, fit un pas en arrière et s'inclina devant lui.
- Ce serait un honneur, mon ami.
...
Edualk s'assit en grimaçant une fois Samuel parti. Il était exténué d'être resté debout tout ce temps, mais cela en valait la peine.
Il lança un regard vers le minuscule trou en hauteur qui produisait la seule lumière de la cellule. Ses pensées s'envolèrent loin de là, vers un champ de bataille.
Le bruit de l'acier s'entrechoquant, les cris de rage et de douleur.
Et par dessus tout, couvrant tous les autre bruits, souvenir impossible à chasser, cauchemar de ses nuits... les hurlements des enfants Orcs, si terribles qu'ils couvraient même les rires des hommes en armures, et le sifflement écœurant de leurs lames sur leurs gorges...
- Je ne tue pas de gosses... Jamais... Jamais...
Les sanglots durèrent longtemps, cette nuit-là.
***
[Azeroth, +10]
Chapitre 5 : Le procès
L'Inquisitrice se leva avec un petit sourire satisfait, et parcourut du regard l'assemblée - la foudroya, plutôt.
Puis elle se tourna vers les Paladins présidant le tribunal et les salua en s'inclinant.
- Mes frères et sœurs, vous avez entendu les actes. Vous avez entendu les propres paroles du mouton noir, de la brebis galeuse dont la présence malfaisante introduit au sein de notre ordre la souillure et la perversité.
Elle lança un autre sourire froid et dur vers l'homme debout devant le tribunal et enchainé.
- Nous l'avons accueilli comme un frère, nous l'avons formé, nous lui avons offert notre amour et notre soutien, au nom de la Lumière. Mais comment pouvions-nous connaître la noirceur de son âme impie ? La trahison derrière l'apparente affabilité ?
Elle pointa soudain le doigt vers l'homme.
- Edualk ! Membre de notre Saint Ordre depuis sa création ! A servi devant Rochenoire ! A suivi la formation de Paladin !
Elle plissa les yeux tandis qu'un sourire mauvais se dessinait sur ses lèvres.
- Et a refusé, en plein combat, d'obéir à un ordre direct... Non, frères et sœurs. Cela n'est pas digne d'un Paladin. Cela est digne... d'un traître !
L'Inquisitrice s'était avancée jusqu'à un mètre d'Edualk, le doigt toujours pointé vers lui.
- Que réponds notre... "frère"... à cela ?
Edualk n'avait pas cessé de regarder l'Inquisitrice dans les yeux pendant sa tirade. Il se déplaça légèrement sur ses pieds - cela faisait des heures qu'il était debout - puis lui lança un petit sourire ironique, malgré son visage marqué de traces de coups.
- Il y a des ordres qu'un Paladin doit refuser de suivre.
Sa voix était rauque, mais il parlait tranquillement, sans s'énerver.
L'Inquisitrice sourit à nouveau, d'un air gourmand.
- Et qui es-tu, "frère", pour choisir quel ordre tu dois suivre, et quel ordre doit être désobéi ?
- Je le sais.
- Ah !
L'Inquisitrice se retourna vers le tribunal.
- Il le "sait" ! Car son cœur est noir ! C'est le Mal qui parle ! Pas la Lumière !
Edualk cessa de prêter attention aux paroles haineuses de l'Inquisitrice - cela faisait plusieurs jours qu'il avait droit au même numéro, et aux mêmes paroles. Le pire, c'est que ce n'était qu'une jeune fille, remplaçant au pied levé l'Inquisiteur indisposé.
Et déjà une fanatique de la pire espèce - comme de plus en plus de membres de la Main d'Argent.
Dommage, Sally Blanchetête était plutôt mignonne - quand elle n'éructait pas sa rage, le regard dur.
Edualk jeta à nouveau un œil sur le tribunal, composé de la hiérarchie locale de l'Ordre. Tous avaient combattu au Pic de Rochenoire - le Président avait même perdu un bras en tentant d'aider Lothar, avant qu'il ne se fasse tuer.
Des hommes expérimentés et raisonnables, mais perdus dans un monde dorénavant sans guerre ni cause à défendre.
Edualk ne leur en voulait pas. Il savait qu'il serait condamné, il le savait au moment même où il avait pris cette décision, des semaines plus tôt.
...
Une simple promenade... Il avait senti le coup foireux, rien qu'à voir le visage du Capitaine.
Il restait encore des Orcs cachés dans les montagnes. Leur petit village avait été repéré la veille. Il fallait les capturer et les enfermer dans les camps d'internement répartis dans le Royaume.
Mais certains des hommes souriaient ouvertement et plaisantaient. Edualk avait échangé quelques regards avec certains autres Paladins mal à l'aise avec ces histoires d'internement, et aucun ne souriait.
Le Capitaine avait donné le signal en tranchant la tête de celui qui semblait être le chef du groupe d'Orcs, un vieillard à l'air désabusé. Puis ce fut le massacre.
Les Humains faisaient payer aux "peaux-vertes" les morts de la guerre, celle de Lothar, la destruction de Hurlevent, et tant et tant de frustration accumulée. Après tout, ce n'étaient que des animaux.
Le Prêtre les avait bénis les exhortant à n'avoir aucune pitié.
Edualk avait marché au milieu du sang et des cris, son épée à la main, incapable de la lever pour frapper des ennemis vaincus et qui s'étaient rendus.
Puis une Orque s'était jeté sur lui, surgissant de derrière un rocher, une lourde hache levée au dessus d'elle et en poussant un hurlement de rage. Il avait dévié le coup avec son bouclier et enfoncé son épée dans le cœur de la guerrière, machinalement.
Il avait regardé le cadavre d'un air interdit, puis avait entendu le bruit.
Des pleurs d'enfants.
Derrière le rocher, un petit groupe d'enfants Orcs tremblant le regardaient, terrorisés. C'est à cause d'eux que l'Orque l'avait attaqué.
Le Capitaine avait surgi derrière lui et l'avait attrapé par l'épaule, une lueur de folie dans les yeux et un rictus horrible sur les lèvres. Il lui avait montré les enfants : "Tue-les ! Tue-les tous !"
Et le Prêtre, les bras levés, criant "N'épargnez pas leurs portées !"
Edualk s'était retourné vers le Capitaine et était parti. Derrière lui, il avait entendu deux choses, tandis qu'il quittait le "champ de bataille". Les insultes du Capitaine... et les cris des enfants, couverts par le bruit horrible de l'acier s'enfonçant dans une chair trop tendre. Et les rires des hommes. Abjects.
Il avait rejoint le camp à pieds, le visage fermé, arrivant en pleine nuit. Le Capitaine l'attendait, et l'avait mis aux arrêts et couvert de chaînes.
Parce qu'il avait trahi la Lumière.
Ils l'avaient jeté dans une geôle moisie. Ils l'avaient roué de coups, le traitant de traitre, de lâche. Et quand ils eurent fini, ils le laissèrent seul, au fond de sa cellule, seul avec ses pensées.
Avec ses cauchemars.
Les cris des enfants et le bruit de l'acier. Et les rires des hommes.
Ces cris ne le quittaient plus. Parce qu'il aurait dû les protéger, et qu'il avait fuit.
Après un temps interminable, ils l'avaient sorti de sa cellule, couvert de chaînes et fait comparaitre devant le tribunal de l'Ordre.
Accusé de trahison.
Avec une seule peine : la mort.
Edualk avait accepté sa peine. Pas pour avoir refusé d'obéir. Il payait pour avoir tourné les talons, pour ne pas avoir fait ce que lui commandait la simple humanité.
Oui, le Capitaine avait raison : il n'était qu'un lâche, d'avoir refusé de lui tenir tête.
Un traître, d'avoir refusé de défendre les faibles. D'avoir trahi son serment.
Edualk, jeune Paladin de la Main d'Argent, allait être pendu - et cela était juste.
***
[Azeroth, +10]
Chapitre 6 : Tu es en train de me tuer
Edualk revint au présent quand Blanchetête s'interrompit. Elle affichait encore un air de satisfaction et de certitude.
Le Président du tribunal hocha la tête :
- Si vous estimez cela nécessaire pour le tribunal, Inquisitrice.
- Merci. Faites le entrer !
Edualk se rendit compte que Blanchetête avait demandé quelque chose - de faire produire un témoin ? Encore un ?
Tous avaient défilé.
Le Capitaine d'abord, calme, pondéré, parlant de tristesse, de confiance trahie, prônant la pitié et le pardon. Edualk le savait sincère, un homme honnête, aux convictions profondes, mais que la haine envers les Orcs pouvait rendre fou - parce qu'il avait trois fils avant la guerre, et que les Orcs les lui avaient pris.
Puis le Prêtre, sûr de lui, droit, orgueilleux, parlant haut et fort de pureté, de la Lumière exigeante, des serments et de l'obéissance. Le tribunal n'insista pas, car l'homme était antipathique, malsain.
Puis les autres Paladins. D'abord ceux qui avaient tué, certains haineux, d'autres calmes, d'autres enfin honteux. L'Inquisitrice avait dû excuser l'un d'eux, tué dans une embuscade - mais les rumeurs parlaient d'un suicide, d'une attaque seule contre un groupe d'Orcs. Pour tenter d'expier.
Puis ceux qui avaient refusé de participer. Certains l'avaient regardé dans les yeux, l'avaient salué. D'autres en avaient été incapables. Edualk ne leur en voulait pas - pourquoi leur en vouloir ? Lui seul devait payer.
Puis Samuel avait demandé à parler. L'honneur de l'Ordre. Un des plus purs et plus nobles Paladins de la Main d'Argent, venu spécialement de Lordaeron pour défendre un Paladin injustement accusé.
Il avait parlé, et tous l'avaient écouté. On n'interrompait pas un homme comme lui.
Quand il s'était tu, personne n'avait répondu. L'Inquisitrice avait refusé de l'interroger. Face à un ennemi trop fort, rompre le combat plutôt que d'échouer. C'était de bonne guerre.
Samuel avait tourné les talons, silencieux. La cause était entendu - il avait désobéi à un ordre direct, en pleine bataille.
Edualk ne tourna pas la tête vers le fond de la salle quand les gardes ouvrirent la porte pour faire entrer le témoin.
- Salut la compagnie ! Jolie la déco !
Edualk blêmit, et lança un regard affolé à Blanchetête qui le regardait fixement, son satané sourire sur son visage. Puis elle indiqua à l'homme qui venait de se faire annoncer si peu discrètement de s'avancer jusque devant elle.
Elle retint une grimace de dégoût quand l'odeur d'alcool et de saleté l'agressa - ainsi que le tribunal, et Edualk.
- Je vous présente le sieur Arsène, qui est... ?
- Homme d'aventures, mam'zelle ! Toutes les aventures...
Edualk était figé. Son p... le salaud qui avait engrossé sa mère, ce minable, ce voleur, cette crapule de bas étage... Ils l'avaient fait venir, pour témoigner - et il était saoul !
L'homme devant le tribunal affichait une mine réjouie et un grand sourire, le regard ouvertement posé sur la poitrine de l'Inquisitrice. Il vacillait légèrement, tout en rajustant avec hésitation une tenue débraillée.
L'Inquisitrice se tourna vers le tribunal - permettant à Arsène de baisser le regard sur ses fesses. Sans la moindre pudeur ni discrétion.
- Cet homme s'appelle Arsène. Il est, d'après notre enquête, le père du traître.
- De l'accusé, Inquisitrice. Le tribunal n'a pas statué.
- Pardonnez-moi. Le père de... "l'accusé".
Blanchetête avait ouvertement hésité et marqué le mot "accusé".
- J'ai jugé utile de le faire comparaître devant ce tribunal pour mieux cerner la personnalité du tr... de l'accusé. Et par pur soucis de justice envers lui.
L'Inquisitrice s'était tournée vers Edualk, son sourire aux lèvres. Il avait une furieuse envie de l'étrangler, mais il devait contenir sa rage.
Pas ici.
Pas devant ce salopard.
- Je me dois de signaler que messire Arsène a eu, disons... des démêlés avec la justice du Royaume.
- Des mensonges, vot' Honneur !
Arsène s'était péniblement redressé, l'air outré.
Il va faire son numéro. Je vais être condamné à mort, et lui fait son numéro !
- Tout ça, c'est que des trucs foireux ! J'ai été ticvime... victime, c'est ça, d'un complot !
- Messire Arsène a été arrêté 37 fois pour des faits de vol, escroquerie, abus de confiance, violation de sépulture...
- Comment je pouvais savoir que c'était un tombeau ?!
- Il était situé dans un cimetière - et autres délits que j'épargnerai à la Cour. Est-ce exact, messire ?
- Des erreurs de jeunesse.
- Je ne parle que des faits commis l'an dernier.
Arsène hésita, le regard vitreux, tandis que l'Inquisitrice le regardait avec un air faussement affable.
- Ben... Quand une dame me d'mande de l'aide, je n'hésite pas.
- Je n'en doute pas.
Blanchetête avait un sourire enjôleur. Incapable de résister à une femme, Arsène paraissait tout disposé à faire son numéro habituel.
A draguer ouvertement l'Inquisitrice de la Main d'Argent, Paladine rigide et fanatique.
Celle réclamant la tête de son propre fils.
Le "témoignage" dura plusieurs heures. Excellente connaisseuse des personnalités humaines, comme toute Inquisitrice qui se respecte, Blanchetête utilisait Arsène sans la moindre difficulté, lui faisant dire ce qu'elle voulait entendre
Malgré l'odeur d'alcool et de saleté accompagnant Arsène - qui avait manifestement été ramassé pendant une de ses débauches habituelles - elle jouait à le frôler, le laissant même à un moment mettre son bras autour de ses épaules d'un air complice.
Tu es bon, Arsène, il n'y a pas à dire. Dans ton genre. Mais ce n'est pas une taverne, et elle n'est pas une serveuse que tu veux séduire pour ne pas dormir dans la rue.
Tu es en train de me tuer, Arsène.
Arsène parla. De tout. Sa mère amie des Elfes - un mauvais point pour des Paladins prônant la supériorité des Humains - ses problèmes avec la feuillerêve, son incapacité à élever un enfant.
Son "abandon" - oui, ce salopard avait utilisé ce mot, lui qui avait plaqué sa mère en la dépouillant dès qu'il avait su qu'elle était enceinte ! - pour le confier à son oncle.
Blanchetête n'insista pas sur ce point. Athamnas était un homme respectable et respecté, vétéran de la bataille de Rochenoire. Mais elle lança quelques insinuations qu'Arsène se fit un plaisir d'enjoliver.
Son épouse était morte, n'est-ce pas ? Un drame tragique. Un... "accident", à ce qu'il paraît. Elle n'aimait guère savoir son époux soldat, et s'opposait à ce qu'il devienne officier.
Oui, un "accident" regrettable - bien que, au final, assez pratique, vous ne pensez pas ?
Il s'étendit largement sur son grand-père, à moitié sénile, qu'Arsène n'avait jamais supporté - ouais, la picole, aussi, je ne suis pas sûr, mais ça esquinte, n'est-ce pas ?
Il parla de son autre oncle, Archibald, dont Edualk n'avait quasiment plus entendu parler depuis qu'il s'était entiché de ces bestioles qu'il étudiait avec obstination, ces "Murlocs". Un hurluberlu, mal vu de l'Université de Hurlevent.
Et sa tante, Mayrie. Edualk avait dressé l'oreille, en entendant ce nom. Elle était morte bien avant sa naissance, à 20 ans. Blanchetête avait collecté des rumeurs. Sombres, et nauséabondes.
Un époux disparu qui n'était jamais revenu.
Un enterrement à la sauvette, obtenu suite à une intervention - quelle intervention ? Elle n'avait pu le déterminer.
Une cave murée.
Et bien sûr, Arsène. Escroc à la petite semaine, minable voleur, dragueur invétéré, saoul et puant devant un tribunal de la Main d'Argent.
Alors que Blanchetête s'adressait au tribunal, Edualk croisa le regard de celui qui se prétendait son père. Il y vit une lueur d'angoisse.
Ne t'inquiète pas, Arsène. Je n'aurai pas la possibilité de me venger de tout ça. Tu viens de me tuer... Et tu ne t'en rends même pas compte...
***
[Dun Morgh, +11]
Chapitre 7 : Le vieux Nain
- Tiens, tire-moi une bière, petit.
Edualk leva les yeux au ciel et alla chercher une chope. Il la plaça sous le robinet du fût, et la remplit du liquide brun.
- Tu devrais y aller plus doucement. Il n'est que 10 heures du matin, et accessoirement, tu es sensé m'entraîner au bouclier.
- On a le temps, petit. Ne te casse pas la tête comme ça.
Confortablement installé dans un fauteuil, Gloïn prit le temps de savourer sa bière, manifestement peu motivé pour se lever.
Edualk retint un soupir d'exaspération.
D'accord, ça le changeait de la Main d'Argent, mais il était quand même là pour apprendre, pas pour boire des bières en compagnie d'un vieux Nain certes sympathique mais pas très motivé !
Il sortit de la petite maison qu'ils partageaient, et prit le temps de savourer le paysage enneigé. Durn Morogh s'étendait devant lui, calme, tranquille.
Les montagnes s'élevaient au loin, et la neige recouvrait tout.
Edualk alla jeter un œil sur les chèvres dans leur enclos. Il devait s'en occuper, comme tout le reste d'ailleurs.
Gloïn Marteau d'Acier, Maître Paladin, alias "le vieux Nain", vieil ami de la famille, n'était guère à l'aise avec les tâches ménagères !
Mais il avait accepté de prendre en charge la formation d'Edualk, quand celui-ci avait été chassé de la Main d'Argent.
Quand il lui avait sauvé la vie.
...
Quand Arsène avait terminé, ou plutôt quand l'Inquisitrice avait fini de faire parler ce salopard, plusieurs heures s'étaient écoulées sans que personne ne voit le temps passer, tellement le personnage était fascinant dans sa médiocrité.
Mais le voleur avait fini par ne plus savoir quoi raconter pour enfoncer encore plus son propre fils. Il s'était tu, réclamant avec un manque total de subtilité un coup à boire, et concluant en invitant l'Inquisitrice à une "séance de ça va-ça vient dans un coin tranquille".
Le tribunal avait manqué de s'étrangler, et Blanchetête avait manifestement dû faire un effort considérable pour ne pas le frapper.
Un coup superbe, délirant, stupide - à la Arsène, en somme.
Le procès - la mise à mort - était fini, le verdict allait pouvoir être rendu.
Edualk était prêt. Il savait, dans ces conditions-là, que la sentence serait exécutée le jour même.
Mais alors que l'Inquisitrice allait conclure, une voix s'éleva.
- J'invoque le privilège du rang.
Toute la salle se retourna, tandis qu'Edualk se redressait.
La voix était grave et solide. Elle sonnait comme le roc. Une voix de Nain.
Celui-ci entra dans la salle, vêtu d'une armure de plaques, un bouclier aux armes de Forgefer sur le dos, un marteau au côté, un libram de l'autre. Samuel, un petit air satisfait sur le visage, le suivait.
- J'invoque le privilège du rang. Je suis Gloïn Marteau d'Acier, du clan Barbe-de-Bronze, Maître Paladin de la Main d'Argent.
Le tribunal se leva pour le saluer, puis le Président l'invita à s'approcher.
Blanchetête semblait désarçonnée.
- Nous vous connaissons, Gloïn Marteau-d'Acier. Vous êtes bien loin de vos montagnes.
- Et vous de vos principes !
Blanchetête intervint.
- Ce Nain...
- ... est Maître Paladin, jeune fille. Apprends à rester à ta place !
Le ton du Nain était sec, et l'Inquisitrice blêmit.
Le Président fit un geste d'apaisement.
- Vous êtes le bienvenue ici, Maître Gloïn. Et nous reconnaissons le privilège du rang. Sans distinction de race.
Cette dernière remarque s'adressait non seulement à l'Inquisitrice, mais aussi à une partie des Paladins présents qui commençaient à murmurer. La Main d'Argent était parcourue depuis quelques temps par des tensions qui nuisait à sa cohésion.
De plus en plus de Paladins, surtout les plus jeunes, parlaient de pureté, de supériorité des Humains.
Une tendance nauséabonde, pour Edualk - et la cause de ses ennuis.
- Je viens parler pour Edualk.
- Nous vous écoutons.
Gloïn se carra solidement devant la salle. Il savait parler, et il parla, comme seul un Nain sait le faire.
Devant le tribunal attentif, il raconta les guerres contre les Orcs. Il raconta comment son vieil ami Athamnas, qui servait dans la Garde de Hurlevent, avait fait plus que son devoir pendant ces années terribles, accompagné par son père, que tous, même les soldats, appelaient affectueusement "Papy".
Deux hommes dissemblables, l'un ferme et sérieux, l'autre à moitié sénile.
Mais volontaires dès les premiers jours.
Il parla du neveu de son vieil ami, Edualk, un jeune garçon élevé sans père ni mère.
Son père ? Un mauvais garçon, victime de n'avoir jamais fait que de mauvais choix, mais n'ayant jamais eu la moindre influence sur ce fils qu'il n'avait pas vraiment reconnu.
Sa mère ? Un cœur d'or, trop grand pour ne pouvoir se consacrer qu'à son fils, comme un enfant en aurait eu besoin. Mais suffisamment lucide pour le confier à d'autres capables de l'élever - suffisamment lucide pour faire ce choix déchirant.
Gloïn l'avait recueilli, accompagné de son vieux sénile de Papy, après la destruction de Hurlevent, pour le protéger de la folie de la guerre.
Il parla du jour funeste où lui, Gloïn Marteau d'Acier du clan Barbe-de-Bronze, dû reprendre la route une dernière fois, pour une quête dont il savait ne jamais revenir.
Il parla du garçon qui, malgré son jeune âge, lui proposa de le suivre, de l'aider, et de son refus - car il était Gloïn Marteau d'Acier, du clan Barbe-de-Bronze, et que son devoir était de partir seul.
Foutu devoir...
Il ne parla guère de cette quête dont, par un miracle qu'il refusa d'expliquer - mais ses yeux se portèrent sur Edualk - il sortit vivant, avec au fond du coeur un souvenir d'un temps révolu qui ne le quitterait jamais.
Il parla de la création de la Main d'Argent par Alonsus Faol et d'Uther le Porteur de Lumière, le premier Paladin. Les deux Humains que lui, Gloïn Marteau d'Acier du clan Barbe-de-Bronze, avait immédiatement admiré, comme tous ceux qui, en ces moments noirs de la Deuxième Guerre, cherchaient un espoir.
Il parla de la Lumière, comme seul un Nain sait le faire. Cette Lumière auquel il avait décidé de vouer sa vie, comme l'avaient décidé aussi Athamnas, son père pour une fois sérieux et le jeune Edualk, âgé d'à peine 13 ans.
Ils avaient mis le genou à terre, ils avaient prêté serment d'une voix ferme, et s'étaient relevés différents - et pourtant les mêmes qu'avant.
Sûr de leur place en ce monde dévasté : avec ceux qui combattaient pour qu'une nouvelle aube puisse se lever sur Azeroth et sur ses peuples.
Gloïn parla comme seul un Nain sait le faire.
De la guerre, sanglante, dure, terrible, contre des ennemis assoiffés de sang et de carnage, ne vivant que pour détruire ce monde qu'ils chérissaient tous.
Jusqu'à Rochenoire.
La salle était muette, retenant son souffle.
Gloïn parla, comme seul un Nain sait le faire.
De la bataille qui, ce jour-là, vit s'affronter deux peuples pour le droit de vivre.
Athamnas en première ligne, à la tête de ses Paladins, blessé neuf fois, couvert de sang, mais debout.
Papy auprès des blessés, blessé lui-même, participant à protéger les faibles, repoussant dix-sept - dix-sept ! - assauts menées par des Orcs isolés mais néanmoins féroces, les trois derniers sans officier, le dernier ayant été coupé en deux par un guerrier ennemi.
Et Edualk, qui ce jour-là ne leva pas une seule fois une arme contre un Orc. Il n'avait que 14 ans, n'était que Novice, mais comme tous les Novices de la Main d'Argent, il avait assisté les soigneurs sans faiblir. Sans reculer.
Gloïn parla, comme seul un Nain sait le faire.
Du sang, de la boue, des cris des blessés, des agonisants suppliants qu'on les achève. Il montra certaines de ses blessures - il avait cessé de les compter, et il avait fallu qu'un coup de hache manque de lui couper une jambe pour qu'il accepte d'abandonner le champ de bataille.
Il parla des Novices que nul, après cette terrible bataille qui vit la victoire au prix de la chute de Lothar, le chef vénéré, ne songea à féliciter d'avoir fait plus que leur devoir.
La moitié avait été tué ou blessé par les Orcs alors qu'ils tentaient de protéger les blessés. Nul remerciement, nulle félicitation, mais ils n'en demandèrent pas, convaincu de n'avoir pas fait assez.
Gloïn parla, comme seul un Nain sait le faire.
Les blessés, les morts, la puanteur abominable. Et les corbeaux, tournant autour du champ de bataille.
La douleur de ces jeunes gens, garçons et filles pour certains même pas entrés dans l'adolescence, meurtris de ne pas avoir fait assez, de ne pas avoir sauvé suffisamment de vies. Il n'aurait suffi que de quelques paroles, de quelques mots, de leur expliquer que la guerre était ainsi : atroce, abominable, sans véritable vainqueur si ce n'est la Mort elle-même.
Il n'aurait suffi que de quelques mots - et personne, ce jour-là, ne songea à les prononcer.
Gloïn parla, comme seul un Nain sait le faire.
Des regards désespérés, des larmes, de la victoire payée d'un prix terrible, de ces jeunes gens debouts mais à l'âme meurtrie.
D'Edualk, fier des siens, heureux de les savoir vivants, heureux de la fin de cette guerre. Sachant qu'il n'était personne, mais n'ayant pas encore appris que les victoires ne sont payées que par ceux qui, justement, ne figurent jamais dans les récits héroïques.
Gloïn parla, comme seul un Nain sait le faire.
Des héros admirés, et dont les noms ne seraient jamais oubliés.
Et des autres, de tous ceux sans qui il n'y a pas de héros, de ceux qui ne cherchent ni gloire, ni renommée, mais sans qui il n'y a pas d'histoire car personne pour les entendre.
De ce jeune novice, qui n'avait jamais fuit son devoir, volontaire de la première heure comme les siens, comme tous ceux dont les noms ne seront jamais chantés et dont lui, Gloïn Marteau d'Acier du clan Barbe-de-Bronze, ne cesserait jamais de parler.
Gloïn s'était tu.
Il avait parlé, comme seul un Nain sait le faire.
Et Edualk sauva sa tête.
Chapitre 8 : Peaux-vertes
***
[Azeroth, +16]
Chapitre 9 : Le Croc
Nimma fit un signe discret de la tête à son frère en sortant de la taverne, puis passa rapidement dans la ruelle sombre attenante. Matt la suivit de près, sa lourde épée battant dans son dos, la main sur la poignée.
Thomas les suivait, soulevant le bas de sa robe de Prêtre en grimaçant devant l'état de la chaussée qui n'était en réalité que de la boue.
Les trois aventuriers se retrouvèrent dans la ruelle qui finissait en cul-de-sac.
- Ils ne sont que trois.
Nimma avait murmuré à l'oreille de Thomas.
- Et notre ami Ark ?
- Pas vu.
- Je l'avais dit, que ce type n'était pas franc.
Matt cracha par terre pour assurer son verdict. Nimma haussa les épaules.
- Tant pis. On n'a pas besoin de lui.
Elle se plaça dans l'ombre, sa tenue noire de Voleuse la camouflant des regards, tandis que les deux hommes restèrent devant la porte qui servait de sortie discrète à la taverne. Ils n'eurent pas à attendre longtemps - mais malheureusement, pas à leur avantage.
Matt se retourna, son épée brandie, en voyant arriver un groupe d'hommes dans la ruelle. Ils étaient cinq, et arboraient tous à la ceinture le poignard à crosse d'ivoire indiquant leur appartenance au Croc.
La porte de la taverne s'ouvrit au même moment, et le sinistre balafré qui était leur cible sortit, accompagné de ses deux gardes du corps et d'un Guerrier souriant avec arrogance. Le balafré arborait un air de satisfaction malsaine.
- Alors, comme ça on me cherche ? Vous auriez dû le dire à Ark, cela aurait été plus simple.
Thomas foudroya du regard le Guerrier accompagnant celui qui était finalement son chef.
- Crapule.
- Désolé l'ami, rien de personnel.
Ark dévoila le même poignard que les autres, révélant qu'il était lui aussi un membre du Croc.
Matt grogna en direction du Prêtre.
- On cogne ?
Le balafré sourit, tandis que les bandits encerclaient tranquillement les deux hommes.
- Nous sommes neuf, et vous n'êtes que deux - pardon, trois en comptant la pouffe qui se cache dans l'ombre. Ca ferait donc comme... du trois contre un ? Un peu présomptueux, non ?
Nimma sortit de son recoin et rejoignit ses deux compagnons. Les bandits avaient sorti leurs armes et ricanaient d'un air mauvais. Le balafré lança un regard appréciateur sur la Voleuse.
- Joli. Je vais peut-être te garder dans ma couche, une fois que j'aurais tué tes amis. Et envoyé leurs têtes à ce crétin de Gouverneur. Histoire de lui apprendre à ne pas s'attaquer au Croc.
- Ta tête est mise à prix pour une jolie somme, le Croc. Tu ne pourras pas t'en sortir encore longtemps.
Le balafré cracha en direction de Thomas.
- Juste le temps de vous tuer, l'efféminé. Le reste ne concerne que les vivants. Les gars !
Les bandits se rapprochèrent, tandis que Nimma et Matt se plaçaient devant le Prêtre pour le protéger.
- Pas très égal, comme combat, non ?
Le balafré fronça les sourcils et se tourna vers la porte de la taverne.
Dans l'encadré, appuyé contre la chambranle, un homme se tenait, enveloppé dans un manteau long, et croquant tranquillement dans une pomme.
- Dégage, étranger. Ne te mêle pas des affaires du Croc.
- Du quoi ?
Nimma vit le balafré rougir de colère. L'homme, assez jeune, continuait à manger sa pomme, un petit sourire décontracté sur les lèvres.
- Je suis le Croc ! Le plus terrible bandit de ce côté du royaume ! Et toi ?
- Moi ? Juste un voyageur. Mais maintenant que tu en parles, j'ai entendu parler d'un gars se faisant appeler le Croc. Un bouseux, à ce qu'il parait.
Le Croc gronda d'un air menaçant.
- Je tuerai donc trois hommes, au lieu de deux.
- Ca, c'est présomptueux, par contre. Vous n'êtes pas assez nombreux.
Le Croc éclata de rire, suivi par ses hommes.
- Nous sommes neuf, et vous quatre. A moins que tu ne planques une armée derrière toi ?
L'homme termina sa pomme et la jeta par terre. Puis il s'avança en ouvrant son manteau.
Il portait une cotte de maille terne mais manifestement entretenue. Une épée solide pendait à son côté, et on devinait un bouclier dans son dos.
Surtout, les bandits virent que l'homme portait un libram.
- Une saloperie de palouf ?!
- Il parait qu'un Paladin vaut vingt hommes. Moi, je manque d'expérience, donc disons dix seulement. Ca fait... treize contre neuf. Je te laisse chercher des renforts ?
L'homme sourit. Le Croc chargea brusquement, deux dagues dans les mains, mais le Paladin esquiva en souplesse tout en empoignant son bouclier et son épée. Il se jeta sur les deux gardes du corps et sur Ark, qui avait lui-aussi dégainé.
De leur côté, les trois aventuriers s'occupaient du reste des bandits. Nimma en égorgea un d'entrée, tandis que son frère Matt, poussant un cri de rage, en tuait un autre d'un coup puissant de travers.
Thomas commença à murmurer ses prières pour garder ses amis.
Désarçonnés par la tournure des évènements, les bandits furent rapidement dominés. Le dernier debout prit la fuite en voyant ses quatre camarades au sol.
Matt avait pris un coup de hache dans l'épaule, et laissa le Prêtre le soigner rapidement. Nimma s'était déjà retourné vers le Croc et ses hommes, affrontant le Paladin.
Ark, le traitre, gémissait par terre, la visage ensanglanté - il avait manifestement pris un coup de bouclier. L'un des gardes du corps était mort d'un coup d'épée en pleine gorge.
Le Paladin était néanmoins en difficulté, seul face au Croc qui maniait ses dagues avec rapidité, et l'autre garde qui essayait de passer derrière lui. L'homme savait se battre, mais était en train d'être dépassé.
Nimma se baissa discrètement et, passant derrière le garde, lui trancha d'un coup précis les mollets, le faisant s'effondrer au sol dans un cri qu'elle interrompit net en lui tranchant la gorge.
Le Croc se retrouva subitement seul face non seulement au Paladin et à la Voleuse, mais au Guerrier dont la blessure ne saignait plus, soignée par le Prêtre.
Il grogna.
- Bâtards ! Je suis le Croc !
Avant que quiconque ne puisse réagir, il porta un coup vicieux vers Nimma et planta sa dague dans sa poitrine. Matt rugit en voyant sa sœur blessée mais le Paladin avait déjà agi. Se baissant d'un coup, il faucha d'un coup de pied les jambes du balafré qui perdit l'équilibre et chuta.
Matt était sur lui et le désarma d'un coup d'épée. Puis, debout au-dessus de lui, il lui planta sa lame en plein cœur. Il se tourna vers sa sœur, couchée dans son sang. Thomas, accroupi à ses côtés, regarda le Guerrier en larmes et secoua la tête. Le coup l'avait atteint près du cœur, et Nimma agonisait, crachant du sang.
Le Paladin s'agenouilla à côté d'elle en silence, et posa une main sur la blessure, et l'autre sur son front. Il ferma les yeux, et murmura une prière. Il y eut un flash de lumière, et Nimma prit un profonde inspiration, toussant et crachant, le regard paniqué.
Thomas regarda la blessure. Elle avait disparue. Il leva les yeux vers le Paladin, qui lui sourit, manifestement épuisé.
- Un truc de Paladin.
- Je vois.
- Elle a besoin de repos.
Matt prit sa sœur dans ses bras, et le groupe se regarda. Le Paladin montra le balafré au Prêtre.
- J'ai entendu dire que le Gouverneur avait encore augmenté la prime. C'est bon pour vous.
- Tu auras ta part, ne t'inquiète pas. Nous sommes réglos.
- Non merci.
- Non ?
- J'ai ce qu'il faut. Et il était à vous. Je n'ai fait que vous donner un coup de main.
- Et bien... Et sinon, tu fais quoi ici ?
Le Paladin haussa les épaules.
- Je voyage. J'essaie de comprendre un peu mieux ce monde.
- C'est drôle.
- Drôle ?
- Nous aussi. Ca te dirait de faire un bout de route ensemble ?
Le Paladin hésita, puis sourit.
- Pourquoi pas.
- Moi c'est Thomas. J'ai pris la route après la guerre - trop de Prêtres désœuvrés dans les villages pour que j'en fasse partie. La grosse brute, c'est Matt, et Nimma est sa sœur. On manquait justement d'un gars solide pour prendre les coups !
- Ca tombe bien, c'est ma spécialité. Et je m'appelle Edualk.
Les trois hommes se regardèrent en souriant, tandis que Nimma dormait dans les bras de son frère.
***
[Lordaeron, +20]
Chapitre 10 : Tu ne l'as jamais dit
- Allons, mon chéri ! Ca te fera prendre l'air. Je trouve que tu t'encroute un peu...
Edualk déposa un léger baiser sur les lèvres de Nimma.
- Et je la transforme en steack dès que je remets la main sur elle. Ca lui apprendra à me faire courir.
- Tu ne le penses pas !
- La seule vache fugueuse de tout le royaume, et elle est à nous. Tu parles que je vais me gêner !
- Arrête de dire des bêtises.
Edualk embrassa à nouveau sa compagne et se décida à quitter ses bras. L'après-midi venait de commencer, et il ne fallait pas trainer s'il voulait être rentré avant la nuit. Surtout depuis ces rumeurs inquiétantes, sur cette maladie qui frappait, disait-on, certains points du royaume.
- Ne traines pas. Je vais faire un gâteau.
- Inutile de me menacer. J'y vais !
Edualk esquiva en riant le torchon que venait de lui lancer Nimma et sortit. Sa compagne était certes très agile, mais pas au point de maitriser l'art délicat de la cuisine...
Il passa prendre sa hache dans la remise et se mit en route, pestant contre cette maudite vache et sa nouvelle fugue - la quinzième depuis le début du mois ? Ou était-ce seize ?
...
- Rosie ! ROSIE ! Saloperie ! C'est bon maintenant. ROSIE !
Edualk pesta encore une fois. Des heures qu'il cherchait pour rien. Il s'était enfoncé dans le petit bois près duquel Nimma et lui s'étaient installés, et où cette satanée vache avait l'habitude de vadrouiller. Et cette fois-ci, il n'aimait pas ça.
L'atmosphère était lourde et tendue. Il remarqua soudain qu'il n'entendait aucun chant d'oiseau, et commença à s'inquiéter.
Le fait qu'il avait "raccroché" ne l'empêchait pas de continuer à ressentir les choses. Cette épidémie, cette "peste" mystérieusement apparue récemment dans le royaume était trop brutale et trop malsaine pour être naturelle.
Mais elle ne pouvait pas avoir déjà atteint ce coin reculé, non ?
Edualk se retint d'appeler à nouveau la vache. C'était leur seul animal, un bien précieux donc, mais maintenant, il commençait à sentir une sourde angoisse monter en lui.
Et le vieux Gloïn lui avait appris à suivre son instinct - un instinct aiguisé par l'entrainement et le service de la Lumière.
- Bordel... Tant pis pour elle, je rentre.
Edualk fit demi-tour et commença à revenir vers chez lui quand il se figea soudain. L'atmosphère était pesante, et quelque chose avait bougé derrière un fourré. Il y avait aussi une odeur, de charogne et... d'autre chose.
Il regarda autour de lui. Il n'était qu'à quelques minutes du petit groupe de fermes où Nimma et lui s'étaient installés quelques mois plus tôt, après avoir décidé d'abandonner leur vie d'aventuriers.
Trop proche pour être ignoré.
Il vérifia rapidement le tranchant de sa hache et prit quelques secondes pour se concentrer. Il sentit cette présence réconfortante qui l'avait toujours soutenu aux moments les plus difficiles, et qu'il avait appris à respecter et à appeler.
La Lumière.
Machinalement, sa main se porta au collier qu'il portait autour du cou. Dans un médaillon, il avait placé une mèche des cheveux noirs de Nimma - c'était idiot, voire puéril, mais après tout, c'est ça l'amour, non ?
Edualk se tendit en entendant un grognement venant de derrière le fourré. Pas un sanglier, ni un ours. Quelque chose de... différent. Tout en lui lui hurlait que quelque chose n'allait pas, le poussant à fuir.
Il sourit. Un Paladin, même rangé, ne fuyait pas.
Il s'avança et traversa le fourré.
Il avait trouvé Rosie. La vache était éventrée, les entrailles à l'air. Et les responsables de sa mort étaient encore là, à dévorer la carcasse.
Les deux goules levèrent leurs yeux brillant de haine sur Edualk et se jetèrent sur lui.
Levant les mains presqu'aussi vite, il invoqua la Lumière pour les foudroyer tout en se jetant de côté. La première fut carbonisée dans un hurlement abject et s'effondra tel un pantin désarticulé.
Mais la seconde était sur lui et planta ses dents... dans le manche de la hache qu'Edualk avait levé devant son visage. L'haleine de la goule était horrible, et ses griffes labourèrent son flanc, faisant jaillir le sang.
Edualk la repoussa et hurla de peur et de colère. Un flash de Lumière jaillit de ses mains et figea la goule, avant de la faire littéralement exploser.
Libéré du danger, il tomba à genoux en pleurant de douleur. La goule avait pénétré profondément dans la chair, enfonçant les côtes. Il plaça ses mains sur ses blessures, et murmura la prière qu'il avait apprise il y a déjà si longtemps.
La douleur disparut, tandis que les os se remettaient en place et que les plaies se refermaient.
Edualk se releva en haletant, épuisé. Jamais jusqu'à présent il n'avait ressenti une telle puissante en invoquant cette force qu'il connaissait pourtant bien. Même contre des morts-vivants.
Ce n'était pas normal.
Nimma.
Le visage de sa compagne s'imposa soudain à son esprit, tandis qu'une vague de panique le submergeait.
- NON !
Il se mit à courir péniblement, toujours épuisé par ses blessures et l'usage de la Lumière. Quelque chose venait de se passer. Il le savait, il le sentait au fond de ses tripes.
Il arriva rapidement près de la maison qu'il partageait avec Nimma. Tout était silencieux.
Edualk prit quelques secondes pour reprendre son souffle et se concentrer. Il serra sa hache plus sûrement dans sa main et pénétra silencieusement dans la maison.
Elle n'y était pas. Mais une goule gisait au milieu des débris du mobilier, un couteau entre les deux yeux.
Edualk trouva la deuxième dehors, écrasée par la charrue renversée, vers la cabane qui leur servait à entreposer les outils.
Nimma s'y trouvait, accroupie, tremblante. Elle serrait contre elle son bras sanglant. Déchiré par la profonde morsure de l'une des goules.
Ses yeux étaient noyés de terreur... et d'autre chose, croissant, se répandant en elle.
Edualk s'accroupit près d'elle et posa la main sur sa blessure. Il la regarda dans les yeux.
Même la Lumière ne pouvait la soigner. Il le savait.
Elle aussi.
Il la prit dans ses bras, tentant de la rassurer.
- Je t'en supplie... Je ne veux... pas...
Edualk posa sa main sur sa tête. Il sentait le poison abject et maudit se répandre en elle, briser ce qu'elle était, la transformer en ces abominations.
Elle lui lança un dernier regard, le visage se tordant, les yeux déjà gagnés par la folie.
- Tu ne... l'as... jamais... jamais dit...
Edualk ferma les yeux. La Lumière jaillit de ses mains et foudroya la femme qu'il aimait plus que tout. Elle poussa un horrible hurlement dans lequel s'entendait déjà la voix de la goule, et s'affaissa, morte.
Il sentit en même temps son âme apaisée.
Libérée.
Edualk se leva. Il ne sentait pas les larmes sur son visage, ni l'épuisement, ni la douleur.
Il se pencha et, délicatement, lui ferma les yeux.
- Je ne te l'ai jamais dit... Je t'aime.
***
[Lordaeron, +20]
Chapitre 11 : Le Fléau ne nous oubliera pas !
- Mon nom est Edualk. Je suis Paladin, j'ai appris à me battre, j'ai de l'expérience. Je suis venu vous rejoindre.
L'officier leva la tête d'un air absent sur l'homme debout devant lui.
- Je me souviens de toi. Tu n'es plus Paladin.
Edualk tiqua, et grimaça.
Le Capitaine. Celui à qui il avait désobéi, autrefois.
- J'ai été chassé de la Main d'Argent, mais je suis toujours un serviteur de la Lumière. Et vous avez besoin de tout le monde.
- "Besoin" ? Peuh !
L'officier chassa de la main l'idée comme si elle était stupide, et vida d'un trait son verre. Une bouteille vide indiquait qu'il était déjà bien avancé dans sa cuite.
Edualk frappa des deux mains sur la table.
- Capitaine ! Ce Fléau est en train d'envahir le royaume ! Partout il se répand ! Quand Uther...
- Uther ?
Le son de la voix de l'officier calma Edualk. Il le regardait d'un air incrédule.
- Uther ? UTHER ?! Il... Attends voir, tu arrives d'où ?
- Un petit bourg au nord-ouest. Il n'existe plus, les habitants restés sains ont été massacrés. J'ai mis des semaines pour vous trouver, en évitant ces saletés. J'ai cru ne plus trouver personne.
L'officier soupira.
- Assis-toi, petit, et prends un verre.
- Plus tard. J'ai vu une concentration de goules près de...
- Tu nous a vu, petit ? Tu as vu notre camp ?
Edualk passa en revue le petit camp improvisé de la Main d'Argent qu'il avait fini par trouver après des semaines d'errance solitaire. Il avait l'air minable, et quelques soldats et Paladins trainaient d'un air perdu.
- Je sais que ça va mal, mais dès que le Roi sera là...
- Personne ne viendra.
- Ne soyez pas défaitiste ! La Main d'Argent a déjà affronté pire que cela !
- Il n'y a plus de Main d'Argent.
- Quoi ?
L'officier leva la tête vers Edualk. Son regard était éperdu.
- Tu n'es donc pas au courant des derniers évènements ?
- J'avais entendu dire que le prince Arthas devait enquêter...
- Arthas !
L'officier cracha par terre.
- Ce sale cafard ! Ce... traître !
- Traître ? Que... Mais qu'est-ce qu'il se passe, bordel ?!
L'officier soupira à nouveau.
- Stratholme... Arthas a massacré les habitants. Tous. Sans la moindre pitié. Uther s'y est opposé, mais ce cafard n'a pas écouté.
- Mais... C'est de la folie !
- De la folie, oui. Arthas est parti au Norfendre juste après - pour détruire cette peste, ce Fléau. Et Lordaeron l'a fêté à son retour, comme on fête un Prince victorieux.
- Alors le Fléau...
- Tué de sa main. Arthas a tué son propre père, devant son propre trône.
Edualk s'était assis, horrifié.
- Impossible...
- Lordaeron n'est plus que ruines, petit. Et Uther... Lui aussi est tombé devant Arthas, comme la plupart des Paladins encore fidèles à la Main d'Argent. Arthas a basculé, et le royaume, notre royaume, n'existe plus. Tout est fini.
- Lordaeron, détruite...
Edualk resta silencieux un moment, tandis que l'officier vidait un autre verre.
- Tu vois ici tout ce qui reste de la Main d'Argent. La plupart des survivants ont rejoint Abendis et Illisen dans un nouvel Ordre, la Croisade Ecarlate.
- Et vous ? Et eux ?
Edualk montra les autres combattants démoralisés.
- Eux ? Ils vont partir. Ils hésitent encore à accepter le désastre, c'est tout. Et moi... Je ne sais pas. Peut-être rester...
- Non ! Les morts-vivants se regroupent tout près d'ici. Ils vont vous balayer.
- Mourir comme un Paladin, l'arme à la main... Alors je mourrais comme un digne membre de la Main d'Argent. Parce qu'il doit en rester au moins un.
Edualk s'était levé.
- Vous êtes fou. Si cette Croisade Ecarlate continue le combat, nous devons la rejoindre.
- La rejoindre ?
- Oui ! Ecoutez, nous devons faire fi des rancœurs. Nous devons nous battre ! Ensemble !
- Tout est perdu...
L'officier secoua la tête, démoralisé.
- Et vous allez rester là ? A les attendre ? Et mourir ?
- Mourir... Je reverrai mes fils...
- Protéger et servir. Vous vous rappelez ? Protéger et servir. Jusqu'à la mort, si nécessaire. SEULEMENT si nécessaire.
Edualk baissa la tête devant l'officier muet. Puis sa mâchoire se crispa, tandis qu'il serrait les poings.
- La Lumière est toute ma vie. Mon serment. Je n'ai... je n'ai plus que ça.
Il se tourna, le regard dur, puis s'avança vers la poignée d'hommes et de femmes du camp.
- PALADINS !
Tous se tournèrent vers lui. Edualk passa en revue les visages épuisés, la jeunesse de certains traits, le poids des ans sur d'autres. Et surtout, dans leurs yeux, la peur et le désarroi.
Je n'ai plus que ça...
- Lordaeron n'est plus. La Main d'Argent n'est plus. Plus de chefs. Plus de Roi. Plus de foyer. Il ne nous reste que la mort, et l'oubli !
Les Paladins se regardèrent avec inquiétude, tandis que le regard d'Edualk se durcissait encore.
- Mais il nous reste l'essentiel. Il nous reste notre serment ! Il nous reste nos armes ! L'oubli ? Soit. Mais le Fléau, lui, ne nous oubliera pas !
Il brandit soudain son épée vers le ciel.
- Pour Lordaeron ! Pour la Lumière ! Mort au Fléau !
Les Paladins hésitèrent un bref instant, puis brandirent leurs armes vers le ciel.
- MORT AU FLEAU !
Edualk se tourna vers l'officier, qui s'était levé.
- Où sont ces Croisés ?
- Atreval.
- Alors nous y partons. Nous allons rejoindre cette Croisade. Nous allons combattre.
- ... Ca ne sert plus à rien.
- Un Paladin ne cède pas. Jamais. Et... j'ai trop perdu pour reculer.
- C'est notre cas à tous.
L'officier secoua la tête puis, à la surprise d'Edualk, sourit et posa sa main sur son épaule.
- On arrivera peut-être à faire de toi un Paladin finalement.
***
[Quelque part]
Chapitre 12 : Je ne veux pas oublier
- Arrêtez... Je vous en supplie... Pourquoi faites-vous ça... ? *sanglots*
...
- NON !!! ASSEZ !!! J'ai mal... AAAHHH !!!
...
- Je vous en supplie... Pitié... *sanglots*
- Du calme.
- Pourquoi... ? *sanglots*
- Du calme.
...
- AAAHHH !!! NON !!! J'AI MAL !!! AAAHHH !!!
- Silence !
- Pitié... *sanglots*
- Assez ! Tais-toi, ou sinon...
- *pleurs*
...
- *sanglots* Pourquoi faites-vous ça... ?
- Pourquoi ? Parce que nous le voulons.
- Pourquoi... ?
- Trop de questions. Silence, tu me déconcentres.
- Pitié... Je... AAAHHH !!!
- Tiens-toi tranquille. Ce sera bientôt fini.
...
- *pleurs*
- Ainsi tu es réveillée. Excellent. Tu m'entends ?
- ... Mal... *sanglots*
- Oui, la douleur. Habitue-toi.
- Qui... Qui êtes...
- Moi ? Personne. Un humble artisan. Et puis, quelle importance ? Tu auras bientôt tout oublié.
- Oublié... ?
- Oui, bien sûr. Une nouvelle naissance. Une nouvelle... *rire* "vie". D'une certaine façon.
- Je... Elles m'ont...
- De vraies saloperies. Imparable. Impossible à soigner. Il est toujours plus simple de choisir une méthode, disons... plus extrême. Définitive.
- Qui... Qui m'a...
- Chhhuuuttt... Trop de questions. Cela a été décidé. Cela seul suffit.
- J'avais un...
- Non.
- Si... SI ! Il...
- ASSEZ ! Regarde-toi. J'ai fait du bon travail. Comme d'habitude. Mais crois-tu pouvoir reprendre ton ancienne vie ? Regarde-toi.
- ... Non... Ce n'est pas... NON !!! *pleurs*
- Et si. Tu es passée de l'autre côté. Tu découvriras vite ta nouvelle nature. Elle te plaira.
- *pleurs*
- Pleurnicheries... Je déteste ça.
- J'aime...
- Personne. Et personne ne t'aime. Telle est la règle, désormais. Et tu serviras "ses" plans. De gré... ou de force. Je préfère la force, pour ma part. A toi de choisir.
- *pleurs*
- Excellent. Excellent ! Il me reste à terminer une dernière chose. L'oubli. Définitif.
- Je ne veux pas... *sanglots*
- Oui, je sais. Et je dois te faire une confidence : c'est ce que je préfère dans mon travail ! Tant de souffrances. *rire*
- Pitié... Je ne veux pas oubl... AAAHHH !!! NON !!! AAAHHH !!!
- *rire*
...
Edualk se réveilla en sursaut. Foutu cauchemar... Et ces hurlements... Oui. Foutu cauchemar...
Il se recoucha et ferma les yeux dans l'obscurité de la nuit.
Pitié... Je ne veux pas oublier...
***
[Maleterres, +21]
Chapitre 13 : C'est moi
Edualk resta droit sans rien montrer, le visage fermé, tandis que le bourreau levait sa hache et l'abattait. Il trancha net la tête du fermier, l'air aussi absent que d'habitude.
Le Prêtre grimaça, le sang ayant éclaboussé le bas de sa robe, puis il se tourna vers la petite foule de Croisés rassemblés devant l'échafaud.
- Le prix de la trahison, et de la faiblesse. La Croisade Ecarlate ne tolère aucune faiblesse. Rompez.
Les Croisés se dispersèrent en silence et allèrent reprendre leurs tâches. Le Prêtre fit un signe à Edualk pour l'inviter à rester.
- Vous avez eu raison de nous signaler cette forfaiture.
- J'ai fait mon devoir.
- C'est ce qui fait de vous un digne membre de notre Ordre, Capitaine.
- Je ne suis qu'un humble serviteur.
- Je sais ce que vous avez été, autrefois. Un homme indigne des honneurs que feue la Main d'Argent vous avait confié. Ce temps n'est plus. Vous êtes un Paladin, aussi dur que l'acier, aussi inflexible que la foi. Aussi éclairé que peut l'être un enfant de la Lumière.
Edualk ne répondit pas. Il s'agenouilla devant le Prêtre qui le bénit avant de retourner dans sa chapelle.
Puis il alla au baraquement où étaient installés ses hommes.
La salle commune était sobre, avec des paillasses et des armes. Une vingtaine d'hommes et de femmes entretenaient leur équipement, priaient pour certains, ou discutaient à voix basse.
Ils se turent et saluèrent Edualk en le voyant entrer.
Avec une lueur inquiète dans les yeux, une jeune femme s'avança jusqu'au Paladin et salua.
- Sergent Amélie au rapport, mon Capitaine.
- Repos. Pourquoi ce désordre ?
Le Sergent hésita, tandis qu'Edualk passait en revue le casernement, fusillant du regard ceux qui faisaient preuve d'un certain détachement.
- Un Croisé digne de ce nom ne se laisse pas aller. Je veux que tout soit rangé avant notre prochaine sortie de nuit.
Le Sergent soupira intérieurement.
Elle avait le même âge qu'Edualk, et le connaissait depuis la Main d'Argent. Elle se souvenait d'un homme sympathique, ouvert et tolérant, ignorant délibérément les rapports hiérarchiques avec les hommes d'armes comme elle.
Avec la chute de Lordaeron et de la Main d'Argent, elle avait rejoint avec d'autres soldats la Croisade Ecarlate, et commençait à le regretter. Mais avec l'arrivée de cet ancien compagnon d'arme...
Edualk était méconnaissable. Il ne souriait jamais, se montrait aucune émotion, et faisait preuve au combat d'une détermination froide qui faisait peur à beaucoup. Il avait vite gravi les grades, malgré la prévenance de quelques commandants qui se souvenait du scandale de son procès.
- Soldats !
Les hommes se réunirent autour de leur Capitaine.
- On nous a signalé une caravane vers Andorhal. Des fous, des inconscients, ou des traîtres. Quoi qu'il en soit, nous partons vérifier ça. Des questions ? Non ? Alors exécution.
Le Sergent salua et laissa le passage à son Capitaine. Ses traits étaient tirés - on disait qu'il faisait des cauchemars.
Comme beaucoup.
Plus que beaucoup.
...
La petite troupe surveillait les restes de la caravane d'une hauteur. Les archers gardaient un œil aux alentours, tandis que l'éclaireur et le Sergent Amélie revenaient à pas vifs.
- Des Orcs et des Réprouvés, mon Capitaine.
- Des Orcs ? Dans les Maleterres ?
- Seuls les Réprouvés avaient l'air de combattants. Quoi qu'il en soit, ils sont tous morts.
Edualk foudroya le Sergent de son regard dur.
- Les "Réprouvés" sont des abominations. N'oubliez pas ça.
- Euh... Oui mon Capitaine.
- Des survivants ?
- Nous n'en avons pas vu.
- Dommage. Un exemple ne fait jamais de mal. Les autres, vous rentrez. Vous, fouillez tout, récupérez ce qui peut l'être. Brûlez le reste.
...
- Mon Capitaine ! Ici ! Des survivants !
Edualk laissa les papiers qu'il avait trouvé sur un des Orcs et se dirigea vers le petit rassemblement. Les quatre Croisés qui étaient restés entouraient le Sergent, l'air gêné - sauf le Major connu pour son fanatisme.
- Il n'y a pas de survivants, Sergent.
- Mais, mon Capitaine...
Edualk baissa les yeux vers ce que la jeune femme tenait d'une main ferme. Un enfant Orc avait les yeux levés vers lui, la bouche grande ouverte, l'air interloqué.
Un enfant.
Orc.
Derrière le rocher, un petit groupe d'enfants Orcs tremblant le regardaient, terrorisés. C'est à cause d'eux que l'Orque l'avait attaqué.
Le Capitaine avait surgi derrière lui et l'avait attrapé par l'épaule, une lueur de folie dans les yeux et un rictus horrible sur les lèvres. Il lui avait montré les enfants : "Tue-les ! Tue-les tous !"
Et le Prêtre, les bras levés, criant "N'épargnez pas leurs portées !"
- Vous avez entendu le Capitaine, Sergent ? Egorgez-moi ça !
- Mais Major...
- Obéissez ! Par la Lumière, je suis obligé de tout faire moi-m...
Le Major écarquilla les yeux de surprise et s'effondra dans un gargouillis, l'épée d'Edualk au travers du corps. Deux autres soldats mirent la main à leur arme et s'effondrèrent, tranchés de deux coups rapides.
Le Sergent avait lâché l'enfant et était tombée au sol, horrifiée par le changement brutal d'Edualk.
Le dernier soldat essaya de s'enfuir, mais il fut fauché par l'épée qu'Edualk lui lança dans le dos.
Puis, le regard fou, Edualk tomba à genoux et vomit jusqu'à ce que la bile lui brûle la bouche.
Le Sergent s'était relevée. Elle tenait encore l'enfant par le col.
Edualk se releva péniblement en s'essuyant la bouche. Il n'avait plus d'arme, et avait l'air halluciné.
- Mon... Mon Capitaine ?
Edualk se secoua, et d'un geste vif, arracha son tabard aux armes de la Croisade. Il resta quelques secondes à le regarder, l'air absent, puis le jeta dans un des feux allumés pour brûler les restes de la caravane.
- Plus de Capitaine. Plus de... Non.
Il se retourna. Il avait l'air immensément las.
- Mon Cap... Edualk ? Vous... Tu... Vous allez bien ?
- Un cauchemar... Ce n'est qu'un cauchemar... Mais... Je sais.
- Vous savez ?
- Je ne tue pas de gosses. Jamais. Je le sais. C'est moi.
- Mon Capitaine ?
- Capitaine ? Non, Amélie. Appelle-moi juste Edualk. C'est tout ce que je suis.
Edualk se redressa et planta son regard dans celui du Sergent. L'ancienne lueur d'ironie brillait dans ses yeux. Il sourit.
- Ouais, ce n'est que moi. Autant dire que je ne suis pas dans la merde !
***
[Maleterres, +22]
Chapitre 14 : Cette terre n'est plus rien pour moi
Edualk descendit de cheval en grimaçant et alla au puits tirer de l'eau qu'il but avec délice. Puis il regarda autour de lui, tandis que le chef de son escouade rendait compte.
Le camp du Noroit, près des ruines d'Andorhal.
Une poignée de combattants de l'Aube d'Argent, unis au-delà de leur race pour lutter contre le Fléau qui avait transformé le royaume de Lordaeron en Maleterres.
Il passa en revue son escouade et soupira. Deux chevaux n'avaient plus de cavalier - les plus jeunes, comme par hasard. Pas assez expérimentés, comme à chaque fois, et pas encore assez confiants en la Lumière pour pouvoir l'appeler à l'aide au moment critique.
Puis il dégrafa son corselet de mailles et alla à la petite forge du camp pour la réparer. Cette fois-ci, les goules avaient failli percer la protection - mais Edualk n'avait pas assez de métal pour s'en forger une nouvelle.
Il était en train de préparer son travail tout en grignotant du pain quand le commandant du camp l'aborda.
- Salutations, Edualk. La sortie a été profitable, d'après le rapport.
- Salutations, Commandant. Nous avons détruit plus d'abominations que d'habitude. Mais nous avons perdu deux hommes. Nous ne sommes pas gagnants.
- Oui, c'est un fait.
Le Commandant se gratta la barbe, signe de son embarras. Il venait lui aussi de la Main d'Argent, et faisait partie des rares - de plus en plus rares - combattants expérimentés. Comme Edualk, qui trouvait cela pitoyable étant donné ses propres capacités.
Les volontaires venaient, au compte-goutte, mais ils venaient. Trop jeunes bien souvent, et mourant trop vite, alors que le Fléau semblait sans limite.
Oui, au fur et à mesure des semaines, Edualk était devenu un des trop rares vétérans de cet avant-poste perdu seul devant les Maleterres.
- Vous avez croisé des Ecarlates, apparemment ?
- Oui, ils étaient en train d'affronter ces morts-vivants qui se sont installés dans les ruines de Lordaeron. Nous avons préféré passer.
- Nous devrions être unis contre le Fléau.
- Mais la Croisade est un repère de fanatiques. Pour eux, nous sommes autant des ennemis que les morts-vivants.
- Oui, c'est dommage...
Le Commandant se gratta encore la barbe tandis qu'Edualk réparait sa cotte de mailles.
- Vous êtes un bon combattant, Edualk.
- Je me débrouille. J'arrive à rester en vie.
- Oui, c'est un talent par ici.
- Je ne resterai pas. Désolé.
Edualk abandonna son ouvrage et se tourna vers son supérieur qui secouait la tête.
- Je perds des hommes à chaque sortie, et maintenant, vous voulez nous quitter.
- Nous sommes sensés libérer Lordaeron du Fléau. Mais Lordaeron n'existe plus. Il n'y a que les Maleterres, maudites et perdues pour les hommes. Et ces "Réprouvés" qui se sont installés dans la vieille cité sont trop forts pour que nous puissions les en chasser. Cela ne rime à rien.
- Un Paladin ne recule pas.
- Un Paladin est sensé rester en vie pour faire son devoir, pour aider et protéger. Nous n'aidons plus personne, et nous ne protégeons plus rien. Je suis désolé, mais cette terre n'est plus rien pour moi. Et d'autres ont besoin de moi.
- Votre oncle, c'est ça ?
Edualk sourit.
- Oui, ce vieux fou d'Archibald. Toqué de ces bestioles, ces "Murlocs". Vous savez qu'il a assisté à la première apparition des Orcs dans les Morasses Noires ?
- Vraiment ?
- Oui. Il les a pris pour des Murlocs ! Pauvre vieux fou... Il a toujours été en-dehors des réalités. Et il a disparu. C'est à moi d'aller le chercher.
- La famille avant tout ?
- Dans ma famille, nous sommes toujours restés unis. Mon oncle Athamnas n'a plus l'âge d'aller sur les routes. C'est à moi de le faire.
- Je vois qu'il est inutile d'essayer de vous faire changer d'avis.
- Non. Désolé, vraiment.
- Venez me voir avant de partir.
Le Commandant retourna à ses affaires, le front plissé.
Edualk hésita, mais il ne pouvait pas abandonner les siens. Surtout ce vieil imbécile d'Archibald !
Archibald. Qu'est-ce qu'il avait encore bien pu faire ? Ou bien... sur quoi était-il encore tombé ?
Tout en réparant sa cotte de mailles, Edualk repensa à sa dernière conversation avec son grand-père, il y a deux mois de cela. Il était venu jusqu'à Austrivage - un exploit pour lui, vu son âge - pour lui parler de sa disparition.
Il était pour une fois relativement lucide, et d'humeur loquace, sûrement du fait de ses inquiétudes. Attablés dans l'auberge, Edualk en avait profité pour poser quelques questions à son grand-père.
Sur sa famille, ses oncles et tantes. Des conversations tenues à demi-mots quand il était enfant, et qui s'interrompaient en sa présence.
Leur conversation dura jusqu'à l'aube. Papy raconta tout ce qu'il savait. Il semblait pressé de transmettre sa mémoire. Pressé, et inquiet.
Edualk connaissait déjà l'histoire de son "père" - il suffisait de lire les avis de recherche ! - et de son oncle Athamnas qui l'avait élevé.
Papy pleura en parlant de sa première fille, Mayrie, morte à 20 ans avec son bébé. De ce qu'il avait pu apprendre. De celui qui, discrètement, l'avait surveillée. Un vieux Sorcier, mauvais, teigneux, vivant en ermite dans un marais et craint de tous, qui manifestement avait étouffé la sombre raison de la mort de Mayrie.
Un Sorcier méprisé de tous, mais suffisamment puissant pour que nul, même son propre père, ne puisse savoir ce qui s'était vraiment passé.
Il était mort peu après - tué par un Paladin dans des circonstances peu claires. Mort, et oublié. Mais Papy se souvenait de son nom, grandiloquent et ridicule : Llégion.
Puis Papy avait parlé à son petit-fils de son propre père. Gloïn l'avait connu, il y a longtemps de cela, et ils étaient devenus amis.
Son nom ? Même Papy ne le connaissait pas, et Gloïn, étonnamment, l'avait oublié. Mais il connaissait une histoire. Une histoire de taverne, amusante et distrayante : l'histoire du Paladin, de sa belle et du dragon.
Edualk avait été surpris. Cette histoire finissant tragiquement était donc celle de son aïeul ? Mais ce n'était qu'une simple histoire.
Oui, une simple histoire. L'aïeul avait sombré dans le néant - comme s'il n'avait jamais existé. Mais le vieux Nain, Gloïn, se souvenait de l'histoire, de cet homme qui avait été son ami, et l'avait transmise à son fils, pour que celui-ci n'oublie jamais cet homme qui avait aimé, s'était perdu par cet amour, et avait sombré dans une obscurité sans fin. Comme s'il s'était perdu
dans un lieu qui n'existe pas.
Tout en rafistolant son armure, Edualk s'interrogeait. Pourquoi lui raconter tout cela ? Papy était venu lui demander de retrouver Archibald, porté disparu alors qu'il cherchait à répertorier précisément toutes les communautés Murlocs des Royaumes de l'Est.
Mais Edualk sentait qu'il y avait autre chose.
Un mystère à percer.
...
Edualk parti le lendemain, à l'aube. Le Commandant lui serra la main, avec gravité.
- Si vous changez d'avis un jour...
- Je n'oublie pas l'Aube d'Argent. Je reviendrai. Le Fléau m'a trop pris.
Edualk enfourcha son cheval et quitta le camp sans se retourner.
Oui, il devait partir. Son combat dans les Maleterres n'avait plus de sens. Il ne ramènerait pas Nimma.
Mais il avait une famille, et une histoire.
Il était temps pour lui de découvrir cette histoire.
Et ensuite, quand le temps sera venu de régler les comptes... il sera là.
***
[Maleterres, +28]
Chapitre 15 : Tu me manques tant
- Bonjour, Nimma.
Edualk s'agenouilla devant la tombe. Il arracha quelques mauvaises herbes, et nettoya d'un geste de la main la pierre tombale.
- Désolé de ne pas être venu plus tôt. J'avais beaucoup à faire.
Edualk sourit.
- Non, en fait, j'avais peur de revenir. Tant de morts. Et puis... toi.
Il soupira, et sortit un médaillon de dessous son armure.
- Je ne t'ai jamais oubliée, Nimma. Tu dois sûrement le savoir - enfin j'espère. Mais... c'est dur. Pour ceux qui restent.
Il secoua la tête d'un air soudain las.
- Tu me manques. Tu me manques tellement. Je croyais - j'espérais que le temps apaiserait la blessure. Mais non.
Edualk eut un petit rire sans joie.
- J'ai rencontré un femme. Enfin, une femme... Une Draeneie. C'est vrai, tu ne les connais pas. Ils viennent d'un autre monde, et leur "bateau" a échoué sur notre bonne vieille Azeroth. C'est une Mage. Roxiane. Mignonne, un poil bêcheuse, mais sympa.
Il hésita.
- En fait, nous sommes amis. Seulement amis. Je n'arrive pas... je ne sais pas... Pfff... Je n'ai jamais été doué avec les femmes. Alors tu imagines, avec celles qui viennent d'un autre univers ! Heureusement que tu m'as sauté dessus, sinon, on y serait encore...
Edualk resta silencieux un moment, ruminant ses pensées. Il s'était assis près de la tombe.
- Que te dire... Lordaeron n'est plus. Après ta... j'ai erré pendant des semaines. J'ai fini par rejoindre des gars, les Ecarlates. Des fanatiques. J'ai failli me perdre. Mais j'ai réussi à revenir. Juste à temps.
Ensuite ? J'ai rejoint un nouvel Ordre, l'Aube d'Argent. J'ai combattu à leurs côtés un moment. Puis je suis parti. Ce pays est mort.
Et puis, mon oncle Archibald avait disparu. Je l'ai cherché un bon moment. En vain.
J'ai fini par reprendre ma vie d'errance. Sans but.
Edualk caressait sa barbe, plongé dans ses souvenirs.
- Ca ne pouvait pas durer éternellement. La Porte des Ténèbres a été réouverte. Cette fois-ci, pas question de se défiler ! Le Maître de mon Ordre y a veillé.
J'ai arpenté cette Outreterre pendant des mois. Un monde détruit, les restes du monde natal des Orcs. Et des Draeneis. Je crois que cela t'aurait plu. Nagrand est si verdoyant... un coin de paradis.
Et puis...
Arthas. Celui par qui tout est arrivé.
Il est revenu. Tu as dû le sentir, je pense. Le Roi-Liche.
Edualk caressait le médaillon.
- J'ai pris le bateau pour le Norfendre, pour l'affronter, comme tous les Héros de notre monde. Une sacrée armée - la plus puissante jamais levée !
Ce pignouf d'Arthas n'a fait que reculer. Pas brillant, quand même. Jusqu'à ce que...
Oui, c'était il y a deux mois maintenant. Je m'en souviens, j'étais aux portes du Trône de Glace, comme tant et tant d'aventuriers. Pas dedans, non ! Je n'ai jamais été de taille.
Je me souviens... Je n'oublierais jamais. C'est comme si, d'un coup, un poids terrible avait quitté mon coeur. Comme si le ciel s'était dégagé.
Nous avons tous su que ces héros aguerris qui s'étaient risqué au coeur du repaire de notre ennemi avaient réussi.
Il est tombé.
Et Azeroth a repris son souffle.
Edualk posa la main sur la tombe.
- Alors j'ai repris ma route, cherchant un nouveau but. Un but... Tu sais, tu étais tout ce que j'avais...
Oh, il y a bien sûr la Lumière... Oui, Paladin, tout ça... Toute ma vie. Mon serment. Mais... ce n'est qu'un serment. Ma vie... Ma vie, c'était toi. Tu étais... enfin...
C'est toi qui me faisait me lever chaque matin.
Qui me faisait vivre.
*soupir*
Je n'ai plus rien. Sauf ce vide en moi.
Tu me manques, Nimma. Tu me manques tant. Mais... Je sais. Je sais ce que je suis. Et... Tu me manques.
Edualk s'était levé. Il semblait apaisé. Le médaillon toujours dans la main, il dégrafa son plastron qui tomba au sol. Il ôta aussi ses épaulières, qui rejoignirent le plastron. Puis il sortit délicatement un paquet de son sac.
Le défaisant, il dévoila une épée à la facture ancienne. Sur sa garde, on pouvait deviner le sceau de la Main d'Argent. Une épée simple, le genre d'épée que l'on donnait autrefois aux jeunes novices de cet Ordre disparu.
Edualk se mit à genoux. Il prit la poignée de l'épée à deux mains, et posa la pointe sur son coeur.
Il sourit.
- Voilà. C'est fini.
Un oiseau chanta et se tut soudain. Dans un coin reculé de l'ancienne Lordaeron, le silence se fit.
Définitivement.
...
- Et ben ! T'as une sale tête. Tu veux un coup ? Enfin... Plutôt du café, non ?
L'aubergiste du Bastion de l'Honneur sortit une chope fumante et la posa sur le comptoir.
- Dis-moi, Sid, juste pour savoir... Le truc que j'ai bu hier soir, ça vient d'où ?
- Tu parles de mon fameux élixir de jouvence ? Fameux dans tout l'Outreterre pour ses propriétés rajeunissantes ! Même les Orcs se battent pour m'en piquer !
L'aubergiste sourit à Edualk qui se tenait devant lui. Il avait des cernes sous les yeux, et avait manifestement mal dormi.
- Donc, dedans, il y a... ?
- Secret de fabrication.
- J'ai pensé à un truc. Tout le merdier que je t'ai vendu - les restes de bestioles, les plantes bizarres, etc. - tu ne t'en servirais pas pour ta gnole ?
L'aubergiste fit un clin d'oeil à Edualk qui venait de s'assoir péniblement sur un tabouret.
- Je ne peux rien dire. Mais il y a de ça. Entre autres. T'avais l'air d'aimer ça, hier soir.
- Mon vieux, ça fait un bail qu'on se connait, non ?
- Oui, c'est sûr. Depuis qu'ils ont rouvert la Porte.
- Alors rends-moi service : plus JAMAIS tu ne me sers cette saloperie.
L'aubergiste prit un air surpris.
- Pourquoi ?
- Parce qu'en plus de me filer la courante, elle me fait faire des rêves bizarres.
- Erotiques ?
- Sid, je t'aimes bien, mais t'es un vrai con, quand tu t'y mets.
- Eh !
- Non, rien d'érotique. Pas franchement, non...
Edualk commença à boire son café.
Des cauchemars... Toujours.
Mais celui-ci...
Je ne veux pas oublier...
- Non. Je n'oublie pas.
- Tu me parles ?
Toujours des cauchemars...
***
[Quelque part en Azeroth, +27]
L'homme en noir s'était tu, et sirotait sa bière, les yeux dans le vague.
En face de lui, de l'autre côté de la table, l'homme mystérieux n'avait pas bougé.
La nuit était tombée, et la serveuse essuyait quelques chopes d'un air ennuyé. Il neigeait dehors, et la clientèle se faisait rare.
L'homme en noir poussa un soupir.
- C'est un bon gars, vous savez.
L'homme mystérieux ne répondit pas. Il semblait réfléchir.
- Ce n'est pas un héros. Personne ne l'est, chez n... dans cette famille. Plus depuis...
L'homme en noir soupira.
- Vous devriez oublier tout ceci. Et le laisser tranquille.
L'homme mystérieux se leva, tout aussi silencieux dans ses gestes que depuis son arrivée dans la taverne. Puis il baissa la tête vers l'homme en noir.
- Vous lui avez sauvé la vie.
- Moi ? Sauvé la vie ?
- Le procès. Vous avez gagné du temps.
Arsène - car c'était lui - haussa les épaules.
- Oui, et alors ? C'est mon gosse, quand même. Je n'allais pas laisser des fanatiques le pendre.
- Dites-lui.
- Il me méprise. Je ne suis pas le genre de... "père" dont il a besoin. Et il sait se débrouiller.
- Les liens du sang.
- Qu'en savez-vous ?
L'homme mystérieux se pencha vers Arsène. Il sentit quelque chose d'oppressant venant de lui, émanant de sa personne. Arsène ne baissa pas la tête, malgré la peur panique qui l'envahissait et le poussait à s'enfuir, malgré... le sentiment de familiarité.
- Je sais.
- Qui êtes-vous ?
L'homme mystérieux sembla réfléchir.
- Un souvenir.
- Pourquoi êtes-vous là ?
- Le sang.
Arsène leva un sourcil.
- Vous ne le connaissez pas. Il n'est pas du genre à jouer au héros.
- Vous m'avez raconté.
Puis il se redressa, tourna les talons, et sortit de la taverne, toujours aussi silencieux, tel un fantôme.
Arsène se secoua et sortit rapidement derrière l'homme mystérieux.
Dehors, la neige tombait doucement dans la nuit éclairée par la pleine lune.
Personne - et sur le sol, une neige immaculée...
***
[Obscurité sans fin. Un lieu qui n'existe pas]
Un homme mystérieux. Accompagné.
Douleur et vide.
Et colère.
- Lui personne !
- Il convient.
- Non. NON !
- Si.
- Pas pouvoir ! Pas talent ! Pas héros ! Besoin héros !
- Un héros n'a pas suffi.
- Toi !
- Je ne suis plus.
- Autre !
- Non. Il convient.
- Grrr... Toi décider. Mais pas héros ! Danger ! DANGER !
- Tout le monde n'a pas vocation à être un héros. Il convient.
- Payer ? PAYER ?!
- Oui. Edualk payera le prix... Mais pas seul.
- Pas seul ? Qui ? QUI ?!
- D'autres. Des inconnus. De vieux amis. Et...
- Et ? Dire !
- Peut-être... Une raison de vivre...
Obscurité sans fin. Un lieu qui n'existe pas.
Douleur et vide.
Et colère.
Et devoir. Une toute dernière fois. Au nom de ce qui aurait dû être, et qui ne fut pas...
***
Je m'appelle Edualk.
Je suis un Paladin, formé par la Main d'Argent, membre de l'Aube d'Argent dont je porte le tabard.
J'ai vu Hurlevent brûler.
J'ai vu Lothar tomber devant le Pic de Rochenoire.
J'ai vu Lordaeron sombrer dans le néant, brisé par le Fléau.
J'ai connu la chaleur d'une famille, le bonheur d'être aimé.
J'ai connu la peur, la douleur, la honte, la trahison.
J'ai perdu le plus précieux des trésors, le seul qui valait la peine de vivre.
J'ai erré, et j'erre encore, seul, avec mes souvenirs, mes joies, mes peines, mes blessures si profondes qu'elles sont devenues ma force et mon âme.
Avec contre mon coeur, une mèche de cheveux noirs qui me rappelle ce que j'ai perdu, et pourquoi je suis ici.
Ceci est le Norfendre. Le fief du parricide, du traître, du tueurs d'ami, de l'ennemi de toute vie.
Assiégé par les armées les plus nombreuses et les plus puissantes qui aient jamais arpenté Azeroth.
Par les Héros de notre temps, réunis par mille et une raisons, mais dans un seul but : que ce monde, notre monde, connaisse une nouvelle aube.
Que la vie triomphe sur la mort et l'oubli.
Tout le monde n'a pas vocation à être un héros.
Je ne suis pas un héros.
Mais je suis moi.
Et je suis là.
Ici, et maintenant.
Je suis Edualk. Je suis un Paladin.
Ceci est mon devoir.
Ceci est ma vie.
***