Stropovitch
Race: Draenei
Classe: Guerrier
Niveau: 70
Serveur: Vol'Jin
Jeu: World of Warcraft
Etat: Actif
Infos
20 articles
1 commentaires
0 images
Rejoignez-nous !
Publiez vous aussi les exploits de vos personnages en ouvrant un compte sur rp.azrelia.fr !
Site hors-charte
20 messages - Cliquez sur un titre pour afficher la page dans une autre fenêtre

Chapitre 4



Maître Annïa jeta un oeil dans la pièce où le médecin en chef Londan et son équipe s'affairaient parmi une trentaine de malades étendus sur des couches. Une petite épidémie virale avait affecté les passagers. Deux anciens étaient morts, mais maintenant que tout était en place, les patients étaient traités rapidement.

Elle s'avança vers lui. "Excusez-moi..."

Elle lui glissa quelques mots. Il se tourna vers moi, qui étais resté à l'entrée, et s'approcha nerveusement. "Viens", me dit-il en me dépassant. Je le suivis dans son bureau. Il ferma la porte, s'assit et soupira. "Fais vite, je n'ai pas le temps. Qu'y a-t-il ?"

Je lui tendis une page de carnet où j'avais écrit :

"C'est quoi ces symptômes dont vous parliez auxquels je verrai que je me transforme en démon ?"

Il s'agita. "Je ne vois pas de quoi tu parles, tu me fais perdre mon temps."

Il se releva. Je le fixai en lui tendant une autre feuille qu'il saisit avec agacement. "Je savais que vous diriez cela, mais je veux savoir." Je n'avais pas écrit devant lui, il comprit que j'avais vraiment rédigé cette deuxième feuille à l'avance. Cela eut l'effet escompté : il eut peur, se rassit et dit d'une voix tremblante :

"Cela fait un an maintenant et tu n'as rien manifesté. Peut-être ne doit-on pas chercher à te cacher des choses, ce qui entretiendrait des sentiments de rancœur, de peur ou de je ne sais quoi mais tu ne dois rien entretenir. Donc sache que tu as été marqué dans ta chair par le feu d'un démoniste. C'est une forme de corruption que nous ne maîtrisons pas ; Velen lui-même est capable de purifier de l'emprise des Ténèbres un être que n'importe qui jugerait irrémédiablement condamné ; mais il ne s'agit pas d'Ombre. Normalement le Feu brûle, consume et disparais quand il n'y a plus de matériau. Mais toi par un prodige incompréhensible tu entretiens ce Feu dans ton coeur."

Je baissai la tête, incrédule.

"Pendant ton sommeil, tes brûlures ont mystérieusement guéri sans laisser de traces. Et quand tu faisais des cauchemars, tu... tu démontrais une force anormale. Tu m'as projeté d'une pichenette sur plusieurs mètres, à plusieurs reprises."

Je sentis le désespoir m'envahir. J'appréhendai la suite.

"Dans ces moments tes yeux brûlaient. Plus la crise était forte, plus les flammes qui en sortaient étaient grandes. Dans les crises les plus fortes observées, la température de ton corps augmentait jusqu'à 50-60°C - ce qui est supposé être mortel - tes veines apparaissaient sur l'ensemble de ta peau..."

Mes dents se serrèrent et grincèrent.

"... noires, bouillonnantes. Ton souffle enflammait tes draps sans exhaler de feu. Et même une fois, dit-il en tremblant, ... non bref ; enfin quant à ta force... suis-moi."

Je lui emboîtai le pas.

"Tu te souviens de la chambre dans laquelle tu t'es réveillé ? on t'y a transféré après ça."

Ils parcoururent quelques couloirs, puis Londan ouvrit une porte. Je jetai un œil terrifié à l'intérieur.

Un des murs de métal, de trois mètres sur cinq, avait pris la forme d'un cratère, d'une demi-sphère. Au centre, au point d'impact, le mur avait reculé d'environ deux mètres, tordant l'ensemble de la paroi et inclinant le plafond.

"Certes ici le mur n'était épais que de trente centimètres. Mais tu devines aisément la force anormale qu'il faut posséder pour faire cela. Pour information, ce coup m'était destiné."
Je frémis.
"Mais je te rassure, tu ne sembles pas près de manifester de nouveau ces symptômes. Velen en temps voulu t'enseignera la voie de la Lumière et tu te purifieras toi-même. Aie confiance". Il me sourit. "Allez j'y vais, bonne journée, et surtout, ne rumine rien. Même si c'est en écrivant, parle, ne cache rien. Nous voulons ton bonheur, Stropovitch." Et il partit.

Je ne dois rien ruminer alors qu'il y avait encore quelque chose qu'il n'avait pas voulu dire ! Mais je me résignai.
C'était donc cela... Cette température, ce souffle, cette force... Seul un démon pouvait en faire autant.
Mon bonheur... avec cette menace planant sans cesse au-dessus de moi...
Je m'agenouillai devant le cratère, désemparé. Au centre, je distinguai nettement l'empreinte de mon petit poing d'enfant, avec les phalanges bien dessinées. Je me mis à pleurer.


~~~~~~~~

Van Cleef attaqua en raccourcissant la distance entre eux deux de deux pas rapides et souples tels ceux d'un félin. Il attaqua avec l'arme visible, ce qui était une feinte évidente : Stropovitch para de la main gauche et cueillit de la droite la lame que le capitaine avait sortie de son dos. Les poignets tournèrent, les lames glissèrent, dans des mouvements de contres et de contres de contres, cherchant les ouvertures. Le draeneï sentit en une seconde qu'il perdrait à ce jeu-là ; il lâcha ses armes, attrapa dans le mouvement les poignets de Van Cleef et les lui tordit férocement, puis abattit son crâne sur celui de son adversaire.

Ce dernier esquiva en se jetant au sol, sur le dos, posa ses pieds sur le torse du draeneï penché et le fit basculer par-dessus lui.

Ne pas lâcher. Mais Stropovitch ne lâcha pas les poignets de Van Cleef ; chacun se tourna sur le ventre et se releva, les mains toujours liées ; le draeneï retenta un coup de boule mais l'autre le tira violemment sur le côté, la jambe dans le chemin des siennes ; Stropovitch trébucha mais ne perdit miraculeusement pas l'équilibre ; il réentreprit de broyer les poignets du pirate mais celui-ci riposta par un souple coup de pied en direction du menton du draeneï ; lequel esquiva en fléchissant les genoux et en se penchant en arrière et un peu de côté juste ce qu'il fallait pour laisser passer le pied, puis se redressa brusquement pour cueillir la jambe. Le mouvement avait été une merveille de rapidité et de précision. Van Cleef était coincé, la cheville sur l'épaule de son adversaire. Il eut une microseconde d'hésitation que Stropovitch exploita : il tira violemment les poignets du capitaine vers le haut et lui asséna enfin un coup de boule version billet gratuit pour le pays des fées.

La fillette, toujours bâillonnée, les observait, immobile.

Van Cleef lâcha ses épées et s'effondra sur le sol.

Stropovitch les saisit bien en main et se pencha pour trancher net la gorge de l'humain.

L'arme valdingua de l'autre côté du pont. Le pirate avait une troisième lame dissimulée et l'avait utilisée pour parer le coup de grâce et désarmer la main droite du draeneï.

Van Cleef se releva à une vitesse hallucinante.C'était au tour de Stropovitch d'avoir une fraction de seconde d'hésitation ; un coup de pied puissant dans sa main gauche lui fit lâcher la seconde arme qui s'éleva en tourbillonnant dans les airs ; puis un second coup de pied en pleine figure le fit tomber à la renverse ; Van Cleef récupéra la seconde épée au vol lorsqu'elle retomba.

Stropovitch n'attendit pas le coup de grâce ; dès le contact avec le sol il effectua une roulade arrière et se redressa en ramassant les armes qu'il avait laissé tomber en début d'affrontement. Le temps de relever les yeux les deux épées de Van Cleef avaient sectionné la maille et s'étaient enfoncées profondément de chaque côté de sa large poitrine.
Ouverture.
Pendant la demi-seconde où Van Cleef assurait la pénétration de ses armes il fut vulnérable ; le draeneï martela un pas en avant et éventra le pirate de ses lames croisées.
La fille à deux mètres de là fut aspergée de sang mais ne bougea pas, hallucinée.

Le capitaine tomba à genoux, le visage grimaçant, se tenant le ventre, tandis qu'une mare de sang se déversait sous lui. En face le mercenaire fit de même, retirant les deux épées de sa poitrine avec des expressions de grande souffrance.
"Tu as un torse bien imposant, je ne sais même pas si j'ai touché un organe vital... mais qu'importe, les poisons de mes lames t'auront tué d'ici une minute. Normalement l'effet est foudroyant, c'est pour cela que je me suis laissé surprendre, j'ai... été stupide."
Van Cleef était livide. L'hémorragie était impressionnante.
Le draeneï sentit son cœur souffrir. Battre était soudain terriblement difficile. Chaque pulsation lui arrachait une grimace de douleur aiguë. Il se pencha en se contorsionnant et en laissant échapper des râles, sous le regard fixe du capitaine.
Derrière ce dernier des dizaines de carriers Défias arrivaient d'un air ahuri, de l'intérieur de la mine. Ils s'avancèrent jusqu'au bord du pont, mais aucun n'approcha. Ils observaient la mort des deux combattants, incrédules, silencieux.

~~~~~~~~

Je l'ai faite, l'erreur fatale, l'hésitation qu'il ne fallait pas avoir. Je vais mourir.
Pulsation, douleur.
J'aurais gardé ma conscience jusqu'au bout en fin de compte. Je n'aurai pas été dépossédé. Mais mon cœur brûle si fort... C'est un anti-coagulant, à coup sûr, et extrêmement puissant. Je ne pensais pas que ça produirait une telle chaleur...
Pulsation, douleur.
...Je ne veux pas mourir ! Je ne veux pas ! J'ai... envie.
Pulsation, douleur.
Envie, oui... envie... De ? Vivre ? Ce feu s'étend à tout mon corps, tout s'embrase, mon coeur se serre si fort, si fort ! J'ai tellement envie... de ?
Pulsation, douleur.
DE ME VENGER ! Retrouver l'orc, le faire payer, le torturer, lui, ses semblables, les étriper, tous, les exterminer, eux, leurs villes, leur passé, tout détruire, tout raser, tout, même les ruines, les forêts, les vallées, tout effacer, tout CONSUMER !
Pulsation, rage.

~~~~~~~~

Van Cleef et les mineurs ouvrirent de grands yeux qui brillèrent en reflétant l'éclat des flammes.
Stropovitch se redressa, les yeux flamboyants, et un grondement retentissant s'éleva des tréfonds de son être et résonna dans la caverne. Dans une grimace atroce il se releva. Sa peau devenait rouge.
La fille regardait toujours, hallucinée.
Sa poitrine vibra visiblement, son coeur apparaissant en noir sur la peau rouge. Tout son corps se veina de noir. Son visage se fendit d'un sourire démoniaque.
Les mineurs crièrent, quelques-uns s'enfuirent mais le plus grand nombre était immobilisé par la terreur.
Un grondement surpuissant détonna dans la caverne. L'air autour du draeneï ondula sous l'effet de la chaleur infernale qu'il dégageait.
Alors, il parla ! Stropovitch ouvrit la bouche et d'une voix d'outre-tombe qui n'était pas la sienne dit :
"JE... ME SENS... BIEN."
Le corps de Van Cleef s'enflamma à ces paroles. Il hurla, torche vivante.
Les mineurs, les jambes rompues par la panique, rampaient en couinant vers la sortie.
Stropovitch prit un air carnassier. Ses mains serrèrent ses épées chauffées à blanc.

~~~~~~~~

"Question discrétion, c'est raté, vieux."
Jack se curait les dents consciencieusement. Il tenait la fille par la main. Elle se cachait derrière lui, tremblante.
"On t'demande de libérer un'fille et tu fais quoi ? 'lors si j'ai bien compris l'histoire, tu tues tout l'équipage, Van Cleef, tu coules le navire, tu tues l'intégralité des mineurs, tu détruis la forge cachée d'la Confrérie, tu sors, tu réduis en cendres Ruiss'lune, et pour la beauté du travail bien fait, tous les camp'ments Défias d'la zone."
Stropovitch, l'air soucieux, regardait pensivement ailleurs. La vieille folle d'aubergiste était, on ne sait pourquoi, hilare.
"Sans oublier la gamine qui m'dit tantôt que t'es rev'nu la chercher que l'lendemain, et qu'tu t'étais transformé en monstre. J'dis pas qu'j'y crois pour les détails du monstre, mais pour c'qui est qu't'as une case en moins, ça d'accord, y a pas d'doute, faut t'fair'soigner mec. Laisser la fille derrière pour aller massacrer tout l'voisinage, c'pas du travail de professionnel, t'es d'accord."
Le draeneï gardait le silence. Jack jubilait d'avoir inversé les rôles depuis leur première rencontre.
"Mon employeur va pas r'vendiquer la chose, mais vu com'tu t'la jouais quand on s'est vus l'aut'jour, j'vais pas m'gêner pour t'ruiner discrèt'ment ta réputation. Désolé, hein !"
Stropovitch ne réagit pas. Sa décision était déjà prise de quitter la région.
"Bon v'là ton salaire, dit-il en jetant une énorme bourse sur la table, et profites-en bien t'en auras pas beaucoup d'autres". Il resta un instant le temps que le mercenaire contrôle le contenu puis disparut avec la fille, sans au revoir.
Stropovitch resta longuement assis, l'air sombre. Avant toute chose, il devait aller trouver Velen à l'Exodar et lui demander conseil.

 

~~

 

Poster un commentaire - Commentaires (0)
Créé le 09/07/2008 à 12:50:44 - Pas de modification

Chapitre 5





"Si nous vous avons appris à lire, c'est pour une raison très simple, celle-ci !"

L'austère draeneï vêtu de lourde plaque dorée désigna à la jeune assemblée, assise à même le sol, les rayons chargés de la bibliothèque.

"A partir d'aujourd'hui, nous tenterons ensemble de vous amener à la Lumière. Cette voie est ardue. Pour une raison très simple." Déjà deux fois, notai-je. Pour Maître Kalten, tout était toujours simple.

"La Lumière est un élément, comme le feu, le givre, la nature, les arcanes, d'où il découle une école de magie spécifique. Mais elle est un peu plus que cela. Comme l'Ombre la Lumière n'est pas un élément neutre moralement. Elle se situe à un autre plan, au plan spirituel, celui de la lutte du bien et du mal."

Certains enfants écarquillaient des yeux incompréhensifs.

"Le feu ou le givre, vous les avez autour de vous, dans votre réalité, tous les jours. Il suffit de se les approprier et d'apprendre à les manipuler. Alors que l'Ombre et la Lumière, il faut avant cela aller les chercher dans leur plan. Et comment fait-on ? Eh bien très simplement !"

Je sentais qu'il allait vite m'énerver avec sa simplicité.

"Vous devez d'abord vous imprégner de ces principes", dit-il en brandissant un énorme livre à la couverture luxueuse sertie de joyaux. "Une fois que vous aurez fait vôtre tout cet enseignement moral, vous deviendrez irréprochables et ne connaîtrez plus le doute ni l'hésitation. La tentation du péché ? Vous ne saurez plus ce que ça veut dire. Une décision à prendre ? Vous prendrez immédiatement la bonne et vous y tiendrez quoiqu'on vous dise. Vous saurez faire la part des lâches et des braves dans votre entourage. Vous aurez l'étoffe dont on fait les héros."

Un silence époustouflé s'empara de l'assistance. Tous ces enfants voyaient déjà leurs noms dans les légendes.

"Ensuite nous passerons à la repentance de tous vos péchés passés. Forts de cet enseignement moral, vous passerez en revue tous vos actes passés et en ferez confession minutieuse à vos enseignants. Pourquoi, me direz-vous ? Pour une raison très simple : la paix. Pour être définitivement prêts à recevoir la Grâce, vous devrez faire paix et tranquillité en votre âme et conscience."

Il sourit tel un bienheureux en regardant les enfants.

"N'est-ce pas merveilleux ? Je vous propose la pureté éternelle. Alors seulement vous serez aptes à communiquer avec le plan de la Lumière."

Il n'y eut évidemment pas d'objections.

"Pour ces deux premières phases, il n'y aura pas de test, nous nous fierons entièrement à vous. Pourquoi tant de confiance ? Très simplement, parce que si vous les avez échouées vous échouerez également l'enseignement pratique. Vous n'obtiendrez pas la Grâce de pouvoir faire agir la Lumière dans ce plan par l'intermédiaire de votre volonté. Donc nous ne nous inquiétons pas : lisez ces livres de sagesse en diagonale, ne les apprenez pas, n'assimilez ni n'appliquez ces principes, n'avouez pas vos fautes, mentez aux autres et à vous-mêmes ; et vous pourrez aller vous amuser avec les maîtres des mages, shamans, voire, ajouta-t-il avec un pouffement méprisant, pour les imperméables à toute forme de magie, guerriers."


~~~~~~~~

"Roulalaaaa, quel air messant ! Zavez l'air d'écrire un truc qui vous fâsse monsieur Grand Baraque."
Pour le coup, la petite voix flûtée de la gnomette radoucit totalement Stropovitch. Il ferma son carnet et se redressa dans le hamac. Ils étaient les deux seuls passagers de ce bateau pour l'Exodar - plus exactement l'île de Brume-azur sur laquelle le vaisseau s'était écrasé un an auparavant. La petite créature avait d'adorables grands yeux en amande couleur noisette, et les cheveux châtains-roux coiffés en deux nattes enroulées de chaque côté du crâne. Son air était curieux et réjoui.
Stropovitch lui sourit, griffonna sur une feuille, la déchira et la lui tendit.
"Oooooooh vous êtes muet ? Mazette zavez dû apprendre l'écriture de tout le monde après votre atterrissaze zêtes courazeux."
Autre feuille.
Elle rit. Du plus attendrissant petit rire de gnomette du monde.
"Oh bah moi zallez rire, si ze suis dans ce bateau pour l'Exodar c'est par puuuuuuure curiosité."
Le draeneï, amusé, leva un sourcil.
Elle se hissa dans le hamac adjacent et s'assit en tailleur au milieu.
"Comme zen ai assez d'être la meilleure et que c'est ennuyant à la longue bah ze prends des vacances et me suis dit : zou z'ai zamais visité l'Exodar, paraît que les gars de chez vous y zy vont pas par quatre semins pour construire un vaisseau, que c'est tout grand et tout."
Autre feuille.
"Ce que ze faisais ?" Elle rit de nouveau - pour le plus grand plaisir du draeneï. "Ze fais partie de la meilleure équipe de gladiateurs du monde, vi môssieur."
Stropovitch s'ébahit. Il avait en face de lui une combattante d'arène, une de ces personnes qui s'affrontaient en huis clos dans des explosions de magie et des tourbillons de lames pour se placer parmi les meilleurs dans un championnat mondial permanent.
La terreur des arènes mâchonnait son index d'un air pensif.
"Zaurais bien aimé t'avoir comme guide mais un guide muet..." et elle s'esclaffa. "Bah on peut essayer qu'est-ce t'en dis l'armoire à sabots ?"
Stropovitch acquiesca.
Autre feuille.
"Marrant ton nom. Moi c'est Thiwwina", dit-elle avec un accent enfantin et un grand sourire lumineux.
Le draeneï était conquis.

~~~~~~~~

L'amarrage de Valaar était calme, il n'y avait absolument personne. Le soleil là-bas se noyait dans la mer en jetant ses derniers feux à travers de lourds nuages de pluie. L'équipage - trois hommes seulement apparemment - se demandait dans un coin s'ils allaient faire halte ici ou non.
"C'est normal que ce soit désert ? demanda Thiwwina. Ze veux dire, y a encore du monde à l'Exodar où vous vous êtes tous dispersés ?"
Stropovitch fit non de la tête et prit le chemin qui s'enfonçait dans l'île. La gnomette lui emboîta le pas, jetant des regards curieux autour d'elle, à l'affût du moindre élément de décor inconnu, exotique.
Elle aperçut enfin au-dessus des arbres une pointe lumineuse.
"Waaaaaaaaaaah".
C'était de toute évidence le sommet d'un gigantesque bâtiment. Dans la pénombre du crépuscule elle ne pouvait voir distinctement, mais les parois du vaisseau semblaient incrustées d'énormes cristaux émettant une lumière rose diffuse.
"Hmmmm c'est pas à la gnome que vous avez conçu votre enzin, l'est mazique ce truc, ze le sens, ce n'est qu'une grosse masse imprégnée de mazie, la plus grande condensation que z'ai zamais vue, d'ailleurs. Me demande d'où vous sortez ces cristaux." Stropovitch exprima l'ignorance. Les yeux de Thiwwina brillèrent de curiosité. "Faudra que ze retourne en Outreterre, zai dû rater un truc, vers Raz-de-Néant, z'ai trouvé la rézion mosse alors z'ai pas vraiment exploré, mais ça sentait la mazie à plein nez, ze suis sûre que ze trouverai des infos là-bas."
Stropovitch s'arrêta, interdit. Cette gnomette était allée à Draénor ? Il reprit son chemin, pensif.
"Qu'est ce que t'as Stropo ?" lui gazouilla-t-elle en faisant de petits bonds à côté de lui.
Il griffonna quelques mots, lui tendit la feuille.
Elle plissa les yeux pour parvenir à lire malgré l'obscurité. Et s'esclaffa.
"Ah bah hein essanze de bons procédés très ser, ze me ferai une zoie de vous guider en Outreterre après notre visite ici !"
Stropovitch lui adressa un sourire reconnaissant, et elle lui refit le coup du grand sourire lumineux version "ah non pitié ne me dites pas que je vais tomber amoureux d'une gnomette !"
Ils rirent ensemble.

~~~~~~~~
 

"Ah vi quand même c'est assez impressionnant."
La partie émergée du vaisseau s'élevait en pointe à une trentaine de mètres de hauteur, toute de métal scintillant et de ces fragments minéraux roses qui chantaient un petit air cristallin. "C'est zoli ze trouve, et pis c'est grand, y a de quoi mettre un peu de monde là-dedans, mais pour un peuple c'est pas grand'çose, devez pas être nombreux les rescapés." Stropovitch eut un sourire triste. Il lui fit signe d'entrer. Les gardes les saluèrent d'un hochement de tête et s'écartèrent. Stropovitch hocha dignement la tête en réponse ; suivi d'un tonitruant "Bonsoir messieurs Baraques !" sur pattes. Stropovitch ne put s'empêcher de rire, suivi de près par les gardes eux-mêmes quand ils se remirent de leur étonnement.
La touriste et son guide s'enfoncèrent dans les entrailles du vaisseau par un long couloir bordé de débris de métal et de cristaux - qui l'éclairaient. "Oulalaaaa mais dis donc c'était pas une petite çute que zavez fait là pour que ça s'enfonce autant dans le sol !" Le draeneï fit une moue.
Ils pouvaient entendre, grandissant, le brouhaha confus de la vie du vaisseau. Deux draeneïs accompagnés de deux Elekks lourdement chargés les croisèrent, en jetant un regard étonné à la gnomette.
"Ah bah zont zamais vu de gnome ici faut croire. En tout cas ça me rassure à ce que zentends y a encore du monde là-dedans."
Ils débouchèrent dans le hall du vaisseau.
Le hall était d'une immensité à laquelle Thiwwina n'était pas préparée : bouche bée et les yeux comme des soucoupes, elle regarda pour une fois sans parler.
Du plancher à la voûte il y avait au bas mot cinquante mètres. La salle faisait également une bonne soixantaine de mètres de diamètre. Au centre, jaillissant d'un puits de vingt mètres de diamètre bordé d'énormes cristaux, une colonne de lumière rose au chant cristallin. Les parois violettes réfléchissaient cette lumière tout en diffusant la leur propre. Tout le hall baignait dans un brouillard de lumière magnifique, qui rendait flou tous les contours et toute la vie qui l'agitait.
Car en contrebas, autour du puits, Thiwwina put voir des dizaines de draeneïs conversant, commerçant, promenant, s'affairant, des jeunes, des vieux, des hommes, des femmes, oisifs ou pressés, sereins ou inquiets. Tout autour des arches, des entrées vers d'autres parties du vaisseau - dont elle ne distinguait pas les dimensions, mais qui semblaient tout aussi vastes.
Un papier s'agita devant elle.
Elle cligna des yeux comme sortant d'un rêve et lut pensivement le mot. "Je te laisse visiter, tu me poseras toutes les questions que tu voudras après. Fais attention à rester respectueuse. Moi je dois aller voir notre Prophète, tu ne peux m'accompagner. On se retrouve à l'auberge - il n'y en a qu'une, près de la sortie du couloir, juste derrière toi, établie exprès pour les visiteurs comme toi."
Elle leva les yeux vers Stropovitch - elle lui arrivait au genou -, lui sourit et acquiesca avec enthousiasme. Soudain, elle disparut. Stropovitch soupira. Une mage, évidemment. Rien de tel pour fouiner que de se téléporter partout.
Il prit une grande inspiration et descendit la rampe qui menait au hall. Les draeneïs le regardaient tandis qu'il fendait la foule calmement. Certains hochaient la tête poliment, d'autres le regardaient impassiblement. Quelques-uns le fixèrent avec suspicion, voire s'éloignèrent à son passage avec peur et mépris.
Une main gantée de plaque s'abattit sur son épaule - qui ne broncha pas, d'ailleurs.

"Tiens, qui voilà ! De retour à la maison ?"

Darotân. Une colère extrême s'empara en rafale du draeneï, une rage qui manqua de le faire imploser. Ses yeux rougoyèrent des braises de la haine. C'est du passé tout cela. Je DOIS me contenir. Absolument. Par respect pour Velen. Pour ne pas souiller de sang la lumière des naarus .

Il se retourna vers un draeneï vêtu d'une magnifique armure dorée et ornementée, armé d'une énorme masse scintillante dans le dos, toute ouvragée et sertie de gemmes à l'éclat sans défaut. L'ensemble de l'équipement devait peser une tonne, mais il le portait comme si de rien n'était. Remarque, certains n'ont pas à s'encombrer de leur cerveau, ça laisse de la marge sur l'armure.
"ça fait un bail vieux frère !" s'exclama-t-il en lui broyant l'épaule, l'air sarcastiquement joyeux. Tout le hall l'entendait - et l'écoutait, d'ailleurs. "Quelle coïncidence, je venais rapporter à Velen les progrès de la Lumière en Outreterre - et ma modeste participation dans cette entreprise, ajouta-t-il d'un air fat. Et je te trouve, mon bon camarade ! Nous qui avons étudié ensemble ! Enfin, pas très longtemps en fait", appuya-t-il avec un petit rire grinçant. Quelques personnes pouffèrent dans l'assistance. "Tu viens toi aussi lui raconter tes exploits ? Laisse-moi deviner, tu as achevé avec succès ta grande campagne de dératisation du Tram des Profondeurs ?" Il rit à gorge déployée ainsi que quelques autres autour de lui. La plupart sourirent de la pique du paladin. "Allons allons, dit-il, les larmes aux yeux d'avoir tant ri, ne le prends pas mal mon frère, une petite taquinerie bon enfant, rien que de très affectueux ! Allons trouver Velen ensemble !" Il lui passa un bras autour des épaules et joignit son pas au sien, tout en prenant bien soin de s'appesantir sur le guerrier. Mais le dos de Stropovitch ne fléchit pas d'un iota. "Il va être bien content de nous voir, j'en suis sûr. C'est qu'il aime tous les ressortissants de son peuple, lui, quoi qu'ils fassent, quels qu'ils soient, hmm ? Quelle bonté inégalable, n'est-ce pas, à laquelle nous ne pouvons qu'aspirer !" Il se pencha l'air goguenard pour capter une expression sur le visage de Stropovitch.
J'aurai ta peau. Un jour, je te tuerai, Darotân. J'en fais le serment.

 

~~

Poster un commentaire - Commentaires (0)
Créé le 09/07/2008 à 12:52:31 - Pas de modification

Chapitre 6




Kalten m'avait demandé d'attendre. Cela faisait une demi-heure que, debout, je scrutais les visages impénétrables des Boucliers de Velen, sa garde rapprochée.

Enfin une sentinelle reçut un message d'une autre sentinelle et vint me chercher.

On m'introduisit dans un couloir bordé de vigiles, puis dans une vaste pièce lumineuse, dont le mur circulaire était recouvert d'étagères envahies d'énormes livres.

Au centre, une table. Trois sièges. Kalten à droite, Velen à gauche - qui me fixaient impassiblement - et, dos à moi, le siège qui m'était destiné.

Je déglutis et m'avançai. Lentement. Les yeux au sol. Et m'assis enfin. Les yeux sur la table - à fixer la plume d'or, la feuille de parchemin et l'encrier de khorium pur qui y étaient disposés. Je sentais près de moi l'aura de Velen - l'aura de la ferme bienveillance faite chair. Velen, êtes-vous un dieu...

La voix la plus grave de l'Univers, qui résonnait comme dans une grotte.

"Mon enfant..."

Prophète, vous le Bon, vous l'amour, vous le Père, vous que je vénère et aime, je le sais, je vous ai déçu... Des larmes coulèrent sur mes joues.

"Kalten me dit que tu es imperméable à la Lumière... explique-moi, Stropovitch, explique-moi, je t'en prie, je ne comprends pas..."

Je levai mon visage larmoyant vers lui. Il était sincèrement et profondément attristé... J'ai voulu mourir en cet instant.

Je saisis d'une main tremblante la plume et me mis à écrire très vite et très mal, sans rien voir à travers mes yeux noyés de désespoir.

Enfin je m'adossai brutalement à mon siège et arrêtai de respirer. C'était écrit.

Kalten sortit d'une poche de chemise une paire de lunettes à la fine monture dorée et la mit d'un geste élégant. Puis il saisit la feuille mouillée de larmes en en pinçant un coin avec deux doigts. Avec l'air de déchiffrer un message crypté, il lut à voix haute à l'attention du Prophète, lequel, le regard empli de compassion, considérait l'enfant blotti et secoué de sanglots, triste petite boule de malheur.

"Ô grand Prophète j'ai lu la totalité des livres de sagesse de la bibliothèque, j'ai tout compris tout appris et j'ai voulu faire miennes toutes ces exigences de vertu, de recherche de justice en son coeur et dans le monde, de force, de volonté, de sacrifice, d'amour. J'ai aimé cet enseignement même et l'ai trouvé beau."

Oui, beau. Si beau. Comme vous, Prophète. Si cet enseignement avait un visage, ce serait le vôtre.

"Mais mon âme ne veut pas trouver la paix. Je ne parviens pas à faire le vide en moi pour accueillir la Lumière. Je sais que je n'ai pêché d'aucune façon dans mon passé, mais cette chose dans mon coeur ne veut pas me laisser trouver le repos de la conscience. Depuis que je me suis réveillé ce jour-là l'angoisse ne m'a jamais quitté."

Elle sourd en moi à chaque seconde, je l'entends, comme un autre coeur dans mon coeur, qui a toujours un battement d'avance.

"Elle est mon péché, qui me tache sans que j'en aie commis. Je suis devenu impur sans encore savoir le sens de ce mot. Je ne peux recevoir l'enseignement de la Lumière. Je suis indigne de votre attention, Prophète."

Kalten, embarrassé, considéra quelques instants encore ce texte, inattendu de la part d'un enfant.

Et là il se passa quelque chose d'extraordinaire.

Les yeux millénaires de Velen s'embuèrent. Je restai interdit, ne sachant que penser, désirant disparaître. Sa main attrapa mon bras avec douceur et il m'attira à lui. Il me prit dans ses bras.

Son aura m'investit. Ma peau frémit puis ondula d'une douce chaleur. Mon coeur s'apaisa, mes peurs, mon désespoir, mes remords, tout se dissipa telle une brume qui s'effiloche. L'unique moment où j'éprouvai la Sérénité. Moment dont je garde le souvenir tel un trésor.

"Mon enfant..." murmura-t-il de sa voix caverneuse, où j'entendis l'écho d'une tristesse elle aussi millénaire, celle que la perte d'amis, de parents et de milliers de ses frères à travers les âges avait laissée dans sa mémoire profonde comme l'éternité.

"Tu es donc bien perdu..."

Je me noyai dans sa tendresse, m'y blottis et sans m'en rendre compte glissai vers le seul vrai sommeil que j'aie connu depuis mon immolation.


~~~~~~~~
 

Escorté d'une demi-douzaine de gardes, Velen apparut. Ses deux visiteurs mirent genou à terre.
"Je vous salue, ô grand Prophète, déclama Darotân.
- Stropovitch..." répondit Velen sans un regard pour le paladin.

Son air était inquiet. S'il pouvait deviner la raison de la venue du paladin, la visite du guerrier n'augurait rien de bon.

Stropovitch s'inclina avec l'expression d'un profond respect.

Velen se tourna vers Darotân, lequel restait interdit d'avoir été quelques secondes invisible.
"Et vous, Maréchal Darotân..." Le Prophète hocha la tête pour les saluer. "Maréchal, auriez-vous l'obligeance de me laisser d'abord seul avec Stropovitch. Je vous recevrai avec plaisir plus tard dans la journée.
- Merci de me faire cet honneur, ô grand Prophète", répondit Darotân qui, perplexe, se releva et s'en retourna.

Velen et Stropovitch, silencieux, traversèrent le couloir et allèrent s'asseoir au centre de la salle du fond. Comme il y a dix ans.

Quelques secondes plus tard, la plume, l'encrier et un parchemin vierge vinrent orner la table.

Velen scrutait le visage de Stropovitch pour lire en lui. Je ne comprendrai jamais cette sollicitude grand Prophète. Je ne la mérite pas. Vous êtes trop bon - infiniment. J'ai besoin de votre aide, mais pourquoi me feriez-vous l'honneur de me l'accorder ? Pouvez-vous seulement m'aider maintenant que j'ai de nouveau manifesté ces symptômes ? Si vous n'avez pas pu me purifier, comment pourriez-vous y parvenir maintenant ?

La voix résonna. Stropovitch ferma les yeux pour mieux écouter son corps vibrer à chaque syllabe. "Stropovitch, je me suis beaucoup inquiété pour toi... Si tu es revenu... c'est que c'est arrivé..." Le guerrier hocha la tête avec fatalisme. "Je veux connaître chaque détail." Stropovitch lui tendit une dizaine de feuilles de carnet déjà rédigées.

Velen les lut avec grande attention. Puis il les posa sur la table et mit ses yeux dans ceux de Stropovitch.

"C'est malheureusement ce que je pensais."
Quoi ? Quoi ?
"Le feu ne dort pas. L'Ombre peut rester tapie, et démontrer mille ruses pour arriver à ses fins. Le feu non." Que voulez-vous dire grand Prophète je vous en prie expliquez-moi délivrez-moi. "Depuis le début il brûle et dévore et grandit. Que brûle-t-il, où grandit-il, je ne sais pas. Il y a plusieurs plans de réalité en-dehors mais aussi en nous-mêmes. Dans tous les cas c'était une idée inexacte de penser que tu deviendrais un démon." Je ne comprends pas. "Le démon est en toi, Stropovitch. Il est en gestation depuis le début. Et un jour naîtra. Et ce sera ta fin."

Non...

Le guerrier se prit la tête dans les mains, le coeur asphixié d'angoisse.

"C'est une bonne chose que tu aies gardé en mémoire tout cela, même si tu ne te contrôlais pas. De fait le démon a parlé, alors que toi tu ne le peux pas. C'est de ce fait précis que je conclus ce que je viens de dire."

En effet, c'est l'évidence même.

"De plus il a déclaré se sentir bien. Signe que son éveil est proche."

Je vais bientôt mourir. Mais mon corps disparaîtra-t-il, définitivement consumé, ou sera-t-il possédé ?

Velen soupira et alla prendre un imposant ouvrage à la couverture surchargée de gemmes et de dorures. Il le feuilleta.

"Je n'avais jamais pensé à cette éventualité, ni personne d'autre. Nous étions obnubilés par la thèse de la corruption. Mais ce démoniste n'était manifestement pas n'importe quel démoniste. Il cherchait un hôte pour un démon. Ce qui est un procédé somme toute inhabituellement long et retors pour créer un soldat de la Légion."

Donc ce démon n'est pas n'importe quel démon non plus...

"Je crains que la Légion ne soit en train d'expérimenter une nouvelle forme de création de démons... et de démons d'une puissance redoutable. Comme en plus tu es le seul cas de ce genre à ma connaissance, ce démon doit être le fruit unique d'une expérience exceptionnelle. Je ne prends pas trop de risques en imaginant que ce démon qui grandit en toi est destiné à être l'un des fleurons de l'armée de Sargeras."

Velen reposa le livre et planta de nouveau ses yeux dans ceux de Stropovitch.

"Ou alors il n'y est pas destiné... il était déjà un des fleurons de son armée, vaincu, et ils essaient de le ramener. Nouveau ou ancien seigneur-démon ? Et pourquoi choisir le corps d'un enfant draeneï pour cela ? Je l'ignore et j'y réfléchirai."

Aaaaaah, cette main qui tremble, ces larmes indignes qui coulent sur le parchemin ! Stropovitch tendit au Prophète un amalgame de signes mal tracés sur une feuille froissée par la fébrilité de ses mouvements.

Velen lut et s'assit. Il baissa les yeux et garda le silence quelques instants.

Répondez ! Dites quelque chose ! Peut-on encore me sauver ?

Velen releva la tête et regarda Stropovitch avec tristesse et compassion. Plus exactement, Velen était précisément en cet instant la tristesse et la compassion.

"Mon enfant... C'est le dernier recours mais nous ne pouvons prendre davantage de risques. Fais-moi confiance, moi qui t'ai toujours chéri et aimé, dit-il en lui prenant les mains dans les siennes. Il va falloir mourir. Pour tuer la chose avant sa naissance."

Mourir... Le draeneï ne réagit pas, le regard dans le vague, comme soudain décroché des choses.

"Mourir debout, Stropovitch ! dit Velen avec une divine fermeté en se levant. Tu es noble, tu es fier, tu es Draeneï ! Qu'importe tout ce qu'ont pu dire tes frères jusqu'à présent ! Aujourd'hui prouve que tu es un héros, deviens un symbole de la valeur de ta race ! Debout !"

Le guerrier se leva lentement, toujours sous le choc. Mourir. Mourir pour ne pas risquer que soit engloutis dans le feu du démon terres et peuples. Mourir après onze ans volés, que l'on ne m'aurait pas accordés si l'on avait tout su depuis le début. Après tout ce que j'ai vécu, réaliser qu'il aurait mieux valu n'avoir jamais existé...

Le regard de Stropovitch sortit des brumes qui l'enveloppaient et rencontra celui de Velen.
Une grande émotion envahit les deux draeneïs, mais ils n'en laissèrent rien paraître. Le Prophète posa une main sur le front de Stropovitch. Ils se regardèrent dans les yeux pendant l'incantation. Le guerrier esquissa un sourire quand une colonne de flammes sacrées s'abattit sur lui.

 

~~

 

Poster un commentaire - Commentaires (0)
Créé le 09/07/2008 à 12:54:01 - Pas de modification

~~

 

Deuxième Partie : Guerrier


 

 



Chapitre 7




Kalten vint me trouver dans ma chambre le surlendemain de l'entrevue avec Velen, au matin. Je ne dormais de toute façon pas. J'avais passé la nuit à pleurer de rage et d'impuissance et à maudire mon sort et le démoniste qui l'avait scellé.
J'avais entendu les échos d'une conversation brève avec Ondraïev mon tuteur. Puis des pas, et ma porte s'ouvrit. La silhouette massive de Kalten.
"Stropovitch, apprête-toi, vite. On a quelqu'un à voir."
Je m'exécutai aussi vite que possible et m'approchai de lui en m'essuyant le visage du revers de la main.
"Celui à qui je vais te présenter n'aime pas les pleurnichards, me dit-il rudement. Sèche tes larmes en chemin."
Je fis de mon mieux tandis que nous nous dirigions vers le Hall des Ressources - celui qui deviendrait le Hall du Commerce une fois le vaisseau écrasé. Point d'argent encore, chacun venait chercher ici nourriture et équipement dans les limites fixées.
La lumière diffusée généreusement par les cristaux m'éblouissait. Je me concentrai sur les pas de Kalten pour avancer.
C'est donc en clignant des yeux et le visage marqué de cernes et de traces de frottement que je m'arrêtai, la main de Kalten posée sur mon épaule.
"Stropovitch, voici Arcân, qui est en charge de l'enseignement guerrier dans ce vaisseau."
Je m'inclinai en me fiant à l'orientation du corps de Kalten, encore trop ébloui pour distinguer nettement ce qui m'entourait. Je sentis un regard dur se poser sur moi. Kalten reprit.
"Tes camarades ne le verront qu'à partir de l'année prochaine pour fortifier leur corps et s'initier au maniement des armes. Nous définirons à la fin de cette année-ci lesquels d'entre eux ne sont pas aptes à suivre la voie de la Lumière et les réorienterons - mais quelle que sera leur voie tous passeront par Arcân. En attendant, tu t'entraîneras avec tes aînés."
Silence. Je sentais toujours ce regard sur moi. Ma vue achevait de sortir des brumes mais je n'osai finalement pas lever la tête. Je sentis que Kalten était embarrassé par le silence d'Arcân. C'est donc encore lui qui reprit la parole, d'un ton gêné.
"Permettez-moi de prendre congé, maître Arcân. Mon cours m'attend."
Silence. Kalten hésita puis repartit, perplexe.
Je regardais toujours le sol, l'estomac noué. C'était ce regard qui me pétrifiait.
"Tu vas la lever cette tête, bâtard ?" Le cri résonna dans tout le Hall, alertant tous les fournisseurs qui installaient leurs étals.
Mes jambes se dérobèrent sous moi. Piteusement assis par terre, je considérai enfin mon futur maître.
C'était le draeneï le plus grand et le plus massif du vaisseau. Sa peau était d'un bleu argenté, le front vaste et bosselé, la chevelure longue et sauvage. Mais le plus étrange était que ses yeux ne brillaient pas. Ils étaient même d'un noir de jais. Les bras croisés, il avait planté ses yeux dans les miens.
Il reprit la parole, mais pas d'une voix vraiment radoucie. Il avait visiblement l'habitude de parler très fort.
"Mon nom c'est peut-être Arcân mais la magie et moi ça fait deux. Quand l'autre illuminé de Kalten m'a sorti hier soir qu'il existait un jeune comme moi, pour qui la Lumière c'est comme la poésie pour un ogre, bordel, j'étais heureux. Je lui ai même demandé de t'amener pour ce matin, première heure. Et je vois quoi ? Une quiche molle."
Il soupira. Je baissai la tête, me retenant de pleurer de rage - tant ma honte était grande.
"Mais rêve pas gamin. Contrairement aux autres, tu vas être avec moi tous les jours toute la journée."
Il me fit un grand sourire sadique.
"Et j'ai bien l'intention d'en profiter."
J'eus peur.
Mon entraînement commença la minute suivante.


~~~~~~~~

Pulsation.
Le sang qui se remet douloureusement en branle, et chauffe sur son passage la chair engourdie. La peau qui sent frémir chaque pore sur la crête de la vague de chaleur.
Pulsation.
Les doigts qui vibrent. Les nerfs qui se réaccordent un à un, pour reprendre où ils l'avaient laissée la musique des sensations.
Un temps d'attente. Le coeur qui n'ose croire en cette renaissance.
Pulsation !
Des connexions qui se font dans l'esprit, lentement, les unes après les autres, comme des griffes encore raides agrippant des bras eux-mêmes griffus qui recherchent déjà le chaînon suivant. La conscience s'éveille. On sent d'abord son coeur, puis ses doigts qui tremblent. On prend une grande inspiration et ça rappelle quelque chose. On se souvient d'avoir déjà respiré.
Pulsation.
Et de ce seul souvenir tous reviennent en grappes, des images, des sons, flous. Et se peint de nouveau le grand tableau du moi, d'une main sûre, qui travaille vite et bien, sans retouche. D'abord un grand seau de blanc balancé sur le noir. Puis un énorme trait sombre qui surgit d'en bas, qui se ramifie et s'orne de toute la gamme des couleurs et s'affine en se divisant ; puis se cisèle le feuillage en infinies arabesques ; arborescence fulgurante ; jaillissement de l'édifice branlant de l'identité, qui hésite, hébété, chancelle... mais le pilier de la volonté soudain vient le soutenir de son assise inamovible, cette volonté première, têtue, obstinée, qui ne demande l'avis de personne : la volonté de vivre.
Pulsation. Le coeur qui repart, confiant, pour la course sans étapes de l'existence.
Et on ouvre les yeux.
C'est cela, ressusciter.

~~~~~~~~

Stropovitch se redressa lentement, la main levée devant les yeux, ébloui par la lumière qui baignait l'endroit.
La conscience bercée par un chant cristallin.
O'ros...
Hormis ce chant tout était silencieux. Peu à peu, sa vue se précisa.
On l'avait vêtu d'une robe d'un blanc immaculé, et étendu sur une plaque du même blanc, d'une matière indistincte, épaisse de quelques centimètres, parfaitement rectangulaire et lisse, et flottant à un mètre du sol.
Devant lui, au centre de la salle ronde, O'ros le divin naaru scintillait.
Un naaru, ce n'est pas un être vivant tangible. C'est comme un symbole mystique, une rune du livre de la Vérité à qui un dieu aurait donné réalité et conscience. Chaque membre ou plutôt trait du symbole suit les autres sans y être relié matériellement, et l'ensemble reste en suspens dans l'espace, entité faite d'une magie intarissable et d'une sagesse millénaire.
Derrière le naaru, en demi-cercle et sur trois rangées se tenait une assemblée de vénérables draeneïs en robe blanche, debout, l'air grave. Il y avait là Velen, les Anciens et le Conseil, et tous les maîtres. Stropovitch n'en reconnut que peu, car ils étaient tous nimbés - tableau irréel et magique aux allures de cérémonie sacrée - de la lumière du naaru.
Ce dernier alors parla. Ou plus exactement une voix résonna dans les esprits de tous les présents.
"Stropovitch enfant du peuple martyr, j'ai senti ta mort et en fus contrarié. Alors j'ai décidé, ai fait venir Velen et ta dépouille, ai accompli ce que le Prophète Père de ton peuple projetait, j'ai fouillé tes entrailles j'ai fouillé ta mémoire j'ai fouillé l'âme même. Stropovitch enfant du peuple béni, à moins que ce mal puisse échapper à un naaru, or nul mal ne peut m'échapper, le démon est mort avec toi. Stropovitch enfant de solitude et de souffrance, nous te demandons pardon."
Le guerrier ouvrit de grands yeux étonnés - et émus aux larmes.
"Stropovitch enfant de l'enfance volée, le Prophète, le Conseil et les Maîtres te demandent pardon de s'être fourvoyés dix années durant dans la thèse de la corruption. Stropovitch enfant de la Lumière absente, je te demande pardon de ne jamais avoir pris personnellement ton cas en considération. Stropovitch enfant de l'amour refusé, Velen enfin te demande pardon d'avoir voulu que tu meures fier et debout tout en ayant toujours eu l'intention de te ramener d'entre les morts. Puisse ton coeur se délivrer de toute rancune envers ceux qui furent dans l'erreur mais ne voulurent que ton bonheur, et trouver la voie d'une vie nouvelle."
Sur la joue de Stropovitch coula une larme de félicité, qui refléta la lumière tel un diamant éphémère.
Une vie nouvelle... Mais où ? Et quelle vie ? Le corps purifié, le passé exorcisé, son existence enfin acceptée par son peuple, tout était ouvert, possible, renouvelé.

Soudain des clameurs se firent entendre au-dessus. Thiwwina déboula dans l'escalier qui descendait dans la salle, riant aux éclats, toute la garde d'élite de Velen aux trousses. Elle se retourna avec un grand sourire - elle jubilait - et d'un léger mouvement de main leur gela tous les jambes, les pieds soudés au sol. Alors elle se tourna vers Stropovitch, puis le naaru, ouvrit de grands yeux, mit les mains sur les hanches et déclama - tandis que les gardes se débattaient en geignant et que sur les visages de la vénérable assemblée en contrebas se pouvait voir un éventail pittoresque d'expressions de stupeur et d'indignation :
"Ah bah ze t'en voulais de pas m'avoir attendue à l'auberze, mais apparemment z'avais oublié de visiter un truc vassement exotique dis donc !"

Poster un commentaire - Commentaires (0)
Créé le 09/07/2008 à 13:19:16 - Modifié le 09/07/2008 à 13:19:33

Chapitre 8

 



Les disciples de tous les maîtres se réunissaient à la première heure dans le Hall des Ressources, mal réveillés, maugréant pour la plupart. Nous ne tardions pas alors à entendre exploser dans nos oreilles la voix d'Arcân et ses divers encouragements matinaux (« Allez les fiottes fini de baver sur les coussins ! »). Puis nous devions tous courir une heure en rond dans le Hall, sans nous arrêter. Il en profitait lui-même pour courir avec nous. Quiconque donnait des signes de fatigue pouvait s'attendre à de nouveaux encouragements (« Le premier qui flanche je lui plante une lance et je l'utilise pour laver le sol de ma chambre »). Moi qui au bout d'un mois arrivais encore difficilement à une demi-heure, ai eu bien sûr droit à des pronostics enthousiasmants sur mon avenir (« J'espère que tu sais tenir un balai, Stropo, t'auras pas d'autre arme »). Nous enchaînions immédiatement sur divers exercices, pompes, abdominaux, flexions, avec quelques variantes selon son humeur. Il renvoyait ensuite les futurs prêtres et mages à leurs livres (« Les futures lopettes en tissu pouvez dégager »).
Nous allions alors dans la réserve d'armes d'entraînement non loin prendre tous un exemplaire du type d'arme qu'il nous demandait (« Allez cours de massage aujourd'hui - masse une main ».). Nous nous disposions en rangs. Soit il nous apprenait une nouvelle technique, soit il nous rappelait une déjà connue - puis nous la répétions en boucle. Il passait dans les rangs, arrêtait ceux qui n'exécutaient pas parfaitement le mouvement et leur expliquait leur erreur (« C'est pour frapper ou lancer un hameçon ça ? T'es fatigué ? Moi aussi, de voir des incapables ! »). J’avais un mois de cours de moins que les autres, je ne connaissais au début rien en matière de gardes ou de mouvements de jambes, et je découvrais ce qui était censé être connu ; je fus donc sa cible privilégiée (« Tiens c’est joli ce que tu fais, c’est quoi comme danse ? »).
Les fournisseurs et les gens qui allaient et venaient nous regardaient distraitement, parfois s’arrêtaient un peu, rêveurs ou souriant.
Comme Arcân n’enseignait le matin que les bases de l’escrime, au fil des semaines nous ne faisions plus que répéter un ou plusieurs mouvements connus, à sa fantaisie, et passer ce qui faisait figure de test : des simulations de combat entre nous. Enfin la pause déjeuner arrivait et tous partaient en courant au premier son qui sortait de la bouche d’Arcân pour annoncer la fin de la séance. Les armes d’entraînement étaient balancées sans ménagement dans la réserve. Personne ne se retournait et l’on entendait à peine quelques « au revoir » ou « à demain » sortir de la cohue.
Arcân s’abstenait toujours de commenter ces fins de séance. Goguenard et moqueur toute la matinée, il regardait soudain d’un air grave tous les disciples partir, les sourcils froncés, ses yeux noirs comme jamais.
Je n’étais pas si pressé de rejoindre mon tuteur pour notre déjeuner quotidien en tête-à-tête. Je restais un peu en attendant que le calme se fasse dans le Hall, puis me tournais vers Arcân et faisais le geste qui signifie chez nous : « A tout à l’heure » - avant de baisser immédiatement la tête, fuyant son regard. « Oui, à tout à l’heure » répondait-il avec un ton étrange, et je m’éclipsais.
Après une dizaine de jours j’avais un peu moins peur de lui, et finis par trouver la raison de ce ton étrange.
Quand je lui faisais ce signe il quittait cet air sombre. Et il me répondait en souriant.


~~~~~~~~

Le soir tombait dans les Terres Foudroyées. Sur la terre aride et rouge un léger vent glacé faisait tourner lentement des nuées de poussière cramoisie. La présence du Portail des Ténèbres avait transformé une jungle marécageuse en un désert maudit. Même la faune locale avait muté. De son griffon Stropovitch pouvait voir des scorpions géants, d'énormes sangliers rouges couverts de pointes, ou encore de grosses hyènes noires aux yeux étincelants de rage.
Il ne tarda pas à apercevoir Rempart-du-Néant, la fameuse forteresse construite pendant la Seconde Guerre à l'initiative de Khadgar, peu de temps après la destruction du Portail. Construite sur une élévation, elle avait vue sur toute la vallée désertique. C'était un petit bastion carré mais aux murs hauts et épais, des tours et un donjon coiffés de sentinelles - du bel ouvrage simple, solide, bien placé, en un mot efficace, habité et protégé par des soldats de Stormwind. Désormais Rempart-du-Néant constituait la dernière halte de toute force Alliée avant de quitter ce monde pour Draenor - enfin l'Outreterre comme ils disaient.
Stropovitch tourna la tête en direction du sud mais ne put distinguer la Porte dans la pénombre. Il frissonna - le fond de l'air était glacial.
Thiwwina l'attendait déjà près du maître des griffons - sa monture avait été un peu plus rapide. Elle l'accueillit en hurlant "Gagnééééééééé !" avec son fameux grand - et irrésistible, magnifique, tout ça - sourire. Le draeneï sourit en retour. Elle pariait toujours qu'elle arriverait la première - et elle gagnait tout le temps. Eh bien soit, ce serait encore sa tournée.

Voyager avec Thiwwina était une expérience inoubliable dont on ne pouvait se lasser. D'abord, elle parlait tout le temps pour raconter ses mille et un exploits et surtout mille et une facéties. Loin de l'ennuyer, ce babillage incessant enchantait Stropovitch, qui était sous le charme de sa petite voix, et ne pouvait s'empêcher de rire à toutes ces rocambolesques aventures. Ensuite, elle prenait bien soin de ne pas reléguer ses farces, provocations et autres gaffes et acrobaties au passé.
A Auberdine, elle avait déclamé en pleine auberge - comme si seul le draeneï l'entendait : "Moi ze dis que c'est souette que les elfes soient plus immortels, y se sentent moins supérieurs aux autres d'un coup, y font moins les fiers, ça leur a fait les pieds". Stropovitch s'était soudain senti cerné de regards hostiles. Il avait entendu les crissements imperceptibles des dagues qui sortent de leur fourreau. Il avait posé sa chope, soulevé la gnomette par le dos de sa robe et était sorti - dans un concert de protestations et de cris de la part de la gaffeuse. Ils avaient dû continuer leur voyage immédiatement - tant pis pour la nuit dans une chambre confortable.
A Menethil, elle s'était lancée dans un grand discours sur les effets bénéfiques des plantes à l'attention du maître des griffons local - une humaine souffrant d'un embompoint avancé. Au moment où elle en arrivait aux plantes permettant de lutter contre la rétention d'eau, le stockage des graisses et la cellulite, Stropovitch avait délivré de son supplice la pauvre interlocutrice en plaquant sa main sur la bouche de la gnomette et en tendant au maître un papier commandant un trajet aérien pour la capitale des nains.
A Ironforge, elle avait croisé un paladin nain dont l'équipe avait perdu contre la sienne à la finale du dernier championnat d'arène. Ils s'étaient fusillés du regard puis Thiwwina avait dit très haut à l'attention de Stropovitch : "Ce que ze trouve marrant quand ze zèle un nain, c'est que quand ça dézèle ça fait une flaque zaune par terre tellement la barbe est imprégnée de bière et que ça se lave zamais". Le teint du nain était passé au rouge pivoine et il l'avait provoquée en duel pour laver l'outrage. Stropovitch avait dû passer l'après-midi à les regarder se battre aux portes de la ville. Après une dizaine de défaites le paladin, la peau bleue de froid, de longues stalactites pendant de sa barbe et de sa chevelure, les mains engourdies et tremblantes, avait enfin abdiqué - non sans un ultime sursaut de fierté, après que les deux combattants aient pris quelques instants de repos : "Alors, avait-il dit d'un air victorieux en désignant la petite flaque qui s'étendait sous lui, c'est jaune ?"
Tandis qu'ils attendaient dans la station le tram souterrain qui reliait Ironforge à Stormwind, elle avait invoqué son élémentaire d'eau - une espèce de grosse boule d'eau tourbillonnante d'où sortaient deux espèces de bras d'eau ornés de bracelets qui contenaient magiquement le tout. "Ze te présente Zarkis. Il a pas de zambes il lévite en propulsant de l'eau par terre - il la récupère grâce aux bracelets, qui en réinvoquent en continu. Ze me demandais si dans le tram il allait être capable de rester sur une passerelle !" L'élémentaire s'était tant démené pour rester près de la gnomette sur la plate-forme malgré la vitesse du tram, que l'eau glacée projetée à toute force avait éclaboussé et gelé tous les autres passagers. Une fois arrivés à Stormwind les deux compagnons avaient couru vers le maître des griffons avant que les victimes, une fois dégelées, ne leur créent des ennuis.
Enfin, Thiwwina n'était pas seulement bavarde et gaffeuse. Elle était aussi extrêmement curieuse et intelligente. Stropovitch ne pouvait se lasser de voir ses grands yeux noisette pétiller en dévorant tous les éléments du décor. Elle observait tout, posait des tas de questions à tout le monde, sans gêne, et s'émerveillait d'un rien. Quand elle réfléchissait, elle se mordait mignonnement la lèvre inférieure, le regard perdu. Quand elle s'appliquait à faire quelque chose, elle tirait un petit bout de langue avec l'air de loucher. Quand elle venait de faire preuve d'une grande insolence ou de provoquer quelqu'un, elle souriait en montrant toutes ses dents, ce qui décuplait la rage de sa cible. Bref, elle était absolument adorable.

 

Les deux compagnons s'attablèrent dans l'auberge de Rempart-du-Néant.
Stropovitch, las, était rêveur. Ce qui n'était pas du goût de la gnomette - qui était, elle, infatigable. Elle lui dit avec un grand sourire :
"Tu as vu à quoi ressemble la rézion ? Ze te rassure ce sera le même paysaze de l'autre côté. Tu vas voir un morceau dessiré de ton ancien monde, et en mazeure partie dévasté." Que de délicatesse et de compassion, c'est trop ! Le guerrier eut un sourire triste.
"Vous prendrez quelque chose ?" demanda l'aubergiste. La gnomette ne répondit pas mais marmonna quelques mots d'invocation, et fit apparaître sur la table rouleaux à la cannelle, pains au lait, gauffres, croissants et un broc d'eau claire - avant de lui sourire en montrant toutes ses dents.
Alors que le teint de l'aubergiste commençait à s'accorder avec la couleur de la région, et que ça sentait l'invitation à sortir voire l'appel de la garde, un petit papier parut sous ses yeux, commandant un poulet rôti et un demi-litre de bière locale.
"T'es pas drôle Stropo tu l'as calmé", ronchonna Thiwwina en regardant le tenancier s'éloigner. Puis elle fit une mine suppliante et demanda de son ton enfantin le plus craquant : "Tu me donneras de ton poulet s'il-te-plaîîît ?" Le guerrier baissa les yeux sous l'assaut et capitula sans conditions.
Le poulet et sa garniture arrivèrent. Le plat fut englouti. Une main se tendit en annonçant un prix. Stropovitch fronça les sourcils.
Inutile de porter la main à sa ceinture, sa bourse venait de disparaître. Ses yeux rencontrèrent ceux de Thiwwina. Elle comprit.
En une demi-seconde le guerrier était dans les escaliers menant à l'étage. Elle bondit au milieu de la salle et gela les jambes de tous les clients. Des cris de surprise et de douleur. Mais elle l'avait vu. Du coin de l'oeil, une ombre, là, qui était apparue puis s'était immédiatement évaporée.
Non seulement leur adversaire se fondait dans les ombres, mais il avait échappé instantanément au piège de glace. Ce n'était pas n'importe qui.
Elle se téléporta en un clin d'œil à l'extérieur et provoqua un vent de givre tourbillonnant susceptible de tout geler dans un rayon de dix mètres. Rien. Elle réfléchit une demi-seconde avant d'être assommée par un coup violent sur l'occiput.
Alors Stropovitch sauta de la fenêtre de l'étage et atterrit dans le dos de Thiwwina, avec l'espoir de tomber sur le voleur. C'était raté, mais il sentit avoir effleuré quelque chose sur sa droite. Il se tourna instantanément dans cette direction ; un pas en avant martelé sur le sol ; deux épées fendant l'air horizontalement, sur 180°.
Touché. Quatre centimètres de sang sur la pointe de la lame. Blessure sérieuse.
Stropovitch fouilla la pénombre du regard. Soudain une bourse fut lancée à ses pieds. Le voleur blessé lui rendait son bien pour demander à cesser le combat.
Le guerrier fronça les sourcils, puis hocha la tête. Il ramassa la bourse. A l'intérieur de l'auberge tout le monde hurlait. Inutile de tenter de les convaincre que Thiwwina n'avait pas fait ça pour partir sans payer.
Il soupira et prit la gnomette sous le bras. Il fallait se dépêcher de sortir de la forteresse, et dormir à la belle étoile - heureusement c'était la bonne saison.

~~~~~~~~

Le lendemain Stropovitch se réveilla à l'aube, et la première chose qu'il vit fut la Porte.
Une tache noire sur du rouge, au loin.
Il trembla de nervosité, réveilla Thiwwina et se prépara à repartir.
La gnomette eut deux pages de carnet à lire pour apprendre la fin de l'aventure de la veille au soir. Pendant une heure exceptionnellement elle ne fut pas de bonne humeur. Se faire assommer par un voleur à la manque, elle la championne du monde d'arène ! Elle était vexée.
Stropovitch ne pouvait détourner son regard de la Porte - même quand il ne la voyait plus, il la guettait à travers le relief. Pendant que Thiwwina massacrait toute bête mutée qui s'approchait d'eux, lui avançait, fasciné. Une tache noire sur du rouge vif. Cela semblait un symbole - mais c'était réel. Du moins, à ce qu'on disait. Il savait que des milliers de combattants avaient déjà franchi cette porte, mais son estomac se nouait à l'idée de la traverser, lui.
A mesure qu'ils s'approchaient, elle se dessinait davantage.
C'était un portail dimensionnel, comme du noir qui tourbillonne, comme du vide affamé. L'encadrant, une porte monumentale de dix mètres de haut, constituée de deux piliers, ornés chacun d'une statue représentant un humain encapuchonné, vêtu d'une longue robe, les mains posées sur la poignée d'une épée elle-même debout sur la pointe de la lame, et d'un fronton, orné d'une tête de serpent sculptée. Elle était au fond d'une espèce de petite vallée, dans laquelle se trouvaient quelques machines de siège, quelques soldats, qui ne leur jetèrent pas un regard. "La bataille est de l'autre côté", indiqua la gnomette.
Des marches de pierre.
Le draeneï les gravit, toujours fasciné par le vortex du portail qui faisait frémir l'air d'ondes de néant. Il repensa à sa dernière discussion avec Velen, avant de quitter l'Exodar.
"Mon enfant... avait-il dit après avoir lu des pages de carnet. Je suis heureux que tu aies abandonné ton désir de vengeance. Je comprends que tu aies tout de même envie d'aller en Outreterre, pour voir ce qu'est devenu ton monde natal, et participer à la guerre qui y règne. Mais prends garde, Stropovitch. Même si tu es délivré du démon tu pourrais un jour apprendre quelque chose sur ce qui t'est arrivé. Si cet orc est toujours en vie, n'oublie jamais que ce ne peut être un démoniste de second ordre qui était investi d'une telle mission. Promets-moi de ne jamais combattre seul, de te mettre à la disposition de l'Alliance. Darotân m'a même proposé de s'occuper personnellement de ton intégration dans les forces présentes. Ne fais rien en-dehors de ce que tes aînés auront mûri et préparé."
Dans son sac, il avait des lettres de recommandation écrites de la main même du Prophète.
Il avait promis.
Et refusé le soutien de Darotân. Et même de faire le voyage de retour avec lui. C'était simplement hors de question.
Mais il avait promis de ne pas combattre seul. Alors qu'il n'avait jamais combattu autrement.
Il était debout face au vortex. Il faisait froid, d'un coup. Comme si c'était le Néant distordu qui allait le happer.
"Bouh le peureux !" s'exclama Thiwwina en sautant dans le portail. Elle disparut.
Stropovitch ferma les poings, ferma les yeux et fit un pas.
Et un autre.
Et un autre.

 

~~

Poster un commentaire - Commentaires (0)
Créé le 09/07/2008 à 13:32:24 - Pas de modification
Pages: 1   2   3   4