Asteroth
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[Longue absence, encore une fois ! Inspiré par Pleasant Empire, B.O de James Dooley, du jeu inFamous .
Je n'ai malheureusement rien d'autre que le MP3 lui-même à proposer. Youtube ne permet pas de mettre en boucle à ma connaissance...

Je vous laisse découvrir, en espérant, toujours, que ça vous plaira.]

 

La lumière se répand timidement dans la pièce, à mesure que la porte grince et pivote. L’ombre, longue comme trois pommes, se fraie un chemin dans le cadre éclairé qui se dessine au sol. Les ténèbres ne se dissipent que peu.
Elle s’est avancée d’un mètre ou deux ; l’accès ne trouve rien de mieux à faire que de se replier partiellement en grinçant à nouveau, plongeant d’abord le nounours qu’elle tient sous le coude dans la pénombre, puis elle-même. Elle fixe cette chose rayée au centre de la pièce, à peine perceptible tant il fait noir, qui se meut à peine comme pour oublier qu’elle vit. La petite reconnaît cette large tache blanche striée, ces deux appendices qui semblent inachevés. Elle regarde le dos de son père et ses manches retroussées aux avant-bras, seuls éléments visibles dans cette poisse obscure. On dirait un fantôme qui joue avec un drap blanc. Elle n’a pas peur.

– Papa ? Où est Maman ?

Voix innocente et sans nuance, comme si la réponse n’était pas cruelle. Pourtant, il sait qu’elle sait. Il revêt son timbre le plus doux, qui ressort pourtant chaotique. Lame des mots.

– Maman est morte, Chérie, tu le sais bien.
– Oui, mais elle est où maintenant ?

Innocence.
Voix hachée pleine de larmes silencieuses contenues, combat contre sanglots vivaces. Cruauté. De l’innocence.

– Où elle est ?... eh bien… je ne sais pas. Ailleurs, tout simplement, cela ne te suffit pas ?
– Oui mais où ! Demande-t-elle en prolongeant la dernière syllabe dans un caprice d’enfant

.Pensées-aiguilles.

– Où… peut-être… peut-être dans le ciel, peut-être dans les étoiles… peut-être dans un autre univers ! Je ne sais pas. Tu sais que je ne sais pas. Arrête de me demander, s’il te plaît…
– Mais Papa ! Je ne vais pas parler au ciel si elle est pas là-bas ! Faut que tu me dises où elle est allée ! Est-ce qu’elle reviendra ?

« Est-ce qu’elle reviendra ». Cœur pris d’un assaut surprise sous des pensées interdites. Couteau dans la plaie. Meurtrissure sanguinolente.
Tu fais mal…

– Non.
Lâche-t-il dans un sanglot étouffé. Espoir irrationnel sous des pensées interdites. Maman ne reviendra pas, jamais !
– Je pourrai lui envoyer des lettres ? Trois pas légers vers la silhouette striée.

Pourquoi… tu continues ? Pourquoi. Un sadique ne ferait pas aussi mal. Pourquoi tu m’autorises ces idées insensées ?
Ces idées que tu repousses d’instinct pour te préserver, c’est ça ?

– Non, tu ne pourras pas non plus. Les lettres ne vont pas… enfin… elles ne peuvent pas l’atteindre.
– Mais comment tu le sais ? Ça veut dire que tu sais où elle est ! Dis-moi ! Dis-moi !
– J’aimerais tant le savoir, Chérie. Moi aussi, j’aimerais… la revoir.

Lacrima. C’est humide sur les joues.
Elle le rejoint soudain. Il est surélevé, assis sur quelque chose de moelleux, comme peut-être le dossier d’un fauteuil. Coudes sur les genoux, pieds sur les accoudoirs invisibles. Tête penchée en avant. Proie à la détresse. Sa silhouette est là, et seule sa chemise rayée est clairement visible… pour un œil accoutumé à des ténèbres profondes.

– Papa, si on y allait ? Si on allait la voir ?

Crispation des mains sur les tempes. Battements aigus. Colère désamorcée par innocence et chagrin.
Tu sais qu’elle est morte.

– On peut pas… on ne peut pas… c’est pourtant simple… c’est… impossible. Chérie…

Tu tentes l’ultime tentative. La ramener à la raison des adultes, la faire accepter, pour qu’elle ne te vrille plus les entrailles avec ses visions enfantines qui te plaisent tellement.

– Chérie, Maman est morte. Elle… elle n’existe plus, d’accord ? Là où elle est, on ne peut pas la voir, pas lui parler, pas lui envoyer de lettres, rien. Chérie je t’en prie, comprends ça. C’est trop dur de t’entendre.
– Mais t’as dit « là où elle est » !...

Tes paupières se ferment car tu te maudis de cette erreur que le sens commun t’a poussé à commettre. A partir du moment où tu parles de l’endroit où se tient une personne, alors cette personne est bien à un endroit… non ?

– T’as dit « là où elle est » !... T’as dit « là où elle est » !! Tambourine-t-elle en même temps que ses poings sur tes genoux. Où elle est ?! On peut prendre le chemin, y a toujours un chemin ! Y a toujours un chemin ! Y a toujours un chemin !

Y a toujours un chemin ? Non, c’est faux.


– C’est vrai ! C’est vrai ! Ça commence ! Vas-y ! Et emmène-moi avec toi !

Ne fronce pas les sourcils, personne ne peut les voir dans l’obscurité. Allez.

– Allez Papa ! Allez ! Allez !
– Mais qu’est-ce qui te prends ? Arrête… attends !

La petite s’est élancée de toutes ses forces sur son père. D’un bond, elle le percute de plein fouet, et la surprise l’a désarçonné. Ils s’écroulent en arrière, eux et la masse sur laquelle ils reposaient, et le choc est rude.

– Fil… Filaments de verd… de verdure… et… et…

Terreur et pénombre opposés à la chaleur, à la lumière. Le monde n’est jamais ce qu’il est.

Il est tellement inférieur aux autres lieux.

– Oui ! Vas-y, Papa, t’y es presque ! Ne m’oublie pas !
– Déracinés… des vies en d’autres vies…

Et qu’est-ce que ces murs, après tout ? Pacotille et incohérence. Le monde n’est jamais ce qu’il est. Les pensées ne sont jamais interdites.

Déchirure d’avec toi. Echappées d’horizons et recombinaisons des sens et des perceptions. Le monde n’est jamais ce qu’il est.

 

Tirés des abysses et invoqués d’eux-mêmes
Par un conflit d’innocence et de préservation,
Leurs louanges inégales s’estompent pour transposer
Deux vies d’un espoir sans espoir, à un don.
Pas de sacrifice aux épanchements vermillon
Ni de pertes, des Dieux, d’une abjecte cruauté
Lorsqu’un prix démesuré, déjà payé sans condition
Offre désormais le billet qui des mondes sème.


– Papa ! Ne m’oublie pas !
– Non, ne t’inquiète pas ! Viens !

Il la hisse sur le radeau des Epouvantes. Un brouillard en châles les empêche de distinguer quoi que ce soit sur moins d’un mètre, à tel point que leur visage leur paraît à l’un et à l’autre d’un blanc laiteux. Il lui tient fermement la main.

– Où sommes-nous ? Comment est-on arrivés ici ?
– Toi seul le sais ! Lui répond-elle. Elle frétille de joie comme il ne l’avait pas vu depuis longtemps. C’est la deuxième fois que tu m’emmènes !
– Sur ce… ce…
– Non, ça n’avait rien à voir ! C’était tout différent avant.
– C’était quand ?
– C’était… c’était……

Mais elle ne sait quoi répondre et se tait. Ils se postent alors au bord du radeau et fixent le mur vaporeux comme si leur simple regard allait le dissiper.

– Qu’est-ce qu’on va faire ? On dirait qu’on est coincés ici.
– On est pas coincés, tu sais toujours où aller !

Innocence dénuée de sens. Le père soupire en fermant les yeux, signe perceptible d’un léger agacement.
Pourquoi c’est toujours comme ça…
Tu préférerais la compagnie d’une personne plus mûre ? Elle serait aveugle.

– D’où vient ce mât ? Il n’était pas là il y a une seconde !
– Oh tu continues ! s’exclame-t-elle, ravie.

 

Se combinent rouage après rouage, s’établissent leurs imbrications
Là où la compréhension échoue.
Plus de volonté propre, plus aucune prise pour l’architecte
Sur ses automates qui se proclament clé.


– Qu’est-ce que je continue ? Non je disais que ce mât vient… d’apparaître, mais il est inutile puisque il n’y a pas voile tendue dessus.

Tu réfléchis trop. Ta fille t’entend, elle.

– Tu n’as pas entendu ?
– Quoi donc ?
– Tu récitais une poésie compliquée ! Mais c’était joli !
– Je ne récite pas de poésie, je crée !

Tu fronces encore les sourcils… surpris de ta vanité sous-jacente ? Elle a su te piquer au vif.
Mais qu’est-ce que je raconte ?
Voilà une question intéressante !

Les châles brumeux s’ouvrent et s’écartent du père et de sa fille. Ce que leurs yeux disent, c’est que le radeau des Epouvantes ne flotte en définitive sur rien. Seul le fait qu’il sème derrière lui ce qui semble être une poudreuse d’or leur donne la sensation d’avancer. De dériver, au gré du… vent ?

– Je suppose qu’il ne nous reste qu’à attendre…

Le père vient s’appuyer contre le mât, et se laisse doucement glisser jusqu’à s’asseoir à même le bois. Il cale ses pieds sur les rondins, puis la petite vient se poser sur ses genoux. Elle tient son ours dans ses mains et le fixe longuement. Ils n’échangent pas un mot. Lorsque l’homme renverse sa tête en arrière…

Flash.

Le parquet est toujours aussi froid, et son corps est lourd, ankylosé. Quelque chose lui barre la poitrine, quelque chose de chaud, de vivant. Elle. Il fait toujours aussi nuit dans la pièce. Le rai de lumière qui émane de l’extérieur révèle la pauvre peluche. Il étend doucement son bras gauche et finit par s’en saisir. Les mots se déversent dans un abîme.

 

Insaisissable aspect de personnalité, dualités,
En un mélange, confusion subtile d’innombrables intellects
De monde dissous à monde du Tout,
Dont l’ignorance mutuelle prévient de toute imprécation.


– Papa, allez viens, faut conduire.

Le père sort de sa torpeur alors que sa fille lui tire frénétiquement la chemise.

– He… hein ? Conduire quoi ? Tu vois l’ombre d’un vol… ant ? s’étouffe-t-il en contemplant la barre qui trône à la poupe du radeau.

C’est pas possible.
Tu le fais exprès ?

– Et alors, où va-t-on ? Je ne suis pas sûr que guider ce truc nous soit utile, tu sais !

Que faire ? Avoir dans les mains les commandes de nos vies, et ne pas savoir comment, ni pourquoi s’en servir, parce que les brumes ne se sont pas dissipées. Illusion du libre arbitre.

– Cap sur l’île des pirates ! ordonne-t-elle en jubilant.

 Tu ne fronces pas les sourcils en découvrant son chapeau de guingois, son bandeau qui lui couvre l’œil, et le sabre briquet dont elle s’est servie pour appuyer ses élucubrations. En somme, tu progresses. Tu as le ton plus amusé qu’inquisiteur d’ailleurs, lorsque tu lui demandes :

– Où est-ce que tu as déniché tout ça ?

Elle glousse. Innocence.
Tu décides de braquer le « volant » sur un coup de tête, et d’un coup de main, tu brutalises la barre pour un virage qui s’annonce serré. Et pourtant, tu l’as sous-estimé.
Le radeau pivote avec une violence rare, et ni le père, ni la fille n’accompagnent son mouvement furieux. Littéralement désarçonnés, ils sont expulsés par-dessus bord.
Oh mon Dieu !
Mais il n’y a pas de chute, comme s’ils venaient d’accoster. Le père se rétablit sur ses pieds et constate, las, la boue qui l’imprègne jusqu’aux genoux.

– Woaah ! T’as vu comme c’est beau ?

L’imposant manoir est austère mais les circonvolutions florales qui se développent à vue d’œil sur toute sa façade hypnotisent. Leur panache d’or et de rouge et d’orange survitaminé les réchauffe de l’intérieur. Et puis cette petite touche de saphir qui s’insinue parfois…

– Oh ! Le chemin est cassé, Papa !

Une bande blanche sans perspective sépare le sol qu’ils foulent à celui qui soutient l’édifice, comme une pièce manquerait à un puzzle. Impossible d’évaluer à l’aide des sens si le morceau flottant du manoir est accessible ou non. Peut-être est-il à des kilomètres d’eux, mais est-ce que cela aurait la moindre signification ?

Pourquoi cela n’use-t-il pas ta raison ?
Ces couleurs…

Nos futurs hôtes l’avaient prédit par temps exceptionnellement doux, que nous leur trouverions du goût parmi pléthore de louvoiements fleuris !

Puissamment exprimé.

La bande se voit crayonnée, texturée puis structurée, tandis que s’établit un escalier de marbre dont nul ne sait s’il monte ou descend. Il mène au manoir.

– C’est… c’est moi qui ai dit ça ?
– Oui ! J’adore, Papa !
– Je ne sais même pas d’où c’est sorti…

Le père amorce un pas, mais cela lui rappelle la boue dont il est maculé.

– Allez ! Tu m’as dit la dernière fois qu’il n’y a rien qui soit important ici…

Des paroles qui ne lui appartiennent vraisemblablement pas.
Le monde n’est jamais ce qu’il est.

– Le monde n’est jamais ce qu’il est ?

– Mais il y a toujours un chemin ! se sent-elle obligée de compléter.

Mais il y a toujours un chemin. Toujours… ?
Où peut-il subsister une impasse là où tout est mouvant ? Tu n’es pas tout à fait convaincu, mais cela ne saurait tarder. Oui, ce n’est qu’une question de temps maintenant. Contente-toi d’avancer.

– Tu viens ? demande-t-il en tendant la main à la petite.

 Elle ne se sent pas le besoin de lui répondre, et l’accompagne sur les dalles nervurées. C’est étrange. Même en l’empruntant, il est impossible de savoir où va cet escalier. Leurs jambes le gravissent, ou le dévalent, d’elles-mêmes, sans contrôle, sans sensation. Impossible d’en jauger la hauteur, la largeur, à croire qu’eux non plus n’en n’ont plus. A croire que leur corps en a profité pour se faire la malle, à croire qu’ils l’empruntent en pensée, en esprit, en fantôme.
Le père a l’impression que l’escalier revient vers leur point de départ. Il aperçoit le début du chemin de boue, celui-là même dans lequel il a atterri.
Non, pas tout à fait. Il s’est opéré quelque chose entretemps. Ils sont de l’autre côté du sol, ils sont dessous, comme si on les avait mis sur la seconde face identique d’une feuille de papier. Sauf que le manoir y apparaît désormais, en surimpression. Il n’y a plus cette bande sans consistance entre eux et la bâtisse, du moins s’apprêtent-ils à la quitter.

– Oh ! Il n’y a plus mes fleurs ! C’est dommage, elles m’inspiraient.

Là, je dois dire que tu me surprends drôlement… alors tu y prends goût finalement. Échapperai-je à l’imprécation ? Il vaudrait mieux que je n’y succombe pas trop tôt, le cas échéant, cela serait fâcheux.

– C’est pas grave, regarde, il y a des toboggans !
– Non, ce ne sont pas des toboggans. Enfin… je ne pense pas.

Leurs sensations leur sont rendues dès leur retour à la terre ferme. Remontant le sentier, ils peuvent détailler les enchevêtrements tentaculaires bleu pâle, animés de mouvements lents, qui dissimulent de plus en plus la vaste demeure à mesure qu’ils s’en rapprochent.

– C’est quoi Papa ?
– Je ne sais pas, répond-il en détaillant cette nouvelle incongruité. C’est…

Il est si près maintenant qu’il distingue l’écoulement d’un de ces bras translucides, qui serpente au-dessus de sa tête. Il ne peut s’empêcher d’y mettre la main, et un filet d’eau s’insinue alors dans sa manche pour le tremper jusqu’à la poitrine.

– Ce n’est que de l’eau. De l’eau chaude. Ce sont des… petits ruisseaux d’eau qui défient la gravité.

La secousse qui émane du manoir est puissante, et fait vibrer les entrailles du père comme de la fille. Elle fait voler en éclats les tentacules aqueux, les transforme en une brève pluie de petits cristaux noirs. Une onde et une ondée de puissance aussi surprenantes qu’éphémères.

L’erreur de la définition.

– Bon sang ! Qu’est-ce qui s’est passé ? Ça va ma Chérie ?

Son air est plus ébahi qu’apeuré.
C’est à croire que rien ne peut plus l’effrayer dans un monde qui perd pourtant toute logique.
Selon toute logique, rien ne te permet pourtant d’affirmer qu’il n’en possède pas. Sois humble, tant que tu seras toi.

– Papa, tu saignes !
– Quoi ?

De longues estafilades écarlates s’enroulent autour du bras du père avec une étonnante régularité. Trop régulier pour être l’œuvre des cristaux.

– C’est le ruisseau qui m’a fait ça…

L’eau tranche avant même d’être tranchante, le radeau des Epouvantes te dépose avant même d’accoster, et toi, tu te diriges dans un monde avant même de savoir où tu veux aller. Sembles-tu plus raisonnable que ce qui t’entoure ? Tu es sûrement plus proche de tout ceci que tu ne veux bien l’admettre. Enfin, c’est normal…
Ils atteignent enfin l’entrée, gravissent les deux marches du perron et tentent d’ouvrir la porte en tournant une poignée en forme de pommeau. Sans succès. Le père a beau frapper…

– Y a quelqu’un ? Ouvrez !

… personne ne daigne se montrer. Lorsqu’il se retourne pour regarder sa fille, c’est le paysage désolé que ses yeux captent. Noir sur fond noir, et pourtant parfaitement visible. Ciselé, découpé, aiguisé, échardé comme un cristal. Le perron est intact. Un bruit de chaînes le force à reporter son attention sur l’entrée : elles sont là, les chaînes, comme des chenilles, et rampent pour mieux la barricader.

– Ne peut-il rien se passer qui ne soit pas dans mon dos ?!
– Papa, il se passe déjà plein de choses devant nous !

Tu vois que tu es de mauvaise foi !

– Nous sommes… encore… encore c… encore…
– Tu t’endors !

Ou peut-être t’évanouis-tu, apeuré ? Mais je n’ai pas la prétention d’être meilleur observateur que ta fille…

 

Clé. Clé.
Quête infinie d’infinies humanités
Qui décèlent et descellent l’inaccessible
Pour que perpétuelles peurs paniques finissent en cage pandorée.
Les oraisons capricieuses, d’horizons étriqués se font guide
Et responsables de l’usure irréversible
Des lourdes clés briseuses d’égide.

Le verrou n’est plus hostile là où l’associée est affilée.
L’échec se doit d’attendre la quête aveugle.


– Je… j’ai dû avoir une absence.
– Une absence ? Non, tu étais là !

Elle te fait rire sans même le vouloir. Tu lui caresses les cheveux d’un geste paternel, rassurant, qui la pousse à se blottir contre ta jambe. Elle sait ce que tu t’apprêtais à dire il y a quelques minutes, et elle n’aimait pas ces paroles, de ta bouche. Pas lorsqu’elle te sent différent.
Pour elle, « vous » ne pouvez être coincés.
Qu’est-ce que… ?

– Attends. Excuse-moi Chérie, tu appuies sur quelque chose. Dans ma poche.

La petite s’écarte et le père plonge sa main dans le repli du vêtement, y sent quelque chose de lourd et de froid.

– Il n’était sûrement pas là depuis le début…
– C’est un cadenas ? Il est gros ! Il va nous servir à quoi ?

À rien… à rien, à rien !

C’est toi qui t’emportes pour un rien.

D’un geste rageur, le père vient lier entre elles les chaînes qui s’entrecroisent. Le cliquetis du cadenas résonne dans l’atmosphère noire cristalline. Celle-ci gagne du terrain, au grand dam du père qui regrette aussitôt son geste, aggravant délibérément leur situation alors qu’il n’avait pas conscience du danger.

– Ma puce, viens vite vers moi.
– Pourquoi tu as fait ça ? demande-t-elle en obéissant.
– Je ne sais pas, j’en avais assez. C’est de ma faute !

Tu la prends dans tes bras pour la porter, pour qu’elle se réfugie dans le creux de ton cou. Vous êtes acculés, piégés, chaque instant qui t’échappe est un air qui passe à l’ennemi.
Retiens la leçon. Ne perds pas ce temps qui est le tien.

L’atmosphère acérée les cerne complètement. L’homme ne demande qu’à faire ses prières, mais la porte sur laquelle il s’appuie s’ouvre sans broncher. Un miracle ! En une fraction de seconde, il la referme sur l’envahisseur, tandis que l’encadrement s’évanouit juste devant lui. La porte s’est fondue dans l’Ici, peut-être pour s’ouvrir dans un Ailleurs. Le père dépose sa fille sur un sol sablonneux. Ils se trouvent au cœur d’une oasis, sous un soleil malade, entourés d’une végétation bitumée. Il n’y a pas un mouvement, pas un indice de vie. Nouveau paysage désolé qui se prolonge en une jungle figée, dénuée d’âme.

– On y va ?
– Laisse-moi un peu de temps, laisse-moi respirer. Ce truc m’a oppressé…
– Ça veut dire quoi « oppressé » ?

Ça veut dire que ton père résiste encore, ça veut dire qu’il se sent menacé parce que c’est ce que lui dicte sa conscience, son instinct obsolète. Ce qui est noir, tranchant, sans forme perceptible et enveloppant est forcément quelque chose de mortel. Ça veut dire qu’il n’est toujours pas conscient de ce qu’il est en train de vivre. Il suffit de l’écouter :

– J’ai bien cru qu’on allait y passer ! Si la porte n’avait pas cédée…

Oh ! Ecoute-le ! « Si la porte n’avait pas cédée » ! Comme si les portes s’ouvraient par magie !

– Je ne pense pas qu’elle ait cassée, moi.

Abandonne, Jade, il n’en fait encore qu’à sa tête. Que veux-tu… il a utilisé la clef mais sans même s’en rendre compte. Ses… pulsions ont travaillé pour lui. Lui, il ne joue toujours pas le jeu.

– Qu’est-ce que tu veux dire ?
– Tu l’as ouverte, Papa, c’est tout ! Allez viens !
– Chérie, attends ! Ne pars pas trop vite ! Attends-moi !

Mais la petite est trop heureuse, tandis qu’elle s’enfonce dans la végétation de pierre et de gravats et disparaît aux yeux de son père. Le temps qu’il se relève et la poursuive, nulle trace d’elle n’a subsisté. L’oppression ressurgit alors. Pas de manifestation brumeuse ni cristalline, mais une simple chape de plomb, en son for intérieur, vient lui étreindre le cœur.

Et prisonnier l’architecte.

 

Parquet froid et ténèbres trop familières. Pas de poids chaud sur la poitrine. Nul doute possible : le père est de retour dans la pièce morbide et elle ne s’y trouve plus. Il tâtonne, sent le tissu du fauteuil sous ses doigts et prend appui pour se mettre debout. Il se sent seul, vide. De l’effroi naît et clôt ses paupières. Le parquet gémit sous ses pieds. Il se sent désorienté, perdu sans elle. Sans elles. Il doit les retrouver, au moins sa fille !
Soupçon de courage qui lui rend la vue. Il y a toujours ce rai de lumière d’un côté, mais de l’autre, une lueur bleutée pulse au fin fond de la pièce. Un mince rectangle de couleur au sol qui révèle l’existence d’une nouvelle porte close. Une porte qu’il ne connaît pas. Peut-être est-ce par là que la petite s’est aventurée ? Par tâtonnement toujours, il finit par atteindre la poignée et découvre qu’une fois de plus, la porte est verrouillée. Le père soupire longuement, le jeu le lasse. Et même, cela n’a rien d’un jeu.
Ta fille est allée se perdre dans un endroit où rien ne peut être maîtrisé, tente-t-il de se raisonner, et toi, tu n’es pas foutu de prendre ça au sérieux !
Si tu ne parviens pas à chasser cette idée, c’est peut-être qu’elle ne vient pas de toi. La faute n’incombe à personne, mais tu es influencé. Ah, toutes ces réponses que tu manques !
Bon dieu, qu’est-ce que je raconte, nous ne sommes plus là-bas. Ici, c’est le réel…
A cette pensée, le père décide d’éloigner ces ténèbres qu’il s’était choisies afin de se recueillir, afin d’accepter. Sa fille n’avait pas à y plonger avec lui. Il se dirige vers le rai de lumière mais alors qu’il s’en approche, au bout d’une poignée d’enjambées, il sent son esprit s’engourdir.
Non, pas encore…

 

– Jade, où es-tu ? Jade !

Ce décor est d’une tristesse absolue. Pourquoi est-elle partie comme ça, à l’aveuglette ? Pourquoi se précipite-t-elle systématiquement vers l’inconnu ? Y a-t-il quelque chose de plus attrayant dans ce mausolée gris de mornes silhouettes végétales qu’en son propre père ? Au fur et à mesure de ses pas, de ses recherches, de ses contorsions toujours plus nombreuses et périlleuses dans cette nature inflexible, l’horreur se répand, l’encercle et le prend au piège. Une atmosphère de jais et de plomb engloutit chaque statue de pierre.
Mon Dieu, où es-tu passée ? Ne me dis pas que tu es allée dedans, je t’en prie.
La détresse du père est grandissante, sa respiration sifflante. Il se tourne de tous côtés, et ne voit que ce mur noir qui se rapproche inexorablement. N’existe-t-il donc rien qui puisse l’arrêter ?
Il cherche à s’en sortir, il cherche les mots, il cherche l’inspiration. Quelque chose lui dit que son salut y réside. Il se rend enfin compte que depuis qu’il est ici, ses transes sont à chaque fois venues à son secours. Alors il cherche, tandis que la végétation fossilisée s’efface.

Ah, enfin, tout s’amplifie.

Mais rien ne vient, d’une syllabe, pas la moindre ombre, au milieu d’une scène qui en est envahie. Les derniers arbres sont engloutis, ne reste que la chair de l’homme. De là où il est, le père distingue les dents de cristal qui tranchent et dévorent l’air ambiant, et l’enserrent lui. Il ne reste plus rien, il est le dernier repas de l’obscurité. Il tend la main.
Il s’attendait à se faire écharper, à ce que sa peau se transforme en lambeaux sanguinolents, à ce que la douleur le prenne au cœur et le fasse hurler. Il n’en est rien, c’est simplement… froid. C’est son unique sensation avant que le mur ne l’absorbe. Il fait noir, totalement.

Ça te rappelle des souvenirs ?

Il a l’impression de ne plus exister. Lorsqu’il ouvre les yeux, un encadrement finit par se dessiner. Une lumière pâle filtre à travers la porte entrebâillée. Sa vue s’accommode… il se balaye du regard, distingue son enveloppe charnelle, puis se rappelle de l’endroit et de ce qu’il cherchait à y faire avant que son esprit ne s’engourdisse. La main sur la poignée de la porte, il la tire vers lui, avant de s’immobiliser la bouche ouverte.

– Regarde, Jade, voilà ton père. Tu vois, nous l’avons rejoint en chemin. Il y a toujours un chemin.

L’homme qui parle lâche la main de la petite qui se précipite vers son père. Mais la surface du miroir, qui occupe tout l’encadrement, l’empêche d’aller plus loin. Elle ne peut pas en sortir. Le père détaille son propre reflet, en tout point semblable, mais qui est pourtant parvenu à prendre la parole de lui-même, et qui est apparu accompagné de la petite fille.

– Le psalmodieur ! s’exclame l’original.
– En effet
, répond le reflet. Tu m’as sollicité et tu commences à y croire. Tu es déjà un homme nouveau et ce que tu as accompli te fait pleinement sentir que le monde n’est jamais ce qu’il est, qu’il y a toujours un chemin, pourvu que l’esprit en ouvre l’accès, et en abolisse le destin.
– C’est ma pensée !
– C’est MA… pensée, réagit instantanément le reflet. Tu n’as pu que t’en imprégner alors que nous interagissions. Et ne me rétorque pas que j’émane de toi, car de mon côté, c’est toi qui te trouves dans le miroir.
J’exige la déliquescence liquide et la rémanence de la dualité !
J’ai la liqueur psyché-délique et la passerelle des abreuvés.

Aussitôt, le miroir vacille, et des ondulations se répandent à sa surface, déforment le reflet et la petite. Mais celle-ci ne tarde pas à traverser la paroi mouvante et accourt vers son père pour le serrer dans ses bras, alors qu’elle est trempée de la tête aux pieds.

– Papa !

Le psalmodieur part dans un rire sardonique, tout en franchissant la frontière liquide avec lenteur.

– Ne me dis pas que tu hésites à la toucher simplement parce qu’elle un peu mouillée ? Tu n’es pas croyable, tu te soucies de futilités ! En permanence ! « La voile n’a pas de vent ! J’ai de la boue sur mes vêtements ! Ce monde n’est pas logique ! » Et puis : « je suis coincé ! » Ah ça, tu aimes dire que tu es coincé. A t’écouter, il ne se passe pas un instant hors de l’impasse. Et puis…

Ses traits se creusent, son air s’assombrit et devient grave. Son débit de paroles se réduit brusquement. Il ferme les paupières.

– Et puis… « Maman n’existe plus. Maman n’est plus nulle part. » Oh ne te soucie pas de Jade, une autre de mes litanies l’a rendue sourde à ce que je viens de dire. Je ne sais pas s’il convient à la situation de penser que je ne suis pas humain, mais je ne suis pas inhumain pour autant. Quant à toi, tu m’inspires le dégoût. Cette manie constante de penser à n’importe quoi, plutôt qu’à ce qui compte vraiment… je ne le comprends pas, je ne le comprendrai jamais ! Ça me…

Mais le père n’hésite pas à l’interrompre.

– Et toi, dans quel monde vis-tu, au juste ? Ta réalité n’a rien à voir avec la mienne ! Tes attentes, ta façon de penser, tes manières d’envisager les choses sont basées sur… d’autres bases. Tu peux me reprocher tout ton saoul certaines de mes réflexions. Oui, elles étaient idiotes, j’admets ma faiblesse. Mais de là d’où je viens, mes futilités ont de l’importance. Pas une grande importance, mais elles ne peuvent en tout cas être balayées d’une litanie ! De là d’où je viens, tu devras choisir entre la laisser me serrer dans ses bras, ou l’écarter pour qu’elle ne puisse pas t’entendre. Dans mon monde, il n’y a pas de raccourci.
Je me rends compte que je t’ai toujours perçu, au cours de ce… « périple ». Tu étais toujours présent, tu nous surveillais, avec, je pense, bienveillance. Mais j’ai senti aussi un fond de haine, latent. Je sais qu’au fond de toi, tu me hais, tout comme je haïssais cet univers auquel je ne comprenais rien. Et je me souviens… je me souviens de tes propres pensées imprimées dans mon esprit. « En un mélange, confusion subtile d’innombrables intellects… » Oui… nous sommes nombreuses, nous, les facettes, comme toi et moi. Mais ne me hais pas. Ne brise pas ce lien en me maudissant. Si nous nous ignorons tous, c’est pour cette raison, il me semble. Mais fais-le pour Jade, car ta haine… elle aussi, elle est futile.

Pour la toute première fois, le psalmodieur semble décontenancé.
Se pourrait-il que je me sois moi-même égaré, alors j’étais maître de tout ceci ? médite-t-il. Le silence qui suit est pesant.

– Tu as peut-être raison. Quoi qu’il en soit, nous devrions achever ce que nous avons commencé. Nous sommes plus ou moins la même personne, après tout.
– Tu viens ? Demande le père à sa fille en lui tendant la main.

 Ils se retournent, redécouvrent le bleu pulsant qui se dissimule derrière la Porte, la toute dernière. Le reflet a réintégré son miroir.

– N’oublie pas. Ce n’est pas parce que je suis ici que je ne serai pas avec vous. Enfin… tu le sais déjà, et ta fille avant toi.

Une porte sur un miroir se referme, une autre sur une âme s’apprête à s’ouvrir. Elle s’ouvrira.

– Tu sais, si tu veux savoir où elle est… Maman est déjà dans nos cœurs. Ensuite, Maman est. Je ne sais pas si tu comprends mais… c’est ainsi. Elle existe et la question de savoir où ne se pose même pas.

Que les pensées restent les pensées et les rêves les rêves.
Ni les unes ni les autres ne nous prennent dans leurs filets.
Le voyage ne s’inscrit pas en eux, il n’en tire pas la sève,
Il résulte d’un lien entre deux des facettes réfléchies
D’une âme. Une psalmodie.

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Créé le 10/01/2010 à 00:44:47 - Modifié le 10/01/2010 à 01:07:27

Qu'on se le dise ! Un dernier-né est arrivé. L'écriture commençait à me manquer, alors, tant pis pour les partiels, mais je l'ai commencé pendant les révisions. 5 000 mots petits mots de plus.

En tout cas, cette année, on ne pourra pas dire que les périodes de cours seront productives : bien trop de boulot pour pouvoir assurer des séances d'écriture. Ça associé à ma lenteur : il faudra être très, très patient avant une nouvelle production. A moins de sacrifier quelques heures de sommeil... nous verrons bien par la suite.

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Créé le 10/01/2010 à 01:13:24 - Pas de modification
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