Asteroth
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Murmure





Invraisemblable. Impossible. Nous étions une armada bourrée d'équipements, mais ces cadavres ambulants parviennent tout de même à gagner du terrain. Je ne comprends pas.

Je ne comprends pas comment ces pauvres bestioles dénuées d'intelligence finissent par percer toutes nos défenses. Elles ne sont pas de fins stratèges. Elles ne possèdent aucune puissance de feu. Elles sont lentes. Elles ne sont pas blindées.

On s'est retranchés, moi et mes troupes, dans une vieille gare ferroviaire. L'endroit n'est pas si ajouré que ça : la plupart des accès ont été barricadés par des planches. On sent qu'elles ne viennent pas d'être posées : elles doivent avoir servi dès le début du Cataclysme.
S'il n'y avait qu'elles, nous serions dans une situation critique... mais le deuxième étage n'est accessible que depuis deux escalators, et il nous offre d'imprenables postes de tir en surplomb. Ici, nous ne sommes pas dans une situation critique, au moins. Juste une situation précaire. Et c'est déjà un soulagement.
Le supermarché n'est pas loin, il est là, à moins de deux cent mètres en continuant sur la voie d'en face. C'est notre stock de bouffe. L'occuper directement serait une grave erreur, cela ne ferait qu'attirer les morts-vivants là-bas. On n'a pas besoin de ça.
Alors à chaque début de pénurie, on forme un petit groupe, on l'équipe soigneusement en armes, on lui gonfle le moral et on l'y envoie.

Oui, bien sûr, deux cents mètres, ce n'est rien. Que celui qui lit ceci se détrompe : ce n'est pas rien la peur au ventre et l'œil en permanence dans le réticule. On sait que s'il y en a un, une bastos entre les deux yeux suffira. S'il y en a deux, il en faudra deux. S'il y en a trois, c'est peut-être sept ou huit chargeurs que nous perdrons, et quatre hommes. Réfléchissez, ces êtres humains ont beau n'être que l'ombre d'eux-mêmes, ils n'ont pas perdu leurs sens. Le vacarme les attire. D'ailleurs, l'odeur les attire, le mouvement aussi...
C'est alors que vous comprenez que ces deux cent mètres sont les pires de votre vie. Et c'est votre vie qui tient à les franchir en marchant. Courez, criez, sprintez, et vous êtes mort. Et vous êtes tous morts.

Graham me dit qu'il a réussi à bidouiller une locomotrice pour y remettre le jus. Je bénis ses notions de mécano. J'ai repéré des wagons-container, on pourrait en atteler et se mettre dedans.
Qu'est-ce qui serait le mieux ? Le laisser tel quel ou l'usiner pour se fabriquer quelques lucarnes ? Dans tous les cas, on roulerait battants ouverts, c'est évident, mais... bon dieu que c'est dangereux. Pas de circuler container ouvert, mais la situation engendrée dans les deux cas.
Un train, c'est lent. Si on s'arrête en terrain occupé, le temps de repartir, on sera assailli. Des lucarnes, c'est autant d'accès à l'intérieur et d'angles à défendre. Pas de lucarne, c'est un seul accès étroit comme un couloir où beaucoup seraient inutiles, et un piège à rats. Que faire ? Je vais en discuter avec les gars.

La hiérarchie, ça n'existe plus trop. Je suis le plus gradé, et je suis un leader naturel, pourtant, j'aurais été bien con de n'en faire qu'à ma tête. Oh ils auraient tous suivi, ils sont disciplinés... mais il y a tellement de pièges en ce bas-monde que je ne veux pas être le seul cerveau à fonctionner pour y échapper. C'est peut-être pour cette raison qu'on a tenu si longtemps.
Vous me demanderez pourquoi vouloir bouger alors qu'on s'est trouvés un petit coin de paradis ? Tout simplement parce qu'on a pas assez de munitions. Oh, on en a hein ! A la pelle même. Mais un seul raid, c'est une guerre. Elle peut durer une heure, dix heures, trois jours. On n'a jamais assez de munitions.
Ça me fait penser...
Je comprends, maintenant. C'est idiot, je n'avais pas réalisé mais... ils ont faim. C'est tout. C'est ce fait unique qui rend le combat si inégal. Ils ont juste faim. Ils ont faim et cela affûte leurs sens, leur agressivité. Ils ne connaissent pas le sommeil.
Nous non plus.

Alors on va se tirer d'ici et tenter de se trouver de quoi tenir plus longtemps. Si on reste en vie, on reviendra : l'endroit est trop parfait pour faire une croix dessus.
J'ai envie de pleurer. Je sais que tous les autres aussi. Je ne sais pas si je ne dois pas maudire Graham, finalement. Je ne veux pas partir d'ici. Je ne veux pas avoir à explorer un nouvel Enfer inconnu, peut-être grouillant, peut-être pas, sans rien connaître des lieux. J'en ai marre de sécuriser des zones.
Sécuriseur de zones. C'est le seul métier d'avenir maintenant. Le seul qui donne une perspective d'avenir. Nous formons une famille, nous nous battrons. Même si l'avenir, on ne sait pas vraiment en quoi il consiste aujourd'hui. Ou plutôt si, mais c'est une pensée taboue. Et bien sot qui, sous prétexte que nous vivons une époque moderne, briserait ce tabou-là. Ce tabou, c'est un sceau mental. Celui qui nous empêche de péter les plombs.
Le mot "survivre" ne doit jamais se former clairement dans notre esprit. La vie pour la survie n'est jamais du goût de l'espèce humaine. C'est peut-être en cela qu'elle transcende toutes les autres races d'êtres vivants, ces morts-vivants plus que tout le reste encore.

Nous devons quitter cet endroit. Mon chargeur est plein, mon matos est prêt. On est à quatre pour surveiller chaque côté de la voie ferrée. La gare étouffe le son, seuls les zombies s'aventurant dans le prolongement des rails entendront distinctement la locomotrice que Graham va mettre en marche.
Oui, il faut penser à tout. C'est l'ironie, quand on lutte contre des décérébrés. Il faut être plus intelligent encore que contre un adversaire humain...

Nous tous, n'avons jamais été si discrets de toute notre vie que pendant ces deux ans. Même faire l'amour est devenu un acte silencieux. A le rendre insipide. Même cela, les zombies parviennent à nous le gâcher.
La Terre est un autre monde. Un Outre-Monde. La Terre est un monde de vie qui se cache.
La Vie, c'est le bruit. La Mort, c'est le silence.


Je vis dans un monde en paix où règne la guerre contre le bruit.


C'est moi qui mène cette guerre.
C'est donc un peu moi qui lutte contre la vie. Paradoxe pas si paradoxal qui me retourne les entrailles.

Mais chut... Je pense déjà trop fort.

 

 

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Créé le 25/02/2009 à 23:10:46 - Modifié le 29/08/2009 à 01:36:18
Bergan me tape sèchement sur l’épaule, une manière de capter mon attention sans pour autant me détourner de ma ligne de visée. A chaque instant, nous tirons parti de notre formation militaire et nous servons de notre apprentissage. Cela fait deux ans que nous sommes sur le qui-vive, cela fait donc deux ans que nous ne pouvons plus nous séparer de nos automatismes de soldat. Nous vivons soldat, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Abominable.
Bergan ajoute sa ligne de mire à la mienne afin de compenser le fait qu’il va me distraire en prenant la parole. Il m’annonce avoir trouvé un plan complet du réseau ferroviaire. Je lui fournis alors mes directives : dénicher la salle de contrôle dudit réseau, réfléchir à une destination avec les autres, et enfin m’informer de l’avancement de Graham sur la machine. Il recule alors et quitte mon champ de vision, un nouveau coup sur l’épaule me fait comprendre qu’il s’est complètement désengagé.
Je manque de sursauter lorsque Graham crie qu’il va faire une tentative. Dans ce monde de silence, nos tympans se sont bien reposés, et notre ouïe s’est affinée. Je soupçonne même notre bricoleur d’avoir frissonné en brisant la règle d’or. Si nous ne bronchons pas, c’est bien parce que si la locomotrice fonctionne, nous aurons droit à un boucan d’enfer. Gardant les yeux fixés sur la portion de voie que je dois surveiller, je me déplace jusqu’au subordonné qui partage cette tâche et le fais aller chercher de quoi doubler – au moins – nos effectifs.
Le suivant du regard alors qu’il pénètre dans le bâtiment, je capte une forme que je ne connais que trop bien. C’est la forme que je redoute. Que nous redoutons tous. C’est cette chose lente, presque informe, infâme qui déambule maladroitement vers l’un de mes hommes, en l’occurrence, une femme. Je ne peux m’empêcher de me tourner vers la scène sans y penser, distrait, et de pointer mon arme sur la créature. Ma coéquipière fait signe à tous, index et majeur tendus bien en évidence au-dessus de sa tête : c’est elle qui s’en charge. Dans ce type de situation où le contrôle est quasi-total, l’occasion de ne pas gaspiller de munitions n’est pas à manquer. Le train se met en branle, et le vacarme excite la créature qui presse le pas, avant de s’écrouler lamentablement à cause d’un manque de coordination. Connaissant Sheryl, elle ne tremble même pas. Sans une once d’hésitation, je la vois poser le pied sur l’épaule du zombie et lui coller une balle sur le sommet du crâne. Elle s’assure qu’il ne bouge plus, et se remet en place. Je percute alors que je dois reprendre la mienne, et me reproche ce moment d’inattention. Cela n’a pas intérêt de se reproduire.
Sept personnes arrivent pour renforcer nos rangs, et se divisent pour les équilibrer. Le bruit constant nous pousse à un degré de vigilance extrême. Nous sommes tendus, et aux aguets. Je ne peux m’empêcher de crier :

« Messieurs, du sang froid ! »

Aussitôt, certains semblent relâcher les muscles qu’ils ont inconsciemment contractés. Mon conseil n’est pas parvenu aux oreilles de l’autre groupe, de l’autre côté de la locomotrice, et c’est bien dommage. Je pense alors tardivement à la radio fixée à mon épaule et répète ma phrase. Il va falloir que je prenne rapidement ce réflexe, ces émetteurs-récepteurs que nous avons dénichés pas plus tard que la semaine dernière sont une aubaine pour la coordination, et ils nous faisaient cruellement défaut jusque-là. Nous n’en avons que trois, distribués à trois chefs d’une équipe de huit hommes chacun, en général. Un officier vient s’intercaler entre nous, à ma gauche.

« Bergan, au rapport. »

Il m’annonce que la destination n’a pas encore été choisie, que tout le secteur est bien alimenté, s’il a bien su lire les panneaux de contrôle. Que Graham va faire un essai d’une minute à l’autre. Ma radio s’emballe.

« Delheim, Delheim, ça craint en fait !
- Qu’est-ce qui se passe ?
- On avait des angles morts. La vue est trompeuse, pas complètement dégagée. Ils entendent bien le vacarme qu’on fait, il y a deux fronts qui vont passer les grillages autour de la voie, ils vont vous tomber dessus !
- Prépare les porteurs. Dis à Graham que s’il donne le feu vert, on part définitivement. Commencez à vous replier ! »

Le moteur du train rugit, il a augmenté de régime. « Visuel ! » s’exclame une voix que je n’ai pas le temps d’identifier. En effet, un corps inerte gît à une cinquantaine de mètres de nous, à moitié dissimulé derrière un semblant de haie qui se trouve là, là où le mur de la gare s’interrompt pour faire l’angle. Le corps ne le reste pas longtemps, inerte. Bientôt, le voilà qui s’anime et se relève avec cette mollesse qui rend tout ceux de son espèce détestable. Quand on a un ennemi juré, on veut qu’il soit fort, vif, impressionnant. Dans le cas contraire, on répugne à l’idée d’admettre que l’on fuit, que l’on craint, que l’on est terrorisé, à en faire des cauchemars en permanence, jour et nuit, par une créature insignifiante en soi.
Le cadavre se relève, donc, tandis qu’un autre s’écroule à ses pieds depuis le haut du grillage. Pour atteindre la chair, elles n’ont pas l’intelligence de grimper, elles en ont l’instinct.
Guettant du coin de l’œil la double porte donnant l’accès aux quais, je vois enfin la troisième équipe, chargée auparavant d’occuper le premier étage en guise de poste de tir, nous rejoindre à reculons, assurant ses arrières. Neuf d’entre eux sont équipés d’un sac de randonnée plein à craquer. Neuf porteurs, nos hommes les plus solides, que l’on escorte du fait de leur vulnérabilité, accablés par leur précieux handicap, panaché en vrac d’armes, de munitions et de vivres.
Certains leur font la courte échelle pour les hisser dans le container. Leur leader entre dans la cabine de pilotage.
Je me retourne et constate que les morts-vivants ne sont apparemment pas stériles comme je le pensais : ils se sont reproduits, maintenant une dizaine à se dresser devant nous. Le train démarre, très lentement. Graham doit vérifier s’il peut avancer normalement. La première ligne de défense comme la seconde, nous nous mettons en mouvement pour continuer à encadrer notre porte de sortie.
Les coups de feu éclatent, ce qui n’a rien de surprenant. Si nous, nous reculons, l’autre équipe doit avancer, et les zombies sont sur leur chemin, qu’il faut impérativement nettoyer. A cette pensée, je décide d’envoyer trois de mes hommes pour les assister. Notre mobilité a un effet immédiat sur les morts-vivants. Sans erreur, je crois pouvoir affirmer que le mouvement, plus que l’odeur ou le son, est leur meilleur stimulant. J’imagine qu’instinctivement, encore, voir leur nourriture tenter de se libérer de la menace de leurs chicots doit leur faire sentir que cela va leur porter préjudice.

« Feu vert ! Je répète, feu vert !
- Equipe C dans le container, équipe D, repli progressif ! Les guépards en dernier ! Et restez dans le sillage du train ! »

Celui-ci accélérant, l’équipe D comme Delheim se met à trottiner à reculons, tandis que celle de Conrad se met à l’abri. La vitesse fait que les morts-vivants provenant de l’avant ne nous aperçoivent qu’au dernier moment, et peinent à réagir. En revanche, ceux qui ne nous quittent pas des yeux deviennent féroces. C’est à notre tour d’ouvrir le feu, car ils se rapprochent comme un seul homme dangereusement. Les gars déjà installés dans le container ne peuvent pas nous appuyer, au risque de nous dégommer à la place des sans-vie.
Le repli se déroule plutôt bien, on vient de me tracter à bord. Nous sommes maintenant rapides comparés à des piétons. Les guépards, Sheryl et Bergan, nos meilleurs coureurs, sont encore sur la voie. Ils sont encore à reculons et ôtent encore la vie (?) de quelques zombies. Mais nous sommes tous soudain préoccupés, car Sheryl s’est déportée d’un côté de la voie. Tandis que Bergan décide d’entamer sa course effrénée après le lui avoir signalé, elle percute l’un de ces damnés immobiles en se retournant et tombe à la renverse. Mon cœur se serre, mes coéquipiers s’agitent, jurent et crient, impuissants. Bergan est absorbé par sa course. On s’éloigne rapidement, on la voit se débattre à mains nues, empêcher cette saloperie de la bouffer. On doit se rendre à l’évidence, elle en a deux autres à proximité. Elle est foutue et j’ai envie de pleurer.
Une détonation me fait bondir tandis qu’une odeur de brûlé m’emplit les narines : l’un des soldats vient de tirer à trente centimètres de mon épaule. Instantanément, notre prisonnière fait basculer le corps sur le côté, roule sur elle-même, récupère son flingue au passage et bute ses assaillants. Ses gestes sont si vifs qu’il est clair qu’elle est sous overdose d’adrénaline. Elle se relève en trombe.

« Graham, n’accélère pas ! » ordonne-je par radio.

Les grappes de zombies qui défilent de part et d’autre de la voie nous empêchent de ralentir l’allure. C’est la course de ta vie, Sheryl.

« Allez les gars, ouvrez-lui la voie ! Prenez les automatiques, à lunette, comme l’a fait Smith ! Ne tirez pas trop près d’elle ! »

Aussitôt, une demi-douzaine des officiers s’équipent et arment. C’est un festival, et je ne donnerai aucune restriction de munitions. On ne fait pas de croix sur un homme, encore moins lorsque c’est une femme de la trempe de Sheryl. Bergan, qui a été hissé, a ouvert le bal. Les minutes s’égrènent, interminables. Au diable les zombies !

« Ralentis ! Ralentis ! »

Mais le freinage reste imperceptible. Elle est exténuée, ça se voit. Les tirs se sont arrêtés. Elle n’est qu’à quelques mètres de nous, et on sent que ses forces sont sur le point d’abandonner. Lorsque je comprends que c’est un symptôme de découragement, je hurle :

« Putain nous fais pas ça ! T’as pas le droit de crever comme ça t’as compris ?! Je te colle une balle ! Pauvre conne ! »

L’insulte n’est là que pour attiser sa combativité. Dans son état, il lui est impossible de prendre pleinement conscience du second degré. Les paroles pénètrent avant leur interprétation.
Je suis debout devant elle, moi bien droit sur mes jambes, elle courant comme une dératée. Je la surplombe de toute ma hauteur, je veux l’écraser de toute ma superbe. Et je capte son regard. Elle me fixe. Je vais payer au centuple ce que je lui inflige, je le lis dans ses yeux. A partir de cet instant, elle ne lutte plus pour sa vie, mais pour me bousiller, me réduire à néant.

« Allez, viens me chercher pour voir ! »

Elle comprend enfin à quoi tout cela rime, mes véritables intentions. Des larmes s’échappent de ses yeux, ne coulent pas sur ses joues à cause de ses foulées. Elle souffre. Elle accélère, et ça, c’est l’énergie du désespoir. Elle est à portée. Trois hommes la saisissent par les fringues et la hissent avec une brutalité sans égale. C’est fini.
Elle s’est effondrée, plus profond dans le container, et Bergan, le souffle toujours court, la regarde avec un air compatissant. Elle est allongée sur le dos, les genoux fléchis, les mains sur le visage, et sanglote doucement sans pouvoir réprimer ses hoquets.
Sheryl sera bientôt plus forte que jamais, après ça.
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Créé le 25/02/2009 à 23:12:26 - Pas de modification
Je ne saurais décrire ce que je ressens. Une félicité, une joie intérieure. Du soulagement en tout cas. Un infini soulagement. Ephémère, mais salutaire. C’est le genre d’émotion qui fait comprendre que nos vies ne se sont pas encore arrêtées, que du bonheur doit nous attendre encore, quelque part. C’est de l’espoir, du pur espoir. Pas celui des films américains, où les héros finissent par trouver le remède miracle et où tout rentre dans l’ordre, non. Non, faut pas déconner. Notre espoir à nous, c’est qu’un lendemain meilleur existe. Et on ne fera pas la fine bouche.
La portée du Cataclysme a toujours été sous-estimée. Tout le monde disait que le monde en aurait la face changée. Ce n’est qu’un euphémisme. Qu’en est-il de nos cœurs, de nos projets, de notre définition du bonheur ? Personne n’a saisi le bouleversement intérieur que chacun subirait. C’est une remise à zéro, un retour en arrière, une redéfinition de la notion de confort. La barre a été bien rabaissée de ce côté-là. Le triangle travail–foyer–famille s’est envolé. Vivre une seconde sans la peur au ventre est la définition même de la seconde de bonheur.

Et là, maintenant, dans ce train, les visages que je vois montrent clairement que nous sommes heureux.

En vérité, je parle du peu de personnes éveillées comme moi, celles qui ont eu la malchance d’avoir eu leur tour de sommeil peu avant notre départ. Pour le reste, ce train est l’incarnation de Morphée. Son doux ballottement a tôt fait de vaincre leur tension nerveuse. Son vacarme, bien que nous soyons portes ouvertes, ne nous atteint pas. D’ailleurs, vous vous imaginez que nous filons à tombeau ouvert vers l’horizon, n’est-ce pas ? C’est tout le contraire, nous allons à peine plus vite qu’après avoir récupéré Sheryl. Déjà que nous savons que nous devrons nous arrêter tôt ou tard, nous avons opté plus pour le tard que pour le tôt, puisque nous sommes hors d’atteinte de toute manière. C’est ce qui fait de ce container un petit coin de paradis, et ce qui nous autorise à dormir sans contrainte.
C’est ce qui m’autorise aussi à m’affaler contre la paroi de métal, sans retenue, en me servant d’une mitrailleuse comme d’une canne, ou plutôt, en jouant avec. Etrangement rien d’extraordinaire, et pourtant… si je m’affalais de la sorte en temps normal, j’effectuerais mon premier pas vers la tombe. Je disais plus tôt que nous étions soldat vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et pas une de moins. Nous vivons soldat. En relâchant cette discipline, on finit vite par relâcher tout le reste, et on cesse d’être un soldat. Et on perd nos réflexes de soldat. Et on manque de se faire tuer. Plusieurs fois, des membres de notre équipe, ou moi-même, avons failli en payer le prix. Nous ne commettons plus cette erreur, et rappelons cette leçon à qui s’apprête à l’oublier.

Sheryl dort paisiblement. Elle s’est remise de sa frayeur et du choc qui en a résulté, et son émoi a cédé sa place à la fatigue, qui a cédé sa place au sommeil, à un sommeil bien mérité. Sheryl… la voir étendue, les paupières closes, fait remonter à la surface de ma mémoire des souvenirs bien noirs.

L’incident s’était déroulé environ trois mois après le Cataclysme, c’est-à-dire il y a plus d’un an et demi. Le village fortifié où nous nous trouvions venait d’être investi, et finissait de voir son âme consumée par le flot putride qui s’y était engouffré à l’occasion d’une erreur humaine. Un chaos indescriptible auquel nous avions échappé. Nous n’en étions pas sortis indemnes, ébranlés par l’idée qu’au moins quatre ou cinq milliers de personnes avaient rejoint les rangs de nos ennemis, que nous n’avions plus d’abri, que nous ne devions compter que sur nous-même. Nos projets d’avenir étaient enfin réduits à leur plus simple expression, celle que nous avons conservée depuis, et que l’on a vite appris à refouler dans notre inconscient : survivre.
J’avais émis l’idée de rejoindre le camp des éclaireurs, un petit groupe de tentes isolées à quelques kilomètres de là juché au sommet d’une colline, bénéficiant d’un panorama dégagé à trois cent soixante degrés. L’équipe avait obéi sans réfléchir. Nous avions atteint l’endroit dans la soirée.
Le feu de camp était bien évidemment proscrit, et pourtant nous en avions fait un. Quand j’y pense, c’était une véritable erreur de débutant, mon erreur de débutant. Et dire qu’à cette époque, personne ne discutait mes ordres… la hiérarchie était encore bien en place. Nos munitions étaient rares, forcément, et donc plus que précieuses. Si je me souviens bien, le ciel et la lune étaient avec nous ce soir-là, et la lueur argentée qui baignait la plaine permettait aux guetteurs de repérer n’importe quelle ombre suspecte.
J’étais emmitouflé dans mon sac de couchage, et je percevais de l’agitation à l’extérieur que le chant des grillons ne parvenir pas à couvrir. J’avais rapidement compris de quoi il s’agissait. Tous avaient compris, et tous, y compris moi, fermions délibérément les yeux comme les trois mois que nous venions de vivre nous l’avaient appris. Si Sheryl ne criait pas à l’aide ce soir-là, c’est parce qu’elle savait que cela n’aurait servi à rien. Et pourtant, cela m’aurait peut-être décidé plus vite, car je venais de prendre la décision de ne plus passer outre. Je me débarrassai des couvertures et sortit précipitamment, avant de pénétrer dans l’habitat de toile où se préparait le viol.
Je découvris Tchill, subordonné et ami, affairé sur la jeune femme aux mains ligotées et à l’arcade ensanglantée. C’en était trop. Je l’interpellai et il se retourna vivement.

« Delheim, tu ne vois pas que je suis un peu… occupé ?
- Ça suffit. Libère-la maintenant.
- Delheim, t’as besoin d’un dessin ? C’est une femme, Delheim, une femme ! J’en peux plus moi !
- Et moi je n’en peux plus de supporter ça, Tchill. Les viols, les viols collectifs, les viols qu’on ne cache plus, les viols dont on n’éprouve plus aucune honte. C’est terminé.
- C’est la nature. Tu crois que dans le monde actuel, nous pouvons vivre de la même manière qu’avant ? Tu crois ça possible ? Les règles ont changé !
- Les règles, c’est moi qui les dicte. Il n’y aura pas de viol au sein de ma division.
- Tu te payes ma tête ? Les hommes ne tiendront pas ! »

Je tempêtai, alors que l’un des hommes vint, alerté par nos cris.

« Hé bien ils devront tenir dorénavant !!
- Delheim, tu vas aller te recoucher, et me laisser faire ce que j’ai à faire.
- Vous, éventrez-moi cette tente. Immédiatement.
- Qu’est-ce que tu fais ?! »

Le soldat s’exécuta. Extirpant un long couteau de combat, il taillada la toile sur toute sa longueur, et le feu dansant et la lune en surplomb s’empressèrent de décocher leurs rais de lumière directement sur nous.

« Tchill, tu t’adresses à ton supérieur. Tu te rhabilles et tu dégages.
- Si tu ne me laisses pas mener à bien ma petite affaire, je te jure que je ferai un boucan du diable à en réveiller les morts ! »

Les têtes de nos co-équipiers se multipliaient à l’embrasure des autres tentes. Je dégainai mon arme de poing et la pointa sur Tchill. Il ne put réprimer sa surprise, mais ne fut pas effrayé pour autant.

« Tu gâcherais une balle pour moi ? Tu te fais la main sur autre chose que des zombies maintenant ? De toute manière, tu ne peux pas tirer, tu les amènerais droit sur nous.
- Tu te lèves et tu te tires, Tchill. C’est ma dernière sommation.
- Dégage ! Dégagez, y a rien à voir ! Le monde n’a plus rien de civilisé ! Il s’est effondré alors cas… »

Tchill aussi s’effondre, et mon canon fume. Une nouvelle secousse émotionnelle balaie toute l’équipe. Je viens d’assassiner l’un de mes hommes parce qu’il voulait satisfaire un besoin corporel. Je l’ai tué de sang froid. Certains des soldats crient ce fait contre moi. « Il l’a tué, il l’a tué ! ». Je crie pour couvrir la nouvelle vague d’agitation :

« Il n’y aura pas de viol toléré au sein de cette équipe. Tout manquement à cette règle sera passible de mort. Nous sommes des êtres humains, nous devons agir en tant qu’être humains. Et un être humain ne satisfait pas ses désirs par la force ! Nous ne sommes pas des bêtes ! Nous ne redeviendrons pas de vulgaires animaux ! Notre monde s’est effondré, et c’est cela qui est à l’origine d’un geste aussi extrême que le mien. Mais c’est à nous qu’il appartient de le garder civilisé ! Même chaotique, le monde sera civilisé tant que nous déciderons qu’il en soit ainsi ! Que ce soit bien clair dans l’esprit de chacun !
Que la peur de la mort vous empêche d’obéir à vos instincts les plus primaires.

Commencez les préparatifs. Nous avons une demi-heure pour lever le camp. On bouge, l’odeur va les attirer. »


Ce jour-là, j’avais fait une croix sur un homme. Pour moi, ce qu’il allait faire justifiait mon acte. Cela ne m’empêche en rien d’être hanté par de telles images, parfois. Ce qui me réconforte, c’est de voir Sheryl et les autres femmes dormir en paix. Je crois que j’ai réussi à maintenir la civilisation au sein de mon unité, et j’en suis fier. Ce repos de l’âme alourdit mes paupières, et je cède malgré tout aux secousses du container…
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Créé le 25/02/2009 à 23:13:17 - Pas de modification

On m’a dit que le Paradis était éternel, mais j’avais oublié que cela ne concernait pas les paradis sur Terre. Graham a décidé de faire escale à la prochaine gare, et le crachotement de la radio à mon oreille vient de me faire faire un bond, avant de me l’annoncer. Alors la pause est terminée, terminus Enfer, tout le monde redescend au royaume des morts.
L’après-midi est maintenant bien avancée, le soleil est encore bien vif. Le train dépasse allègrement la gare avant de s’immobiliser. Nous sommes tous en position, l’arme au poing, à nouveau soldats, pour une nouvelle éternité.

« Je veux un homme qui me colle le train, je suis complètement ensuqué. Que ceux qui sont dans mon cas n’hésitent pas à faire la même demande… »

Je ne m’étonne même pas de voir que toute la troupe se réorganise en binômes, fâcheuse conséquence des nuits de jour, à l’emporte-pièce.
Je donne le signal de déploiement, et c’est parti. Avec une discipline exemplaire, la cavalerie se répand sur la voie comme un liquide et je descends à mon tour. Une voix féminine m’informe :

« C’est moi qui veillerai sur toi.
- Comme par hasard.
- Tu viens encore de me tirer d’affaire.
- Tu veux que je te dise combien m’ont tiré d’affaire ? Et combien de fois ? Ça fait longtemps que j’ai perdu le fil. T’as pas besoin de compter, tu sais.
- Tu sais bien que je m’en fous, alors ferme-là et contente-toi de moi.
- Je ne fais pas que m’en contenter, je ne peux pas rêver mieux, Guépard.
- Putain, c’est pas les distances d’arrêt d’un trente tonnes ça. T’as vu comment j’ai raté le quai ? »

C’est Graham qui débarque. Je relativise :

« C’est une aubaine au contraire. S’ils avaient été agglutinés dans le bâtiment, ils nous seraient tombés dessus tout de suite et on aurait passé un sale quart d’heure à se dépêtrer du container. Là, on a le temps de voir venir. C’est un coup à retenir, Graham.
- Reçu. »

Je secoue la tête et me frotte les yeux pour en chasser les picotements. Il est temps d’avancer. Rien à signaler pour le moment. Cette fois, la bâtisse est modeste : un seul étage, deux entrées, deux sorties donnant sur les quatre voies. Tout est ajouré et pour cause, c’est un bien mauvais abri. Nous l’investissons en quelques secondes. En face, c’est la route qui nous plonge dans le milieu urbain, à la merci de toutes ces structures humaines désertées. Conrad donne les directives que je m’apprêtais à énoncer.

« On fait comme d’habitude. Abri, ravitaillement et carte. Qui fait quoi ? Il est dix-sept heures, cela nous laisse quatre heures de champ libre, il faut qu’on se dépêche.
- Abri.
- Bouffe.
- Et carte pour nous donc, me devance Sheryl. »

Malgré ces choix, nous restons assez flexibles. Il est évident que nous n’ignorerons jamais un garde-manger sous prétexte que nous recherchons autre chose. Néanmoins, chaque spécialité a sa manière d’explorer le terrain, et cette spécialisation nous permet de progresser plus rapidement. C’est l’expérience de plus d’un an et demi de pillages. Nous remontons la rue, puis l’ordre est donné de se séparer.
Mon unité se met alors à arpenter les rues, à observer enseignes et panneaux indicateurs, sans oublier de passer la moindre fraction d’espace au peigne fin du viseur pour réduire à néant toute trace de pourriture. Le but : trouver rapidement une carte qui détaille la ville au maximum, ce qui n’est pas le cas des cartes routières.

« Ici l’équipe S. Nous avons trouvé une cave suffisamment grande pour tous nous abriter confortablement, et ce qui repose sur les rayons ne ressemble pas à de la piquette ! A vous. »

Je prends la communication.

« Jamais les caves, Savage, ce sont des trous à rats. Un seul accès en contrebas. Si un seul zombie se pointe, il vous coincera, et même mort, son cadavre entravera la sortie. Alors imagine rien que contre cinq. Et n’abusez pas sur les bouteilles. Je suis très sérieux, une demi-bouteille par personne grand maximum.
- A vos ordres. Terminé. »

La performance est remarquable. Ils l’ont trouvé vite, cette cave à vin. C’est vraiment la conséquence de notre dernière trouvaille : la radio, la vraie, pas ces talkies-walkies en plastiques qui n’ont ni portée ni batteries potables. Avant, notre fameuse stratégie n’était effective que sur une rue donnée, car sans lien visuel entre chacun d’entre nous, il était absolument inconcevable d’aller se perdre au fin fond de ces allées inconnues. Ç’aurait été se diviser dans le brouillard impénétrable de la gueule du loup. Ç’aurait même carrément été s’enfoncer dans ses intestins. C’est se laisser digérer avant même de se faire manger, mordre, être plus ou moins mort. Du suicide.

Comment les mots
survie et suicide peuvent-ils être ainsi un tant soit peu semblables ? C’est pourtant le jour et la nuit, la lutte et le laisser-aller, l’antithèse parfaite. Pourquoi alors, submergé par le désespoir, penser « survivre, c’est du suicide » devient dangereusement séduisant ? Pire. Pourquoi cette idée ne m’est-elle pas rebutante alors que je vais bien ? Pire encore, je sais que peu d’entre nous sont différents de moi. J’étais loin d’être suicidaire dans ma vie… disons… antérieure. Je suis toujours loin de l’être. Mais le Cataclysme s’est bien amusé à m’amenuiser à l’extrême ce garde-fou. Garde-fou… oui, vous m’avez bien compris je pense.
Les mots sont de redoutables pièges. Les mots, certaines idées, sont d’insidieux poisons qui vous détruisent de l’intérieur. Par le rêve et le vagabondage. Les mots ont ce pouvoir de s’associer pour nous mener à d‘autres mots. Une chaîne. Rêver, c’est se tuer à grand feu. Laisser ses mots ou ses pensées vagabonder, c’est suivre la chaîne qui nous pousse à rêver. Et le pire, c’est que je viens tout juste, là, maintenant, de vagabonder. Ça me prouve au moins que je suis encore humain.


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Créé le 30/05/2009 à 15:40:44 - Pas de modification
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